Installée sur un banc passablement inconfortable, Altagracia piétine d’impatience. Tape du pied, fronce ses sourcils et rajuste son chemisier blanc finement repassée. La patience, une qualité lui faisant indéniablement défaut. Rêve de liberté, de plonger dans l’herbe verte à ses côtés ; s’y perdre et enfin respirer. Mais cloîtrée là à attendre, la détective maudit son enquête. Trop lente, trop silencieuse si ce n’est la vieille femme sénile radotant à ses côtés. Privatiser un banc n’était malheureusement pas dans ses cordes, encore moins au creux de l’Arbre aux luciole et du formidable parc qu’il abritait. Sous cette nuit éternelle malgré l’heure peu avancée de la mâtiné, les lucioles de la ville brillaient de mille feu, illuminant la douce verdure des jardins, les kiosques ou s’affairaient une multitude d’Astres et les attractions pour enfants pris d’assaut qu’elle jugeait fortement inules. Les murmures incessant de la vieille femme et les cris des enfants bruyants firent apparaître une grimace de dégoût sur les lèvres écarlates de la cubaine. Elle lissa sa jupe d’impatience. Préférait de loin les sombres forêts bordant Requiem que le pourtant si somptueux jardin de la capital, sans étonnement rempli de monde à cette heure de la journée. En plein Week-end.

Mais professionnelle avant tout, la brune prenait sur elle depuis déjà quelques heures. Maudissant son client pour cette mission si futile. Encore une enquête d’adultère ; l’humanité aimait tant ses infidélités qu’elle ne pouvait s’en passer. Les commérages filaient plus vite que le vent sous cette capitale mouvementée, pour le plus grand bonheur de la détective qui s’en délectait. Et pour cause, nombreuses étaient les femmes qui, en pleure et désespoir venaient s’émouvoir à sa porte. Recherchant un confort que  la brune rechignait à leur donner – n’étant tout de même pas un service social à elle seule. Se contentant donc d’un sourire mielleux et d’une simple promesse : prendre en flagrant délit l’homme infidèle. Armée de son éternel appareil photo autour du coup, et d’une cigarette fumante au bout des doigts, la jeune femme observaient impatiemment son environnement. D’après la pauvre femme esseulée, son mari aurait prévu de voir sa maîtresse en cette belle mâtiné. Véritable enquête ou femme paranoïaque, Altagracia s’en fiche guère. Ne recherche plus que le gain à la clé et le bonheur d’un porte monnaie bien rempli. Car l’excitation de cette enquête n’allait certes pas la faire frémir de passion. Attendre qu’un homme se pointe au bras de sa maîtresse dans ses beaux jardins n’avait rien de passionnant.  

Tirant une longue bouffée de sa cigarette, la jeune femme pianota sur le banc de ses ongles noir charbon fraîchement manucurés. Soupire. Le brouhaha de ce jardin animé semblait la mener tout droit vers une incontestable migraine. Lance un regard noir à la vielle femme à ses côtés, attirant maintenant une armée de pigeons tigrés grâce à ses lancés de miettes de pain se voulant si peu impressionnant. Néanmoins son attention fût bien vite attirée par un homme d’une trentaine d’année vagabondant lentement entre les allées.
Altagracia sourit, sa proie montrait enfin le bout de son nez.  

Homme trop bien habillé, pourtant peu sûr de lui. Jette quelques coup d’œil nerveux aux alentours. Semble chercher quelque chose. Quelqu’un. Altagracia trépigne d’impatience ; femme faite pour l’action, la discussion et non l’attente. Mais connaît néanmoins son métier sur le bout des doigts, ne se risquera pas à faire tomber sa couverture dès maintenant pour sa simple envie d’action immédiate.
Ses yeux bleus ne ratant rien des alentours se fixe brusquement sur un individu si peu désiré en cet instant. Une chevelure blonde sous un air déterminé. Astrée. Fléau de son existence, lutin farceur ne  la lâchant plus malgré les regards noirs que la détective pourrait bien lui lancer. Elle ne devrait pas être là, en plein milieu de son enquête. Un coup d’œil à sa cible pour vérifier qu’elle est toujours là, et la brune foudroie Astrée du regard, certaine que la gamine peut sentir sa colère de là où elle se trouve. Pensait-elle vraiment pouvoir la prendre par surprise. Une moue dégoûtée vint peindre ses lèvres. Altagracia déteste les enfants, les hait bien plus que nécessaire, elle le sait. Ne supporte pourtant pas ces êtres trop énergiques, trop immatures. A marcher sans regarder où ils vont, s’empêtrer dans les pattes des adultes et quémander des réponses. Usant de leurs petits yeux de chiens battus pour conquérir le monde.
Oh non, la cubaine ne se laissera certainement pas marcher dessus par une enfant de 15 ans.
Avant que celle-ci ne s’approche trop et ne grille sa couverture, la jeune femme utilisa son don de télépathie pour s’énerver directement dans la tête de la petite blonde.

« Astrée ne fait pas un pas de plus si tu tiens à ce que ta tête reste bien encrée sur tes épaules maigrichonnes. » Elle soupira, ne lâchant pas la gamine du regard. « Qu’est-ce que tu fais ici ? Va t’acheter une glace au chocolat comme tous les gosses et ne traîne plus par ici, bon sang je suis occupée ! »

Elle doutait néanmoins que son discourt ait un quelconque effet, connaissait beaucoup trop la jeune fille pour savoir qu’elle obéissait rarement aux ordres. A moins qu’elle ne se soit découvert un sentiment de rébellion spécialement pour elle. De toute façon, la cubaine ne savait pas s’y prendre avec les gosses. D’un geste agacé de la main, Altagracia lui intima de reculer, de partir et de ne plus jamais revenir.
Cette enfant méritait décidément d’être enfermée quelque part.

Son sursaut de panique ne manque pas de la faire sourire. Qu’elle se sente donc coupable, de la suivre ainsi durant son travail. Altagracia n’accepte pas ses excuses précipitées, connaît trop bien la gamine pour se laisser avoir. Se contente donc de la fusiller de son regard le plus noir, espérant que de la où elle se trouve, elle n’y manque pas. Ricane alors dans l’esprit d’Astrée.

« Une mission avec moi ? Sûrement pas. Tu es trop petite, trop faible et trop énervante pour que je t’accepte plus de 30 secondes à mes côtés. »

La détective ne doutait pas que l’adolescente ait pu avoir une autre idée en tête. Probablement une histoire farfelue. Une histoire de fée et de princesse à sauver. Or si fée il existait peut-être, ce n’était pas le moment. Sa mission nécessitait de la concentration et à ce moment précis, elle n’en avait plus aucune. Et effectivement un regard à sa cible, portée par les paroles de l’adolescente lui fit comprendre qu’elle l’avait perdu. L’homme n’était plus où il se trouvait l’instant d’avant. Désespérée, Altagracia se pinça l’arrête du nez en grognant et fermant les yeux, avant de se relever subitement, faisant sursauter la petite vieille à ses côtés.
D’un pas énervé, elle se dirigea vers Astrée pour s’arrêter à sa hauteur. Non s’en se défaire de son aire de grande sœur mécontente.

« Et bien bravo ma cible a disparu, j’espère que tu es fière de toi ? » Un long regard aux alentours, l’homme avait du continuer son chemin dans l’immense parc, il lui fallait fouiller. Une nouvelle  attention pour Astrée tout en réfléchissant. « Tu as vu qui je suivais ? Tu vas m’aider à le retrouver. Et dis-crè-te-ment s’il te plaît. »
Elle soupire, dégoûtée par la tournure des événements.
« Et après tu files chez toi… ne traînes juste pas trop dans mes pattes. »

C’est embêtant, tout cela est embêtant. La gamine à ses pieds, la cible envolée. Ça l’énerve, la fait fumer plus que nécessaire tandis qu’elle jette son  mégot par terre pour l’écraser du bout du pied. Bien qu’elle fume à vrai dire déjà bien plus que la majorité des mortels. Mais pour Altagracia, rien n’était jamais assez, pas même ses vices.

Joie de la voir ainsi hocher précipitamment la tête, peut-être Astrée servira-t-elle enfin à quelque chose aujourd’hui. Cette petite chose avait beau être adorable pour la plupart, elle ne paraissait être qu’une source d’ennuis pour la détective. L’exploiter un peu sans aucun salaire ne lui paraissait pas être une mauvaise idée. La jeune femme avait trouvé son stagiaire pour la journée.
Un grand sourire à l’adolescente, parce qu’elle ne pouvait finalement pas faire la gueule bien longtemps. Ne croit pas une seule seconde que celle-ci puisse être discrète et silencieuse plus de deux secondes, mais fera avec pour le bien de sa mission.
Tirant son bras, la petite blonde lui fait apercevoir de nouveau l’homme de l’enquête. Elle sourit de plus belle, pousse un peu Astrée pour avancer plus vite ; ne pas encore le perdre de vue. Car il avance rapidement cet imbécile.

« Parfait, peut-être que tu me seras utile finalement. Ne t‘éloignes pas trop, je ne viendrai pas te chercher quand les troll voudront te dévorer. »

Ou les ogres, elle ne savait plus bien ce que c’était.
Marchant à grands pas, les deux s’arrêtent finalement derrière un arbre tandis que la cible du jour stop sa promenade. Toujours aucun signe d’une quelconque amante… tout cela devenait de plus en plus ennuyant. Elle se tourne donc vers l’adolescente, sérieuse malgré son petit sourire narquois.

« Ok, première règle du détective : ne jamais, JAMAIS se faire repérer en pleine filature. »

Autant lui apprendre les ficelles du métier, au cas où.

Pas de carnage, pas de tornade. Altagracia et Astrée travaillant ensemble sans que le ciel ne leur tombe sur la tête. Un fait qu'elle n'aurait jamais envisagé possible. Et pourtant, l'adolescente était pour l'instant aussi sage qu'une image, comment la brune aurait-elle pu lui crier dessus ?

Vient la question de l'enquête. La détective doutait que la jeune fille soit bien renseignée sur les adultères, mais qui était-elle pour lui cacher ce genre d'information. Oh non Altagracia n'était pas sa mère, n'avait donc aucun scrupule à initier la gamine à la dépravation de l'homme. Peut-être y aura-t-elle même droit dans quelques années ; les enfants grandissent trop vite.

« Cette homme trompe apparemment sa femme, cette dernière m'a engagée pour lui apporter certaine preuve. »

Fixe la blonde en fronçant les sourcils. « Peut-être qu'un jour tu m'engageras pour la même chose toi aussi. » Petit clin d'oeil pour appuyer ses propos. Oh oui la cubaine avait hâte de se mêler des querelles amoureuses d'Astrée lorsque celle-ci aurait l'âge.
Mais déjà, un regard à sa cible la fit se reconcentrer. Un grande blonde élancée s'avançait à sa rencontre, grand sourire sur ses lèvres maquillées d'un rouge pétant. La détective eut à peine le temps de murmurer un "là voilà" que déjà, le femme se jetait au cou de son prétendant pour l'embrasser avec passion et décadence.
Ce n'était pas spécialement prévu. Regard noir destiné à sa petite compagne du moment.

« Cache toi les yeux ce n'est pas pour toi. »

Lui expliquer l'adultère était une chose, le voir en action était une autre.