Tout est parfait, Meish. Il ne manque rien, si ce n’est vous, quelques paroles, des doigts posés ça et là. Un petit sourire satisfait face à ton oeuvre. Ce n’est pas la première fois que tu fais ça, mais tu adore ce moment. Les bougies éclairent ton visage d’une lueur qui pourrait paraître effrayante pour quelqu’un qui ne te connaîtrait pas.

Tu n’as plus qu’à attendre Altagracia, assis face au cercle de bougies, au pentagramme et à la table de ouijah que tu as emprunté à un ami. Sur ton lit traînent nonchalamment quelques bouteilles, entre alcools et diluants, vous êtes parés à toute éventualité.

A vrai dire, vous ne prenez pas tout ça réellement au sérieux, vous n’êtes que deux adolescents dans le corps d’adultes, voulant s’amuser et se faire un peu peur. Tu sais qu’Altagracia n’a jamais fait ça et tu comptes bien en profiter pour l’effrayer. Peut-être venir la hanter durant la nuit. Peut-être l’attacher à son lit et lui demander de baisser le prix du loyer, qui sait.

Tu lèves les yeux alors que la porte s'ouvre brutalement et tu fixes ta colocataire, les chaînes et les cordes à la main, en pyjama. Tu exploses de rire face à cette scène un peu étrange.

— prête à ce qu'on s'attache au lit pour des folies ?

L’idée d’être attaché ne te rebute peut-être pas tant qu’elle le pense. Un sourire mesquin te marque le visage. Tu as hâte que les choses commencent. Et la voilà qu’elle te tend ce qui t’as l’air d’être une cigarette roulée, à première vue. Mais l’odeur qui se dégage de la fumée qu’Altagracia vient de recracher n’a rien du tabac.

Tu ne sais pas, tu hésites. Fumer ce genre de choses n’est pas vraiment ce que tu fais ; tu ne l’as jamais fait à vrai dire. Quelques instants de réflexions. Au diable la raison. Tu attrapes le petit bout de bonheur et tu tires dessus. Une fois ; deux fois ; de longues inspirations. Et ta tête commence déjà à te tourner.

Un regard vers ta camarade qui te fixe, ta vue se trouble déjà. Tu es vraiment faible Meish ; heureusement que l’alcool sera là pour te donner des forces.

— hihi, ça tourne.

Tu sens ses regards qui te jugent, qui s’accrochent à tes yeux et ne sont que la moquerie de ton être. Tu ne sais pas, Meish, si tu seras capable de tenir debout. Tu tentes de te lever, déjà affaibli par la fumée qui prend peu à peu sa place dans ta chambre. Les bougies semblent être démultipliées sous tes yeux. Un petit soupir.

— aller c’est parti, sers moi un verre s’il te plaît.

Tes mains cherchent la table de ouijah, la placent, de travers dans un sens, puis dans l’autre, peut-être un peu trop haute. Tu ne sais pas trop, peu importe à vrai dire. Un petit rire alors que tu cherches désespérément à rester sérieux, car la nuit s’annonce pleine de fantômes.

— hop hop hop aller on se dépêche esclave.

Tu sais déjà que tu risques de te prendre le verre au visage, mais le mot t’a échappé de la bouche, sans doute car le petit bout de bonheur que t’as ramené Altagracia t’est totalement inconnu, que tu n’as jamais fumé ça. Tu secoues la tête, tentant de rester concentrer, même si ton esprit divague, que ta vue se trouble.

Tes mains se posent sur la petite flèche en bois qui est censée désigner les lettres. Un dernier regard pour Altagracia. Tu es prêt, c'est elle qui récitera les phrases que tu lui as apprises.

Un rire certain, ta tête tourne ; tu n’entendras pas ces paroles souvent dans ta vie, sûrement pas de sa part.  Tu bois ton verre sans respirer une seule seconde, sans laisser une seule goutte ; sous l’influence de ce petit bout de plaisir qu’elle t’a fait fumer quelques minutes auparavant.
Alors tu attrapes sa main et attends qu’elle se mette à parler, réciter les paroles. Elle ne les connaît évidemment déjà plus, tu aurais dû t’en douter, Meish. Peu importe, elle s’en sort malgré tout.

Et c’est le silence ; aucun bruit dans la pièce. Tu n’es pas certain de ce qui devrait se passer et peut-être devrais-tu lui avouer que tu lui mens depuis le début : tu n’as jamais fait de séance de spiritisme. Mais tu préfères laisser le mensonge régner, qu’elle te voit comme un grand maître des arts occultes.

Un petit rire alors que rien ne se passe, ton esprit un peu trop brouillé pour ce que vous faites. Et soudainement, le son d’une goutte d’eau qui s’abat contre le sol, encore et encore. Le bruit des rivières, l’eau qui commence à couler sous la porte.  

— alta ? c’est quoi ça ? je me sens pas super bien en fait.

Un regard paniqué, tu ne sais pas ce que c’est. Tu ne te rends pas vraiment compte de ce qu’il se passe, dans les vapes d’avoir un peu bu, d’avoir un peu fumé ; tu es trop sensible Meish. Alors tu te lèves après qu’Altagracia t’ait secoué. Et tu te diriges vers l’eau, tentant de la contrôle pour l’empêcher de continuer à couler, mais tout ce dont tu es capable, c’est d’accentuer la fuite.

— alta’ c’est pas normal, j’arrive pas à retenir l’eau ?

Ta voix un peu pâteuse montre bien que tu ne sais pas ce qu’il se passe. Et pourtant Meish, tout ça est de ta faute. Tu n’aurais peut-être pas dû invoquer des esprits ( s’ils existent, évidemment ), tu as sûrement dû provoquer des esprits totalement mauvais. Un regard paniqué pour Altagracia.

— okay je l’avoue j’ai jamais fait de spiritisme je sais pas si les esprits sont méchants ou quoi mais vraiment t’inquiète pas je gère ça regarde, je vais réessayer de retenir l’eau.

Alors tu tends la main vers l’eau, tentes d’activer ton cristal, mais l’eau s’agite dans tous les sens et redouble de puissance, inondant totalement la moquette de ta chambre.

— tu vois, ça marche parfaitement , le ton plein d’ironie.