Observe cet ange étendue dans l’eau, baigné d’une auréole d’éclat de cristaux. Comme l’apparition qu’il lui manquait pour espérer, sourire entre deux corps à enterrer. Préfère sourire à son reflet serpent, sourire à ce fantôme blond ; plus aucune larme à verser. Juste à s’émerveiller.
Jiminy aussi se perd dans cette eau dorée, flotte un instant dans ce rêve éveillé ; hors du temps et du reste du désert. Du monde même, s’il existe encore quelque part ailleurs.
Un bain bien mérité pour leurs longues heures de marche. Leurs peurs à oublier un moment, laisser à l’entrée de cette grotte aux milles couleurs.
Et Jiminy presque timide, ose à peine s’approcher. Juste observer, apercevoir les rayons de lumière miroitant sur la peau de l’autre. Folle envie de les frôler. Mais la brune est une sauvagerie sans nom, prête à filer au moindre coup de vent, à la moindre parole de trop. Elle se retournera et ne reviendra pas. Si elle savait, que plus tard, elles ne pourraient plus se quitter. Jusqu’à ne plus savoir s’apprivoiser.

France. Un pays qu’elle ne connaît pas. N’a à vrai dire jamais poser un seul pied sur le continent européen malgré ses quelques origines anglaises.

« Thaïlande. »

Un seul mot, et ce pays lui manque déjà. Sa ville lui manque, son père lui manque. Sa vie lui manque.
Rien de plus, la brune n’est pas une femme de mot, mais de non-dit. Préfère observer que de se perdre en paroles inutiles, préfère s’abreuver du silence des autres pour se faire une idée de la personne.
Et les silences de Pandore son magnifiques.
N’ose respirer à l’approche de la blonde qui d’un geste doux, la frôle en une caresse tangible. Jiminy est gênée, perturbée. Personne ne la touche jamais mis à part les tendres gestes de sa mère. N’a pas l’habitude, trop prude malgré ses paroles rudes et tranchantes. Se sent bien plus à l’aise sur le ring, les mains bandées et la rage au ventre. Car à cet instant, elle ne sait comment réagir. S’enfonce donc dans l’eau jusqu’au nez. Pour la fixer un peu, se cacher du sourire de l’autre et de l’éclat de ses yeux bleues ; captivants.
C’est fait, la voilà prise au piège.

Comme deux âmes qui se contemplent, comme deux cœurs qui se reconnaissent. La moitié de l’autre sans avoir besoin de parler, d’argumenter. Un peu comme si c’était écrit, se perdent l’une dans l’autre un instant ; regards qui se croisent et se décroisent pour finir par ne plus jamais se lâcher. Malgré la peur, malgré les trahisons à venir. Et bientôt pour elle, il n’existera que Pandore. Pour les années à venir et les cris à soutenir. Pour la douceur des gestes et leurs paroles écorchées ; malmenées dans une danse qu’elles ne pourront quitter. Car l’une sans l’autre, c’est l’éclat fade d’un soleil triste, la chaos maîtrisé d’une relation sans nom. S’aimer et se détester.
Et même si elle savait, Jiminy n’aurait pas fuit ce jour là. Sous leur ciel de cristal et le lac aux étoiles comme simples juges ; ne peut dire non aux souvenirs futurs. Ça crie et ça hurle un amour floue, ne sauront jamais faire autrement.

Solitaire, la brune ne se laissera pas adoucir. Pas tout de suite. S’amuse pourtant des vagues créées par leurs corps en mouvement. Scrute d’un œil tout sauf innocent les vêtements qui se collent à la peau, flottent dans une harmonie parfaite pour épouser les courbes, les cœurs. Jiminy trouve la beauté en tout ce qu’elle voit en cet instant. Peut-être trop subjuguée, peut-être trop charmée sous ses airs de froideur.

« Magnifique, chaque rue me manquent. Chaque instant de ce qu’était la vie là-bas. »  

Car sa ville n’existe plus. Bangkok a chuté avec ses habitants, leurs rêves et leurs désirs. Tristesse dans son regard d’azur, tristesse dans ses paroles. Une émotion grandissante, retenue depuis des jours. Depuis les tombes et les visages vides. Alors elle se laisse elle aussi aller dans l’eau, se refroidir les pensées pour ne pas avoir à pleurer.

Lui montrer son pays. Sa ville et ses recoins ; les lieux illuminés, les lieux endiablés. Le chaos de la nuit et les sourires du jour. Pourrait-elle lui montrer ses recoins secrets, la magie de ses rues ? Probablement. Ne se doute pas que plus tard, elle n'aura que ses souvenirs pour y avoir droit. Se rappeler l'odeur du soleil et le parfum des hauts building. Car là-haut, elle n'y retournera plus jamais. N'aura que ses rêves pour se rappeler ; de son monde qu'elle n'aurait jamais voulu quitter.
Et quand ses cauchemars viendront, elle n'aura que la fugace pensée d'une blonde et d'une brune main dans la main, arpentant les rues de Bangkok comme une promesse réalisée.
Qui pourtant n'arrivera jamais.

« Si on remonte un jour, je te le montrerai c'est promis. »

La laisse approcher, cette ombre dorée. N'ose reculer, presque apprivoisée. Sourit de ses yeux, à cette inconnue si charmante. N'a plus aucune envie de fuire, de mordre. Seulement s'y accrocher pour ne plus couler.

« Je ne suis jamais allée en Europe... Paris a l'air merveilleuse. »

Paris. La ville que l'ont considère comme capitale de la mode, la thaïlandaise en a entendu bien des rumeurs.

« Ça ne m'étonnerait pas que tu y sois mannequin. »

N'a pu passer à côté de sa grande taille, élancée comme une top modèle. Ce qui fit sourire Jiminy d'un petit air taquin. Avec sa beauté, sa peau pâle et ses cheveux tout aussi blond cela ne l'étonnerait pas que Pandore ait arpenté quelques défilés.

Paris, une ville qu’elle aimerait tant visiter, n’ayant jamais prit le temps de le faire. Elle qui ne  voyage que de ring en ring. De podium en podium comme dirait son père, des étoiles dans les yeux et des rêves pleins la tête. Jiminy n’avait eu pendant un temps que ses poings pour frapper, ses pieds pour heurter la victoire. Et aujourd’hui, elle frappe encore ; de ses mains gantées aux cicatrices ensanglantées. Voudrait frapper ces souterrains, les faire s’écrouler ; avec les pierres, se fera un escalier. Pour remonter et enfin voir Paris de ses propres yeux.
Son rire la fait chavirer. Voudrait répondre que c’est elle, qui est merveilleuse.

« Je noterai ça en prochaine destination de voyage dans ce cas. »

Elle aussi est amusée, elle aussi voudrait s’envoler.
Les voila avec une passion commune, la boxe. Pour la thaïlandaise, c’est pourtant plus que ça. Un métier, un mode de vie. Quand il faut suer pour feinter la défaite, hurler quand elle finit par la rattraper. Et pleurer quand finalement un jour, la médaille d’or autour du cou ne pèse rien de plus qu’un beau nuage. Pour briller un soir, recommencer le suivant. Une vie qu’elle a aimé, qu’elle a renié. Finalement la regretter. Regretter son père et ses entraînements trop stricts, presque cruels. Se
fiche maintenant bien de briller, espère simplement exister à travers ses enchaînements qu’elle connaît par cœur. Cette chorégraphie sportive qu’elle n’oubliera jamais.
Ne peut marquer sa surprise en l’entendant en parler.  

« Et bien ! Je suis boxeuse professionnelle. Ou du moins je l’ai été. » Petit sourire narquois. « Effectivement, un mannequin n’est pas fait pour ça. »

Alors la fossoyeuse observe l’autre, désireuse de retrouver là les signes d’une partenaire de combat. Analysant déjà. La laisse s’approcher, que pourrait-il arriver ? Peut-être un coup, peut-être une feinte.
Mais pas un baiser. Non, certainement pas. Doux et timide, comme l’eau miroitant à leur côté. Ouvre de grands yeux ébahis ; Jiminy n’est pas cette fille. Celle qui se laisse embrasser au fond d’un lac, loin du monde et de tout autre être humain. Non, Jiminy ne devrait pas être cette fille qui laisse filer le temps un instant. Pour profiter et s’oublier, presque surprise de ne pas griffer, s’emporter.
Et pourtant, la fossoyeuse n’est rien de plus. Se recule dans un sursaut, éclaboussant ce beau moment d’une eau bruyante, simple témoin de ces lèvres collées.
Une seconde de silence. Une deuxième. Et la voilà qui se recule précipitamment jusqu’à se hisser hors de l’eau. Car elle sait que c’est une erreur. Une belle et grosse erreur. En attendant de s’y perdre, la voilà qui prend la fuite. Lâche face aux sentiments. Lâche face à ces frôlements.  
Jiminy déteste les surprises.
Jiminy déteste ne pas savoir quoi faire. Alors elle lance un dernier regard à l’ombre pâle, celle qui plus tard, fera chavirer son cœur dans une passion sans paix. Un dernier regard de ses yeux serpents, furieux et rebelle.
La prochaine fois, elle ne lui laissera pas le temps d’approcher. Grognera avant d’être à nouveau touchée.
À moins qu’elle ne se perde dans ses bras. Jusqu’à oublier regretter.