Tu sembles réfléchir, mais au fond, ta décision est prise et c’est seulement par égard pour Juliet que tu fais mine d’y penser. Et c’est parce que tu la respecte que tu n’as pas envie de gâcher son grand jour ; comme un oiseau en cage, elle prend finalement son envol. Loin des difficultés du désert et surtout loin de ce type qui l’avait encagé.  

«Si tu la vois, dit-lui que je l’attends en bas. » Et tu te permets de rire doucement, comme pour détendre l’atmosphère qui, tranquillement, se couvre de nuages. « Mais bon, avant de me la rendre, t’as évidement le droit de célébrer avec elle ; tu es sa meilleure amie, après tout. »

Tu tiens cette charade, car Juliet ne mérite pas une averse. Mais tu sais que c’est impossible ; qu’elle n’est pas là-haut. Londres a chuté et dans sa chute, elle vous à entraîné. Que tu sois là en était la preuve. Que t’y retrouves Juliet était la seconde preuve. T’y avais même retrouvé la petite Astrée. Alors, pourquoi manquait-elle à l’appel ? Ta main quitte son épaule et tu jettes un coup d’œil à la tour. Son ascension ; l’espoir d’un pays, la chance d’une troisième vie.

«As-tu eu le temps de faire tous tes adieux ?  Si ce n’est pas le cas, je me sentirais mal de te monopoliser. »

Elle avait probablement d’autres chats à fouetter ; des gens plus importants.
Et puis en ce festival d’adieux, mieux fallait avoir le moins de regret possible.  

T’espérais qu’elle parte, réalisant qu’elle avait effectivement oublié une personne sur sa liste d’adieux. Hélas, elle ne semblait pas prête à te laisser et tu ne comprenais pas où elle voulait en venir. Tu l’appréciais bien, Juliet, et quand tu disais être heureux pour elle, tu le pensais. Seulement, un contact prolongé en sa compagnie était voué à réveiller les blessures du passé. C’était sans doute pour ça que vous n’avez jamais vraiment repris contact. Elle, parce que le désert l’avait transformé et toi, et bien… même si tu gardais un œil sur elle, tu ne te sentais pas suffisamment à l’aise de l’aborder.

Pourtant, elle était agréable et pétillante, Juliet. Et t’avais aucune difficulté à voir pourquoi ces deux-là étaient comme les doigts de la main.

Et tu la regardes et tu vois bien qu’elle est triste.
Alors qu’elle n’a aucune raison de l’être.

Si elle ne part pas, dans ce cas, ça sera toi. Tu te convaincs que c’est pour elle que tu tournes les talons. « Juliet, il faut que… » T’as pas le temps de terminer ton excuse qu’elle te retient; tes mains dans les siennes. Douces et délicates et tu te demandes si c’est parce qu’on l’a bien traité lors de son passage dans les Villas. Ce n’est que Juliet, et pourtant tu sens la menace qu’elle représente face à la balance (fragile et illusoire) que tu t’es efforcé maintenir après toutes ces années.

T’as pas envie d’être là.
Mais il est trop tard.

Ça te dérange et t’essaies de pas lui montrer, mais ton langage corporel te trahit. T’évites son regard, mordillant ta lèvre inférieure. Ce n’est qu’un mot de trois lettres, ça ne devrait pas être si compliqué et pourtant ça l’est.

Oui.
« Non. »

Mais tu lui en veux pas, t’aimerais, mais tu ne peux pas, parce que ce n’est pas que toi qui a mal. Ta main gauche se libère alors que la droite se resserre et tu l’entraînes vers une zone où la population y est moins dense.

« J’apprécie que tu t’inquiètes, mais tu ne devrais pas; en fait, tu ne devrais pas être avec moi. »

Juliet méritait mieux qu’un mensonge, que cette ligne de survie auquel tu t’accrochais désespérément, t’empêchant de couler dans cette mer appelée réalité. Tu le savais, tu voulais simplement l’admettre, car l’admettre, c’était synonyme de fin. Mais la fin à quoi, Mackenzie ? À cette histoire appelée ‘raison de vivre’. Tu vois dans ses yeux qu’elle ne s’était pas attendu à ce que tu lâches prise ; à ce que tu abandonnes. Tu n’as pas envie de lui avouer que c’est en partie de sa faute. Parce que Juliet, tu la connais sans la connaitre. Tu as écouté son histoire au travers les récits que ta copine voulait bien te raconter. Toujours en bien, jamais en mal, sauf cette fois où une plaisanterie avait tournée au vinaigre.

Tout comme tu ne doutais pas que Juliet te connaissait sans te connaître. C’est à se demander pourquoi elle n’avait pas insisté d’avantage à ce que vous deveniez un trio. Mais elle était comme ça Mathilde, égoïste et exubérante. Et puis, tu le réalises, mais c’était aussi pour Juliet, car personne n’aimait être la troisième roue du carrosse.

Le silence plane entre vous. Lourd, il t’asphyxie.
Tu ne sais pas quoi lui dire pour le rompre.
Tu te laisses tomer au sol.

La fierté mal placée t’empêche de totalement éclater. À ton tour, tu observes cette tour. Amer. Si tu viens de briser ton rêve illusoire, t’as pas envie d’éclater le sien.

« Juliet, il n’y a rien pour moi. Là-haut. »

Et si elle insiste, tu lui montre ton holokit ; lentement tu l’agites.

« Je serais pas seul : tu vas être là. »

T’avais envie d’être seul.

Et pourtant, tu venais de le faire. Autant pour elle que pour toi, il n’y avait aucune utilité à se voiler la face. Se bercer d’illusion… ça allait, mais comme elle venait de t’en faire prendre conscience, ça ne pouvait évidemment pas perdurer, surtout pas après 5 longues années de silence radio. Tu le perçois bien, dans sa voix, qu’elle est bouleversée, qu’elle ne se satisfait pas du dénouement. Pas plus que tu l’aies d’ailleurs. T’aurais préféré vous en tenir à des félicitations, puis à des platitudes sur la météo, tant qu’à faire. Pas à réouvrir des plaies qui n’avaient jamais réellement guérit.  

‘Pénible,’ tu penses alors qu’elle te saisit, mais tu la laisse faire, car tu sais que c’est ta faute si elle est échauffée. Finalement, tu regrettes, car même si elle méritait une réponse franche, t’aurais peut-être dû y mentir.

« C’est toi qui ne comprends pas. » Son ton est plus haut que le tien, mais t’estimes que ça ne vaut pas la peine de faire de même, car inévitablement, ça finirait en un concours de qui gueule le plus fort. « Je suis réveillé. »

‘Tu m’as réveillé.’
‘Et plus que jamais, j’aimerais me rendormir’
‘Mais je peux pas.’

« Ce n’est pas pour m’attirer ta pitié que j’ai dit qu’il n’y avait rien en haut. » Tu soupires; depuis le début tu veux éviter ces pentes glissantes, et depuis le début, tu ne fais que t’y enfarger. « Supposons que l’assenion se déroule sans problème et que vous arrivez à la surface. Vous êtes des miraculés qui font le tour des manchettes, et j’ose espérer que chaque gouvernement va vous rapatrier, et dans le meilleur des cas, vous dépendrez temporairement de l’état, le temps de ravoir un semblant de vie. »

Une pause, le temps qu’elle assimile ce que tu viens d’y balancer. T’ouvris de nouveau la bouche, puis la referma aussitôt, jugeant non nécessaire de mentionner les expérimentations humaines qui seront fait -à coup sûr, lorsque la société sera ébranlée par la découverte des dons. Ce qui poussera sans doute les différents pays à cette course folle -cette même course effrénée dont chaque leader s’était abandonné il y a 5 ans; celle au pouvoir.

« Mais tu as tord sur un point, Juliet. S’il y a effectivement rien pour moi à la surface, il y a définitivement quelque chose qui me retient ici : elle. Et si ce n’est pas en vie; soit. Je peux au moins la retrouver pour lui faire mes adieux et clore ce chapitre. »

Doucement, tu retires ses mains de tes épaules.

« Et toi, qu’est-ce qui t’attends? »

Au final, ni elle ni toi n’étiez très différant. Vous aviez cette vue en tunnel lorsque vous aviez un but en tête et qu’importe sa vraisemblance, qu’importe les obstacles se dressant sur votre chemin, vous vous y accrochiez comme l’on ferait avec une bouée de sauvetage. Et, même éveillés; confrontés à la dure réalité et au sens commun, vous n’en démordiez pas. Au fond, t’admirais ça chez elle. Et maintenant que la tension était à son paroxysme, tu ne peux t’empêcher de penser que peut-être, juste peut-être aurais-tu dû pousser tes efforts afin de mieux la connaître. Et pas parce qu’elle était l’amie de Mathilde, mais parce que t’avais réellement envie de la découvrir. Triste qu’il t’ait fallu l’écroulement de ton monde pour t’en rendre compte.

Témoin de son monde qui s’écroule, tu te dis que c’était une erreur, que ne t’aurais pas dû. Et que même si elle t’avait forcé en état d’éveil (inadvertance), ça ne te donnait pas le droit t’en faire autant. Ces mots de percutent comme les tiens l’ont fait. Il est trop tard; tu t’en veux. Même si ça serait facile, t’as pas envie qu’elle te déteste.

Lentement, comme l’on ferait pour apprivoiser un animal apeuré, tu fais un pas vers elle. Puis un autre. Ta main tremblotante se pose sur la sienne; sur son cœur et tu l’en déloges pour laisser place à l’étreinte qui s’en suit.

« Je suis désolé. »

De quoi? D’un million de chose, mais surtout, de t’avoir fait pleurer.

« Et merci. »

De quoi? D’un million de chose, mais surtout, d’avoir été là.

« Mais nous sommes au point où on est d’accord d’être en désaccord. En dépit de ce que j’ai dit, je vois bien que remonter est ta salvation; donc je ne te retiens pas. »

Tu la serres un peu plus fort.

« Tout comme tu ne devrais pas me retenir. »

Tu la laisses aller.

« Adieu Juliet. »