Elle avait d'abord ignoré son message. Elle l'avait aperçu d'un coin d’œil et n'y avait pas répondu. Elle était retournée travailler, car Rodrigo n'a que faire des rêves briser. Au moins, se disait-elle, cela lui changer les idées. Mais voilà qu'un soir, encore un, elle ne ferme pas les yeux. Les images se répètent dans son esprit, sans cesse. La Terre. Il n'y avait plus vraiment de Terre. Mais ces choses. Il n'y avait sûrement plus non plus d'Angleterre. Juste ces choses. Celles qu'on ne comprend pas. Celles qui ont détruit tant de vies. Et dans un sens, la sienne aussi. Le ventre serré, elle se roule en boule. Ce n'est qu'une nuit cauchemardesque comme une autre. Les sanglots se coincent dans sa gorge. Elle déteste Althéa. Elle avait détesté les cristaux à son arrivée, puis avait commencé à accepter sa vie. Était venu l'espoir de remonter. Mais impossible. C'est tout simplement impossible. Les larmes aux yeux, elle se hait. D'y avoir cru.

Cela avait duré longtemps. Puis, elle s'était souvenu de ce message. Elle l'avait fait attendre mais, ce n'était pas de sa faute à lui. Et il s'inquiétait pour elle. Quelle piètre amie elle était devenue, Mathilde s'en ... elle n'a pas de tombe, Mathilde. Il n'y a plus d'espoir qu'elle soit sur Terre. Et elle pleure, Juliet. Parce que plus rien ne semble exister. Elle répond. Accepte de le voir. Ne peut pas dire non. Elle recherche une accroche. Une preuve que Mackenzie est toujours vivant, preuve de son histoire passée. Et lorsqu'il accepte, les choses ne semblent pas mieux se produire.

Mais la voici qui aujourd'hui l'attend. Elle a toute son après-midi de libre. Elle erre près de la porte comme un fantôme à l'intérieur de cette demeure partagée avec d'autres serviteurs. Il n'y a aucune joie dans ces lieux. Les nouvelles se sont vites répandues et ont dévorés les sourires. Mais elles ne l'ont pas dévorées lui, Mackenzie.

Il est là. Il est vivant. Elle peut le voir de ses propres yeux, s'en rendre compte sans difficulté. Mackenzie est toujours présent dans ce monde. Tout comme elle. Et déjà, elle a envie de fondre en larmes, avec ses tout petits yeux. Il prend sa main et la surprenant y dépose quelque chose. Elle observe. Dans sa paume se trouve du thé. Et ce simple cadeau fait couler une larme le long de sa joue. Il veut aller quelque part de plus privé, mais elle ne peut pas s'en empêcher. Prête à s’effondrer, elle préfère l'enlacer. Quelques instants seulement, comme une preuve de la réalité. Elle se sépare déjà et silencieuse, elle prend les devants. Un rapide regard pour lui faire signe de la suivre.

Il n'y a pas vraiment de vie privée à l'intérieur, alors autant aller dehors. A peine entrée que Juliet invite déjà Mackenzie à ressortir. Elle prend les devants afin de se diriger vers un banc en pierre, un peu plus loin. Le coin est bien calme, de toutes façons, à croire que les bourges ont peur de sortir. Elle s'y assoit à un bout, regardant ses pieds, serrant la boite dans ses mains. Mine de rien, du thé, cela représente beaucoup pour elle. C'est le tea time. Cela pourrait presque la faire rire. Elle n'a pas le cœur à cela. Elle n'arrive même pas à lâcher un sourire à Mackenzie. Ne fait que repenser à ses paroles, ce jour-là. Et avoue, honteusement, tristement, qu'il avait raison. C'était vrai, Mack ... Il n'y avait rien qui m'attendait là-haut ... La voix cassée.

Il y a une époque, pas si lointaine d'ailleurs, où elle aurait refusé ce genre de contacts. Cette proximité avec autrui qui l'avait tant dérangé, pendant cinq années. Mais aujourd'hui, malgré cette vieille habitude de rester éloignée, elle ne peut pas refuser. Elle en a presque besoin. Quelque chose de vivant à côté d'elle. Quelqu'un. Elle n'ose pas relever la tête et pourtant, elle ressent. Cette présence qui se trouve juste à côté d'elle, celle qui lui rappelle qu'elle respire encore.
Mackenzie.

Elle l'écoute. Et ces paroles lui vont droit au cœur. Elles l'étouffent. Ce sont des mots qu'elle ne pensait pas entendre, dont elle ne pensait pas avoir besoin. Pourtant, ils sont là. Ils s'installent au creux de sa poitrine et la lui sert. Juliet relève ses yeux humides vers cet homme qu'elle a ignoré depuis beaucoup trop longtemps, s'ignorant elle-même. Elle ne comprend pas ce qu'elle a bien pu faire pour mériter cette gentillesse. Pour mériter ces paroles qui la font pleurer.
Catharsis.

Les larmes s'écoulent sur son visage sans qu'elle ne puisse les contrôler. Ce ne sont même pas des sanglots, juste de l'eau qui s'écoule sans qu'elle ne puisse rien y faire. La gorge nouée, elle ne sait pas quoi dire. Au fond d'elle, les mots se répètent. La même idée, la même envie, sans cesse. Elle entre-ouvre les lèvres, sa respiration se bloque, les referme. Tremble un peu. Mais il n'est pas ici pour la voir pleurer. C'est hors de question. Et ces mots qui ne s'arrêtent pas de traverser sont esprits, elle les dit. Je veux rentrer. Elle ne sait pas où, ni comment. Mais c'est sa seule envie. Je veux rentrer, Mack. La voix cassée, les yeux au bord du gouffre, son visage crispé par des larmes qu'elle n'arrive pas à assécher.

Elle se sent coupable, Juliet. Coupable d'avoir espéré, désiré un retour à la normale des choses. Coupable de paroles prononcées ce jour-là. Mais aussi de ne pas avoir été là toutes les autres fois. D'avoir tourner les pieds et d'être remonté. Tout du moins, d'avoir essayé. Et Mackenzie, malgré tout cela, reste là. Il a fait tout ce chemin et pour quoi ? Elle ne sait pas. Elle ne lui a même pas demandé, s'en veut. Mais contre lui, ainsi, elle ne sait pas si elle aura le cœur à parler de quoi que ce soit. Elle préfère pleurer un peu. Se déverse de nombreuses larmes. Elle n'en est pas fière. Elle n'a jamais voulu se montrer ainsi. Mais aujourd'hui, elle a l'impression d'être dans un gouffre. Ce même gouffre dans lequel elle avait sombré il y a cinq années.

De sa main libre, celle qui ne tient pas ce thé qu'elle savourera comme aucun autre, elle lui rend ce contact. Elle la dépose dans ce dos, s'y agrippe doucement. Elle essaie de se reprendre, Juliet. Ce n'est pas une bouée qui est à ses côtés, mais un autre vivant. Alors malgré cette position, malgré le fait qu'elle n'ose pas le regarder, elle demande, inquiète. Est-ce ... est-ce que tu vas bien ? Parce qu'elle ne lui avait pas demandé. Ni par message, ni depuis son arrivée. Mais elle veut savoir. Savoir qu'il va bien. Que lui, au moins, il s'en sort. Que sa tête est toujours au-dessus de l'eau, là, à respirer. Ne le relâche pas. Elle ne compte pas le faire, non.

Elle ne l'avait jamais vu comme quelqu'un de fort ou de robuste et pourtant, Mackenzie lui montrer aujourd'hui le contraire. Déjà, devant la tour, elle avait eu cette impression qu'il pouvait soulever une montagne de malheurs sans flancher. Désormais, elle en est certaine. C'est une découverte qui lui fait plaisir, car aujourd'hui plus que jamais, aujourd'hui et les prochaines jours, si ce ne sont des années, il devra se montrer fort. Parce que les choses ont changé. Sans parler des monstres, il y a cette vérité. Celle qui a été formulé sous ce soleil qui ne lui manque pas. Mathilde. Cette amie qui ne doit plus être. Les infimes chances ont définitivement été broyées. Elle n'est plus en haut, c'est sûr. Il n'y a sûrement plus rien là-bas. Et même si de nouvelles personnes commencent à chuter, elle doute que son amie réapparaisse un jour. Elle en est sûre, même.

Elle ne bouge pas, Juliet. Elle reste bien là, ne le quitte pas. Preuve d'une existence commune. Parce qu'elle a l'impression que si elle s'éloigne, ne serait-ce que quelques instants, elle sombrerait. Et que lui ne la verrait plus. Qu'elle finirait comme Mathilde. Disparue. Mais elle a déjà été trop absente, trop peu présente pour lui. Elle ne peut pas se cacher derrière des excuses, derrière un passé qui ne peut plus être changé. Elle peut juste tenter de se rattraper. D'être là dans l'avenir, mais surtout aujourd'hui. Parce que Mackenzie l'est aussi.

Elle grogne un peu face à cette réponse, frotte son visage contre l'épaule de son ami. Son ami, oui. Et en partant de ce fait, elle veut l'écouter. Elle veut qu'il s'exprime ouvertement, avant qu'elle n'ai envie de sombrer, encore et toujours. Les choses se doivent d'être du donnant donnant, pas du donnant prenant. Alors, elle s'excuse, Juliet. Pour les paroles de ce jour-là, pour être partie sans réfléchir, pour ne rien avoir pour l'aider, durant cinq longues années. Je suis désolée ... De l'avoir regardé de loin. De l'avoir poussé des retranchements peu agréables ce jour-là. Elle se sentait aussi monstrueuse que ces créatures. Tout cela à cause d'un égoïsme prétentieux bien vite écrasé, broyé de toutes pièces.

Mais elle est là, Juliet. Elle veut revenir. Elle veut rentrer. Où, elle ne sait pas encore, mais elle devra bien trouver sa voie. Alors pour l'instant, elle est là. Elle ne bouge pas. Ne compte plus s'enfuir. Pour aller où, de toutes façons ?