Au-delà de la nuit, ses songes étaient hantés. Dès qu’il fermait les yeux, chaque trait semblait se détailler davantage, se découpant dans la noirceur, dans le réseau de sa rétine bien trop épuisé. Sa poitrine se soulevait puis s’immobilisait, oppressant les poumons qui voulaient expirer, qui voulaient en finir de cet air accumulé, pour refaire le plein. La tête commençait à lui tourner, mais il n’en avait que faire : elle tournait déjà, bien trop pleine de pensées absurdes. Il ignore tout d’elle ou presque. Il la connaissait par ses manières en tant que vendeuse, en tant que parfumeuse. Une douce odeur qui venait chatouiller ses narines comme la grâce de ses traits qui caressaient ses iris. Il était de retour à Polaris et pourtant, son visage continuait de le hanter, de faire agrandir son sourire, de le bercer de sobres illusions, de scénarios volages dans lesquels il avait le courage de lui prendre la main et de lui proposer un dîner aux chandelles dans lequel les rires nerveux et les sourires coquins s’échangeraient. Or, tout cela ne faisait partie que de rêves idiots, comme un adolescent qui découvre un premier amour et dont le cerveau épuisait son hôte, lui provoquant une insomnie loin d’être désiré.

La journée fût plutôt pénible, soupirant à chaque minute de répit, regrettant cette nuit fort agité en émotions incomprises et questionnées. Le jeune homme avait enchaîné les excuses, le manque de sommeil affectant son travail en l’obligeant à prendre plus de temps dans ses tâches ou à tout simplement lui faire recommencer lorsqu’une personne pointait du doigt l’erreur tant redouté. Il quitta son lieu de travail avec l’espoir de retrouver son lit pour pouvoir s’y reposer lorsqu’il se retrouva devant cette baptiste d’où une délicate odeur réconfortante et une ambiance chaleureuse appela ses sens et ses souvenirs. Par curiosité et mélancolie d’une rencontre fortuite et apprécié, Aleksei colla son nez contre la vitrine du pub aux inspirations canadiennes qui avait cliché ce peuple de là-haut avec son énorme orignal en guise de logo. Dans cette position peu flatteuse, il tenta de voir s’il connaissait quelqu’un à l’intérieur et surtout, si un certain rouquin à l’expression dépressive se cachait dans les banquettes en ce temps d’happy hour où l’alcool coulait à flot pour permettre à tous et chacun de s’évader des heures horribles que le besoin d’argent les avait forcé à affronter.

Les muscles de son visage s’activèrent et un sourire se forma dans le coin de ses lèvres, comme un coup de vent traversant un minois peu expressif. Il fit résonner la clochette de la porte, annonçant qu’un nouveau client venait se rejoindre à la fête. Après s’être débarrasser de son manteau au vestiaire, avoir commandé auprès du barman, il alla s’asseoir sans gêne à la table du fonctionnaire à moitié décédé, posant le verre de bière blonde – un choix banal, mais populaire – sur la table dans un tintement délicat. L’idée saugrenue de faire une entrée remarquée en glissant son breuvage sur la table comme les plus experts barmans avaient le talent de le faire lui traversa l’esprit, mais la raison lui avait rapidement rappelé qu’il était loin d’être aussi doué que ces derniers et surtout, que l’état de fatigue que présentait Pavel n’allait pas lui permettre de rattraper le verre à temps et il n’était pas bien vu d’imbibé d’alcool une amitié à peine naissante.

— Pardon, j'ai oublié ce que tu avais pris l'autre fois. Dure journée ?

Il y avait cette simplicité avec Pavel qu’il adorait. À peine avait-il posé la question que ce dernier répondait, parlant comme lui ne parlait jamais. Aleksei s’installa confortablement sur la banquette en face, caressant du bout du doigt les détails dans le verre qui contenait le liquide ambré, ce doux whisky au note boisé servi sur glace. Il ne portait pas vraiment attention au mouvement de son doigt, à la façon dont son ongle se pliait en appuyant sur le verre. Son attention était sur Pavel, sur chacun de ses mots ou plutôt, chacun de ses plaintes de petite baleine échoué.

Parce que Pavel était un expressif et il ne fallait pas avoir la tête de Papineau pour voir qu’il était en désespoir. Il suffisait de le regarder, lui avec ses cernes, lui avec ce verre vide qui lui portait déjà compagnie, son front qui allait se coller contre la table et qui – l’espérait-il – avait été bien lavé préalablement pour éviter qu’il ne devienne collant à cause de l’alcool renversé d’un autre client. Le jeune blondinet tendit la main et lui tapota le dessus de l’épaule, un geste qui lui semblait adéquat pour tenter de le réconforter.

Il venait de mentionner une raison féminine qui s’ajoutait à sa douleur et il ne pouvait que se sentir empathique face à ses émotions. Ainsi, il était également tourmenté par une femme? Quelle genre de fille pouvait plaire à ce fonctionnaire? Avec la vie sans queue ni tête qu’il semblait mené, arrivait-il vraiment à entretenir une relation sans être sur le bord de la crise de nerf? Pavel était bien un homme fascinant et surprenant. Le suédois prit une gorgée, laissant le fort caresser sa langue, faisant rouler le liquide sur son palais pour en développer les saveurs avant d’avaler le-dit liquide, satisfait de son choix.

— J’ignorais que tu avais une petite amie.. Faut croire qu’aujourd’hui, les femmes nous mettent la tête à l’envers. Oof.

Aleksei laissa son menton choir dans sa main, le coude sur le dessus de la table et soupira. Il n’était pas le plus grand bavard, mais peut-être que vider son sac pourrait l’aider à comprendre les émotions qu’il tarissait pour la belle Rachel et qu’entendre Pavel parler de sa douce à lui éclaircirait sa lanterne quant à la véracité de ses émotions. Néanmoins, si sa dulcinée était repartie, pas de doute qu’il se soit si démoralisé. Si elle avait quitté le mont Célestia, il y avait raison à s’inquiéter après tout ce qui s’était passé dans les derniers temps. Avec la présence des monstres maintenant sur Althea – merci cher Tatsuya pour ce cadeau empoisonné – majorité était sur le qui-vive et stressé par la situation. Alors qu’il s’apprêtait à lui demander conseils sur l’amour, il repensa à la phrase que son ami venait de prononcer et réalisa que jamais il n’avait parlé qu’il s’agissait de sa petite amie. Peut-être était-ce seulement une amie ou alors une cousine? Embêté, Aleksei referma la bouche, refusant de s’embourber.

Un serveur s’approcha de la table des jeunes hommes et leur laissa un menu, promettant de revenir dans quelques instants pour prendre leur commande s’ils voulaient profiter d’un menu. Haussant les épaules, Aleksei se dit que manger était toujours réconfortant et tendit un exemplaire à l’américain avant de feuilleter à son tour.

— Et donc.. Tu vas faire quoi maintenant? Tout simplement l’attendre?

L’énergie du désespoir qui animait Pavel rendait sa fin de journée plutôt palpitante. Non pas qu’il se satisfaisait dans le malheur de son ami, mais le voir réagir ainsi donnait envie de le taquiner dans la forme la plus amicale qu’il pouvait le faire. Les mots quittaient sa bouche avec rapidité, une véritable rivière de phrases accompagné de l’amertume du regret, de l’angoisse et de la panique. Aleksei n’eut pas le coeur à le relancer, ni même à le piquer, tant la peine de son ami le frappait droit au coeur. Impossible de se concentrer sur le menu et alors même, il se demanda si ce verre de bière suffirait à consoler son âme bien trop peiné. Il n’eut rien à lui dire en guise de réponse, ignorant s’il pouvait prononcer quelque chose pour le réconforter et encore, s’il s’agissait d’une véritable question ou simplement d’un exposé de fait.

Le regret, ce démon d’âme qui affecte l’humain depuis la nuit des temps. La peste qui ronge par l’intérieur, qui se nourri des peurs et qui déverse sur l’humanité le passé, pour nous rappeler, dès qu’un instant de faiblesse se présente, l’erreur que l’on a commis, pour créer le doute et nous faire culpabiliser. Mais bien qu’il comprenait ce que pouvait ressentir Pavel, il avait difficulté à cibler les regrets qui pouvaient le hanter. Était-ce le fait de ne pas assez parler, ne pas prendre plus de place et de s’exprimer? De mettre point sur la table comme le rouquin venait de le faire et déclarer sa flamme lorsque les sentiments brûlaient avec passion et ardeur dans le fond de son estomac? Ou est-ce les regrets étaient plus grands, rappelant le passé où il avait accepté la main tendue de Tatsuya et qu’il avait accepté sans le vouloir d’être épier par les caméras à longueur de journée. Que pour sa sécurité, il ne pouvait plus se permettre d’avoir une vie privée. Il haussa les épaules et balaya ses idées loin de lui, quelqu’un de plus important méritait son attention aujourd’hui.

Il n’eut pas le temps d’émettre réponse ou réconfortantes paroles que voilà un nuage se créa, à l’intérieur du restaurant. Tout à faire normal, n’est-ce pas? Peu habitué à ce phénomène qui déverse des larmes sur le rouquin, Aleksei ne put s’empêcher de pointer la chose du doigt et son visage exprima, l’étonnement et l’incompréhension, soulevant un sourcil et froissant les muscles pour former un vieil accordéon sur son front.

— Euuuuh… Kessé ça?

Tel était les mots bien choisis et prononcés. Pourquoi donc se donner la peine de formuler une jolie phrase quand ses simples mots disaient tout ce qui devait être dit. C’était absurde, c’était imprévisible, c’était plutôt incroyable de voir ça. Mais, Aleksei comprit, sans même qu’on le lui explique, bien qu’il n’est pas un grand génie, que c’était Pavel la cause de cette chose, de cette météo impromptu, de ce petit miracle qui ne plaisait pas au propriétaire du pub, qui avait sûrement peur qu’un orage n’éclate sur sa banquette de bois et tout le monde sait que le bois traité ainsi, n’aimait pas la pluie.

Or, l’heure n’était pas aux nuages et le feu des projecteurs tourna vers le blondinet. Embarassé, Aleksei lâcha son verre et passa la main dans ses cheveux, se grattant le fond du crâne pour y trouver une idée, quelque chose à dire pour renverser la vapeur et lui redonner l’attention qu’il méritait. Mais, peut-être était-ce là la solution pour aider Pavel à mieux se porter? Peut-être qu’en lui demandant conseil, il porterait son attention sur autre chose et petit nuage retournera d’où il venait. Et puis, faut l’avouer, le regard que portait le polarien à son égard avait une étincelle inquiétante, comme si Aleksei était un Caterpie face à un Pidgey, un bandit devant le shérif ou alors une personne au régime face à une assiette de bacon. Il plaça les mains en l’air et s’avoua vaincu et pour une rare fois de sa vie, le suédois ouvrit la bouche pour parler de lui.

— Comment dire. Y a cette fille. Oui, ça commence toujours par une fille, quand on a des problèmes. C’était bien connu. J’ai rencontré cette fille par hasard et depuis, j’arrive pas à me la sortir de la tête. Mais, je sais pas.. Je connais pas ça le coup de foudre, je suis pas bon dans ses choses là. J’ai essayé de lui offrir des fleurs, mais elle a cru que j’étais le livreur. Et j’ai même pas eu le courage de lui dire que ça venait de moi, en vrai. Il s’arrêta, soupira et prit une gorgée de whisky, comme si le liquide lui donnait la force de poursuivre. Dit Pavel, comment on sait si c’est vraiment de l’amour ou si c’est pas juste un p’tit crush de rien du tout. Je connais rien d’elle, comment je peux prétendre l’aimer?

Il laissa choir son menton sur la table et le fixa, plongeant son regard d’un bleu azur dans celui de son confident de bar, rappelant l’image d’un chien piteux qui attend qu’on le récompense ou qu’on partage une gâterie avec lui.

— Avec la réaction que t’as eu plus tôt.. Tu sais clairement de quoi j’parle.  

Pour une fois, Aleksei s’ouvrait. Il prenait son âme et l’exposait sur la table à la vue de son ami. Il lui ouvrait une brèche de ses sentiments, lui parlait de ses doutes, de ses craintes, de sa peur, de son questionnement. Parce que l’amour, c’est un grand sentiment, une émotion qui met dans tous les états et qui tourne la tête à l’envers, qui te fait demander si tu as mangé et si tu as vraiment envie de manger. L’amour, c’est un tas d’hormones qui décident de mettre ta vie à l’envers. C’est la raison pour laquelle insomnie existe dans le dictionnaire. C’est pourquoi Aleksei était là, en cette fin d’après-midi, parce que secrètement, il avait eu envie de parler à son ami de ses émois.

Mais voilà que la petite porte émotive de Aleksei se referma. Non pas à jamais, mais pour un instant, il allait reprendre sa diffusion de sentiments et attendre. Parce que l’ouragan Pavel était en train de dévaster les nuages à l’horizon. Il entendait ses mots et au fur et à mesure que les paroles se déversaient, la bouche d’Aleksei s’ouvrait, d’étonnement et de surprise et puis, il la referma, avalant la salive qui s’y accumulait avant de se prononcer sur l’ensemble de la situation.

— Well.. That escaladed quickly.

L’homme aux cheveux de blé délavé à l’eau de javel n’était pas stupide. Il avait bien compris que Pavel ne lui répondait pas vraiment à lui, pour répondre à sa question, mais que l’émotion venait de lui faire raconter toute l’histoire avec sa douce. Bien qu’il était plutôt perplexe et abasourdi par tout ce qu’il venait de dire – c’était beaucoup de contenu en si peu de temps – Aleksei voyait la tristesse dans le visage du fonctionnaire, une tristesse bien plus grande que la fois où il lui était arrivé malchance par dessus malchance au travail. Une tristesse qu’une simple bière ne pouvait pas régler.

— Ouais. Mais non.  Il prit une petite pause, prenant une dernière gorgée, raclant le fond du verre, ne laissant qu’un glaçon à peine fondu. Il l’avait bu beaucoup plus vite que prévu. Le truc c’est que j’suis pas sûr. Je peux pas aller déclarer ma flamme. Et si c’était pas une vraie flamme justement. Et si en vrai, j’avais juste une attirance physique pour elle? Et qu’elle répondrait à la positive à mon amour. J’aurais l’air d’un maudit cave à lui dire : mais finalement j’t’aime pas tant que ça.. Arf.

Le menton toujours appuyé contre la table, il glissa ses bras devant lui et y enfouit son visage avant de se redresser, projetant sa tête vers l’arrière, donnant vue sur sa pomme d’adam alors qu’il jurait presque silencieusement. Il avait ruminé toute la nuit et voilà qu’il n’avait pas fini de se casser le bicycle. Il reprit une position normale et leva la main pour faire signe au serveur de venir prendre leur commande.

— N’empêche, t’as l’air vachement attaché à cette fille. Pourquoi tu vas pas la rejoindre? Lance des cailloux à sa fenêtre. Dans le pire, tu vas éclater la vitre, mais t’es sur qu’elle pourra pas t’ignorer.

La dernière phrase était plutôt une plaisanterie, mais prononcer ainsi, Aleksei pouvait autant faire rire que provoquer un malaise. Heureusement, pour lui sauver la mise, un garçon plus âgé que lui, aux couleurs d’un pingouin vint noter ce que les deux garçons voulaient manger. Il lui fit signe de se pencher, lui murmura une petite phrase à l’oreille avant de lui donner sa commande de façon à ce que Pavel comprenne le reste. Des bâtonnets de fromage et des ailes de poulet poivre et sel de mer accompagnée d’une sauce au fromage bleu. Un petit sourire aux lèvres, il avait maintenant hâte que la commande se présente à eux. Après tout, ce n’était pas un remède miracle, mais une petite arme secrète qui devrait aider à faire passer la pilule de son vent amoureux.

C’est lorsque l’on confronte les idées sur des sujets si généraux que se crée l’écart de l’âge qui démontre les différences de la pensée. Aleksei ne réalisait pas qu’il avait encore l’inexpérience dans le corps et qu’il lui fallait apprendre, essayer et échouer pour continuer de progresser. Il savait bien que la vie se passait ainsi, mais encore, il ne réalisait pas qu’il était rendu à ce moment de la vie où les relations se devenaient plus compliqués, où il n’était plus question d’approcher quelqu’un pour avoir un ami avec qui jouer, mais un compagnon pour s’aider à avancer, à se bâtir et pour aimer.

Le suédois était tout de même surpris que Pavel le lui fasse remarquer et une part de lui se sentait un peu insulté. Comme si on le traitait encore comme un enfant, comme un grand-père parlant à son petit-enfant, comme s’il ne savait de la vie et qu’il était trop jeune pour comprendre. Pavel aurait pu lui dire que c’était des histoires de grand, il l’aurait senti de la même façon. Hormis qu’il ne fit pas de remarque, ni de moue, ni rien. Son visage resta de marbre face à la remarque, préférant rester muet ce genre de paroles. Il regretta un peu, à peine, d’avoir parler de ses problèmes, mais il savait que ce n’était pas par méchanceté que son ami lui disait ceci : après tout, c’était la vérité. Il manquait d’expérience quand il était question de cupidon et de découvrir l’amour. Il manquait d’expérience dans l’exploration des corps et l’exploration de l’intimité d’autrui, mais ça, c’était un autre sujet qu’il valait mieux ne pas aborder ou Pavel risquait de surchauffer.

Le serveur prit la commande trop sucré du fonctionnaire et Aleksei craignait pour sa surprise. Était-ce qu’un mythe qu’il ne fallait pas mélanger produits laitiers avec alcool, au risque que la soirée se termine sur le bord d’une cuvette à se vider les entrailles? Il n’osa pas se prononcer, ne voulant pas retirer ce petit plaisir à son ami et au pire, il lui proposera de venir lui porter aspirine et eau glacé demain matin. Un petit rictus moqueur se dessina sur les lèvres du jeune Polarien et il observa Pavel avant de rire légère, d’un petit son semblable à un carillon dans le vent, léger et court, de ce rire qu’on ne peut pas retenir, mais qu’il aurait fallu.

— Des paillettes, vraiment? Il faudra sûrement plus que ça, ou ton front survivra pas.

Il lui pointa le centre de son propre front, pour lui signaler que le sien commençait à être d’un rouge pompier. Il valait mieux cesser de se cogner, encore et encore, même si la souffrance physique devait être bien moindre que celle dans son coeur déchiré. Qui était donc la demoiselle qui avait amoché à ce point le doux Pavel? Ce n’était pas le moment de le demander, sûrement pas ce soir, sûrement pas tant qu’elle ne lui aurait pas répondu. Heureusement, la curiosité n’était pas quelque chose qui poussait Aleksei à agir et surtout, ça lui évitait de se mettre les pieds encore plus dans les plats. Après tout, il était déjà capable de le faire tout seul, pas besoin de ça.

— Hé! Ho! Du calme! Il leva les bras en l’air, comme un bandit qui se livre à la justice. Il se sentit un peu agressé dans les propos de son ami, mais ne lui en tient point rigueur. Dit comme ça, j’ai l’air du gars qui s’intéresse qu’au physique.. Tu me donnes pas fier allure. Ma mère aurait honte de moi.

Aleksei soupira et appuya son front dans la paume de sa main, comme si la migraine allait bientôt le frapper. Il ne savait pas trop par où commencer et encore, il se sentait un peu mal à l’aise, ce n’était pas à son habitude d’autant parler de lui. Ce n’était sûrement pas ce petit verre de whisky qui lui déliait la langue : il savait bien tenir l’alcool. Les pommettes rouges comme un coup de soleil sur un albinos, son regard fuya vers le glaçon dans son verre, incapable de supporter le chien battu en face de lui.

— Je ferme les yeux et je la vois. J’entends parler et on dirait qu’il y a le son de sa voix. Son rire, son éclat. Je me réveille le matin et on dirait que son parfum est dans l’air. C’est impossible, carrément. Mais elle est là, dans ma tête et ça sort pas. Pourquoi est-ce que j’ai toujours son image qui revient dès que je ferme les yeux? J’ai pas dormi de la nuit à cause de ça, j’ai juste tourné en rond à me demander à quoi ça rime. Toi, t’as eu le courage de te confesser, moi j’ai accepté le mot game over et j’ai juste profité de son sourire. Elle devait chercher une carte dans les fleurs, sûrement qu’elle a déjà quelqu’un en tête et qu’elle espérait que ça vienne de lui.. Et justement, toi. Tu t’es confessé, tu penses que c’est le moment de laisser tomber? On m’a déjà dit que y a jamais de mauvais moment pour se confesser, sauf sur un lit de mort, là c’est trop tard. Si elle t’a rien répondu, alors retourne la voir, exige une réponse.

Il fit une pause, relevant les yeux pour fixer son ami. Il savait que ses mots étaient faciles à prononcer, mais les faire était une autre paire de manche. Son cas n’était pas comme le sien. Lui, il n’était pas certain de ses sentiments, mais Pavel, il se morfondait d’amour. En le voyant, il commençait à comprendre et à réaliser que peut-être les doutes étaient justifiés. Peut-être qu’il ne l’aimait pas tant que ça Rachel. Elle lui plaisait, comme personne, mais que c’était rien de plus. Peut-être. Ou pas. Il soupira. C’est difficile de gérer les émotions des vrais adultes.

— Tu dois te dire que c’est facile à dire, mais pas à faire, mais faut parfois provoquer les choses pour qu’elles se produisent.. pour pas être l’artisan de son propre malheur. M’enfin.

Il vit au loin le serveur avec sa commande spéciale et il eut un nouveau sourire. Un sourire malicieux, fourbe et bien heureux. Il tendit les bras, comme le nourrisson qui veut son biberon et attrapa le plateau du cerveau, le remerciant. Aleksei présenta sa merveille à Pavel, satisfait et bien intrigué de voir comment son ami allait gérer ou digérer. Peut-être aurait-il était mieux de bien manger avant de boire, mais tant pis : dix shooters de tequila étaient aligné devant eux. Il en mit cinq devant lui et cinq devant l’américain puis au centre, du sel et des quartiers de citron.

— Liche. Bois. Croque, fit-il en pointant successivement le sel, le verre puis le citron. Prêt?