Il y a de cela bien des années, lorsque la jeunesse excusait les pêchés et que l’on accusait les hormones pour les paroles lourdes de colères et de méchancetés, jeune adolescent qu’il était considérait comme étant sa nouvelle demeure, l’orphelinat où le beau et la bête régnaient comme le roi et la reine. Par une nuit où presque chaque habitant de ce petit royaume de gaieté était bercé par les étoiles et le souffle de Morphée, il y avait lui, Aleksei, qui ne dormait point. Posté sur le bord d’une fenêtre, les yeux plissés comme si la noirceur allait se faire moins sombre et plus éclairé, le polarien attendait de voir une chevelure dorée traversé la cour pour venir les voler.

Il attendait, comme la chouette qui chasse la souris, en omettant le désir de manger la proie, mais plutôt d’en faire une amie. Ce n’était pas la première fois qu’il l’entendait, bien qu’il faut l’admettre, elle était douée, la gamine, pour se faufiler sans faire trop de bruits. Sur toutes les fois qu’il l’avait entendu, combien d’autre fois était-elle réellement venue? La réponse lui manquait, mais il ne s’en souciait guère, tout simplement heureux que ce soir, elle soit avec eux, bien que les autres l’ignoraient. Un peu plus tôt, il était redescendu pour tourner le loquet de la porte que Mathilde ou Thaddeus avaient pris soin de fermer. Tant pis s’il désobéissait, mais personne ne lui en voudrait d’agir ainsi pour le bien de cette petite souris. Les minutes s’écoulèrent et il entendit quelques bruits sourds provenant de la cuisine, la porte du réfrigérateur qui se ferme et d’autres sons qu’il ne pouvait identifié. Après tout, comment pouvait-il deviner qu’elle irait jusqu’à fouiller la poubelle pour bien s’alimenter? Elle était rentrée, c’était le seul point qui importait.

Blondinet serra la couverture roulé sur son torse et prit une grande inspiration : il était temps de faire connaissance avec son invité. Vêtu d’un simple pyjama – si on pouvait décrire sa tenue ainsi – composé d’un simple chandail à manche courte d’un noir tacheté de couleurs innommables, gracieuseté de la javel mal maîtrisée,  et d’un pantalon d’un gris acier bien trop long qui couvrait même une partie de ses pieds, il descendit les marches sur la pointe des pieds et traversa le corridor. C’est toujours lorsque l’on tente d’être silencieux et de se faire discret que l’inverse se produit et alors qu’il tournait le coin pour se diriger vers la cuisine, son petit orteil prit ancrage dans le coin du mur, lui arrachant un petit cri étouffé d’une douleur bien trop connue par la population humaine. Sa main vint frapper le mur alors qu’il se rattrapait pour ne pas tomber au sol et il prononça mentalement une série de jurons, tentant de souffrir silencieusement et espérant n’avoir éveillé personne à l’étage. Et puis, ce n’était pas la première fois qu’il était levé à cette heure et il était si facile d’accuser l’insomnie pour expliquer sa promenade nocturne.

Néanmoins, l’orgueil blessé et le coeur battant dans le bout de son orteil, il avança en titubant dans le corridor jusqu’à la cuisine pour n’y trouver.. rien? Du moins, rien de vivant. Seulement un repas ou alors, un gâchis alimentaire, regroupant beaucoup trop de saveurs différentes pour être agréable en bouche. Tout de même intrigué, il déposa la couverture sur un coin libre du comptoir et se mit à la chercher. D'abord, il ouvrit l’armoire sous l’évier, n’y trouvant rien d’autre qu’une série de produits pour rendre la pièce immaculée. Il se dirigea vers le garde-manger, évaluant qu’un enfant de son âge serait facilement capable de s’y cacher, mais encore une fois, Aleksei prouvait ne pas être doué pour jouer à la cachette. Et alors, il remarqua ce petit bout de pied et il se pencha, souriant à la petite souris sous la table.  

— À manger comme ça, tu vas finir par être trop grosse pour pouvoir te cacher.

Il rit à ses propres paroles, bien qu’elles étaient maladroites et peut-être vexantes pour une jeune fille de son âge dont la puberté allait bientôt la forcer à accepter un corps qu’elle n’avait pas demandée. Il lui tendit la main pour l’aider à sortir de sa cachette et poursuivi son discours, la voix douce et posée, aussi calme et discret qu’il était nécessaire.

— Allons, sors de là. Et si je te faisais des crêpes à la place, ça te plairait? Ou encore une omelette ou des oeufs brouillés. Qu'est qui te ferait envie?

La main tendue, il hésite à la retirer, ne voulant pas effrayer la petite bête qui semble pétrifiée d’avoir été dévoilée. Pourtant, il sent la petite menotte se poser dans sa main en douceur et en délicatesse, un véritable contraste avec l’explosion de paroles qui en suit. Sourire à la commissure des lèvres, il hausse les épaules et il la regarde, la petite orpheline qui joue les petits chefs. Aleksei ne veut pas rire, parce qu’il ne voudrait pas qu’elle se méprenne et pense qu’il se moque d’elle. Or, il faut l’avouer, cette scène entre une gamine et un adolescent a de quoi créer manifester une série d’expirations plus ou moins saccadés accompagnées de petits sons de gaieté.

Son regard est doux et il est satisfait. Heureux qu’elle ne s’enfuit pas alors que la porte est grande ouverte, joyeux qu’elle accepte son offre. Un autre problème viendra, parce qu’il n’est pas le plus doué en cuisine. Il fera un effort, parce qu’il aime la voir sourire. Il tentera de faire les meilleures crêpes de sa vie, parce qu’il veut qu’elle revienne ici. Le jeune homme ne la reprend pas sur ses paroles et ne lui fait pas la morale : il n’est pas son parent et ne veut pas le devenir. Certains considéreront que ne pas lui faire remarquer son impolitesse ne l’aidera pas à s’améliorer, mais en cette première rencontre, il y autre chose à fouetter.  Son genou se plie légèrement, alors que son corps se cambre et qu’il lui fait une référence.

—  Vos désirs sont des ordres, mademoiselle.

Il lui tira un banc, l’invitant à prendre place devant lui pendant qu’il ramasse les cochonneries qu’elle a éparpillé un peu partout. Avec un rictus de dégoût, il utilise ses doigts comme une pince et retourne à leur lieu d’origine les déchets qui étaient avec raison dans la poubelle. Un petit coup de linge par ici, le comptoir se remet à briller sous la faible lumière qui illumine le four. Il casse les œufs, verse du lait, ajoute de la vanille et une pincée de sel comme le faisait sa grand-mère lorsqu’il était jeune. Elle avait cette douceur dans la cuisine et cette façon de lui expliquer comme le salé aidait à faire ressortir le sucré, sans nécessairement apporter la saveur à la recette. La nostalgie prit l’image d’un délicat sourire, impossible de dire s’il était triste ou heureux, une expression bien curieuse et bien unique sur son visage. Il attrapa un casseau de fraises bien rouges à l’allure juteuses et le plaça devant la jeune demoiselle en lui remettant une planche à découper et un couteau.

— Petite souris, veux-tu m’aider à préparer ta collation nocturne?

Il ne l’obligea pas à les couper en rondelle, ni même en dés, il lui laissait la liberté de faire ce qu’elle voulait. Ni même, il ne s’inquiéta pas de lui laisser ce petit couteau de cuisine, considérant que le petit fruit n’était pas quelque chose de difficile à traverser avec une lame bien affûtée. Le beurre se mit à crépiter dans son poêlon et il diminua le feu avant de verser un peu d’appareil. Le doute s’en prit de lui : avait-il mis la bonne quantité de sel ou s’était-il trompé avec le sucre? Il croisa les doigts en espérant qu’il avait bien respecté la recette et que c’était seulement le stress qui le faisait craindre l’erreur. Il se retourna pour faire face à la demoiselle et croisa les doigts, l’analysant et bien qu’il se doutait de la réponse, il prononça la question à voix haute, dans l’espoir d’en connaître plus sur la petite dame.

— Que fais-tu loin de ton lit en cette heure tardive? Les rues de Polaris sont plutôt sécuritaires, mais encore.. Tu dois avoir.. neuf? Dix ans?

Il pensa lui demander si ses parents n’allaient pas s’inquiéter, mais ne le dit pas. Parce qu’une petite fille qui venait de fouiller la cuisine comme elle l’avait fait, ce n’était pas une question de gloutonnerie, mais plutôt de survie. Ses narines se retroussèrent et il renifla, sentant le début du brûler lui remontant au nez. Il se retourna d’un coup et tenta de récupérer la crêpe qui commençait à être plutôt noire que dorée. La première est toujours la plus difficile, qu’on lui avait dit. Il la retourna dans une assiette et en versant une deuxième, espérant mieux réussir celle-ci. Il voulait lui offrir un doux festin, mais surtout l’attention qu’elle ne devait pas recevoir comme un enfant le devrait.

— Chocolat? Caramel? Sirop de fruits? Ou encore crème fouetté? Jus d’orange, verre de lait ou de l’eau te conviendrait?

Il avait prononcé son discours sans la regarder, observant avec attention la crêpe pour ne pas la rater. Il fixait les bulles d’air qui remontaient et qui frémissaient sous la chaleur, il attendait encore un peu et saisi le manche dans sa main, faisant de petits va-et-vient et d’un coup sec, provoqua l’acrobatie pour que la crêpe vole dans l’air et retombe sur le côté qui devait continuer de cuire. Satisfait, il se retourna vers sa petite souris, doux sobriquet qui lui sied bien, pour voir si elle avait vu son petit tour pour l’impressionner, pour voir les étoiles briller dans ses yeux.

— Et merde!

Il s’exprima peut-être un peu trop fort, pas assez pour que tout le foyer les entende, mais assez pour faire sursauter une petite âme. Il en oublia les crêpes, se hâtant à lui attraper la main et la soulever dans l’air. Il avait remarqué que le rouge n’était pas le même, même si la lumière était déjà sombre. Il avait remarqué la perle aux coins des yeux de la jeune demoiselle, mais ne se doutait pas qu’il pouvait en être la cause, mais seulement qu’elle avait mal par sa blessure.

Aleksei se hâta, se maudissant de lui avoir laisser un couteau. Était-ce qu’un accident ou alors était-elle trop jeune pour pouvoir faire ce genre de tâches? Il l’ignorait, n’était pas très bon pour juger ce genre de chose. Enfant unique, il n’avait pas eu de plus petits pour leur apprendre la vie. Encore avant, il pensait qu’un bébé ne pouvait tenir sa tête avant d’atteindre les deux ans, mais depuis, il avait grandit et savait que c’était bien moins long. Pour le reste, l’éducation, ce n’était pas de son fort et se souvenir de la première fois qu’il avait manipulé une lame, il ne pouvait pas dire si sa grand-mère avait été trop protecteur ou si c’était lui qui avait manqué d’intérêt dans la cuisine.

Néanmoins, il était là à s’activer, attrapant la trousse de premier soin sous l’évier, parce qu’elle n’allait pas être la première à se blesser dans un lieu où il y a des mandolines, des couteaux et des objets pour brûler la peau. Il passa un petit linge humide sur la plaie et décolla un petit pansement, de ceux pour les enfants, avec des couleurs vibrantes et des motifs amusants. Peut-être aurait-il du mieux regarder, pour en trouver une qui lui conviendrait mieux, mais voilà, elle avait maintenant un pansement d’un vert pomme éclatant sur lequel était imprimé des dinosaures noirs, jaunes et blancs.  

— Je pense qu’on en a assez.

Doucement, il éloigna la planche à découper et envoya l’objet du crime dans l’évier où il serait laver plus tard. Peut-être pas cette nuit, peut-être au matin, ou alors quand Mathilde trouverait la scène ravagée et sale et qu’elle viendrait le réveiller pour le disputer de se laisser traîner et d’avoir tant manger au milieu de la nuit. Tant pis, le jeu en valait la chandelle. Aleksei ouvrit le réfrigérateur et versa un grand verre de lait pour son assistante-cuisinière, à moins qu’il devrait la considérer plutôt comme le chef en tête et lui, son subordonné.

L’odeur de brûler se fit sentir, il avait pris bien trop de temps pour venir la retirer. Il la déposa tout de même dans l’assiette, se disant qu’il allait se sacrifier pour la manger pour ne pas gaspiller. Et voilà qu’il démarra une nouvelle crêpe, gardant l’espoir que celle-ci allait être réussi, bien qu’il commençait à avoir de moins en moins de préparation à faire cuire. Jeune blondinet mit à porter de main le sirop de chocolat, le sirop de caramel et un autre sirop, aux cassis cette fois-ci. Pour la crème fouetté, il allait devoir la créer. Un cul-de-poule, un fouet, de la crème et du sucre à glacé, voilà qu’il se mit à l’oeuvre. Avec de l’huile de coude, il allait finir par obtenir la bonne texture.

— Pardon petite souris, j’voulais pas t’embêter. Mais, tu vois.. C’est pas la première fois que j’te vois passé et ça m’inquiète de te voir te promener la nuit. T’as l’air d’une  p’tite fille forte, mais..  

Mais, tu n’es pas infaillible. Tu es encore jeune. Tu es toute petite pour affronter tout ça. C’est les mots qu’il aimerait lui dire, mais il ne sait pas comment les prononcer. Et puis, elle vient de lui ordonner, de ce chut bien sifflant entre ses lèvres, de ce mot qu’il devrait exécuter. Aleksei ne termina pas sa phrase, mais ajouta un peu de vanille dans sa crème chantilly avant de lui tendre le bout du fouet pour qu’elle fasse un test de qualité.

— Le goût te convient? Trop sucré, pas assez ou ça peut aller?

De ce regard plein de douceurs, il continue de la couvrir. Comme si son visage neutre allait lui faire peur ou qu’elle le prendrait pour un homme froid qui n’aurait rien à lui offrir. Elle est si étonnante, cette petite fille, il ne veut pas la laisser filer, parce que l’adolescent qu’il est ne peut pas imaginer qu’est qu’elle doit endurer. Il n’a pas eu le malheur de se retrouver seul, il a accepté les mains qu’on lui a tendu, alors qu’elle, elle semble avoir pris le risque de tout endurer, de confronter la vie en voulant s’arranger. C’est courageux de sa part, bien plus de courage que le blondinet doit avoir.

Et alors, il voit la petite souris se rebeller, qui s’indigne avec sa petite voix qui contraste tant avec sa personnalité. Pourquoi l’appelle-t-il ainsi alors qu’elle est davantage lionne et sauvage qu’une petite souris? Non, il ne changera pas son doux surnom, parce qu’il reste qu’elle se glisse ici et là, tout doucement, comme un courant d’air. Il n’ajouta rien à ses propos, seulement un sourire et hocha la tête, parce qu’il sait qu’elle dit vrai et qu’elle a raison, mais il ne peut que s’inquiéter et n’imagine pas comment serait dévaster le directeur de l’orphelinat s’il verrait cette petite dans cet état.

Le fouet à peine a-t-il quitté sa main qu’il fait face au four pour retirer la crêpe de la chaleur qui menace de la calciner. Cette fois, il est tout heureux de son exploit. Celle-ci est bien doré et il ne l’a pas déchiré en la retournant. Il la met dans une autre assiette, parce que celle-ci est réussi. Peut-être un peu trop épaisse, peut-être un peu salée, mais tant pis, il n’est pas un parfait chef cuisinier. Aleksei verse le reste du mélange. Il y en a trop peu pour former une crêpe entière, alors il tente de lui donner une forme. Peut-être est-ce le visage d’un lapin ou une fleur en train de se faner. Ça ne ressemble à rien, malheureusement, mais il se console : au moins, elle pourra la manger.

Il lui reprend le fouet des mains et le déposa dans l’évier. C’est drôle comment elle passe d’un état d’esprit à un autre, cette jeune fille. Tantôt en colère, voilà qu’elle fond sous la nourriture et les sucreries. Elle n’est pas si sauvage qu’elle ne veut le faire croire, mais jamais il ne lui dira, parce qu’elle pourrait prendre mouche et fuir, juste pour lui prouver qu’il a tord. Et alors, Aleksei serait prit avec cette nourriture alors qu’il n’a pas vraiment faim. Ou alors, elle partirait avec, parce que tout ça lui revient. La prochaine fois, il lui trouvera une couronne, pour orner le dessus de son crâne. De celle en plastique, pleins d’étincelles grâce aux brillants de bricolage que l’on colle dessus, avec ses faux diamants et rubis. Elle a le droit d’être une reine, elle aussi, même si elle n’a personne pour lui prouver à tous les jours.

Chevalier servant se met à l’œuvre. Il commence par mettre des mûres, des bleuets et des framboises dans le centre puis il verse du chocolat et de la crème fouetté au centre. Il replie les côtés pour former qu’un joli triangle dont le bout déborde de diabète et de mal de dents. Il hésite un instant à déposer les fraises qu’elle a coupé, parce qu’il voit bien que quelque chose cloche sur la planche à découper. Tant pis, il les met dans ses mains, forme une coupe avec sa paume et verse de l’eau sur celles-ci, pour les débarrasser de la maladresse de la souris. Il les dépose sur le dessus, mais en garde quelques unes de côté, parce qu’une deuxième crêpe viendra bientôt s’ajouter. Il verse le caramel, le sirop de cassis, une bonne quenelle de chantilly et lui glisse l’assiette, fourchette en main pour l’aider à dévorer.

— La collation de mademoiselle est servie. Quel est le prochain désir de sa majesté?

En attendant son prochain ordre, il ferme le rond et enlève la dernière crêpe du poêlon, pour commencer à la couvrir de sucre à glacé, de fruits et de sucreries comme elle semble l’apprécier. Il restera un autre crêpe, la première, la petite ratée. Peut-être que ce sera lui qui la mangera plus tard, à moins qu’elle ne la réclame elle-aussi.

Dans la pénombre de la cuisine, tout semble s’être enchanté. Une petite voix de fée, des sourires et une joie sonore qui le fait un peu paniquer. Il a peur tout de même que Mathilde débarque dans la cuisine et demande ce qui se passe ici. Il aimerait lui intimer de faire moins de bruit, mais tant pis. Il n’a pas peur pour lui, plutôt pour elle, mais il sourit et ouvre la bouche pour manger la crêpe qu’elle lui tend. C’est beaucoup trop sucré à son goût. Lui, c’est un être de sel ou du naturel. Alors que là, il a une explosion de son taux de glycémie, il n’a pas envie d’avaler, mais il le fait tout de même, pour elle, pour son plaisir. Il se force à sourire, bien que ce ne soit pas mauvais. Ce n’est tout simplement pas sa palette.

Ça tue, comme elle dit. Ça lui tue l’envie d’en prendre une autre bouchée et heureusement pour lui, elle lui offre de se faire une crêpe à son tour. Chevalier servant se doit d’accepter et sans tenter une esquive, il se met à l’oeuvre. Il prend l’autre assiette avec la dernière crêpe, celle qui a un peu trop grillé. Ça donnera un goût unique, qu’il se dit, c’est moins pire que celle qu’il a jeté. Il verse un peu de sirop de chocolat et met une bonne quantité de crème fouetté. Il n’est pas un homme sucré, mais la chantilly, il ne peut pas y résister. Il ajoute quelques fruits pour que l’acidité vienne équilibrer puis se verse un verre de lait, comme si ça allait l’aider à tout faire passer. Aleksei lui en verse un à elle aussi, parce que le jus d’orange sera un jour terminé.

Sans faire de bruit, puisqu’elle en fait assez pour eux deux, il se tire un banc près d’elle et commence son petit festin nocturne. Il aime voir sa curiosité et son entrain, cette joie de vivre qui change pour le silence de la nuit. Il se lève pour ouvrir un tiroir, là où on range plein d’objets sans lien avec la cuisine, mais pour les avoir à porter de main. Il prend une feuille de papier, une feuille rose avec des motifs de fleurs en ces coins, une feuille pour écrire une lettre à quelqu’un qui nous est précieux.

— Montre-moi, petite souris.

Il ne veut pas trop parler de lui, il veut laisser le projecteur sur elle. Parce que même sans lumière pour l’éclairer, elle brille de mille feux. Il est tout de même curieux, de voir ce qu’elle sait faire. Il s’étonne aussi de savoir qu’elle livre des enveloppes. Elle est jeune pour devoir travailler. Il sourit avec une certaine tristesse, désolé qu’elle ne puisse pas profiter de sa vie d’enfant, que ce nouveau monde ait brisé le sien.