Comme Lucrèce pouvait s’en douter, l’informatrice n’apprécia pas du tout ce contact physique. Même pire ; Esmée lui jeta un regard noir. Quel délice. Quel régal. Elle en voulait encore plus, de ce regard hargneux. De cet air glacial. Elle adorait déclenchée des réactions chez les autres, et ne voyaient pas forcément la différence entre les bons sentiments et les mauvais. Tant qu’elle ne laissait pas indifférente.

« Voyons sweetie, je sais quand même me tenir. »

C’es tout ce qu’elle lui répondu, avec un air faussement offusqué. Toutes deux savaient parfaitement que ce n’était pas le cas. Que Lucrèce était bien pire qu’une enfant bruyante. Mais elle se prêterai à ce jeu du roi du silence. À sa façon. Alors, elle suivit Esmée. Relevant sa robe avec désinvolture, souriant dans le vide, marchant droit. Sans autres manières que sa prestance naturelle.

L’homme était assis au fond du café, à l’étage. Dans la quarantaine, les cheveux grisaillant, il semblait absorbé dans sa lecture lorsque les deux femmes arrivèrent. Esmée d’abord, dans sa sobriété habituelle. Lucrèce ensuite, dominant la salle de ses talons aiguilles.

« Bonsoir James. »

Elle tendit paresseusement la main envers son potentiel client, tout en posant son autre main sur le bras de celui-ci. Sans aucun mouvement superflue. Juste elle et ses manières d’italienne, beaucoup trop tactile. Il la saisit sans discuter. Les affaires restaient les affaires. Lucrèce alla s’asseoir aux côtés de son informatrice.

«J’ai cru entendre que vous cherchiez un architecte pour désigner votre prochaine création. Je n’ai pu qu’accourir en entendant parler de votre magnifique idée. C’est si poétique… si-si bellisima. »

La voilà qui reparlait à nouveau avec les mains, faisant des grands gestes dans les airs pour exprimer ce qu’elle ressentait face à l’œuvre d’art qui l’attendait.

« Expliquez-moi tout mon chère James. Est-ce que votre œuvre mérite mon intérêt ? »

Elle bluffait. Elle avait besoin de ce contrat. Besoin de cette reconnaissance. Les négociations marchaient pourtant ainsi ; il fallait toujours montrer que l’on était au-dessus de l’autre. Plus important. L’appât marcha. L’homme mordit. Il fut plus qu’enchanté devant cet intérêt, semblant trouver en Lucrèce une auditrice attentive. Il ne savait pas à quel point : l’architecture, c’était son art. Son moyen de s’exprimer. Ce projet l’emballait bien plus que ce qu’elle ne laissait paraître.

« Darling, aurais-tu l’amabilité de nous prendre deux cafés ? J’ai peur que nous restions bien plus longtemps que prévu ».

Elle s’adressait à Esmée. Pour une fois, elle ne l’avait pas pris de haut. Son esprit était bien trop occupé à réfléchir aux premières esquisses du bâtiment. Cet aparté terminé, le client et son architecte repartirent dans une discussion rigoureuse. Ils dessinaient tous deux sur du papier, échangeaient différents points de vues et opinions. Se mettaient d’accord sur la faisabilité du projet. Finalement, après presque deux heures de discussion, l’accord fut scellé. Il lui laissa même son numéro d’Holokit. Ils devraient encore beaucoup échanger pour arriver sur un premier plan. Et beaucoup étudier pour Lucrèce. Elle avait récemment mis la main sur des livres relatant les spécifiées de l’architecture Althaenne et allaient devoir s’en inspirer.

Une fois l’homme partit, il avait même payé pour elles d’eux, Lucrèce poussa un soupire, enchantée.

« Quel projet fa-bu-leu. »

Son visage de Diva s’était perdu pour laisser parler cette passionnée de l’art.

Ce contrat, c’était le premier d’une longue série. Lucrèce en était convaincue. Lorsque le bâtiment serait construit, elle savait que celui-ci allait attirer l’œil des plus curieux. Faire des envieux. C’était le but de James, en quelques sortes. Tout comme Lucrèce aimait se montrer, lui, aimait montrer quelle richesse il possédait. Tout n’était que question d’apparence.

Lucrèce saisit la main de sa partenaire. Il est vrai que celle-ci avait joué un rôle primordiale dans cette affaire. Elle allait être très utile à Lucrèce et à ses projets. A son futur empire qui naîtrait bientôt de terre.

« Tout le monde cherche quelque chose. »

Voilà la vérité derrière ce succès. James voulait montrer qu’il avait du goût et de l’argent. Qu’il appartenait à ce monde d’en bas, dans lequel il avait évolué aux plus hautes sphères. Si Lucrèce avait toujours vécu à travers l’art et les fêtes, déconnectée de la réalité des choses, c’était bien la seule chose qu’elle avait retenue de son politicien de père : chaque personne cherche quelque chose. Trouver ce désir enfouie c’est trouver comment convaincre.

Elle se reprit, moins sérieuse, plus Lucrèce :

« Darling, serait-ce là une déclaration d’amour envers ma personne ? »

Oui, elle se doutait que Esmée ne l’appréciait pas vraiment. Rien qui ne la déstabilise, elle était bien trop au-dessus de tout ça. Que les gens la détestent ou l’admirent tant qu’ils le voulaient, elle, elle en rirait. Cependant, elle savait aussi qu’elle avait convaincue l’informatrice sur ses talents ; et que celle-ci lui faisait maintenant assez confiance pour lui envoyer d’autres offres.

Lucrèce se leva, attendant que son interlocutrice fasse de même. Elle s’approcha d’elle, lui déposant une bise de la joue droite tout en la prenant par les épaules. Cela l’amusait avant même qu’Esmée ne réagisse ; elle savait éperdument que cette dernière n’aimait pas les contacts physiques.

« Merci à toi sweetie, tu as été merveilleuse. J’espère te revoir bientôt à l’une de ces fêtes Caerienne dont nous avons parlé. »

Sur ces mots, elle laissa Esmée derrière elle, flottant sur ses talons jusqu’à disparaître. Il lui tardait de revoir ce petit oisillon dans le monde des grands.