Il y a, dans ces yeux de chat, quelque chose d’inexplicable. Car ce regard se perd sur les visages, sur les pas lents des clients, et ce sourire en coin ornant ses lèvres refuse de s’effacer. Derrière les draps et les voiles, Acace observe, Acace écoute. Il tend son oreille indiscrète, écoute les prénoms rouler sur les langues de ceux accueillant les visiteurs, cherchant, retournant, tout prêt à se jeter sur sa proie. Et là. Là, il entend ce prénom, le destin, sûrement, qui souhaite unir les fleurs. Et son sourire peinturluré s’élargit, ses yeux glissent vers le visage juvénile, moins pourtant que le sien, analysent la figure fine. « Narcisse », narcisse douce fleurs aux pétales égoïstes. Qu’elle est belle, cette fleur. Et peut-être sera-t-elle son reflet, ce soir. Alors il tend le bras, elle est à portée de main. Il lui suffit tout juste de la cueillir, et il se saisit de son poignet, à moitié, seulement, dévoilé, le corps ne quittant la pénombre des voiles rouges, ensorcelant sa moitié de visage au grand jour, tout de maquillage décoré. Et il tire la fleur, veut qu’elle sente son propre parfum, celui des acacias au goût citron. Il rapproche ses lèvres, les voiles glissant sur ses cheveux de jais, son regard bleu assombri par les ombres tanguant, là, derrière. Et ses yeux, respirant la malice, couvrent ceux de sa proie.

« Tu seras Narcisse, ce soir, fleur du désir. Installe-toi au premier rang. »

Et, ainsi, il disparut, ne laissant derrière lui que le souvenir de sa présence, cette sensation brûlante de son regard sur l’épiderme, la caresse de ses doigts contre la peau délicate du poignet. Mais il ne partit pas bien loin, car, là, dans les coulisses, il enfila finalement cette tenue délicate, alors que l’on ornait sa chevelure de pétales blanches. Et ainsi paré, pieds nus glissant sur la scène, il s’avança. Et son regard perçant fit le tour de ses spectateurs. Le jeu commençait. Et tout devint pirouettes, histoires à en perdre la tête, et chants voluptueux. On observait Acace sans réussi à se détacher de sa figure, on voyait son corps se courber, ses pieds, sous la longue robe obstruant ses gestes, se plier à chaque changement de pas. Envoûtant. Le conte harmonieux de l’homme amoureux de la divine âme sœur inconnue, jalousée, donnait faim aux Hommes de connaître cette moitié, de découvrir qui volait le cœur de cette beauté. Acace ne regardait pas Narcisse, ourlait ses lèvres toutes rouges et faisait voler ses parures satinées, animant la robe toute de magie faite. Dessus, les fleurs ne cessaient de naître, dessus les narcisses tanguaient, seul indice menant à la résolution. Mais plus le spectacle avançait, plus la fureur amoureuse d’Acace le dévorait, plus il oubliait ces prétendants qui ne savaient comment le sortir de sa folie ravageuse et qui, sous l’influence seule de son beau minois, commençaient à se quereller. Et finalement, là, à genoux, la voix tremblante prise par son dernier chant, il se pencha. Et là, au premier rang, Narcisse l’observait. Là, au premier rang, cet être que personne n’avait su trouver. Il tendit son cou, tendit son corps, rapprochant son visage de celui de l’autre fleur, glissant ses doigts sur le menton opalin jusqu’à ce que leurs souffles ne se mélangent, souvenir d’un baiser inexistant. La robe se teinta de bleu, de l’eau qui imbibait ses poumons, du même bleu que ses yeux, et il coupa sa respiration, posa sa tête sur cette épaule, mima le mort, le mort de passion, figure rougie, carmin, à l’unique fleur mythologique peinte sur le voile fin ornant ses épaules. Le silence revint, avant que son rire, finalement, ne perce l’air. Et le voilà qui se redresse, qui replace sa chevelure sous les applaudissements. Et il n’adresse plus un regard à son reflet, à cette Narcisse fabuleuse, à cet amour passionné. Il exprime la conclusion du mythe du noyé par son propre reflet du bout de ses lèvres, se penche en avant, laisse les compliments lui glisser sur la peau. Et puis, finalement, le voilà qui repart, et, comme s’il n’avait jamais été là, on ressent encore cette présence, celle qu’il laisse derrière lui involontairement. Et là, derrière, on lui retire sa belle robe et ses belles broches, on le laisse enfiler sa chemise fleurie trop grande et son short rouge, avant qu’il ne sorte, turbulent, alors qu’on lui demande de revenir, sans grande attente. On sait qu’il n’écoute pas.

Et le voilà à chercher sa Narcisse, à lae voir, là-bas, et son sourire triomphant l’est plus encore, lorsqu’il se penche vers la fleur en haussant les sourcils, lorsqu’il la retrouve. Il est toujours nus pieds, il est toujours maquillé, mais sa frange retombe à demi devant ses yeux et sa peau opaline se découvre enfin.

« Tu as fait un très beau reflet. Personne ne t’a démasqué. »

Et il penche sa tête, un peu sur le côté, il replace quelques mèches derrière sa propre oreille. Il est moins proche, maintenant, moins envoûtant. Et il a envie de jouer avec cette autre fleur, car s’il l’a choisie, ce n’est pas seulement à cause de son prénom, ce n’est pas qu’une pure coïncidence. Il ne croit pas au destin, mais, s’il y en avait un, il aurait envie de croire qu’il n’était pas ridicule que Narcisse se retrouve à son spectacle de l’égocentrisme. Il haussa les sourcils, ses yeux de chats encore tirés par son trait au charbon sur ses paupières. Il se penche un peu en avant, ses mains dans son dos.

« Ça t’a plu ? C’est la première fois que je te vois. J’espère que je ne t’ai pas mis trop de pression. »

Et parlait-il de celle présente entre leurs lèvres, lorsqu’il s’était tant rapproché d’iel ? Lorsque leurs regards n’avaient su se détacher, lorsqu’il avait bien failli l’embrasser ? Ou parlait-il de ce premier rôle qu’il lui avait donné, dès sa première visite ? Acace n’était pas désolé. Il s’excusait rarement, et il ne le ferait pas aujourd’hui. Car Narcisse avait été la pièce maîtresse de son œuvre, aux pétales les plus épanouies. Et il s’était bien amusé, lui, le démon sans corne au visage angélique.

Déjà, Narcisse était là, tout droit.e devant lui, si proche, si proche, son souffle tout contre son nez, tout contre ses lèvres. Et, déjà aussi, ses paroles, il les sentait sur le bout de son épiderme, faisant voler sa frange, faisant voler son cœur. Mais Narcisse l'avait-il volé? Non, il était volage, il était tout frais, pas assez préparé, ce cœur à prendre, ce cœur à arracher. Tends le sur un plateau d'argent, la farce n'en sera que plus grande, car déjà sur ses lèvres rouges se forme le souvenir d'un sourire, déjà, sur le bout de ces chairs tendres, se forme sa réponse. Il volera les paroles de la jolie fleur, les fera toutes siennes, là, contre son cœur.

« Mais ton nom, je l'ai déjà, là, au bout des lèvres. N'es-tu pas cette fleur que tu prétends connaître? Douce Narcisse, j'ai déjà vu ton reflet. »

Et écho, écho, douce réflexion au travers du lac, Narcisse, ne croises-tu pas ton propre reflet? Veux-tu t'y noyer? Il est tout prêt à offrir ses douces paroles, toutes mielleuses et toutes douces, sous ce regard cajoleur qui le couvre. Le cœur bondissant, la poitrine en flamme, les doigts tous proches des pétales, qui le caressent, caressent, tel le vent tout contre les siennes. Et il les serre, ces bouts de chair, entre ses propres paumes un peu moites. Pas par nervosité, Acace est là, fidèle à lui même, dans son propre élément. Non, pas par nervosité, par bonheur, ne voit-on pas cette félicité sur son beau minois, cette candeur qu'il affiche au fond de ses prunelles, ayant réussi à attiser le désir de la Narcisse?

« Et si, en me penchant, je n'ai vu que ton doux regard tout contre ma peau, n'est-ce pas réalité de dire que c'est moi, Narcisse? »

A quoi jouait-il, le petit diablotin? Se tenait-il là, tout proche de son double, à réclamer, presque, ses baisers avec les yeux, avec le nez, avec les mains, avec les lèvres? Il est taquin, là, à proposer qu'on le cueille à l'instant, il est pressé, aussi, il veut savoir. Qui est donc, là encore, tombé dans ses filets? Une pauvre âme en perdition, qui a vu de trop près le reflet azuré de sa propre personne dans ses iris sauvageonnes? Et la courbe de son sourire se tend plus encore, quand il éclate d'un rire sonore, quand les visages se tournent vers les fleurs en pleine éclosion, quand il rejette sa tête en arrière, là, et qu'on se demande ce qu'il fait. Et il vit, Acace, il vit bruyamment, il existe, il ne se tait plus comme Cosmos. Et il serre les petites mains dans les siennes, il se rapproche un peu et son œil, il court tout contre le corps de la fleur si douce, si douce, bien plus que lui et ses milles pétales. Il approche ses lèvres de cette oreille tendue, il murmure en son creux son prénom, détache presque les syllabes. Il aurait pu inventer, se nommer Orchide, aujourd'hui, mais ce sera la réalité triomphante, ce sera « Acace. », tout contre ton tympan. Et il se recule de nouveau, il chasse les cheveux de sous ses yeux, il tangue, là, sur ses pieds. C'est le moment, Narcisse cueille la fleur tant qu'elle est prête, toute offerte.

Le soupir qui perce ses lèvres est celui du petit garçon transporté, celui de la surprise, du choc d'être ainsi élevé vers les cieux. La fleur vole, vole, tourne, tourbillonne. Et Narcisse, pourtant, le maintient sur terre. Mais sa gorge, encore, se déploie. Ses rires enchantent les rues de Requiem, ses mains enlacent ces mèches de cheveux, ces épaules fébriles, ces bras qui le maintiennent tout contre le corps du reflet, tout contre le cœur battant de l’ego non dévoilé. Et le vent, les sursauts effleurent ses joues qui, déjà, se baignent de larmes, qui s'assèchent sur les tempes opalines. Il a le souvenir du grand saut, il ressent ce même espoir de liberté, ce pincement de terreur pure, et puis le sol le rappelle. Le sol tangue, les pieds de la narcisse arrêtés dans leur course folle. Et les murmures offensés des passant s'effacent, alors qu'Acace glisse tout contre iel, alors qu'Acace laisse ses doigts dériver contre sa tête, contre sa nuque, contre ses bras. Tout, tout collé. Mais il laisse l'étreinte durer, il relève le visage un peu plus haut, pour voir ces mirettes le fixer, et les souvenirs encore trempés des spectateurs courroucés remontent tout dans sa rétine, il ferme les yeux. Émotions déferlantes, les larmes redoublent, coulent le long de ses pommettes, et le voilà qui sent son cœur s'alourdir tout contre ces lèvres. Celles de la plus belle des fleurs ce soir. Qui est reflet? Est-ce Acace, est-ce Narcisse? Le carnivore, le voilà qui referme sa gueule tel un piège : crocodile insatiable, ne saurait-il pas empêcher cette descente de l'euphorie? Le baiser a un goût de remord, là dans le fond de sa gorge, et enfin il essuie ses joues de son poignet, leur sillon brillant encore à moitié sous le ciel des astres éveillés.

« Ne saurais-je voler l'identité du doux visage de mon reflet. Et je te vois, là, tanguer. Est-ce de mes mots qui te rendent si fébriles? »

Et malgré tout, malgré tout. Narcisse reste Narcisse, il met de côté les tumultes de son cœur, de côté les inepties de son âme. Car quand leurs doigts s'enlacent, quand leurs murmures se font écho, tout contre les murs des ruelles de Requiem, ne reste que Narcisse, nitide, tout dans la nuit. Seul astre dans le champ de sa vision. L'âme d'enfant renaît. Pas celle de Cosmos, enfouie dans les plus sombres de ses songes, celle d'Acace, qui s'éveille peu à peu. Voilà que la fleur en enlève une autre aux mains tendues vers sa splendeur. Mais Acace préfère ces bras là, préfère ces paroles-ci. Et ce sourire qui flotte tout contre son faciès, il veut le lui arracher de ses propres lèvres, encore, sans l'amertume des chicaneurs qu'il a titillé pendant ses danses folles, dans ses longues robes, dans ses longs voiles. Et où l'amène-t-il, Narcisse? Dans quel monde, dans quel verger? Quelles terres, cette fois, accueillera l'Acace sauvage? Les voilà qui, dans les rues, déploient les rires plus forts, les secousses des épaules plus violentes.

Et les lamentations du cœur ne sauraient se répercuter tout en écho jusque son âme. Ne comprends-tu pas, Acace?

Ils s'éloignent, les voilà qui virent, les voilà qui volettent. L'Oublié s'oublie aux bras de cet Astre nouveau, étoile du berger tout dans la voûte céleste. Et le revoilà léger, le revoilà qui tire le bras, la tige même de la narcisse.

« Où donc m’emmènes-tu? »

Et ses joies se répètent, tout en écho.

« Est-ce là donc la voie de la porte dont je suis détenteur des clefs? »

Regardez-le donc, à se mouvoir plus vite, à tourner tout autour de la narcisse, impatient d'être le centre de toute son attention, alors que, déjà, iel n'a d'yeux que pour lui, que sur lui. Mais jamais on ne l'emprisonnera, fleur sauvage, épines cachées. D'ailleurs, le voilà, qui, déjà, s'envole un peu plus loin, papillonne, éternel insatisfait. Il se revoit dans les rues de sa douce Hambourg, à flâner le long de l'Elbe, le long des grands bâtiments tous neufs, tous reluisants, son reflet troublé de pollution. Mais ici, pas de ciel gris, à l'horizon. Enferme-le de tes bras, douce fleur, il s'en extirpera. Et les doigts qui tentent de le rattraper, il les évite en tendant les bras, sourire railleur au bout des lèvres.

« Réponds-moi donc, et je serai tout à toi. »

Est-ce une promesse? La tiendra-t-il? La tentation est de savoir se saisir de ces pétales pour l'éternité.

Des promesses d'éternité, il en a tout plein, là, sur le bout des lèvres, prêtes à être prononcées, prêtes à être recrachées. Il promet monts et merveilles, il enchante en bougeant ses bras pour ensorceler. Mais Narcisse est encore plus bas, dans ces filets-là. Narcisse ne remonte plus à la surface, à présent que la sirène, déjà, l'a amené dans les profondeurs marines. Et iel ne peut plus se détacher des ramures sauvages, alors que son regard darde de ses railleries, alors que ses lèvres s'étirent de ce charmant message. Essaies-tu de le garder tout pour toi, tout contre toi, tout contre ce cœur là? Il le sent quand il fait glisser ses paumes contre sa poitrine, ce palpitant qui, déjà, ne bat plus que pour lui, au rythme de chacune de ses expirations. Et alors, alors, la mélodie retentit à nouveau. Oh, oui, ouvre lui grand tes portes, Narcisse, car il en ferait exploser les gonds pour revoir ce visage tout amoureux penché vers lui. Mais ne les referme pas derrière lui, laisse les toutes grandes ouvertes, tu ne veux pas qu'il prenne peur, n'est-ce pas? Tu ne veux pas brimer tous ces espoirs fleurissant, tous ces cris de libertés qui ne quémandent qu'à être poussés. Déjà, les tiges s'entremêlent.

« Je ne reviens jamais sur mes promesses, et si toutes tes fenêtres donnent sur ton cœur, le mien, ce soir, tu auras. »

Et ses doigts tous fins glissent sur les courbures de son corps, entre les plis de ses habits, contre le métal des antres de sa demeure. Oh, il n'attend pas, il est impatient, et ne supporte plus toutes ces œillades bien peu dissimulées que l'on accorde aux deux amants des étoiles. Narcisse, ce soir-là, est tout à lui. Et Acace, est-il aussi tout à Narcisse? Les voilà qui voltigent sur les pavés de cette allée, celle que la fleur orgueilleuse emprunte tous les jours. Et tout sent la fleur, tout embaume son cœur. Il roucoule, là, contre les pétales nacrées, et s'accroche aux épaules qu'il ne sait encore si souples.

« Comme c'est étrange, que tu ne puisses plus rentrer chez toi. »

Et son sourire ourle ses lèvres, alors qu'il se glisse là, tel un chat, comme réclamant l'attention de sa.on maître. Oh, grattes-lui l'échine, il se pliera tout contre toi, Narcisse. Il n'y a plus de pierre dans son dos pour le maintenir contre le corps tout réchauffé, il n'y a que l'air qui vient fouetter son carré, qui fait voler sa frange et qui offrent un aspect un peu féerique. Observe mieux, pourtant, tu verras le démon qui sourit.

« Ne m'avais-tu pas promis toutes tes clefs? Je me suis donc servi. »

Et il est là, prince de ce nouveau cœur conquit. Le voilà qui tourne la clef dans sa serrure, qui pousse les battants d'une maison qui n'est pas sienne, et qui s'engouffre comme maître des lieux. Mais il est impossible à gronder, car déjà, le voilà qui trouve place sur un tabouret en pleine douce lumière. Et ses grands yeux sont trop émerveillés, comment, même, le réprimander? Les esquisses des astres se peignent dans sa chevelure, sur ces habits qui le parent et ses cuisses nues. Le voilà qui s'étend, qui marque son territoire. Oh, qu'elle est belle, cette maison, oh, qu'il s'y sent chez lui. Et Narcisse le laissera encore s'y engouffrer, n'est-ce pas? Le doute ne plane pas, Acace a la réponse toute faite sur ses lèvres.

« Ce soir, me prêteras-tu tes draps? »

Le lit de plume ne saurait lui seoir, observe le, il n'est pas ange. Mais assume donc, Narcisse. N'est-ce pas toi, qui a dérobé tous ses pétales?

Et si on cherche bien, si on découvre ce regard de perles azur, si on plonge les mirettes dans celles de l'Acace en fleur, on découvre là tous ses malheurs, tous ces contraires, toutes ces joies qui tanguent, qui valsent. Oh, oh, il se sent fébrile, entre deux fenêtre toutes ouvertes, il a la peau qui frissonne, le cœur qui gronde dans sa poitrine. Et ces mains, celles qui le maintiennent tout contre le corps tout chaud, il les sent bienveillantes, il les sent plus douces que toutes celles ayant déjà parcouru son corps. Alors le voilà qui sourit, et ce n'est plus le chat, ce n'est plus que démon. C'est l'enfant, heureux, l'enfant, satisfait. Celui qui se sent à la place. Il est roi, tout dans les bras de la Narcisse, il se fait un nid sans demander d'avis. Et cela ne le dérange pas, d'enrouler ses cuisses autour de ce corps là, cela ne le dérange pas, de sentir ces cheveux là tout contre son visage, quand iel se penche, quand iel la dépose comme le plus délicat des colis, fragilisé, sur le point de se briser. Oh, de toutes ces douceurs, il n'est plus habitué. C'est que, là-haut, il n'a jamais eu tout ça. Là-haut, il n'y avait que les brutes, que les monstres. Étaient-ce des transcendés? Étaient-ce des Hommes? C'était les deux, les deux et ces yeux effrayés qui encore le hante, ceux de la petite Hortense. Mais ces doigts, ce regard là, ce sont ceux de Narcisse, ce sont ceux de l'éclosion des rêves. Et les doigts glissent, glissent contre l'opale, les doigts glissent, glissent, sur les sillons tous frais des larmes émerveillées.

« Comme tu es gourmand.e, comme tu en veux toujours, encore. C'est ce soir, que je suis là. Peut-être demain. Je n'écris pas l'avenir, peut-être est-il vil, alors ne te précipite pas. »

Et les doigts encore caressent les bordures de son corps, les draps s'emmêlent entre ses jambes. Tels de fugaces secrets, le silence surplombe, le silence les annihile. Ne reste que les murmures prononcés par les yeux, ne restent que les fugaces pensées des rêves éparpillés. Il ne sait pas, s'il veut rester. Oh, Narcisse le charme, Narcisse l'accueille déjà si profondément dans son cœur, et n'est-ce pas tout ce qu'il a jamais recherché? De l'Amour, de l'Amour à en revendre, à en redonner, à en offrir, encore. Il ne veut que ça, mais Acace aussi, est gourmand. Il ne ferait qu'une bouchée de la douce fleur, il la goberait toute cru. Et oh, qu'il aime savourer, qu'il aime sentir l'être languir. Qui viendra clamer la présence de l'autre en premier? Serait-ce Narcisse? Serait-ce Acace? Sera-t-il réduit en esclave de ces douces pétales? Sera-t-il celui qui reviendra comme un chien ramène l'os? Et les cheveux tous clairs brouillent sa vue. Et les nez se frôlent. Les lèvres, aussi. Alors il se rapproche encore, il murmure tout contre ces bouts de chair.

« Mais comme maintenant n'est pas demain, comme maintenant tu m'as entre tes bras, serres moi fort, ne me lâche pas. »

Oh oui, brise le entre tes bras, laisse le écouter ton cœur et il sera sage, petit démon tout dompté, tout gentil. Il te fera les yeux doux, il courbera l'échine, il sera tout tien, restera capricieux. Car la fleur est sauvage, mais la fleur réclame toutes ces attentions qu'on ne lui a pas offert. Oh, regarde le comme il te supplie presque, avant de capturer ton cœur, avant de capturer ton corps, tes lèvres, tous tes sens. Il n'y a plus rien, rien du tout. Et n'entends plus que son nom, n'entends plus que ses soupirs. Acace, Acace, Acace.