Il y avait la honte, oui, mais cette sensation de vide, aussi, tout au creux de sa poitrine, impossible à effacer. Cette sensation qui ne le quittait plus, depuis qu'il avait abandonné Carmen pour retrouver le confort de sa tente. Et dans sa tête, tout défilait. Will, Carmen, Andy, pauvre Andy accroupie au sol, pauvre marionnette du Leader. Un peu estropiée, mais toujours vivante, toujours battante. Il n'avait pas honte d'avouer qu'il avait momentanément oublié la situation de la rouquine pour se concentrer sur... La trahison de celle-là même qui avait réclamé son aide. Et était-il encore essentiel, à cette Révolution? Devait-il encore y prendre part? Il savait qu'Andy comptait encore sur lui, il savait qu'elle aurait besoin de tout le réconfort possible bien qu'elle ne le montre pas, mais il n'était, lui, pas assez fort pour mettre tout ça de côté.

Et aujourd'hui, le voilà à observer les allées-venues des gens à l'arbre à vœux. Il a l'espoir, l'espoir de voir Will se pointer, aller, peut-être, chercher quelques réponses, lui aussi, à ces questions floues. Il ne sait pas vraiment pourquoi ils n'en avaient pas discuté aussitôt la réunion terminée. Malgré sa colère, même s'il avait poursuivi Carmen, il aurait pu tenter de l'arrêter après l'avoir vu parmi ces gens. Parmi les Révolutionnaires. Mais il n'en avait rien fait. Et qu'avait-il pensé, Will? Avait-il été déçu? Mais déçu de quoi? Qu'il ne lui en ait jamais parlé? Et s'il lui demandait son rôle, dans tout ça? Que devrait-il répondre? Serait-il franc?

Les réponses ne viennent pas, mais Will, lui, est déjà là. Will se tient tout là-bas, et Mars reste immobile, incapable de prendre son courage à deux mains. Il a une envie étrange de se retourner et d'en parler avec quelqu'un avant d'agir. Peut-être Orion, peut-être Carmen. Mais non, plus Carmen. A la place, il se redresse, il s'approche en essayant d'avoir l'air serein et tente un sourire grimacé. Saurait-il comprendre? Que dirait-il, ensuite? "Salut." Et là, là, la boule au ventre.

Mars n'avait même pas songé au fait que, comme lui, Will ne lui avait pas tout dit. Car il avait accompagné Samson, ce jour-là, il avait suivi quelqu'un qui, mine de rien, était un allié (semblait-il) des Révolutionnaires. Cela faisait-il d'eux des collègues? Il ne savait pas trop, mais l'idée même qu'il ne lui en ait pas parlé ne l'énervait pas, ne le décevait pas. Mais l'inverse était-il vrai? Il se doutait que Will était trop aimable pour montrer une quelconque pointe de déception ou de tristesse aussi rapidement, mais il n'était pas assez idiot pour ne pas reconnaître les remords sur le visage de cet homme qu'il connaissait presque autant que lui le connaissait. Cependant, sentir sa main se glisser dans ses cheveux le rassura quelque peu, lui rappelant qu'il ne saurait pas être une simple déception à ses yeux. "Tu as raison. On devrait trouver un coin plus calme." Ne serait-ce qu'à cause des oreilles indiscrètes qui écouteraient probablement toute leur conversation.

En marchant, côte à côte, il eut l'impression, pourtant, que la tension était de plus en plus forte, qu'il ne saurait faire quoi que ce soit pour la faire disparaître, maintenant. Il se sentait, à nouveau, comme ce gamin de quatorze ans, un peu farouche, mais pour des raisons totalement différentes d'à cette époque. Une fois finalement éloignés, une fois les regards un peu plus loin, Mars regarda Will, s'attendant presque à ce que ce soit lui qui débute leur conversation... Mais rien ne vint. Alors il chercha ses propres mots avant de finalement lâcher : "Je suis désolé." Il souffla un peu, tournant le visage sur le côté. "Je t'avais dit que je te dirais tout, et... Je n'ai pas vraiment menti, mais je t'avais aussi dit que je risquerais de te le dire avec du retard. Et ça, ça en faisait aussi partie. Mais tu vois bien que le destin fait bien les choses. Je n'ai même plus besoin de t'en parler." Petit rire nerveux, et le voilà qui observe ses chaussures avec un intérêt nouveau. Le voilà qui cherche ses mots, un peu trébuchant. Il devrait peut-être lui expliquer plus de choses, il devrait peut-être se trouver des prétextes, mais... En avait-il? Il avait simplement écouté Carmen le supplier, presque, et la voilà qui se retourne contre ceux-là même qu'elle voulait qu'il rejoigne, la voilà qui se retourne contre lui.

Le soulagement, oui, d'être accepté malgré ses choix, déferle presque en lui comme unique bonne nouvelle depuis sa dispute avec Carmen. Même si Will est déçu, au moins ne lui en veut-il pas. Et ce constat lui enlève un poids des épaules, cette affirmation détend tous ses muscles contractés. Mais pas son esprit, toujours à vagabonder, toujours à se poser trop de questions. "Ouais. J'ai pensé à le faire, et puis..." Ne te cherche pas d'excuse, Mars. Car il n'y en a pas. Et il le sait, au fond de lui. Il ne trouvait simplement pas le courage de se lancer, d'avouer la vérité, d'avouer servir une cause potentiellement dangereuse. Et quand le souvenir d'Andy atrophiée lui revenait, il songeait que peut-être avait-il eu tort de garder ce secret pour lui trop longtemps, de toute façon. Qui disait qu'il ne finirait pas dans la même situation que la rouquine? "C'est vrai." Mais étrangement, lui, n'avait à aucun moment ressenti une colère de ne pas avoir été mis au courant.

Mais Will est tourmenté. Will a quelque chose sur le cœur, et Mars le voit, Mars a toujours vu ces choses là. Et son regard qui se perd dans le ciel ne ment pas, cet air penaud, non plus. Et il se doute, du sujet de cette conversation. Il sait, où cela va les mener. Alors il cherche un peu son regard. Qu'il ne trouve pas. "Tu parles de ceux que tu as fait en suivant Samson?" Il voulait en être certain, il voulait comprendre, absolument tout ce qu'il ressentait. Parce qu'ils étaient deux à vouloir parler, aujourd'hui, parce que Mars n'était plus un gamin, parce qu'il savait encaisser, maintenant. "Je sais ce que tu penses." Ou du moins, en avait-il une idée. Il songeait à ces enfants, au Leader, au marché pour récupérer Andy. Et à ce songe, que tous avaient eu : cela en avait-il bien valu la peine? Ils avaient récupéré Andy, mais à quel prix? "On fait tous des erreurs, mais peut-on considérer que donner sa confiance à autrui en soit une?" Il espérait que non. Car il avait eu confiance en Carmen, mais, malgré les actes de la jeune femme, il ne regrettait pas ses choix. Qu'en était-il de Will?

Mais comment prévoir, ce dont on est pas au courant, a-t-il envie de savoir. Car il y a en ce monde trop de secrets, trop d'objectifs atteints dans le dos des autres, sous le regard non averti d'un public innocent. Will faisait partie de ceux-là, de ceux qui n'avaient vu la catastrophe se profiler sous ses yeux, de ceux qui, trop endormis, n'avaient su défendre une cause qui lui était chère. Et il avait envie de souffler, envie de se manifester, de lui répéter qu'il n'y était pour rien. Mais Will l'entendrait-il? Il semblait si focalisé sur ses regrets, cela en vaudrait-il la peine de le contredire?

Et il n'est pas surprit, quand il lui dit vouloir partir quelques temps, pas surprit pour un sou. Parce que lui aussi, aimerait s'évader, penser à d'autres choses qu'à tout ce qui lui pesait sur la conscience. Et il sait, au fond de lui, que les demandes incessantes d'Orion de le rejoindre à la vallée ou aux quatre coins d'Althéa n'étaient pas innocentes, non plus. "Je comprends. J'espère que tu sauras te rendre compte que tu n'as aucune part de responsabilité dans cette affaire, avec le recul que tu sauras trouver." Oh, comme cela lui faisait bizarre de voir Will sourire, ce sourire si faux qui tanguait sur le bout de ses lèvres en le regardant droit dans les yeux, la main dans les cheveux. Il pourrait le contacter, oui, mais l'avait-il jamais fait? Une certaine culpabilité déferlait en lui, la camouflant pourtant au plus profond de lui. Il n'était pas temps de faire face aux regrets, non, Will avait déjà tant à débattre en lui. "Et où iras-tu? Que feras-tu?" Il semblait un peu perplexe, pourtant, il voulait savoir quel serait l'élixir de la guérison de son cœur, s'il saurait l'aider à se recoudre. Était-ce trop demander, d'être enfin là pour lui?