Mars n'a jamais connu son père. Homme sans visage, il ne savait rien de lui. Et sa mère non plus, apparemment. Petit, cela ne lui semblait pas étrange. Jusqu'à ce qu'on ne cesse de parler de "parents". Au pluriel. Et un jour, sa mère s'est mise à pleurer, quand il lui a demandé, ses grands yeux sombres sondant ceux de sa génitrice. Il se souvient encore de ses sanglots contre son oreille, de ses excuses. Surtout de ses excuses. Elle ne cessait de dire "je suis désolée", sans qu'il n'ait jamais d'explication exacte. Il soupçonne aujourd'hui qu'elle s'en soit voulu de ne pas avoir su être le parent parfait, d'avoir eu un enfant avec un inconnu qu'elle n'a connu qu'une seule nuit, de ne pas l'avoir assez choyé. Mais Mars ne s'en est jamais plaint. Il n'a jamais eu de manque affectif, bien qu'il soit vrai que la femme l'ayant éduquée n'était pas des plus présente, travaillant en tant, d'abord, que serveuse pendant ses études, puis vétérinaire. Elle possédait beaucoup d'amour envers les animaux, et, ne vivant dans aucune grande ville, ils possédaient un assez grand terrain. Aussi possédaient-ils plusieurs bestioles différentes : des lapins, des poules, des chiens, des chats, un cheval, des moutons... Bref, de quoi avoir une vie bien mouvementée.

En grandissant, si sa mère n'était pas présente très souvent, il fallait avouer que Mars ne l'était pas non plus. Le chemin entre la maison et l'école n'était pas des plus court, et, avec son vélo, il se plaisait à aller un peu partout après les cours. Puis pendant les cours, aussi. On ne pouvait qualifier Mars d'enfant dissipé : il était simplement dans ses propres pensées, avec ses propres intérêts qui ne comprenaient parfois -souvent- pas les sujets étudiés en cours. Alors il allait voir ailleurs, visitait son pays et ses terres sauvages encore. Tout le monde se connaissait, dans son village. Et lui, on ne le réprimandait plus pour sécher l'école. On le saluait avec ce genre de sourire amusé, en coin. On l'aidait parfois à trouver ce qu'il cherchait. C'est aussi à cette période de découverte que lui et l'un de ses camarades ont provoqué un incendie dans leur école. Minime, mais assez pour faire suffisamment de dégâts. Ce n'était pas de leur faute : une simple bagarre, qui avait mal tourné. Et aucun des deux fautifs ne s'était jamais dénoncé, ne s'était jamais excusé à ce garçon défigurée par leur faute, à un si jeune âge. Mars fait semblant de ne pas se souvenir de cet incident. Pourtant, inconsciemment, il refuse d'accepter ses torts, le feu poursuivant encore ses souvenirs, sa conscience.

Il avait beaucoup d'affection pour sa mère. Toujours à lui offrir des trucs étranges, à cuisiner avec elle, à chercher à la faire sourire. Parce qu'elle semblait toujours si triste, maman. Prête à s’effondrer, à abandonner. Mais Mars était là. Mars était son rayon de soleil. Alors qu'en est-il, maintenant qu'il n'est plus là pour la faire sourire? Elle ramenait différents hommes à la maison, des fois quelques femmes. Elle ne les présentait jamais officiellement à son fils. Parce qu'ils n'étaient jamais là bien longtemps. Et Mars comprenait, avec l'âge, qu'elle était simplement malheureuse de ne pouvoir lui offrir la famille qu'elle souhaitait tant, au fond de son cœur. Cet amour de jeunesse impossible dont elle rêvait toujours, cette volonté de se construire une vie posée. Comme la plupart des êtres humains, finalement. Il ne sait pas vraiment si ces conquêtes lui ont forgé un opinion de l'amour. Peut-être bien. Et aujourd'hui, il aimerait tant lui dire qu'il était heureux rien qu'avec elle. Qu'elle lui avait toujours suffit.

La chute a eu lieu lors de l'un de ses meilleurs voyages scolaires à la capitale de son pays, en plein hiver. Reykjavik resplendissait, Mars était subjugué par cette vie tellement différente, loin de sa côté au sable noir de l'autre côté du pays. Les musées l'émerveillaient, et il avait tellement hâte de retrouver maman pour lui en parler. Mais tout a dérapé, et le voilà sous les décombres, la tête embrumée, la panique montant en lui alors qu'il se relevait sur ses jambes tremblantes dans cette obscurité totale. Il garde encore aujourd'hui la cicatrice qu'il s'est fait sur la joue en reculant brusquement quand le flot de pensée de toutes les personnes alentours, paniquées, s'étaient mêlées aux siennes. Assommé par ce flot, le visage rencontrant le sol à une vitesse ahurissante, il s'était réveillé la face en sang, les larmes sur la peau. Il avait pleuré trop longtemps. Il était seul, après tout. Et il n'était qu'un enfant.

On ne peut demander à un gamin de quatorze ans de choisir convenablement, de faire de bons choix. Alors quand on lui a demandé de rejoindre la vallée, quand on lui a dit d'absorber un nouveau cristal, il a repensé à ces nausées, à cette perte de contrôle de son propre corps. Il a refusé. Et il s'est retrouvé seul, dans ce désert, à errer sans savoir où aller. Avec le temps, il a fini par reprendre l'école, par retrouver ce bonheur de s'intéresser à des choses. Et il a recommencé à sécher les cours, à taper sur des gars un peu trop cons. Il voulait comprendre ce qu'il faisait ici, pourquoi sa mère n'était pas là, avec lui. Était-elle seulement encore en vie? Se déplacer dans le désert était bien moins aisé que ce qu'il ne pensait. Et il commençait à regretter de ne pas être parti à Requiem, où il aurait probablement pu faire des recherches sur les cristaux avec plus d'aisance. Aujourd'hui, il utilise son métier de mercenaire comme excuse pour traverser les frontières, pour s'aventurer où il ne devrait pas. S'il accepte le sale boulot, c'est pour atteindre ses objectifs personnels en parallèle. Fort heureusement, il a le physique mais aussi le mental adapté. Ce qu'il lui manque? Le contrôle de son don, qui pourrait être tellement précieux pour ce job. Il ne sait s'il veut percer tous les secrets d'Althéa ou s'il cherche à retrouver sa mère, encore sur Terre, quelque part. Du moins, il l'espère. Il n'ose imaginer ce qu'elle a pu faire de sa vie, depuis qu'il n'est plus avec elle.