C’est la peur au ventre que tu avais traversé le désert. C’est avec la crainte du nouveau monde que tu avais franchis le sable, te hâtant d’arriver à destination. Tu avais choisi le lieu le moins loin du Mont Célestia, pour ne pas avoir trop de route à faire. Tu avais quitté ta demeure, ton champ de neige à l’aube, alors qu’un champ d’étoile couvrait encore le ciel, que le soleil ne caressait pas encore le sommet des nuages. Tu avançais sur le dos de ton chameau, ton corps oscillant sous le rythme régulier de la bête, regrettant ne pas avoir réserver un cheval pour aller plus vite.

Tu n’étais jamais venu en ce lieu, mais tu en avais entendu parler, à quel point il était beau des les voir s’envoler, à quel point l’être humain avait transformé cet endroit en quelque chose de différent, un destin différent de celui choisi par la nature. Neuf heures s’étaient écoulés depuis ton départ de la cité. Neuf heures que tu avais dépensé à traverser la brûlure du soleil, la soif et la faim, prenant des vives sans te priver, sans exagérer, mais avec le regret de ne pas surconsommer. Tu étais devenue bien sage, heureusement, mais tu étais tout de même dans ce désert, malgré le risque qu’il présentait.

Maintenant, tu étais là, Poppy, enfin à destination. Ton fessier s’échoua au sol alors que ton moyen de transport se couchait au sol, ruminant une branche d’agacia que tu lui avais remis. Tu regardais le soleil qui quittait les lieux, doucement. Dans une heure, peut-être deux, il aurait complètement disparu, avalé par le monde pour revenir le lendemain. Et pour la nuit, ce sera la Lune qui prendra le relais, accompagné de ses mille serviteurs, de cette guirlande de diamants suspendu aux cieux.

Tu regardes ton holokit, attendant que ton invité te rejoigne. Tu espères qu’il a une tente au campement des nomades, tu ne lui as jamais demandé où il dormait, considérant que le désert entier était sa maison d’une certaine manière. C’était un peu horrible de voir la vie ainsi, mais n’est-ce pas sa réalité, aussi triste qu’elle soit? Alors, tu l’attends dans le creux d’une dune où le sable se mélange à la terre, où de la pelouse tente de survivre malgré le climat. Tu es bien placée pour voir le spectacle féerique se produire, mais tu y penses à peine. Tu es nerveuse à l’idée d’enfin lui poser tes questions. Trois qu’il t’a promis et tu ne le laisseras pas te berner. Trois questions à lesquelles tu auras trois réponses claires, un peu c’est tout.

▬ Qu’est qui t’a pris tant de temps?, dis-tu en te retournant vivement, sentant une présence derrière toi.

Tu croises les bras et lui tires la langue. Tu te refuses de réagir, de prendre la mouche. Tu ne te mettras pas en colère, n’est-ce pas Poppy? Tu ne vas pas lui faire une scène comme il t’arrive d’en faire. Premièrement, parce que tu sais qu’il se moque de toi. Du moins, tu l’espères. Deuxièmement, tu ne le crois pas assez stupide pour penser que cette question faisait partie de tes trois miracles que tu avais obtenu, sûrement grâce aux ronronnements de Pollyx et Nyx. Et surtout, tu as peur. Peur que si tu le réprimandes ou montes le ton, qu’il tourne les talons et qu’il disparaisse dans le sable, sans jamais retrouver sa trace. L’image te semblait horrible. Tu l’appréciais Maverick et tu espérais qu’il ne te voyait plus comme un porte-monnaie sur pattes, mais bien une amie. Tu tapotas l’espace à côté de toi et tes sourcils allèrent de haut en bas avec un doux sourire sur ton visage.

▬ Fais pas ton timide et viens tenir Poppy au chaud avant que les papillons ne s’envolent. Poppy a toujours rêvé de voir ça!

Tu avais pris le temps de réfléchir, tu avais cherché les questions, tu en avais même trop trouver puis avais diminué la liste jusqu’à en avoir que trois. Mais voilà, tu doutais à présent. Tu te demandais si elles étaient vraiment si bonnes, si apte à remplir leur devoir, à répondre à tes espoirs. Tu espérais qu’il allait jouer le jeu, qu’il n’allait pas te dire un simple oui ou non, qu’il allait donner du détails, mettre de la fioriture, comme toi lorsque tu parles. Dire plus que nécessaire.

▬ Ils se chicanaient tout le temps puis Pollux a blessé Nyx près d’un œil alors Poppy n’a pas eu le choix.. Il vit chez un ami maintenant, il est entre bonnes mains, ne t’inquiète pas.

Tu pris ton holokit et lui montra une photo de la bête poilue qui reniflait les plantes de ton logement avant de partir chez Pavel. Tu devrais demander à ton ami de t’en envoyer de plus récentes, ce chat étant comme le frère du tien, même s’ils ne s’étaient pas entendus, un peu comme les relations humaines pouvaient devenir avec ce besoin de se séparer pour mieux s’aimer.

▬ Ça ne fait pas partie des questions de Poppy.. Penses-tu que Poppy pourra squatter ta tente ou monter la sienne à côté de la tienne? Avec la nuit qui tombe, Poppy ferait mieux d’attendre que le soleil revienne et ne pas voyager le désert.. Parce que bon.. tu sais pourquoi sûrement.

Ton visage se tourne vers lui en haussant les épaules, un peu triste. Un sourire mélancolique  en repensant aux nombres de morts qu’il y avait eu et les nouvelles choses qui étaient apparu dans votre monde. Ce n’est pas un jour joyeux, cette cérémonie. Tu as un souvenir vague de l’avoir vu, ou d’avoir aperçu une chevelure brune comme la sienne, mais tu ne lui as pas parlé, tu ne lui as pas dit adieu. Tu n’as pas pu dire adieu à bien des gens, les choses se passant plus vite que tu le pensais.

▬ Pourquoi as-tu voulu rester à Althea ou remonter sur Terre lors de la cérémonie?

Tu avales ta salive, nerveuse à la réponse. Non pas que la réponse allait changer quoi que ce soit aux évènements, mais plutôt parce que tu te demandes s’il te te répondre. S’il va respecter sa promesse ou s’il va s’en tenir au strict nécessaire. Tu es de nature curieuse, tu aimes l’interaction sociale, tu aimes entendre les autres parler, tu aimes les petites discussions futiles comme les plus intimes. Tu espères pouvoir réussir à ouvrir une porte aujourd’hui, qu’il s’ouvre un peu à toi et que vous soyez plus que des connaissances de travail, bien que pour toi, Maverick a déjà pris la place d’un bon ami. Mais toi, qu’es-tu aux yeux de l’oublié?

Alors, tu avales ta salive et tu attends sa réponse. Tu n’as même pas vu où il était durant la cérémonie et tu te sens mal un peu, comme avec Nemesis que tu n’as pas cherché pour dire adieux. Puis, tu entends sa voix, tu comprends les mots et tu retiens ton souffle. Tu attends, tu attends qu’il en rajoute. Tu ne veux pas voir seulement ces mots là. C’est trop vague, c’est trop neutre. Tu veux savoir si quelque chose l’attendait en bas, tu veux savoir pourquoi il voulait rester dans ce désert au lieu de retrouver la vie d’en haut, plus évolué que son désert, plus vivable, plus soutenable.

▬ C’est arrivé si vite, Poppy ne se sentait pas prête.. Elle ne t’a même pas vu pour pouvoir dire au revoir.. Mais, Poppy est remontée… Poppy se disait que si elle montait, elle allait aussi pouvoir descendre, dire adieu correctement, récupérer ces choses ici avant de rejoindre sa famille

Or, il n’y avait plus de famille. Tu n’avais jamais réalisé, pauvre sotte, que ce n’était pas que des parties de la capitale qui avait chuté, mais bien l’entièreté de celle-ci. Ainsi, si toi tu étais en bas, tes parents avaient du tomber aussi et alors, soit ils étaient morts, soit ils étaient bien caché dans une ville et que tu n’avais seulement pas eu la chance de tomber sur eux. Or, comment savoir puisque tu ne te souviens pas de leur visage? Tu as le coeur gros à penser à cela, mais tu te consoles un peu en sachant que ton chien va bien, lui, qu’il est là-bas à s’amuser avec sa nouvelle famille, ses nouveaux amis, sous la protection du doux berger.

Tu lui as répondu, donnant déjà plus de détails que lui ne l’avait fait, mais il avait déjà répondu. Et voilà qu’une question venait de s’envoler et tu demandais laquelle tu choisirais pour être la deuxième. Tu voulais en savoir plus, sans l’effrayer pour autant. Tu voulais pouvoir ouvrir le livre qu’il était, de ce journal intime avec un cadenas dont tu n’as pas la clé. Tu pris une grande respiration et te lanças pour la prochaine question.

▬ Pourquoi es-tu dans le désert? Tu as refusé les offres qu’ils t’ont été fait, tu n’as pas eu d’offre ou tu préférais ne pas te lier à un royaume?

Tu ne savais pas pourquoi ton cœur palpitait dans tes oreilles. Qu’il résonnait dans ta poitrine comme si la pression avait augmentée en quelques secondes. Tu ne comprenais pas pourquoi tes mains étaient si moites et que tu devais les essuyer depuis tout à l’heure sur tes cuisses. Est-ce vraiment vrai Poppy? Tu le comprends pourtant que tu es nerveuse, que tu crains qu’il te laisse tout simplement en plan, de le blesser ou juste de l’ennuyer. Ce n’est pas méchant ta question, c’est simplement de la curiosité, pour comprendre pourquoi il se retrouve dans ses lieux. Après tout, il n’est pas un psychopathe et il a des bonnes qualités ce genre Maverick alors pourquoi il n’a pas eu la même chance qu’elle et se trouver dans un royaume qui peut lui offrir un peu plus de sécurité.

Non seulement tu te questionnes sur le pourquoi du comment, mais tu te demandes s’il regrette son choix parfois ou s’il aime cette vie qu’il a choisi. Tu l’envies un peu parce que tu n’as pas ce courage. Tu as beau le traverser ce désert, ce n’est pas ta maison et tu peux aller te réfugier ailleurs lorsque c’est nécessaire. Tu l’imagines affronter tous les jours les dangers ou les risques qu’impliquent cette météo, ce climat, les animaux et les insectes, la faim ou le manque de ressource. Lui, il doit s’en sortir les doigts dans le nez alors que toi, nombreuses de tes visites se terminent avec une blessure ou un petit malheur ou encore une petite frayeur. Peut-être est-ce le karma qui te punis.. Pourtant, n’as-tu pas été une gentille fille depuis le début de ton aventure sur ce nouveau monde?

Tu l’écoutes parler et tu comprends. Du moins, tu ne partages pas nécessairement son point de vue, mais tu comprends ce qu’il n’apprécie pas. Il est vrai que tu trouves dommage que des gens se soient fait tourner le dos, mais une part de toi est surtout soulagé de savoir qu’il n’a pas été rejeté par les autres, mais qu’il a décidé de tracer sa propre voix. C’est plutôt remarquable et il t’impressionne encore un peu plus qu’hier ce cher Maverick.

▬ Ça ne fait pas partie des trois questions.. Sens toi à l’aise de répondre ou de refuser, mais..

Tu fis une petite pause, tournant ton visage vers celui de Maverick, remarquant à la fois le clair-obscur dans les courbes et les creux de son visage, voyant les marques du soleil, le bronzage léger, le sable qui s’accroche à ses cheveux. Tu remarques que le ciel commence à devenir plus foncé, à se dégrader du bleu royal vers l’orange brûlé, que le soleil descend doucement pour se fondre dans le sable, pour s’éteindre comme la mèche d’une bougie que l’on étouffe. Bientôt, il y aura l’éclosion de papillons et tu commences à avoir hâte, tu en es presque déconcentré pour poser ta question non-officielle pour votre marché. Tu sors ton holokit et le garde sur tes cuisses. Lorsque l’envolé aura lieu, tu veux la filmer pour ne jamais oublier.

▬ Est-ce que tu regrettes ce choix ou tu aimes la vie que tu as comme nomade dans le désert?

Tu gardes le silence par la suite avant de t’illuminer comme une ampoule. Tu étais si concentré à regarder la nuit s’installer sur le visage de ton ami – parce que c’est bien ce qu’il représente à tes yeux – que tu en oublies de répondre à sa question. Tu sursautes presque sur place et te dépêche de répondre, parlant à toute vitesse, les mains se promenant dans les airs. Tu es excité à cette pensée, devant la mission que se présente, devant l’inconnu. Tu les envies, les gens du désert, ceux qui ont le défi de l’aventure, qui relève les obstacles et s’améliorent. Alors tu espères pouvoir te prouver que tu peux réussir, que tu es une grande fille, que tu sauras apte à accomplir une telle tâche. Et ça serait si agréable d’avoir de la bonne compagnie pendant cet évènement.

▬ Oui! Poppy s’est portée volontaire. Poppy ne connaît pas vraiment les détails, mais elle veut mettre la main à la pâte! Tu vas participer?

Dans le début du crépuscule, ton visage est illuminé par l’excitation de cette nouvelle aventure. Tu es toujours un peu sotte de croire que tout va bien se passer, mais tu ne le réalises pas qu’il y a du danger derrière tout ça, que quelque chose peut mal tourné. Non, toi, Poppy, tu ne vois que le bon côté, celui de rendre service à la population, d’être une volontaire qui sera bien vu aux yeux de Tatsuya et tu te dis que c’est tant mieux parce que ta côte doit avoir un peu baisser après ta visite dans les égouts et les lignes de métro il y a quelque mois.

Ses paroles te reviennent en tête comme une vieille cassette que tu rembobines et tu entends ses mots et ses questions. Il y a tant de mots qui se succèdent et le temps passe vite que tu as l’impression d’oublier de lui donner réponse, d’être à retardement. Alors qu’il est assis à tes côtés, tu poses ta tête sur ton épaule et tu fermes les yeux pendant un instant, profitant de la petite brise encore chaude qui vient caresser les grains de sable et les amener un peu plus loin dans la colline. Tu es bien heureuse d’être ici en ce moment, bien heureuse d’être en sa compagnie, mais il n’a pas tord, tu as peur.

▬ Oui, Poppy a peur. Pas de toi, mais que tu t’en ailles à nouveau. Poppy n’a pas envie de te perdre, pas maintenant.

Et pas plus tard non plus. Tu t’y attaches à ce détecteur d’objet. Il est plus qu’un collègue de travail, comme Pavel s’était transformé en ami, comme Eon qui était plus qu’un client, comme toutes les relations qui évoluaient à partir de ton travail puis à autre chose. Tes yeux s’ouvrent, mais tu gardes la tête appuyée sur son épaule, ne te souciant pas de briser sa bulle ou d’être envahissante, laissant ton poids se choir sur lui. Tu souris et hoches la tête légèrement, frottant ta chevelure sur son épaule nu, heureuse de savoir qu’il sera là demain. Tu ne sais pas si tu feras la route avec lui, non pas que tu ne veux pas de sa compagnie, mais parce que tu as un petit détour à faire, il y a quelqu’un que tu as invité à vous rejoindre et tu te demandes s’il sera à l’Oasis, là où tu l’as découvert. Aussi, tu comptes remplir tes bouteilles d’eau avant l’expédition, tu comptes prendre quelques ressources avant de partir et sûrement le feras-tu avant que Maverick se lève et peut-être que lui aussi, a des choses à gérer avant son départ vers la mission. Tu n’en mentionnes pas mot, te disant que chaque jour allait se produire en son temps.

Et soudain, tu entends quelque chose se déchirer, comme du papier qui se fend et des battements, une centaine de battements. Les papillons prennent leur envol et tu es estomaquée, bouche bée devant le spectacle. Ton holokit déjà prêt, tu commences à faire une vidéo de cette scène pour le moins féerique et presque romantique, bien qu’il n’y ait aucune forme d’amour autre que l’amitié entre Maverick et toi. Poppy, tu t’élèves à ton tour comme les insectes, outre que tes pieds restent au sol et comme une enfant digne de ce nom, tu te mets à courir devant toi, tendant les doigts vers le ciel, tentant de les atteindre même s’ils sont trop haut. Tu tournes en rond, tu fais l’avion, tu cours, le sable chatouillant tes orteils, un rire scintillant, presque désagréable, comme un carillon trop aigu dans le vent, mais tu t’en fiches. En cet instant, tu es heureuse.

Puis, alors que le ciel devient plus foncé et que tu perds de vue les petites bêtes, tu entends la question de ton ami et tu te retournes, ton rire s’évanouit parmi les dunes et tu reviens, le visage masqué d’un doux sourire mélancolique et tu te lances à deux pieds dans la bêtise, dans la curiosité, dans le risque qu’il quitte à nouveau.

▬ Qu’as-tu perdu ?

Tu as l’air idiote au premier abord, mais tu te doutes que sa réaction de l’autre jour venait d’autre chose. Que cherches-tu, Maverick, alors que tu cherches tant de chose pour les autres? Tu te demandes Poppy et tu sais que tu as mis le doigt sur quelque chose. Il ne reste qu’à savoir si maintenant, il serait prêt à s’ouvrir à toi ou si ce soir, tu devras trouver une autre tente où dormir.