— lost dog

Le vent effrite les papiers accrochés sur les branches au milieu du brouhaha des passants. C'est un joli bruit de fond, le bruit des feuilles qui dansent sous les courants d'air. Ce serait presque apaisant s'il n'y avait pas toute cette agitation, toute cette vie grouillante, foisonnante, pullulante à l'orée du soir quand la chaleur retombe et que les esprits s'agitent.
Gégé est resté là, pantois, devant l'arbre magnifique, solennel. Invisible et un peu dépassé par le tohu-bohu ambiant, il s'est promené une bonne partie de l'après-midi, lisant les messages par-ci, par-là, parcourant les requêtes venant de tout les pays sans avoir pour autant l'intention d'en exaucer une seule. Ça lui fait penser au Japon avec ses temples à l'entrée desquels on vient accrocher ses voeux pour la nouvelle année. Et comme au Japon, en gros touriste qu'il est, Gégé y a laissé son propre souvenir là, sur cette branche basse entre une offre de recrutement pour hôtesse « au physique avantageux » et une annonce pour des cours d'escrime. Sauf qu'il n'a pas souhaité être en bonne santé pour le restant de l'année ou se trouver une nouvelle copine ou encore un joli toutou, en fait il n'a rien souhaité du tout. Il a mis une photo de lui et de Meish, un selfie qu'ils ont pris dans Requiem. Parce qu'il faisait sombre ce jour-là - comme tous les jours en fait, la qualité de l'image est un peu dégueu mais ce n'est pas grave, c'est le geste qui compte. Et puis au dos du cliché, un petit message d'adieu pour l'étudiant allemand. Un truc bien niais. Il s'excuse mentalement auprès du prochain passant curieux qui lira ces quelques lignes et qui sera sûrement indifférent au fait d'apprendre qu'il a maintenant un chat en plus des quatre chiens et qu'il espère que là où Meish les étoiles sont brillantes. Au moins, cet inconnu aura découvert la recette du fondant au chocolat que l'Astre lui a appris et qu'il a gribouillé en tout petit par manque de place en bas de sa lettre. C'est quand même un chouette héritage ça, le fondant au chocolat.

Bref c'est vraiment un recueillement étrange. Et un peu nul. Gégé ne sait pas à quoi il s'attendait précisément en entreprenant ce pèlerinage dans le désert. Il a sans doute romantisé excursion, pensant trouver le sens de la vie dans les grains de sable et le silence des dunes comme dans ce livre à la mode là, si vous savez, l'Alchimiste. Gégé l'a lu il y a longtemps dans les rames du métro new-yorkais, pour faire comme tout le monde. Il se souvient plus trop de quoi ça parle, ni même de la morale, à vrai dire ce livre l'a laissé en mi-molle mais il se souvient que ça parlait d'un berger et de rêves enfouis dans le Sahara alors bêtement il s'est dit qu'il allait trouver lui aussi quelque chose de fabuleux pendant ces quelques jours passés sur le territoire des oubliés. N'est-il pas berger lui aussi à sa façon ? Mais le sable est brûlant et file entre ses doigts abimés et le mutisme des dunes s'étouffe bien vite dans le tintamarre affolant des hommes.
Soupir. C'était tout de même cocasse de penser pouvoir noyer son deuil dans le désert.

Les mains dans les poches de son cargo - il n'a pas mis pas de short malgré la chaleur, il ne s'est pas épilé ! il fait mine de s'éloigner quand un choc abrupt l'extirpe de ses pensées.

▬ Oof. Il cligne rapidement des yeux, il est paumé comme toujours mais comme souvent il fait plus bête qu'il ne l'est vraiment car ses doigts s'agitent, cherchent rapidement son porte-monnaie, ses clefs, son briquet, son paquet de clopes, son holokit... Mon holokit merde ! Et vif comme un lézard, ceux qui ont l'air immobiles et inoffensifs à se prélasser au soleil et filent à toute vitesse dès qu'on s'en approche, réussit à attraper le bras du pickpocket qui vient de lui rentrer dedans. Gégé est un touriste certes, mais c'est un touriste expérimenté.

Dans la seconde où son regard croise celui du voleur, il se demande s'il doit utiliser son cristal de pacifisme ou de lumière ou bien crier comme une demoiselle en détresse et attendre qu'un preux chevalier ne vienne le secourir. Ou plutôt secourir son holokit. Il a des centaines de photos de ses chiens beaucoup trop mignonnes pour disparaitre dans la besace d'un vaurien du désert !