Eclipse ♢ Il y a dans ces pas la candeur des enfants perchés sur la pointe de leurs petits petons, les yeux émerveillés des mêmes grands adultes, qui observent presque honteusement les morceaux de papier qui s’éveillent et tourbillonnent. Oh, il n’est pas encore des plus célèbres, mais l’on a déjà pourtant quémandé sa présence dans les hôtelleries de la haute Caer, peut-être que l’on réclame aussi ses douces mélodies aux souvenirs terrestres qui hantent encore ses nuits et ses pas. Paupières closes, souffle constant, la flûte siffle comme extension de ses propres lèvres. N’est-ce que le doux songe de sa vie passée qui ainsi le hante sous les spots de braises? Oh, quelle nostalgie vient ainsi le bercer, doux Icare plus paré que jamais? Il a cette impression de n’être à sa place et pourtant si bien tenu là, sur une scène si petite pour amuser la galerie, pour émerveiller de ses doux petits spectacles. Et la mélodie se tait, comme son coeur en pagaille qui cherche encore le réconfort du présent, maintenant. Il s’était promis l’oubli, l’envolée, mais il espère encore la chute, Icare, il cherche à se redresser, ce soir, quand on le tourmente des tourbillons de félicités. Oh et les quelques verres qu’on lui offre ne finissent pas tous au fond de son gosier, ne serait-ce pas là faute professionnelle? Non, non, au lieu de ça, dans les déboirs des soirées oubliées, il s’excuse aux femmes déjà mariées aux bras tous enroulés autour de ses coudes, grapin bien faible de cette velouté d’une noblesse méconnue. Oh, quel monde de grandes personnes tourmentées, il se demande quels démons, à eux, hantent leurs pensées. Il y a les heures qui défilent si vite, si vite, alors qu’il chantonne, alors qu’il cantonne, quand la flûte n’est pas sur le bout de ses lèvres. Et ses petits spectacles ont toujours un effet escompté, et puis on l’oublie quand les verres font tourner les têtes, on l’oublie quand il s’efface dans le noir des rues, dans le sombre des pavés. Il a les semelles qui claquent les pieds qui dérapent un peu, et le jais qui retombe en cascade tout au bas de son dos quand il défait le chignon trop serré de cheveux si bien peignés.

Et là, dans les rues oubliées, lui voit ces éclats des adultes esseulés dans la nuit, dans les décombres de leurs sombres pensées. Alors il s’invente spectacle de rue, comme depuis quelques jours ici, là, sur ces pierres aux habitués, déjà, qui écoutent aux fenêtres sans jamais se dévoiler et qui pourtant verraient tant, dans les petits léopards papiers, dans les grands dragons carton. Mais Icare n’a plus l’énergie des débuts de soirées et abaisse la flûte quand l’opale coule sur ses joues, mouille ses cils aux sombres éclats. C’était l’air des souvenirs cachés, des coeurs brisés, du Soleil torturé et oublié dans les décombres de ses propres tourments. Oh, Icare, pauvre âme si esseulée, il sourit encore, pourtant, quand il essuie de ses poignets les bulles de cristal sous son menton, pas les sillons de ses maux, non. Il ne cesse de penser, quand son coeur souffre, il a le sentiment trop fort de ceux qui n’oublient jamais le deuil, ce soir, alors que le palpitant s’exclame, toujours plus fort, sous le poignet de l’inconnu qui l’empoigne si fermement. Surprise au fond des prunelles, le voilà qui lâche la flûte qui roule dans les sombres ruelles. Et il y a devant lui le regard sombre des décombres d’une âme en peine, brisée, comme la sienne. Il sent le miroir de ses états d’âmes dans ces yeux là et… oh. Oh. Comme il se sent chavirer, est-ce le mirage de ses folies sous ses fossettes assombries?

« Lily. »

Et au fond de sa glotte, l'espoir, le déni. Ce ne peut être lui.

stellaris

Eclipse ♢ Oh non, ce ne peut être lui qui vient coller ses lèvres tout contre les siennes comme si elles lui appartenaient (lui avaient toujours appartenu), vraiment. Ce sont les songes des folies qui dans les rues le poursuivent, ces bourgeoisies éveillées qu'il, au fond, ne connaît. Oh, Hélianthe, tu le tourmentes depuis si longtemps et te voilà qui ainsi te jette sur lui. Il n'a le temps de voir le visage gracieux qui hante encore ses nuits (ses jours, toute sa vie) car le voilà déjà enfoui tout contre son cou et. La réalisation le frappe soudain. L'inconnu vient le tourmenter dans ces rues, et il sent une certaine panique ainsi grimper car il n'a la notion de ces rues que de vue, que d'incertitudes qui tourbillonnent par la perdition. Oh, Hélianthe, tu fais tourner sa tête toute entière.

« Je ne suis persuadé que vos faveurs entretiennent les miennes, n'êtes vous bien présomptueux d'ainsi réclamer ce que je ne veux vous céder. »

Il a cette voix tranchante qu'on ne lui reconnaît qu'après les âges passés et les sabliers retournés. Non, il ne se laisserait faire, malgré les poignets d'or qui l’enserrent. Il ne sera la pauvre proie qu'il a vu en ces rues un peu bancales, très peu ornementées, au contraire de son agresseur et de ses yeux dorés. Mais. Le serpent ne se retire du pauvre lièvre coincé contre lui et, au loin sa flûte lui rappelle qu'il n'est rien sans elle. Oh, comme c'est douloureux, oh comme il a l'impression qu'on lui enserre le cœur sans lui laisser le choix, les montagnes russes descendent et en tremplin son âme chavire car c'est de son cou qu'il déloge le ravisseur en esquivant un pas vers le côté, en lançant le regard vers son côté et puis, oui, c'est bien ce visage-là, qu'il a quitté il y a quelques années (ou qui l'a quitté). Il le reconnaît, malgré l'âge pris par ces six années et puis, il y a les larmes dans les yeux qui menacent de couler le long du teint tout bronzé (par les heures à gambader dans les contrées). Il y a dans sa gorge des mots qu'il n'osent se dévoiler, timides, un peu, bouleversés. C'est comme revoir les fantômes du passés. Est-ce une illusion, il serre soudainement les doigts effilés entre les siens quand dans sa poitrine se contracte la réalité : il peut le toucher, l'enlacer, le laisser l'embrasser, si c'est ainsi son souhait car il est si heureux de le retrouver, et perdu, et tourmenté.

Il y a le Soleil dans ces rues ombragées.

« Je croyais avoir devant moi un agresseur, n'est-ce juste là ton fantôme qui vient me hanter, Hélianthe. »

Et le prénom roule sur les lèvres, tout en murmures proche de l'oreille reptilienne. Il y a la terreur que l'illusion ne se brise, que la réalité s'évade, il ne parvient à se persuader que cet homme, là, contre ses bras, n'est pas le fruit d'une imagination fugace (comme il en a tant eu). Mais il est difficile, aujourd'hui, de reconnaître le corbeau des années passées là-haut. Il y a les cheveux poussés (dans ces cinq années terrorisées), mais aussi le visage empourpré du sang qui a coulé, tout au fond de ses yeux ce n'est plus cette joie immortelle de vivre que l'on voit, ce n'est que son illusion, et, lorsque cette facticité coulisse ce sont, les remords, les larmes trépassées, les peines endurées. Mais il y a le reflet d'Hélianthe dans ces grands yeux écarquillés, ils jouent le rôle de miroir, c'est la douce réalité.

stellaris

Eclipse ♢ Il y a sur ces lèvres le sourire du passé, celui dont il se souvient, pourtant si différent. Oh, ce n'est pas le même Hélianthe, ce n'est peut-être bien sur son mirage tant rêvé. Alors peut-être devrait-il bien le suivre, finalement, peut-être devrait-il tendre le bras juste assez pour le laisser le capturer. Et il le voit se baisser (il en perd sa couronne d'acier), le voit lui rendre son bien, sa seule défense aussi, mais n'est qu'hypnotisé par chacun de ses gestes, chaque mouvement n'est que douce langueur sur les interminables syllabes qui sifflent d'entre ses dents. Le piège ne s'est totalement refermé, non, il a la possibilité de s'en extirper, s'il le souhaite, quand il se saisit de sa mélodie, quand il tourne la tête plus loin, encore, comme pour fuir ce passé (n'est-il pas présent, aussi?). Il secoue un peu la tête et se laisse un peu traîner, aussi. Il n'a rien à répondre à ces paroles-là, tout est vérité et puis, est-il de cœur à refuser de lui offrir une musique, encore, ce soir-là? Il ne sait si les papiers sauraient s'envoler mais. Il lui reste ces ailes qui menaceraient de l'écrouler au sol, tant leur lourdeur est surprenante (les plumes cherchent à le noyer). Alors il referme la main sur l'instrument, effleure encore cette peau et puis, il est vraiment réel, ne l'est-il pas? Il souffle un peu, ferme bien les yeux avant de rire. Il y a cette candeur qui n'a pas changé il se sent, redevenir le jeune Icare d'autrefois (insouciant, un peu trop têtu). Et finalement, les doigts l'enlacent, comme pour une nouvelle valse (d'émotions), on le tire, on le fait voyager mais. Ce n'est pas de refus, il ne s'est pas enfui. Et tout semble combler son cœur, tous les trous laissés béats, ils se referment en voyant ces cheveux-là se balancer sous son nez.

« Où donc m’amènes-tu? »

Il y a le doute, au fond de sa gorge car Hélianthe, lui, ne semble recouvrer en ses traits les songes d'une amitié perdue. Il n'ose trop en faire le commentaire, préfère bien se taire. Peut-être a-t-il trop changé, peut-être n'est-il plus celui qui aurait eu le don de le sauver de chaque situation. Non, il ne se sent pas nostalgique (ou triste) de n'être qu'inconnu aux douces mélodies, aux douces opales contre les doigts du lions insatiable. Il est comme sur les nuages d'un rêve inespéré. Jusqu'à déambuler sur les hauteurs d'une ville qu'il ne connaît qu'à moitié. Il y a au loin les lumières si belles et le paysage est bien différent de Polaris, oui. Il n'y a cette neige à perte de vue, il n'y a ces contrées difficiles à explorer. La verdure, plus loin, les bâtiments habités. L'île aux délices dans ses plus grandes splendeurs, entourée de ses strass et de son seigneur.

« Magnifique. »

Et le silence retombe, tout de plomb dans le fond de sa gorge. Il se sent terni par tout son entourage, ne sait plus que dire, que faire, dans quelle direction se lancer. Peut-être se présenter éclairerait-il les orbes inanimées du roi au venin des vipères? Il a le bout de son nom sur ses lèvres mais se retourne soudainement avec ce sourire trop lumineux pour le bien de tous et puis, secoue son instrument dans les airs. N'as-tu peur de t'être fait ainsi traîner sur les lieux amoureux des beautés d'Althéa, sans que l'on ne réclame véritablement ton avis, Icare?

« Sais-tu voir les corbeaux, la nuit tombée? »

Car il en est un, oiseau de malheur, oiseau de beauté.

stellaris

Eclipse ♢ Oh, c'est donc cela, qui chagrine le roi? Il l'observe du haut de son piédestal avec ce sourire en coin, et lui ne peut s'empêcher de penser quelle pâle figure de souverain, quand celui qui lui volait ses mots autrefois, c'était Icare. Le corbeau charognard qui se penchait vers l'enfant mal-aimé et lui offrait ce regard-là, que l'on offre qu'à un repas tant apprécié. Car l'on aurait pu dire d'Hélianthe qu'il était son péché mignon, que cela n'aurait été mensonge. Si Icare n'avait eu cette flamme dans son cœur (ou n'était-ce que mensonge envers lui-même?) lors de leurs enfances en décadences, il était resté cet être sans qui la vie n'aurait eu ce goût ardent de l'espoir. Oh, Hélianthe, douce fleurs aux pétales flétries, sauras-tu retrouver de ta splendeur? Montre lui le sourire du Soleil, celui qui rayonne, ou réfléchit les rayons envoyés en sa direction.

« Vous savez, je ne connais les courtoisies de vos folies que dans les fêtes, lorsque les bas jupons se mouvent tout autour de moi. Il n'y a le vouvoiement que lorsque je ne connais mes compagnons. Mais tu es le simple mirage de mes tourments passés, Lily. Je me permets donc cette folie. »

Est-il en train de lui signifier qu'il le verrait, véritablement, lui oiseau déchu? Il y a ceux aux ailes dorées, blanches, lui les a tout de noir et puis, elles n'apparaissent qu'à la mélodie maudite de ses songes alors. Il rit un peu, dans la pénombre. Il rit et puis, il y a cette sensation de volupté (a-t-il déjà trop bu, Icare? Il n'en a le souvenir.) qui lui fait tourner la tête, tourner les talons pour observer les étoiles de minuit, celles du ciel, cette de la terre. Celles qui s'étaient éteintes lors de son saut vers sa liberté, oui, en ces terres inconnues. Il tourne un peu la tête et puis, après tout, ce n'est que spectacle entre lui et Hélianthe (le mirage). Alors il peut bien se le permettre, non, de dévoiler les corbeaux en pleine nuit?

« Très bien, j'espère que tu sauras voir celui-ci. »

C'est comme le vœu à demi exaucé, non, de le voir ainsi déboutonner le haut de ses vêtements pour dévoiler ses omoplates. Il y a le corbeau qui se prépare, qui se dévoile quand les cheveux glissent sur les épaules pour dégager la peau (brillante au clair de lune). Et puis, il porte la flûte aux lèvres, il ferme les yeux, il y a. Dans l'air, la mélodie reconnue, celle des enfances destinées, celles des jours de pluies enfermées, celles des rires stridents du Soleil et de la Fleur tourmentés. Oh, Icare a dans la tête tous ces maux, toutes ces douleurs qui font rouler l'instrument de nouveau, paume contre terre, visage abaissée et dans son dos les ailes libérées (de liberté) qui tanguent sous la douleur. Oh, elles sont bien belles, bien grandes, elles s'étirent quand Icare relève la tête elles laissent quelques plumes retomber et puis. L'ange semble déchu sur les toits de Caer. Il a le souffle court, la poitrine soulevée et après s'être ainsi dévoilé, il y a le sourire des bonheurs dépassés (sous la douleur des feux de minuit). Hélianthe, regardes le souffrir pour toi, souffrir pour vous, souviens-toi il y a les larmes qui coulent de son beau visage car le manque resurgit. C'est la soirée des nostalgies.

« Je n'ai pas fini le morceau. »

Triste réalité.

stellaris