Icare tout nouveau né n'a jamais vu le Soleil. Pas parce que ses paupières restaient closes, pas parce qu'il ne vit pas, avec le temps, l'astre illuminer sa peau, illuminer ses yeux, non, non. Parce que le soleil qu'Icare adore, celui qui lui colle à la peau, qui s'accroche désespérément à ses ailes fondues, il ne le rencontra pas dans ses premières années. C'était dans les rues de cette ville dont la mère était originaire que le tout petit apprit à courir, à faire du vélo, à s'amuser. L'ange du quartier, celui que tous adoraient, que tous enviaient, c'était ce doux enfant aux sourires plus lumineux que la plus belle des étoiles. Oh, et comme il était beau, comme il était doux, on réclamait presque des invitations aux enfants, pour que le petit Icare vienne leur rendre visite, pour que le petit Icare profite des confiseries, pour que le petit Icare illumine le salon de sa bonne humeur, de ses sourires pharaonesques. On ne comptait plus le nombre de grands mères ayant tiré sur les joues toutes bronzées, on ne comptait plus les compliments sur son beau visage tout rond de poupon. Mais Icare n'était pas que les bons côtés, pas que les grands rires tonitruants. Il était cet enfant un peu pourri gâté qui voulait toujours plus, un peu exigent, jamais vraiment satisfait, qui cherchait à s'occuper comme il pouvait mais qui ne trouvait rien à son goût. Oh, comme il aurait aimé, aimé, avoir à ses côtés son doux Soleil dès la tendresse de son enfance.

Et le voilà qui s'envole, s'enfuit, qui prend le large vers de nouveaux horizons, qui n'arrive que presque adolescent dans ce pays à la langue nouvelle, aux horizons étranges. Douce Allemagne l'accueillait en son nord, sur sa petite île toute fraîche, toute d'eau bordée. Et Icare avait encore la plage, Icare pouvait courir le long des bancs de sable, le long de ses côtes dorées. Mais l'enfant capricieux se mit vite à apprendre la nouvelle langue, à s'adonner à des tests réguliers, commençant à chercher sa voix, dans une vie un peu monotone, un peu triste. Oh, qu'il ne trouvait rien pour s'occuper, qu'il se lassait de tout, de rien, restait pourtant cet enfant aux milles sourires que l'on enviait tant, mais moins, bien moins que ces êtres blonds à la peau pâle.

Et puis, le Soleil.

Le Soleil tout illuminé, tout radiant de sa splendeur. Icare ne comprenait pas, que déjà il lévitait autour de cet être inconnu, tout nouveau, au visage de poupin enchanteur. Et pourtant, pourtant, le pauvre enfant, lui, ne comprenait pas un mot d'allemand, et qui seraient tous ces êtres, s'ils n'en profitaient pour se moquer, pour chaparder? Pauvre, pauvre petit Soleil, tout timide, tout gêné, il n'y avait qu'Icare pour comprendre ses grognements mandarins, pour entendre ses soupirs tristes, désespérés. Et puis, Icare restant Icare, il s'accrocha au Soleil, comme la lune amourachée. Mais ses rayons étaient encore trop faibles pour brûler, trop faibles pour blesser. Il n'y avait que l'insouciance de l'enfant insistant qui revenait sans cesse, sans cesse, comme l'abeille attirée par son miel, qui en redemandait encore, toujours plus. Et être repoussé ne suffisait pas, se voir refusé ne faisait qu'accentuer sa passion pour l'être qui l'intriguait tant. Qui osait s'en prendre au Soleil s'en prenait à Icare, seul à riposter face aux attaques incessantes, face aux regards jaloux des adolescents. On apprend à connaître les autres en observant leurs gestes et paroles. Et Lily, te souviens-tu de ce jour de pluie? Celui où Icare vit, sous les ombres des parapluies, l'absence de casque sur le haut de ton crâne? Il s'était glissé sans demander d'avis sous l'abri, et avait glissé son écouteur dans l'oreille de son nouvel (ami)? Il avait ri, il avait parlé. Et le Soleil brillait plus fort que la pluie, ce jour-là. Il ne l'avait pas rejeté.

Oh, n'était-il pas le seul à comprendre ses changements d'humeur, à calmer ses grondements tout dans le fond de sa gorge, quand tout le monde attendait un faux pas? Icare, bonté, bonté, bonté, il étouffait les sentiments négatifs de ses sourire radieux, de ses sourires soleil, oh, comme il était beau, jeune, tendre. C'est lui, qui l'a fait tangué sur les chansons douces des soirées, lui qui lui apportait toujours les plantes les plus adorées, lui qui s'infiltrait par les fenêtres. Et le soleil irradiait toujours plus fort, toujours plus.

L'âge adulte ne marque pas que l'âge de raison, il marque l'envie des découvertes, l'envie de voir le monde. Et l'enfant pourri gâté obtient encore ce qu'il veut, lorsqu'il amène, tout à ses côtés, le Soleil l'accompagner. Et ils voient les tours des vieux bâtiments, les soleils, les animaux. Ils voient de tout dans tous les pays, se nourrissent l'esprit, se nourrissent l'âme. Et qui fait fondre qui? Est-ce Icare, est-ce Lily? Les études bouffent l'appétit de ces découvertes, lorsque l'on s'y remet. Mais le Soleil est toujours là, à ses côté, il illumine encore ses journées, alors tout va bien, quand il s'assomme de travail, quand il s'assomme de sommeil. Il a toujours travaillé dur, il a toujours tout donné, mais peut-être est-ce de trop, cette fois là. Et le Soleil s'énerve, il ne comprend pas pourquoi. Il continue de s'acharner, la délivrance n'a pas sonné, non. Mais les cris résonnent encore aujourd'hui dans sa tête. Ceux de l'agonie, ceux qui ont brûlé ses ailes si faibles qui ne voulaient que voler jusqu'à l'astre de ses jours, de ses nuits. Il est parti. Il est tout seul, tout seul, à s'enfermer dans sa solitude, à se recroqueviller en espérant disparaître sous son propre tapis. Icare. Icare, que fais-tu? Que deviens-tu? N'es-tu pas fier? N'as-tu pas tout ce que tu voulais? Un futur diplôme, un futur métier, bien payé? Tout ce que tu recherchais, tout ce que tu voulais au point d'oublier, d'oublier le bonheur du soleil qui s'éteint. Le soleil qui est parti. Qui lui manque, manque terriblement. Il aurait du l'embrasser, ce soir-là, s'accrocher à ses jambes, l'empêcher de bouger, de le quitter. Oh, quel être misérable, il s'en veut, il s'en veut tellement qu'il s'arrache les bras à sang, parfois, quand il repense à tout ça. Lily, Lily reviens lui.

Mais finalement, avec le temps, n'est-ce pas encore Icare, qui recherche le Soleil trop lumineux, n'est-ce pas lui qui revient toujours? Il réclame des nouvelles, il veut le retrouver, le reprendre tout contre lui et oublier ces années passées loin du cœur, toutes ces années qui creusent le gouffre entre eux à chaque seconde défilée. Et oh, il traverse la mer, tout prêt à le revoir, à le serrer contre lui. Mais il ne trouve que le trou béant des capitales sous le regard anéanti. Le Soleil a sombré. Le Soleil est mort, encore. Définitivement, cette fois. Et sur son téléphone brille :

"j'ai du retard, Lily! j'arrive dans deux heure! :D"

Il n'est jamais arrivé.

Mais la vie continue, toujours plus lourde, sur les épaules d'Icare, toujours plus insupportable. Oh, qu'elle s'agrippait à lui comme un poids mort, comme il ne souhaitait que la secouer loin de son corps. Mais tout est plus difficile, sans lui, tout est plus difficile sous les réprimandes de plus en plus accentuées de ses parents. Et l'espoir s'envenime au fil des ans, car tout va bien, tout va bien jusqu'à ce que l'île aussi soit contaminée. Et il faut fuir, fuir, il faut courir, tirer les enfants par le bout des bras, ignorer les appels à l'aide des parents, parce qu'il est tard, tard, trop tard. Il vit l'enfer, Icare, quand il dérobe ce navire de fortune, quand il tire la petite vers lui, quand elle pleure entre ses bras et se noie, noie, au fond des océans encore, parce qu'Icare a trop secoué l’embarcation quand on a voulu la déloger et prendre la place de l'enfant, parce qu'il a frappé trop fort le crâne, quand l'agresseur a tiré la petite avec lui dans les fonds marins. Il n'a su la rattraper à temps et le voilà seul, seul, encore, encore, les larmes par milliers sur ses joues pâlies par le temps, par l'angoisse, par la peine.

Cœur, corps à la dérive, le soleil illumine le visage poupin un matin, mais ce n'est pas ce qui le réveille, non, ce n'est pas ce qui le fait sursauter. C'est cette boule de fourrure blanche sur son estomac qui sautille, oreilles collées sur son crâne tout immaculé. Et Icare le prend entre ses bras, Icare le serre contre son cœur et il pleure, pleure, pleure, serre l'animal tout contre sa poitrine. Il a si mal à l'âme d'être si seul, ne le supporte plus, baptise l'animal comme sa seule âme sœur. Ce sera Lily et rien d'autre, sa douceur illuminée par l'astre du jour l'éveille tous les jours Jusqu'à revoir ce grand trou, les monstres, les horreurs. Oh, n'était-ce que curiosité d'ainsi s'approcher, ou s'accrochait-il au lapin car il savait, savait pertinemment quelle idée maléfique tournait dans le fond de son crâne avant de tomber, à son tour, le Soleil l'ayant trop consommé. Mais quelle idée, encore, lui faisait voir tout flou, car quand il levait le crâne dans la chute, il espérait encore :

Hélianthe, reviens moi.

Et le voilà, là, dans le désert, la tête qui tourne, les lèvres qui tremblent. Oh, il serait presque déçu de se redresser, de se relever. Presque déçu, si Lily ne tremblait pas dans ses bras, si l'animal n'était pas aussi apeuré, l'oreille à demi découpée. Quels milles regrets ont percé son cœur, d'avoir ainsi atrophié un être si pur, si blanc, sous le soleil du désert, sous les espoirs d'une nouvelle ère. Mais quand il le regarde se balader dans son appartement un peu démodé, il sourit, il sourit car il ne les a pas mené dans le fond du gouffre, non, la vie a décidé d'être plus clémente qu'il ne le songeait. Et tout ça, tout ça, il le fait transmettre dans sa musique nouvelle, dans ses plantes qui débordent de partout, dans ces êtres qui sautilles sur le sofa. Oubliées les heures passées enfermées dans ses bureaux désordonnés, dans sa tête pleine d'anxiétés. Il y a la neige, là, dehors, qui gèle ses doigts quand il tend la main, qui lui rappelle par la morsure du froid combien il est vivant. Et sur le dos de son nouveau compagnon, un âne oui quelle drôle d'idée, parcourt le monde pour voir les yeux briller. Oh, Icare, trouveras-tu le Soleil qui t'attend dans ces landes?