Il y a la solitude, dans ce désert, il y a la sensation que tout est plus difficile, depuis quelques temps, depuis la chute de ceux qui espéraient sans fin un renouveau, là-haut, de ceux qui voulaient revoir la Terre sous son plus beau jour mais que la réalité a tant frappé de plein fouet qu'il en était difficile de respirer. Et encore, l'humanité garde la tête hors de l'eau, mais à quel prix, à quelle fin, jusque quand? Il sait, pourquoi Orion réclame tant sa présence dans sa petite maisonnette, pourquoi les soirées à discuter de tout, de rien, de tout ce qu'ils veulent bien s'avouer l'un l'autre ont dans la tête la germe de cette volonté de protéger. De le protéger des Transcendés de plus en plus présents, de plus en plus menaçants. Et c'est peut-être pour ça que les séjours seul, au désert, sans même savoir où Will se cachait, étaient de plus en plus difficiles.

Le souffle qui perce ses lèvres après s'être soulagé l’œsophage, le rinçant à grandes eaux, tête rejetée en arrière, n'est que celui du soulagement du travail fini et rondement mené. Il se rince le visage, observe un instant son reflet, cette balafre qui parcourt son visage, et puis il se redresse, il attache à nouveau ses cheveux dans le creux de sa nuque, tout prêt à partir, mais. Il redresse le visage vers la jeune femme qui lui adresse la parole et examine, sa silhouette, ses gestes, sa tenue. Il ne l'a jamais vue, c'est certain, mais elle connaît son prénom, à lui. Il ne répond pas tout de suite, attend la suite de ses paroles et comprend qu'elle vient pour parler travail, peut-être pour réclamer quelque chose, une nouvelle mission.

Et Mars est tant fatigué.

Il a cette envie de refuser, mais cette conscience, qu'au fond de lui, il devrait accepter, prévenir qu'il mènera la mission à bien tant qu'elle reste réalisable dans les plus brefs délais, après un peu de repos.

« C'est moi. Je peux vous accorder quelques minutes de mon temps. Je suppose que vous préféreriez vous éloigner un peu? »

Il récupère ses affaires, sa besace, glisse à nouveau le tout dans ce sac un peu effiloché et puis se redresse, enroulant son foulard autour de sa peau pâle. Il lève les yeux vers Esmée, et puis, signe du menton, pour l'inciter à le suivre. Une fois un peu plus loin, un peu plus à l'ombre, il s'appuie sur ce qu'il y a à sa portée : un gros rocher, rien de bien extravagant.

« Je vous écoute, mais je vous préviens qu'il y a évidemment quelques conditions, en fonction de ce que vous me demanderez. C'est moi qui choisis les termes du contrat, et je ne pourrai me mettre à la tâche que demain. »

Mars fronce les sourcils à ses paroles. On avait rarement contredit ses termes et conditions, il n'était pas des plus chiant en ce qui concernait le travail et estimait sincèrement qu'il n'y avait pas à trop en rediscuter, dans les cas les plus simples. Oh, non, Esmée n'aurait pas son mot à dire sur ses capacités et ses limites, c'était certain. Mais il fallait sourire au client, être aimable, faire comme s'il était roi, comme si elle était reine, qu'il s'incline devant elle. Au moins semblait-elle insinuer que leur accord serait aisé, et il avait envie de la croire, alors ne se permit aucun commentaire pour la contredire.

« Je suis certain qu'il nous sera possible de trouver un terrain d'entente. »

N'est-ce pas? Mais la suite le prend un peu au dépourvu. Car elle ne demande rien d'habituel, non, elle vient fourrer son nez dans des affaires qui ne la regardent pas, et il commence à comprendre,  savoir que son visage ne lui est familier, pas parce qu'il oublie les têtes aisément, mais parce qu'elle ne vient pas du désert. Et qui donc chercherait à avoir des informations sur un groupe de rebelles, en dehors des landes de sable? Il feint l'ignorance, un peu, si elle ne connaît pas ses liens avec les autres membres, peut-être qu'elle n'insistera pas plus que cela, peut-être n'est-elle qu'une abrutie curieuse, rien d'autre, qu'elle ne cherche pas réellement à avoir des noms, à avoir de véritables informations à délivrer à qui que ce soit.

« Hm, j'ai bien peur de ne vous être utile en l'instant, oh, mensonge, comme cela fourche ta langue Mars, mais il me serait possible de faire quelques recherches. »

Qui ne mèneraient à rien, car il n'avouerait rien sur ce groupe de personnes qu'il côtoyait, parfois rarement, parfois souvent, il ne vendrait aucune information à qui que ce soit, encore moins à une telle inconnue qui ne mettait aucune pudeur sur ses paroles pour capturer quelques informations.

« Si vous êtes assez patiente, cela va de soi.. »

Oh, il aurait tant à dire sur les Révolutionnaires, combien les trahisons fusaient, combien son cœur était encore meurtri (non, désolé) des décisions de ses autres camarades, combien il aurait tant aimé que tout ne se passe ainsi à cause du Leader, combien il était difficile de garder la face quand on sait les horreurs qui ont mené à cette dissipation des rangs, pourtant. Mais pas à Esmée, ni à personne. Car qui est-elle, au juste? Il n'a de cet être que le prénom, et il doute qu'il s'agisse de sa véritable identité. Car qui serait assez fou pour demander des informations sur un tel groupuscule sans cacher de plus grandes informations sur sa personne? N'était-ce encore qu'une illusion? Les paroles de Pandore résonnaient dans son crâne, était-elle simplement espionne naïve sous l'influence d'un cristal de changement d'apparence? Oh, il rit un peu, il se redresse, il frotte ses mains et puis. Le regard glacial ne vient-il pas envenimer tes sens, Esmée? Tu t'es frottée à la mauvaise personne, car Mars sous ses airs de petit naïf n'a de cette naïveté que les sourires et les rires faciles. Il est toujours prêt à défendre ses convictions.

« Dites moi, Esmée, vous n'êtes pas d'ici, je me trompe? »

Ou peut-être l'est-elle, peut-être se camoufle-t-elle. Il fronce les sourcils et penche un peu la tête, il s'approche, il la regarde comme on observerait une gamine un peu trop impertinente qui mériterait d'être remise à sa place.

« De l'aide aux gens? Et quel genre d'aide espérez-vous donner? Des papiers, des identités à des êtres du désert, c'est ça? Oh, ce sont ces idéologies que ce groupe que vous nommez défendent, êtes vous Cassandra déguisée? Alexander sous ces traits tirés? Je ne saurais discuter de tout cela sans que ce soit là votre identité. Pour qui cherchez vous ces informations, exactement? D'où venez-vous, Esmée? J'ai tant de questions qui nécessiteraient des réponses, sans quoi j'ai bien peur de devoir vous répondre que vous jouez à un jeu dangereux. Le savez-vous? Il y a des guerres dans lesquelles il vaut mieux ne pas fourrer son nez, lorsque l'on est pas concerné. »

Et oh, ses paroles sont ardentes, ces regards incisifs. Et il a soudainement l'air impressionnant, il s'est mis sur ses gardes trop rapidement, il aimerait retourner en arrière, peut-être, feindre l'innocence mais le voilà énervé, parce qu'il a l'impression qu'on le met sans cesse au défi, sans cesse dans ce besoin de prouver une loyauté à ces gens, à Carmen qui n'est même plus là pour voir combien il est encore avec ses amis à elle, alors qu'elle est partie sans un mot. Oh, non Esmée, tu ne repartiras pas avec les informations que tu recherches, et il semble évident qu'il ne te laissera d'ailleurs pas t'échapper sans avoir passé un interrogatoire. Quelle drôle de situation, quand elle se retourne contre soi, n'est-ce pas?

Oh cette véhémence n'a rien à voir avec les origines de la jeune femme, elle aurait pu elle-même venir du désert que tout se serait déroulé de la même manière. Mais Esmée avait un défaut qu'il fallait bien rectifier : elle avec la curiosité du danger, et Mars avait beaucoup de mal à croire que c'était chose anodine, dans une telle situation. Et elle se joue de lui, elle, n'est-elle pas celle qui demande des informations? Il les veut aussi, celles qu'il réclame, il a ce besoin de savoir en quoi, pourquoi, comment. Mais Esmée fuit la question et ce n'est pas la chose à faire, Esmée, ça le met en rogne, ça éveille ce besoin de se sentir en sécurité, celui de taper du pieds, de frapper du poing, mais. Mais il n'en fait rien, non, le temps lui a appris la menace du regard, la menace des paroles. Elle ne s'en sortira pas comme si de rien n'était, la petite curieuse, elle aurait peut-être l’égratignure collée à l'âme.

« Oh, vous ne voyez pas ce qu'il y a de mal à poser des questions sur des tueurs, sur des gens qui se battent pour le confort que vous avez dans votre petite maison bien douillette quand la moindre information qui fuse pourrait être dangereuse à leur égard? Je trouve cela bien présomptueux de votre par, n'est-ce pas? Ou est-ce de la naïveté? Pire, de l'idiotie? »

Il n'aurait aucune honte à l'avouer : il fait partie de cet organisme, il les côtoie, il les aide, il les entretient. Oh, Mars n'est pas inconnu des Révolutionnaires, loin de là, et si quelqu'un fourre son nez dans les affaires du désert, les informations seraient bien difficiles à dégoter. Mais le voilà qui sourit, il est bien confiant : peu de gens offriraient de telles informations sans un prix, ici. Il n'était pas bon samaritain, il pouvait aussi exagérer les faits, il pouvait faire peur à la jeune femme pour qu'elle se taise, si elle n'était, comme elle semblait l'entendre, qu'une demoiselle curieuse. Mais elle tente de s'enfuir, de l'esquiver, et le voilà qui lui barre la route, le voilà qui penche un peu le visage avec un faux air inquiet qui ne colle pas à sa figure, non.

« Vous savez, il y a les curiosités naïves d'enfants, celles innocentes qui ne font de mal à personne, et il y a les curiosité fatales, celles qui coûtent la vie d'innocents. La réputation de certains de ce groupe font froid dans le dos, vous feraient tourner le dos à vos convictions. Je pense qu'il serait sage de tourner la page, pas vous, d'abandonner ces idées. Et je vous le dit gentiment, moi, parce qu'il serait probable de tomber sur loup plus affamé, dans ce désert que vous semblez tant apprécier. »

Hyperbole, la gazelle se sauvera-t-elle, cette fois? Abandonnera-t-elle la partie?

Mars est sidéré. Fait-elle exprès, de ne pas comprendre ses propos, de tourner autour du pot? Se force-t-elle, à ainsi se moquer de lui? Il a cette impression qu'on lui retourne le cerveau pour mieux le digérer tout cru après, d'une bouchée le voilà mangé. Mais Esmée a cette manie de tout prendre pour acquit, et il commence à comprendre qu'elle n'est pas espionne (elle serait bien plus discrète, bien moins franche, bien moins idiote, à ne pas comprendre dans quoi elle s'engouffrait en posant toutes ces questions sans fin). Et oh, le voilà le rire, désolé, le rire de pitié, le rire du ridicule. Elle se moque de lui. Il ne voit aucune autre solution.

« Je crois que vous ne comprenez pas bien de quoi je parle. J'aurai beau travailler, j'aurai beau m'arracher chaque cheveu du crâne pour une cause qui n'est pas mienne, pour les gens qui réclament mes services, je n'aurai jamais de maison, de confort à proprement parler. Et si vous cherchez tant vos informations, je suis au regret, de, moi, vous informer que je ne chercherai aucune de vos réponses pour satisfaire une curiosité infantile et futile. Vous voulez savoir qui ils sont? Ce qu'ils font? Leurs plans, leurs démarches? Allez donc les chercher seule, allez donc vous jeter dans leurs gueules grandes ouvertes pour vous faire dévorer, déchiqueter si cela vous sied. Je ne vous suivrai pas pour une cause aussi inutile que la vôtre. »

Oh, il ment un peu, mais cela est imperceptible. Car on ne lui ferait rien, à lui, mais à Esmée? Il n'en était pas si sûr. Seulement il ne s'agissait que d'une sotte qui se prenait pour quelqu'un d'assez important pour récupérer quelques informations sur le compte d'un groupe alors même qu'elle n'en avait pas l'utilité. Il était temps qu'elle se réveille du monde de bisounours dans lequel elle semblait vivre, car tout n'était pas rose, car elle ne se rendait pas compte du danger dans lequel elle pouvait se mettre en posant de telles questions à n'importe qui. Mais plus que ça, si cette idiote récupérait véritablement des informations et qu'elle était informatrice, qui l'empêcherait de revendre ce qu'elle avait appris à quelqu'un qui voulait, lui, savoir véritablement?

« Il ne me semble pas avoir nommé le ridicule, ni même l'insulte, à vrai dire. Car je ne ressens aucune de ces deux émotions, loin de là. Cela n'a rien à voir. Les recherchistes dans votre genre pourraient bien finir au fond d'un ravin, morte, sans la moindre explication. Vous feriez bien de vous montrer plus prudente que cela, si vous ne voulez subir une fin tragique, car les petites curieuses dans votre genre ne sont que rarement les bienvenues, ici. »

Oh, il n'insinuait pas qu'il la pousserait dans le ravin de lui-même, non. Mais il espérait que la menace qui planait à présent, que son regard de glace et que son soudain rapprochement, comme pour l'écraser, comme pour l'amoindrir, lui ferait tourner la page, lui ferait changer d'avis. Il avait d'autres chats à fouetter, lui, qu'une idiote dans son genre. Il aurait la certitude qu'elle laisserait tomber.

«Je ne suis pas assez sot pour me jeter dans le ravin avec vous. »