Rage, rage, rage (bourdon). Tout se mélange, il y a cette envie de pleurer, cette envie de hurler, celle de simplement fuir, loin, de courir jusqu'à ce que le souffle lui manque, jusqu'à s'effondrer tout contre le sable et recracher ses poumons comme si, comme si, tout allait pouvoir s'arranger alors que tout allait si mal. Oh, oui, Mars a cette sensation d'essayer d'attraper de l'eau qui lui coule entre les doigts et il oublie ses inquiétudes à propos de Will, il oublie celles qui lui scient le cœur depuis qu'il a vu l'état pitoyable d'Andy, non, non, rien ne reste dans les décombres de ses songes que la sensation de trahison, cette envie de réclamer des comptes à celle qui l'avait amené avec elle dans cette folle aventure. Carmen. Oh mais elle s'est enfuie, petite souris, par honte, peut-être, par peur, sûrement. Il la poursuit. Il ne la laissera pas filer car il a la rancœur au bord des lèvres qu'il ne peut s'empêcher de laisser parler quand il la rattrape, quand ses doigts s'enfoncent dans les chairs du fin poignet, quand il la tourne vers lui et la collision de leurs regards débute en son âme des tourments qu'il ne soupçonnait guère, non.

Et il lui manque les mots, il lui manque toute cette volonté de réclamer des comptes qui bouillonne en lui quand il se contente de rejeter son membre comme si elle l'avait brûlé. Oh, elle pourrait bien pleurer que cela ne calmerait pas sa fureur, pas aujourd'hui. Il a toujours été trop gentil avec elle, toujours trop présent, toujours trop, trop, trop. Mais aujourd'hui, c'est fini. Il a l'impression qu'on l'a roulé dans la farine sans jamais sentir le moindre remord (et sait intérieurement que ce n'est que mensonge, qu'elle n'est pas comme ça Carmen, non, impossible). Alors il la foudroie du regard, alors il a envie de lui cracher son venin. Et ça déborde, ça coule, ça glisse. Tout seul.

« Tu comptais m'en parler? Tu comptais me dire, que tu t'étais bien foutu de ma gueule depuis tout ce temps, finalement? »

Et bien sûr, Victoire, celle dont il ne pouvait prononcer le nom car évidemment, Carmen en devenait livide, celle dont il n'osait mentionner les faits, celle dont le sujet était esquivé pour... Pour ça? Parce qu'elle était espionne à sa solde? Oh, quelle farce, quelle mauvaise blague, encore? Il a le rire nerveux, celui de l'incrédulité et bientôt, le voilà qui reprend, toujours aussi cruellement.

« Et tu l'étais déjà, n'est-ce pas, espionne de Victoire quand tu m'as demandé de ne pas te quitter? Quand tu me suppliais de rester avec toi? Quand tu voulais que je rejoigne les Révolutionnaires? Tu as bien ri, hein, tu t'en es amusée sous ton masque de larmes dont j'ai eu pitié? »

Tout est parti en vrille, et si vite. Les Révolutionnaires, leur groupe, a totalement implosé. Mais pourquoi leur groupe ? Parce que tu n’en fais plus partie, parce que tu n’en as plus la légitimité. Ton premier réflexe, après avoir avoué la vérité, avait été de t’enfuir. De partir le plus loin possible, mais… Tu ne peux pas fuir la vérité. Il y a bien une personne que tu ne peux pas fuir. Alors c’est bien pour ça que tu t’arrêtes, attendant qu’elle n’arrive vers toi. Tes yeux se retournent vers Mars.

L’homme qui est pour toi l’un des plus importants. Qui t’a aidé, qui t’a sauvé. Ton coeur accélère en voyant l’air colérique sur son visage. Tu ne supportes pas de voir ce genre de choses, et surtout pas lorsque la personne est en colère contre toi. Toi, Carmen, tu n’es qu’un être faible. Tout le monde peut t’écraser si aisément. Tu grognes un peu, mais contre ta propre faiblesse.

Mars est finalement devant toi. Tu soupires. Tu aurais préféré ne pas avoir à l’affronter maintenant. Tu aurais préféré que ça ne se passe pas comme ça. Tes cheveux encore à moitié bleus volent un peu au vent, tandis que tu secoues vivement la tête, quand il commence déjà à t’accuser de mille et unes choses.

« Non ! Bien sûr que non ! » Tu secoues la tête. « Bien sûr que je comptais t’en parler, Mars ! Mais… Comprends-moi, je t’en prie ! C’était dangereux ! » Comment pourrais-tu lui dire quelque chose de ce genre ? Que lui aussi, depuis cinq ans, on lui ment ? Que Victoire n’est plus vivante, mais qu’elle est bien morte ? Tu baisses la tête. Tu es l’espionne de Victoire. Rien que de repenser à ses mots, à son nom… Ton coeur se serre à nouveau. Comment pourrais-tu accepter une telle réalité ?

« Mars, je t’en prie… Tu dois me croire… » Tu t’avances doucement vers lui. Tes bras tremblent, et tout ton corps suit le mouvement. Cette douleur ressentie dans ton coeur grandit, à chaque seconde où tu le vois s’énerver sur toi.

« Non, je ne l’étais pas. Je le suis devenue après… Mais je n’avais pas le choix… Ma vie était en danger ! Je n’aurais pas pu refuser… » Tu as beau la détester, Valentine te terrifie. « Mars… S’il te plaît… »

Ne me déteste pas.

Il y a la raison qui murmure, Mars, à ton oreille, qui ne cesse de te rappeler qu'elle a raison, que le danger était sans doute présent si cela concernait Victoire. Avait-elle été enrôlée de force? Et pourquoi elle, alors? Pourquoi Carmen? Elle aurait tout aussi bien pu te demander de la suivre avec toi, de faire un double-jeu, comme elle. Et aurais-tu accepté, Mars, à l'époque? Aujourd'hui, la réponse était négative, c'est certain. Mais autrefois? Quand il n'y avait pas tous ces états d'âme, quand il n'y avait pas Will et ces tourments qu'il t'avait avoué, quand il n'y avait pas Andy et son passé, quand il n'y avait pas Orion. Peut-être que tous ces gens étaient le tournant de ses changements, de ces convictions abandonnées.Et aujourd'hui, la colère ne saurait se calmer face à Carmen qui réclamait presque son pardon.

« Tu baisses la tête comme si tu te demandais toi-même si tu me disais la vérité, Carmen. Crois-tu à tes propres paroles? »

Car lui, a du mal. Il a envie de calmer ces ardeurs qui tambourinent dans son cœur, il a envie de lui dire que, finalement, il préférait la pardonner plutôt que de la détester. Mais est-ce si aisé? Est-ce si facile, d'ainsi laisser un cœur s'apaiser? Oh, il aimerait la croire, sa pauvre amie, il aimerait la prendre de pitié, mais n'a-t-elle pas fait ses propres choix? Elle est assez grande pour savoir quoi faire, assez grande pour prendre ses propres décisions, pour tourner le dos à un groupe de personnes qui avaient confiance en elle, pourtant. Et il la regarde avancer, il la regarde avec ce visage fermé, ces sourcils froncés, ce regard froid, froid, glacial, nouveau, celui qu'il n'avait jamais porté sur cette femme qu'il avait pourtant en estime.

« Elle t'a mis un couteau sous la gorge, alors? Elle t'a demandé de tromper les autres? Elle t'a dit de mentir? Oh, tu sais, j'aimerais te croire, mais je commence à croire qu'on m'a tellement bien roulé dans la farine que j'ai du mal, beaucoup de mal, à te faire à nouveau confiance. Il a fallu que tu te retrouves à devoir avouer la vérité pour qu'on soit au courant. Et le pire, dans tout cela? Le pire, c'est que je pensais que tu serais probablement ma plus fidèle alliée dans ce groupe. Et que je me trompais. »

Et il a l'air blessé, il a la voix qui craque un peu, il a les poings serrés, la face décomposée. Carmen, pauvre enfant, n'as-tu donc laissé aucun espoir de réconciliation dans ce coeur-là? Peut-être les événements sont-ils encore trop frais pour que l'on s'en accommode, peut-être que Mars n'a pas eu le temps d'y réfléchir pleinement, mais il t'en veut tellement d'avoir ainsi brisé la confiance qu'il t'avait donné.

Tu as la tête baissée, comme si tu ne croyais pas tes propres paroles. Mais est-ce parce que tu ne les crois pas, ou alors est-ce parce que cette histoire te fait tant mal que tu es incapable d’affronter le regard de l’homme qui a été un jour ton plus fidèle ami ? Amitié que tu as brisée, en acceptant de rejoindre Valentine. En acceptant de rejoindre un imposteur, qui se faisait passer pour ta meilleure amie. Elle t’a brisé le cœur, et elle s’est servi des morceaux brisés pour détruire ceux qui étaient encore debout. Tu secoues la tête en entendant les paroles de Mars.

« Bien sûr que je les crois ! » Ta voix est presque brisée, terriblement douloureuse. Ton cœur te fait mal, ta gorge aussi. Et tu sens tes yeux se gorger de larmes en face de lui. Tes cheveux encore partiellement bleus qui volent au vent. « Tu crois vraiment que je me justifierais comme ça, et que je serais dans un tel état si je l’avais fait de sang froid ?! Je croyais que tu me connaissais un peu mieux que ça ! » Tu as beau être la fautive dans l’histoire, tu ne peux t’empêcher de te sentir blessée. Blessée que Mars n’ouvre pas les yeux et ne se rende pas compte que tu n’aurais jamais fait ça volontairement.

« J’ai fait ça parce que j’en étais forcée… J’aurais jamais fait ça volontairement… » Tu t’efforces de le regarder, de porter ton regard sur son visage, le haut de son corps. Mais tes yeux ne parviennent toujours pas à se plonger dans les siens. Tu fuis son regard, tu fuis ses yeux. Parce que tu as bien trop mal par rapport à tout ça. Tout ça te fait bien trop mal.

Tu secoues la tête, avant de recommencer à parler.

« Elle… Victoire m’a… » Ta respiration s'accélère, et ta voix tremble. Tu sursautes, des sanglots prennent ton corps. « Victoire est… » Peux-tu vraiment le dire ? Peux-tu vraiment le mettre en danger, alors que tu t’apprêtes à fuir ? Peux-tu vraiment lui dire quelque chose de ce genre ? « Ne l’appelle pas comme ça… Ne l’appelle pas par ce prénom… » C’est plus une supplique qu’un ordre. Elle n’a aucun droit à se faire appeler Victoire. Elle n’est pas Victoire. « Je t’en prie… Je ne peux pas t’expliquer, c’est dangereux, mais… Je n’avais pas le choix ! Je te le jure ! Que je me fasse foudroyer ici et maintenant, si ce n’est pas vrai ! Je te le jure, sur la tombe de-… » Tes paroles s’arrêtent immédiatement. Sur quoi allais-tu jurer, au juste ? Tu es bien trop perturbée.

« Crois-moi, Mars… Je t’en prie. » Tes yeux larmoyants parviennent finalement à se plonger dans les siens. Mais tu as mal, si mal. Tu espères tant qu’il comprendra. Tu espères tant qu’il viendra te prendre dans ses bras, comme avant.

Parce que tout ce dont tu as besoin aujourd’hui, c’est de chaleur humaine. Et pas qu’on t’écrase pour des choses qu’on t’a forcée à faire.

Oh, la trahison fait si mal dans le creux de cette poitrine. Ça serre, ça l'étrique, ça lui donne envie de crier, de hurler peut-être, de cracher son venin plus fort, plus, plus, plus. Il a envie d'être méchant, il a envie de lui hurler sa déception, à Carmen, de lui dire combien il espérait d'elle (pour qu'elle lui offre si peu). Au lieu de ça, le voilà qui sent sa gorge se serrer. Oh, comme ces paroles sont faciles, comme il est aisé de lui dire qu'elle espérait qu'il la connaisse mieux que cela. C'est comme de rejeter ses fautes sur un autre, quand tout ne peut être si aisé. Alors il a le rire un peu jaune, il secoue la tête de gauche à droite en soufflant du nez, parce que c'est une blague, c'est ça? Elle se moque de lui si profondément, dans ses paroles acerbes et ses exclamations. Contre Samson, contre Andy, contre Mars. Est-elle martyr?

« Moi aussi, je pensais te connaître un peu mieux que ça. »

Et il y a le remord, là, dans le fond de sa gorge, l'envie de rappeler que ce n'est définitivement pas de sa faute, à lui, si elle se retrouve dans cet état aujourd'hui. Oh, et ses lamentations tourbillonnent comme des insectes autour de sa tête, lui brouillent le cerveau et il a envie de lui aboyer de se taire, de se la fermer, d'arrêter de s'apitoyer sur son sort car elle est la source de la trahison, elle est celle qui a des choses à se reprocher et a-t-il envie de la croire? Il ne sait plus, il est perdu, il se sent désorienté, maintenant. Peut-être aurait-il dû chercher la présence de Will, finalement. Elle aurait été plus réconfortante, moins éprouvante.

« De quoi as-tu si peur, Carmen? Il n'y a que nous dans ces putains de dunes! Pas autre chose que des grains de sable, toi et moi! Et donc? Tu as peur qu'on te tue pendant ton sommeil parce que tu as été trop indiscrète? Tu soupçonne que l'on puisse t'en vouloir encore, d'avouer de nouvelles choses sur le compte de Victoire? J'ai envie de te croire, Carmen, vraiment, mais je ne sais plus si c'est le choix à faire, finalement. »

Et ses yeux sont intransigeants. Pauvre petite Carmen, ne sais-tu pas combien il est difficile de se faire de Mars un véritable ami? Il suffit d'une bourrasque trop forte, et le château de cartes s'effondre. Et le voilà à terre, les cartes éparpillées. Il faudra toutes les récupérer, pour le rebattir.

Oh, Carmen. Tu as fait une erreur monumentale en te dévoilant aux yeux de tous. Mais n’était-ce pas là la meilleure chose à faire ? Comment aurais-tu pu leur dévoiler la vérité à tous ? Comme cela ? Juste leur dire que tu étais espionne à la solde de Victoire était le meilleur plan. Et tu soupires, toi, éloignée du petit groupe, mais rapidement rejointe par Mars. Oh, Mars. Ton ami le plus proche. Et pourtant, aujourd’hui, celui dont tu as brisé le coeur. Tu trembles doucement, secouant la tête.

« Mais Mars… ! Je t’en prie ! Tu dois me croire ! » Comment peux-tu supplier qu’il ne te croie, toi, qui es une traîtresse ?

Cette douleur que tu ressens au plus profondément de ton coeur, cette envie de fuir, cette envie de te cacher, d’ignorer les appels à l’aide et d’ignorer l’appel de ton ami. Tu ressens tout ça au plus profond de toi. Et tu sais que dès que cette conversation sera terminée, tu prendras tes jambes à ton cou, et tu fuiras le Désert, encore une fois. C’est si douloureux de continuer de les voir, jour après jour, après avoir avoué leur avoir planté un couteau dans le dos.

Lui aussi pensait te connaître un peu mieux… Ta tête se baisse en entendant ces paroles. Un coup de couteau directement dans ton coeur. Mais tu ne parviens pas à lui en vouloir de remuer le couteau dans la plaie de cette manière. De continuer de t’attaquer. Peut-être ne veut-il pas te faire mal volontairement, mais quand bien même ce serait le cas, tu ne peux pas t’empêcher de souffrir à chaque mot qu’il prononce. Tu soupires alors longuement.

« Mars… »

Sa tirade commence. Des mots douloureux. Si douloureux. Tes poings se serrent, ton corps tremble tout entier. Tu finis par redresser le visage, les yeux pleins de larmes. Tu t’avances vers lui, pour l’attraper par le col, et tu le regardes droit dans les yeux. Tu trembles, tu sens ton coeur palpiter et manquer d’exploser.

« Tu veux savoir la vérité ? La vérité à tout ça, Mars ? Pourquoi j’ai fait ça ? De quoi j’ai peur ? Eh bien j’ai peur de la Reine du Marché Noir. De la véritable Reine. » Tu le relâches, mais tu ne t’éloignes pas le moins du monde. Tu laisses les larmes couler, encore. Faible âme que tu es.

« J’ai peur d’elle… Parce qu’elle n’est pas ma meilleure amie… Victoire, ma meilleure amie… » Tu trembles, tu as mal. « Victoire est morte. Celle qui se fait appeler Victoire n’est pas la vraie Victoire. Elle est un imposteur. Une menteuse. Une fausse personne. Elle se cache derrière l’identité de ma meilleure amie. Je le sais car… Car je l’ai vue. Et je sais qui elle est. Et je sais de quoi elle est capable. Et je voulais pas vous mettre en danger. »

Tes larmes coulent, ta langue claque.

« Est-ce que tu es content, maintenant ? Tu voulais savoir. Eh bien maintenant, tu sais. Tu sais pourquoi j’ai failli me tuer, quand tu es venu me trouver. Parce que Victoire est morte. Et que j’ai couru pendant cinq ans après une personne qui était déjà morte. »

Tu trembles, tu souffres. Et tu laisses finalement la pression redescendre. Tes larmes coulent à nouveau.

« Et parce que j’étais seule. »

Mais tu sais, ça n’est pas que du passé. Encore aujourd’hui, tu es seule, Carmen.

Oh, ce sont les plaintes de Carmen qui ainsi souffrent dans son cœur, petit poison dissimulé. Elle était si douce amie, elle était si belle floraison de ses sentiments. Celle à qui il s'ouvrait un peu plus qu'aux autres, celle à qui il offrait plus de paroles, celle en qui il avait tant confiance en ces landes brûlées. Et maintenant? Maintenant, que dire, que faire? La renier, la laisser traîner dans un coin sans jamais revenir la voir? Il souffrait déjà de ce mal-être à eux deux, il ne pouvait s'imaginer telle situation. Oh, il reviendrait probablement vers elle, un jour, mais il était meurtri, il ne savait s'il pourrait se permettre de faire cela dès maintenant. Et il ferme les yeux, car il devrait la croire, vraiment, mais il y a ce blocage, pour le moment.

Explosion. Ce sont ces yeux-là, plantés dans les siens, meurtriers, assassins (ceux de ses songes). Et les paroles coulent à flot, mais il ne les comprend pas (encore) vraiment. Il n'est pas certain de voir où Carmen veut en venir. A-t-elle des histoires avec Victoire? Il n'était pas même au courant du fait qu'elles aient pu être si proches, qu'elles soient amies, qu'elles aient un tel passé semble soudainement si évident à pourquoi ses paroles. Et pourtant, il ne comprend rien à son charabia car elle n'est pas claire, car elle n'exprime aucunement les vérités qu'il attend, celles qui résonnent en Carmen en écho, celles qu'elle refuse de prononcer entièrement, paroles à demi déliées. Et il y a de la pitié, et il souffle en détournant la tête, en se pressant l'arrête du nez, en se frottant les yeux, en attachant ses propres paumes dans sa nuque. Il n'a plus les mots, il ne sait plus quoi faire, quoi penser.

« J'ai besoin de réfléchir. »

C'est la simple vérité. Tout est trop frais, toutes ces réalités. Oh, il sait qu'elle ne ment pas, il comprend le danger, mais... Il s'en fiche. Il aurait aimé pouvoir l'aider depuis le début. Mais encore une fois, il n'était pas là, pas vraiment, il n'était que figurant dans cette histoire. Mais là n'était pas le souci : il était simplement qu'il n'avait su être entièrement présent pour Carmen. Mais le contraire était aussi vrai. Et si elle était si seule, il n'était sûr de pouvoir la rassurer en ce jour. Il lui faudrait du temps.

« J'aimerais te dire que ça change tout, mais la réalité est simplement qu'il me faut du temps pour réfléchir à tout ça. Pas seulement sur ce que tu viens de m'avouer, sur ces réalités que tu avais caché, mais sur ton comportement. Le mien, aussi. Donne moi du temps. Je ne peux décemment pas être ton soutien aujourd'hui, comme j'ai pu l'être l'autre fois. Et je ne m'en excuserai pas, cette fois. »

Parce que Carmen est assez forte, aujourd'hui, pour surmonter ça. Elle est assez forte, et elle n'est pas assez idiote pour simplement abandonner comme ça. Il espérait qu'elle comprendrait.

Tu te plains. Encore. Tu as peur. Encore une fois. Tu es incapable de voir les choses qui sont en face de toi. Toujours positionnée proche de Mars, tu finis par esquisser un mouvement de recul, après l’avoir relâché, et après lui avoir littéralement craché la vérité au visage. Tu recules, toute tremblante. La douleur qui prend ton cœur continue de grandir, mais tu essaies de la cacher. De ta manche droite, tu viens essuyer les larmes qui ont coulé sur tes joues, et tu frottes tes yeux déjà un peu rougis par les pleurs que tu viens de générer, à cause de cette douleur infâme que tu ressens au plus profondément de toi.

Tu sais bien qu’il n’y croira pas immédiatement. Qu’il ne croira pas immédiatement à toutes ces choses, bien que ce soient la vérité. Après tout, tu viens seulement de lui révéler que Victoire était ta meilleure amie. Qu’elle était une femme terriblement importante pour toi. Et aujourd’hui, tu lui apprends qu’elle est morte, et qu’une autre a pris sa place. Tes bras tremblent encore, tu secoues vivement la tête. Puis tu t’arrêtes, serrant doucement les poings.

Et tu acquiesces. Comment pourrais-tu lui en vouloir de vouloir prendre du temps pour réfléchir à tout cela ? Après tout, il reste une personne importante pour toi. Une des personnes que tu ne veux en aucun cas perdre. Tu essaies de retenir tes pleurs, de paraître forte. D’une main tu viens passer tes cheveux derrière ton oreille, et tu redresses la tête vers Mars.

« Mars… Je suis terriblement désolée. Je sais que tu ne me crois peut-être pas, mais je te garantis que c’est la vérité. Victoire était ma meilleure amie, lorsque nous étions sur Terre. Mais je l’ai perdue en tombant ici. Je lui ai couru après pendant cinq longues années, avant de me rendre compte qu’elle était en vérité morte. Et que la femme que je voulais rejoindre n’était qu’un imposteur. » Par réflexe, tu esquisses déjà un mouvement de recul. Tu soupires doucement. Tu sais que ça lui remontera aux oreilles, quoiqu’il arrive. « Je… Je vais quitter le Désert. Prends tout le temps pour y réfléchir. » De toutes façons, que pourrais-tu dire d’autre ? Comment pourrais-tu exiger qu’il te croie sur parole ? Tu as menti, à tout le monde.

« Je tiens à toi. Je ne veux pas te perdre. » Tu soupires doucement, avant de relever la tête, pour lui adresser un sourire. Un sourire pourtant terriblement triste.

« Je suis heureuse de t’avoir rencontré. »

Et d’un mouvement brusque, tu te retournes. Tu t’éloignes. Tu ne peux pas rester plus longtemps en sa présence. Tu sens que ton cœur va exploser.

Va-t-en. Tu reviendras quand tu seras prête à l’affronter.

Il y a dans sa tête les questions qui ne cessent de s'abattre sur lui, il y a dans son crâne les doutes, les plaintes, cette sensation que tout ce qu'il avait pour acquit n'était en vérité que mensonge dissimulé derrière une demi-vérité. Alors le voilà qui observe Carmen sans savoir quoi dire, qui se demande si s'éloigner du Désert la sauverait réellement, si elle ne risquerait quand même rien en s'enfuyant ainsi (telle une voleuse). Il a le doute au fond de la gorge, qui ne se prononce pourtant pas (c'est trop dur, ça fait mal rien qu'à l'idée de formuler les doutes). Alors Carmen se retourne, alors il y a ses derniers mots qui résonnent en lui (insoutenable, c'est le murmure de vérité, celui-là, il le sait (l'espère)). Veut-il la perdre, lui? Non. Certainement pas. Alors il se contente de souffler, se contente de tourner la tête vers l'horizon pour détacher son regard de la silhouette de Carmen, pour une fois. Il n'a pas dit mot en l'entendant plaider son innocence (sa vérité), mais, à présent, il se demande s'il n'aurait dû le lui dire.

« Ne te perds pas non plus. »

Murmure perdu dans les dunes, envolé. Elle ne l'entendra jamais, mais c'est bien sa poitrine lourde qui cherche à se décharger. Oh, il tient aussi à elle, mais n'est-il pas trop tard pour l'avouer?