La Mongolie, la terre qui l’aura vu naître, mais qui ne l’aura pas accueilli bien longtemps. Il n’a pas vécu en plein milieu des traditions, sa famille n’a pas souhaité lui imposer ce rythme de vie de nomade. Alors il est né à la capitale, Oulan-Bator, là où la vie est la même qu’ailleurs. Tout se passe vite, on est pressés, on garde ses propres fêtes et on honore l’identité de son pays sans pour autant s’isoler dans les terres montagneuses. On troque les beaux paysages pour du béton, une vie bien moins sereine selon certains, mais ça n’empêche pas d’avoir une belle vie.

Yul n’y aura pas vécu bien longtemps, dans ce beau pays. Il avait cinq ans à peine quand ses parents se sont décidé de déménager à Yongin, en Corée du Sud, pour des raisons qui leur sont propres. Peut-être qu’ils voulaient changer d’air, quitter ce pays pour de bon pour s’engager sur de nouveaux projets, mais également pour que leur fils grandisse ailleurs qu’en Mongolie. Ils avaient déjà prévus d’ouvrir un restaurant de spécialités, alors ils ont quitté leur petit train-train quotidien pour aller s’installer dans un autre pays, non sans avoir pris des mois pour tout organiser. Le petit garçon ne comprenait pas tout, mais il n’avait pas tant d’attaches, alors il est parti sans faire d’histoires avec eux, presque curieux de voir où il allait atterrir.

À Yongin, c’était vraiment tout autre chose. Lui, qui pensait déjà voir ses parents charbonner comme jamais, ils ont redoublé d’efforts pour ouvrir leur restaurant et vivre de leur passion culinaire. Yul, de son côté, n’a pas eu une vie transcendante. Il a grandi, il s’est fait des amis, des ennuis, il a toujours essayé d’être le meilleur, mais il y avait toujours meilleur que lui. Toujours des gens plus brillants, qui lui faisaient de l’ombre. C’était dommage, mais ça n’allait sûrement pas l’arrêter. Il se voyait déjà aider sa famille à tenir le restaurant, mais finalement, il s’est tourné vers les plateformes de streaming, là où il pouvait espérer sortir de l’ombre. Et ça a eu un peu de succès ; si, au début, Yul se concentrait à montrer ses performances douteuses sur divers jeux-vidéos, puis il a fini par se mettre en tête que le social eating, c’était bien plus efficace.

Et qu’est-ce qu’il pouvait manger le garçon, pendant des heures s’il fallait juste pour pouvoir se démarquer et discuter avec tout ce beau monde. Il aurait presque pu faire son métier, mais avant, il fallait qu’il termine ses études de commerce qu’il payait soit en aidant ses parents, soit en terminant ses soirées en tant que barman. Il adorait ça, vraiment, et c’était presque touchant d’être parfois, rarement reconnu dans la rue.

Malheureusement, le Kamikakushi a dû le forcer à changer drastiquement de façon de vivre… Un peu comme tout le monde en fait. Du jour au lendemain, il a préféré cesser son activité sur internet, et il s’est tout de suite mis en tête d’aller aider sa famille qui comptait plus que tout au monde. Il a fallu s’adapter, assister au déclin de cette pauvre terre qui la rongeait au fil des années. Si, au début, ils ont préféré rester à Yongin, ils ont dû quitter la ville de peur d’être atteints de la maladie, ou pire, de périr de la main de ces monstres qui fleurissaient petit à petit.

Yul, au milieu de tout ça, n’avait qu’un mot à la bouche : famille. Encore et encore, il n’a jamais cessé de l’aider. Ils sont allés s’installer là où l’entraide était de mise, à quelques kilomètres de la capitale, en espérant qu’on ne les retrouve pas. Ils auraient pu se retrouver dans un coin perdu au milieu du pays, dans la campagne, n’importe où mais il y aurait probablement eu plus de sacrifices. Sa mère, entre temps, n’a jamais récupéré depuis l’événement. C’était comme un déchirement, alors qu’elle-même n’a jamais vécu la chute. Mais quelque chose la rongeait, l’avait changée du tout au tout ; elle était moins douce, moins attentionnée, mais elle restait sa mère, la femme de sa vie.

Cinq ans plus tard, il a fallu qu’il chute. Qu’il prenne des risques pour ne pas avoir à vivre l’horreur. La famille s’était rendue jusqu’au gouffre de la capitale, probablement par simple curiosité, pour espérer comprendre ce qu’il s’était passé. Et c’était moche, très moche, de voir le vide à perte de vue. Au loin, ils pouvaient voir des choses monstrueuses, qui les hantait dans leur sommeil. Les transcendés. Mais rien de leur côté, et tant mieux. Les parents se sont penchés pour observer, mais Yul les a attirés vers lui, de peur qu’ils ne sombrent. Et ce simple geste avait agacé la femme qui montrait déjà des signes très inquiétants, et ce, depuis quelques jours.

Il n’avait pas vu le changement sur la durée, il refusait de croire sa mère malade ou quoi que ce soit, et son père n’a cessé de lui raconter des salades. Il le rassurait, mais le voilà qui devait faire face à une femme hystérique, perdant le contrôle de ses émotions. On aurait dit qu’elle avait peur, puis qu’elle était furieuse, il a crié, il a cherché de l’aide, mais c’était déjà trop tard. Le mari allait payer le fait d’avoir espéré que sa femme guérisse, subissant les premiers coups. Et le garçon s’est jeté sur sa mère en l’appelant, refusant qu’elle fasse de mal plus longtemps à son père. Alors il fut la nouvelle cible de choix. Ils auraient pu courir tous les deux, ils auraient pu la pousser, mais sa force était telle qu’ils n’ont rien pu faire. Alors ils ont décidés de tomber, d’abandonner la femme hystérique, car pour eux, c’était la seule issue.

Elle les a suivis.
Et il n’y a eu qu’un seul survivant.

À son arrivée, les recruteurs ont très vite repoussé le garçon. Yul aurait pu errer dans le désert, comme bien beaucoup d’âmes malheureuses, mais finalement, c’est Caer qui a pris le risque de se mouiller pour le recruter. Si, au début, il était sceptique, il s’est finalement dit que la vie dans ce royaume serait plus confortable qu’au milieu du sable… Sans compter les autres avantages. Alors il a accepté l’offre, non sans avoir fait une petite remarque aux autres recruteurs, suivant la tradition familiale malgré son chagrin en aidant un restaurateur à cuisiner les plats à volonté qu’il proposait dans son établissement.

À la fin de son service, il pouvait toujours piocher dans ce qui n’avait pas été dévoré.