Tout le monde fait des erreurs dans la vie. Parfois, des plus grosses que d'autres. Parfois, on les aperçoit à peine. Mais celle-ci, il s'était un peu sentit paniquer sur le coup. Parce qu'il avait eu une course à faire, avait acheté le cristal demandé pour un client, et puis... L'avait absorbé par mégarde. Le problème? Aucune idée de ce que c'était, et il s'en retrouvait bien idiot, maintenant qu'il était devant la maison d'Orion, le seul bien au courant de ce qui était arrivé. Même un mois seulement après que le jeune homme soit sorti de l'hôpital, et malgré le fait qu'ils se soient considérablement rapprochés, il savait que cela ne l'empêcherait pas de se moquer. Et il y avait de quoi, car, maintenant, il hésitait même à toquer pour entrer.

Quand la porte s'ouvrit finalement, il le salua avec un sourire (plus une grimace, à vrai dire), et puis il entra. Un peu gauche, un peu comme si sa maladresse s'était aggravée depuis la veille (qu'il avait absorbé le cristal). Il avait envie de croire que c'était quelque chose d'anodin, mais s'il se retrouvait avec des effets secondaires qu'il ne savait gérer comme la première fois qu'il avait absorbé le cristal... Il préférait ne pas y penser.

« Je vois ton air moqueur, tu sais. Tu le caches très mal. »

Oh, oui, le temps avait aussi apporté ça : il déchiffrait bien mieux (même si Orion était facilement lisible) les émotions de son ami. Surtout qu'il l'invitait approximativement toutes les semaines à rester aussi longtemps qu'il le souhaitait dans sa maison. A ce rythme là, il allait commencer à croire qu'il était ici chez lui. Mais il ne fallait pas trop se faire d'illusions.

« Et avant que tu ne poses la question, non je n'ai toujours aucun indice de ce que ce nouveau cristal me permet de faire. »

Il ne le dit pas, mais... Il est un peu inquiet, quand même. Lui qui s'était dit qu'il ne ferait jamais rien d'autre que de communiquer par la pensée, à présent qu'il était plus ou moins guéri de ses pertes de connaissance, le voilà avec un nouveau don à apprivoiser sur les bras. Et il ne le montrait jamais vraiment, mais il était nerveux. Peut-être que cela se voyait sur son visage, sur la tension dans ses épaules.

« Et sinon, toi ça va? »

Peut-être pour se détendre lui-même, la question.

Ce n’est plus rare maintenant, que ce soit Mars qui envoie un message en premier - quand il trouve du réseau du moins. Ce n’est plus rare maintenant, qu’il se présente à sa porte et reste quelques jours. Ça fait un mois à présent, et il n’y a rien au monde qui le dérange moins.
Mais cette fois là est un peu différente du « entres, tu veux un thé, un café ? Installe-toi, tu connais la maison » ou autres variantes, non cette fois Mars est devant lui, épaules tendues, sourire crispé, un trait expressif dans l’angle de ses sourcils et les courbes de ses yeux. Alors Orion ne ferme pas tout de suite la porte. Il s’appuie un moment dans l’encadrement, comme si de rien n’était et le regarde de haut en bas, les bords de la bouche relevés dans un sourire qui soulignait toute la raillerie qui se trouvait dans ses yeux.
Il pouffe d’un rire bref en refermant le battant.

« Ah mais je me moques ouvertement de toi, Marsou »

Oh il peut imaginer l’inquiétude. Il la voit aussi sur son visage, à Mars, mais c’est plus fort que lui, c’est juste trop bête.
Il la comprend, aussi : ses pensées s’attardant sur un souvenir vieux de quelques mois, celui de Mars étendu entre deux étals.
Mais prendre tout ça à la dérision est aussi sa manière de dédramatiser la situation, et malgré les effets secondaires possiblement pénibles, tant que ce n’est pas un cristal de trop (ce n’est pas le cas, Mars est debout devant lui), au final cela ne lui ferait jamais grand mal.

Orion s’avance dans la pièce, dépasse l’Oublié pour se diriger vers la cuisinette encastrée dans un coin du salon. Il prend le plateau qu’il a préparé (deux tasses de thé, du sucre, deux cuillers et des madeleines) et s’en va le poser sur la table basse entre le canapé et la cheminée, leur coin habituel.

Il rit encore un peu. « Donc tu te retrouves avec un cristal mystère et un client pas content. C'est cocasse. Comment tu as réussi ton compte ? » Il est au courant des activités de l’Oublié, du moins ce ce qu’il a voulu lui en dire et Orion n’en pense pas grand chose. Il fallait ce qu’il fallait, au Désert.
En tapotant la place à côté de lui, il l’invite à prendre place à côté de lui. C’est agréablement naturel - Orion affale son dos sur le dossier, les talons sur le bord du canapé. « Oh, la routine. Le stage, les cours, les escapades, rien de spécial, donc ça va. » Et c’est vrai, ça va mieux. Ce n’est pas le moment de parler du vide qui se fait lourd chaque fois qu’il se rend en cours et que Meish n’est pas là. Qu’il se réveille parfois à des heures ridicules, des flash de monstres grotesques et de corps étendus ensablés dansant encore derrière ses yeux - Mars doit avoir les mêmes. Peut-être.

Quand l’Oublié prend place, il se tourne vers lui, le bras accoudé au coussin du dossier. « Tu veux qu’on essaye de trouver ce que c’est ? Sans détruire mon salon au passage, si possible. »

Il a presque envie de jouer le gamin capricieux et de lui tirer la langue, quand il avoue ne même pas se cacher : il se moque bel et bien. En réalité, il y a de quoi, mais il faut bien avouer qu'il est partagé entre amusement et inquiétude. Alors il se contente d'une petite grimace en sa direction, qui plisse le nez, qui plisse les yeux. Il a bien envie d'être dramatique et de s'installer comme s'il s'agissait de ses derniers instants de vie, mais... Ce serait bien trop nutritif pour Orion, qui trouverait le moyen de se moquer, plus encore. D'ailleurs, le petit surnom ne le faisait même plus tiquer, bien qu'au début, il ait bel et bien grogné. Peut-être était-ce, après tout, quelque chose qu'il appréciait plus qu'il ne l'avouait.

« Trop aimable, je savais que je pouvais compter sur toi pour venir pleurer sur ton épaule. »

Le regard suit les mouvements d'Orion, presque aimanté à sa figure, c'est une autre habitude. Quand l'autre bouge, il a ce réflexe de lui lancer au moins un bref coup d’œil. Et il faut croire que l'Astre avait déjà tout prévu de son arrivée, étant donné qu'il y avait le thé de prêt. Malgré l'ironie de ses paroles, il s'installe finalement, posant ses mains sur ses cuisses, le regard déjà tourné vers la boisson chaude, fumant sur la table.

« Le pire dans tout ça, c'est le cristal mystère. Le client pas content n'a pas eu d'autre choix que de ne pas me payer, voilà tout. Et au final, je l'ai acheté et je me retrouve avec ça dans le sang. On devrait me médailler. »

Il ne sait pas vraiment si Orion allait se moquer de sa situation. Peut-être devrait-il déformer un peu la réalité? Pour paraître moins idiot... Mais ça le serait bien plus, alors le voilà qui se passe une main dans les cheveux défaits (a-t-il oublié son élastique?) et commence à expliquer.

« Au début rien d'alarmant, j'achète le cristal, je le mets dans ma poche. Et puis je le sors un peu plus tard, pour voir quand même la marchandise. Le tissu s'est défait, et comme un con j'ai voulu le rattraper à mains nues. Stupide réflexe. J'ai pas vraiment osé confronter le client, en fait. J'ai juste dit que j'avais pas la marchandise... J'aurais dû lui demander de quel cristal il s'agissait. »

Mais en plus de ne pas avoir eu assez de neurones pour le faire, il serait idiot de le demander maintenant, le client se poserait des questions, sûrement. Ce qui le rassure, pourtant, c'est de savoir qu'au moins, Orion va bien. Il sait qu'il a (probablement) des séquelles de l'accident, encore. Lui-même fait de mauvais rêves. De sa mère, de monstres. Mais il ne pose pas de questions, après tout ils n'en ont pas besoin. Peut-être que le soutien silencieux entre les deux suffit, après tout. Mais il n'a pas vraiment le temps de lui dire qu'il est bel et bien rassuré qu'il lui fait sa proposition, et Mars le regarde un peu sceptique. Il s'assoit un peu en tailleur, s'installe un peu mieux aux côtés d'Orion (prend littéralement toute la place).

« Et comment on fait ça? J'essaye de voir dans le noir? De passer dans ton miroir de salle de bain? »

Tant de possibilités, il se demandait s'il n'aurait pas l'air un peu con, à tout essayer. Alors il rejette la tête en arrière en soupirant.

« Mais quel idiot... »

Durant tout son infortuné récit, Orion le regarde en silence, attentif. Il y a de la frustration dans le ton de sa voix et dans ses mots (parfois désobligeants envers lui-même, l’Astre fronce un peu les sourcils à chaque fois), de la tension dans ses membres, alors Orion laisse tomber la raillerie pour un visage plus neutre. Il regarde ses mains quand il les mentionne, remonte à son expressions troublée immédiatement après.
Il imagine assez mal Mars maladroit dans ses gestes, ne l’a jamais vu l’être, peut-être se trompe-t-il ici. Peut-être était-il fatigué, sur les nerfs ? Orion ne peut pas s’empêcher de se demander si une telle erreur (sans réelle gravité, mais tout de même, c’était quelque chose) est le reflet d’autre chose.
Il ne lui a pas demandé comment il allait en retour, ça aurait simplement retourné le couteau dans la plaie quand il y avait une détresse évidente.

Il termine son histoire, s’affale confortablement à son tour dans le canapé et Orion sourit un peu - même si c’est sous l’effet de la frustration, il préfère le voir se détendre un peu ainsi plutôt que de le voir toutes épaules crispées.

« Dis pas ça. »

Cette fois, son expression, bien plus franche que la moquerie, se fait compatissante. Il se tourne totalement, se redresse en tailleur face à lui, et pose le bout de ses doigts sur le genou de l’Oublié qu’il peut atteindre. « Ça arrive, j’imagine. Et puis ça aurait pu être pire. » Il laisse sa main posée là un instant, et Orion ne se pose pas vraiment de questions. Ce n’est pas la première fois. Il ne l’a pas exactement remarqué lui-même - il est tactile avec lui. Pas à la moindre occasion, pas tout le temps, mais ça ne le dérange pas, ça vient tout seul. Les épaules qui se frôlent s’ils marchent côte à côte, ses doigts qui tapotent son bras pour attirer son attention, les jambes qui se touchent quand ils sont assis là (c’est que Mars a tendance à s’étaler, parfois). Parfois, il repense à sa visite à l’hôpital. Il y pense beaucoup, en réalité, avant de s’endormir.
Cette fois-ci c’est une extension de ce qui se trouve dans ses yeux : l’Oublié a besoin d’un brin de réconfort, alors il lui en donne. C’est aussi simple que ça. « Tu vas bien au final, c’est le principal. C’était pas un cristal en trop, et ton client ne t’a simplement pas payé et c’est tout. Ça aurait pu vraiment mal finir, mais ce n’est pas le cas. » Puis il retire sa main, lève l’index, s’approche un peu avec un faux air mécontent, les yeux baissés vers son visage qu’il a rejeté vers l’arrière en soupirant un peu plut tôt. « C’était un accident, tu n’es ni con ni idiot. Si tu le redis... attention » Menace dans le vent... peut-être.

Cependant, Mars soulève une vraie question : comment.
Orion se contorsionne un peu pour attraper l’une des deux tasses, cherchant un instant une réponse dans le mouvement du thé et sa vapeur blanche avant de prendre une gorgée. Il n’est même pas sûr de connaître par cœur tous les cristaux existants.

« Peut-être que tu pourrais essayer d’en trouver la nature, déjà ? Tu es télépathe, donc j’imagine que tu pourrais essayer de voir si c’est un cristal plutôt mental. Même chose pour un don élémentaire ou plutôt physique ou quelque chose comme ça ? Et voir si tu sens que quelque chose a changé » Une grimace. « Si ça fait sens. »

Il y a la tête qui dodeline pour voir le visage d'Orion, pour observer ses traits quand il se met à parler. Et il a un peu raison, ça aurait pu être grave, et il est un peu dramatique; mais il n'a pas envie de revivre les mêmes aventures qu'il avait pu avoir lors des utilisations de son premier don. Très handicapant. Le contact a quelque chose de rassurant (Orion l'est, tout simplement), et ses yeux glissent sur ses doigts un instant, avant de retourner à son visage. Peut-être qu'inconsciemment, la raison pour laquelle Mars se sentait si à l'aise d'ainsi étendre son corps était simplement qu'il pouvait obtenir quelques contacts réconfortants de la part de son ami. Et puis, finalement, il acquiesce vaguement, laisse ses yeux divaguer jusqu'à apercevoir le doigt du coin de l’œil, sourire, rire, le regarde un peu malicieusement. Oh, vraiment, ça détend de se retrouver dans ce salon, comme d'habitude. Il hausse les sourcils un peu en voyant Orion approcher.

« Ah, pardon, j'avais oublié le pas d'injure dans cette maison. »

Il faisait évidemment exprès de faire mine de ne pas comprendre le sens premier de sa menace. Il avait effectivement tendance à se donner quelques surnoms mignons lorsqu'il faisait une bêtise (ou ce qu'il jugeait en être une, comme à cet instant). Il souffla en secouant la tête, parce que ce n'était évidemment pas un cristal de trop.

« Ce n'est que le deuxième que j'absorbe, si j'étais mort sur le coup, ç'aurait été un comble, quand même. »

Peut-être le drame de sa vie, finalement. Il relâche finalement Orion du regard pour observer face à lui, prendre une gorgée de thé et s'appuyer de nouveau sur ses cuisses. Il faut bien arrêter de se morfondre, alors le voilà qui suit les conseils d'Orion, qui essaye d'employer son don, qui tente de fait comme s'il allait commencer une conversation télépathique, et puis... Peut-être bien qu'Orion reçoit un déferlement de paroles dans son crâne, un peu sans queue ni tête, de pensées au hasard, de grognements mécontents, de "concentre toi", de "ça fonctionne pas", de "oh bordel", de "oups", finalement. Et il se tourne vers Orion, un peu inquiet en se rendant compte de ce qu'il vient faire, et pose une main sur la tête du blond, comme si ça allait changer quelque chose.

« Désolé, ça a un peu dérapé. Ça va? »

Il souffle par le nez, et secoue la tête. Finalement, l'Astre n'a définitivement rien. Mais il n'avait pu s'empêcher de penser que peut-être cela aurait ressemblé à ce qu'il avait pu vivre avant, en entendant tout le monde répondre à ses interlocutions en simultané.

« Je ne crois pas que ce soit quelque chose qui se passe dans ma tête. »

Il pouvait au moins accéder à cette conclusion.

Le regard en biais qu’il lui lance en attrapant sa tasse par l’anse est très clair : « fais pas genre de pas comprendre, » aussi fort que s’il l’avait prononcé à voix haute. Puis, une nouvelle grimace : « t’as de la marge mais on va éviter ça, hein. » Parce que cette erreur, dans d’autres circonstance, aurait pu être fatale et ça aurait été tout de suite beaucoup, beaucoup moins drôle.
Cette pensée lui fait soudain un peu froid dans le dos. Oh, il sait très bien que Mars sait très bien prendre soin de lui-même, que c’était un accident... un accident. Ça peut être si rapide. Rien n’est acquis. Si ce n’est pas ci, ça peut être ça. Pour lui aussi.
Mais c’est normal, c’est comme ainsi, et là n’est pas le moment d’avoir une petite crise existentielle, alors Orion-qui-pense-trop retourne son attention vers l’Oublié. Heureusement qu’il a reposé sa tasse de thé sur le plateau car bientôt, il sursaute.

C’est la première fois que ça arrive de cette manière, alors sur le moment il ne comprend pas vraiment ce que c’est : soudainement, la voix de Mars est claire dans sa tête, résonne bien différemment que lorsqu’il parle. D’ailleurs il ne parle pas. Mars a le regard braqué devant lui, les lèvres immobiles, et l’Astre finit par comprendre après la pléthore de « hein ?? » et de « il se passe quoi ? » incrédules qu’il a dû lui répondre. Tout s’arrête rapidement mais Orion reste là un peu bêtement, et bientôt l’Oublié a la main sur le côté de sa tête, un peu dans ses cheveux. En revanche, il lui répond immédiatement : « Et toi ? »
Mars lui fait face, il est juste là - il peut l’observer facilement, alors c’est ce qu’il fait. Il cherche ; une trace de rouge sous son nez, sur sa bouche (il n’y a rien), l’indice d’une douleur dans ses yeux, l’éventuel froncement de son nez, une tension dans l’extension de son bras qui disparaît de son champ de vision à côté de son visage(rien).
Quand il est sûr que Mars va bien, il se laisse aller à un sourire (il ne cherche pas à se dégager). « Ça va, c’était juste surprenant. » Et, après coup, assez cool, en fait. Cool, c’est exactement le mot auquel il pense.
(Il n’a eu aucun geste de recul, Mars s’est pourtant approché si soudainement après avoir été dans sa tête. Peut-être qu’il s’améliore. Peut-être qu’il s’y fait. Peut-être qu’il sait qu’il ne lui arrivera rien, pas avec lui.)

« J’imagine que non, » fait-il dans un souffle, le sous-entendu d’un rire. « Ça raye pas mal de possibilités. » C’est donc une avancée.

Les doigts se retirent de ses cheveux, les siens attrapent de nouveau la tasse de thé et maintenant, son regard est fixé sur l’Oublié, pas exactement comme avant. Il boit une gorgée, les yeux fixés sur sa figure comme s’il regardait une équation, comme s’il avait placé deux petites plaques de verre dans les cales du microscope et qu’il observait ce qu’il y avait entre.
Si ce n’était pas la tête, ça pouvait être son environnement. Il y a une cheminée qu’ils peuvent utiliser - trois murs de brique, endroit isolé. Des objets légers - feuilles de papier, élastiques à cheveux (Mars en laisse traîner quelques uns derrière lui parfois).  

« Souvent... » Ah, il lui vient une idée. « Je sais pas si c’est le cas pour tout le monde mais il me semble que souvent, surtout avec des nouveaux cristaux, ils peuvent se manifester sous une émotion un peu forte. Par exemple, si je suis surpris façon jumpscare, je fais des étincelles. » Peut-être que Mars voit les roues qui tournent dans sa tête. « Peut-être qu’au lieu de le chercher, on peut essayer de le provoquer. » Mais ça, c’était à Mars de décider.

A dire vrai, depuis qu'il contrôlait mieux son premier don, il avait l'impression que déraper ainsi était presque improbable. Et pourtant, voilà qu'il venait en quelque sorte de forcer sa paroles dans la tête d'Orion. Il n'aime pas vraiment ça, aurait au moins apprécié avoir l'occasion de lui demander si ça lui allait d'avoir la flemme de bouger les lèvres pour discuter. Mais il voit dans le regard, dans la façon qu'il a de l'examiner comme s'il allait tourner de l’œil, que ce n'était pas le souci principal, ici. Il a l'air inquiet de le voir se vautrer comme la dernière fois entre deux étales de marché. Et c'est totalement compréhensible, même s'il lui a déjà signifié s'être amélioré pour le contrôler. Il peut comprendre, cependant, qu'il soit encore inquiet. Parce qu'il ne l'a jamais véritablement vu faire, parce qu'il ne lui a pas prouvé ces paroles en venant lui raconter les derniers potins directement dans sa petite tête.

« Je vais bien. Pas besoin de s'inquiéter. »

Il lui fait un petit sourire, parce que lui aussi, est rassuré. Il laisse peut-être glisser sa main sur la joue de l'Astre par mégarde, lui lui replace ses cheveux correctement, et puis reprend sa main pour lui, la reposant pourtant sur le bras d'Orion, un peu comme si de rien n'était. Mais s'il pensait que la chose était cool... Bon, au moins, il ne vient pas lui râler dessus parce que ça ne se fait pas d'entrer dans ses pensées ainsi.

« Ça va, alors. J'aurai préféré te demander si ça t'allait, quand même, avant. »

Petite grimace, mais, finalement, tout s'arrange bien. Il boit aussi le thé, laisse la chaleur sur son palais et a la nette impression d'être examiné comme une expérience de laboratoire. Il hausse les sourcils, comme pour demander à Orion ce qu'il a derrière la tête parce que, décidément, il se demande s'il l'a déjà observé si longtemps avec un air si sérieux et intense. Et puis finalement, quand il parle, l'idée ne lui semble pas illogique. Mais il ne sait pas vraiment comment Orion pourrait créer une émotion forte (oblivious oui) s'il le prévient avant.

« C'est pas con... Mais maintenant que je sais que tu vas me faire des expériences, je suis déjà prêt, techniquement. »

Il hausse un sourcil, se demande si en s'énervant... Oh, mais il ne veut pas s'énerver, maintenant. Il est bien installé, bien entouré. Est-ce que le bonheur ferait quelque chose? Il se demande. Peut-être aussi le rire, qui sait?

« J'espère vraiment ne pas finir par détruire ta table basse. »

Il a quelques petites bulles, comme des bulles de champagne ou de savon qui éclatent, plop plop plop quelque part entre sa poitrine et son estomac, légères comme des petites graines de pissenlit, comme une pluie de pétales de marguerites blanches. C’est une maigre tension, agréable comme tout et Orion en profite comme un chat au soleil alors que la main de Mars s’attarde sur quelques brins de cheveux, sur sa joue, avant de trouver sa place sur son bras. « Tu me demanderas la prochaine fois, alors. Maintenant je sais à quoi m’attendre. »
Ce n’est pas ainsi que se comportent deux amis, lui aurait dit un spectateur extérieur. Mais Orion n’en est pas un, ça se passe en lui, ça se loge confortablement entre ses côtes. Il profite simplement de l’instant, de cette petite poussée d’affection qui déborde doucement de ses yeux comme une onde en direction de cet homme qui lui fait face, sa paume si naturellement déposée contre son bras et qu’il accepte avec la même candeur.

Puis vient le moment de la science !

« C’est là que tu te trompes, honey. Tout est dans l’anticipation. » Il n’est en aucun cas question de lui faire du mal, ni physiquement, ni mentalement. « T’inquiète, mes cobayes sont toujours bien traités. » Inutile de mentionner que ses cobayes habituels ont en général des racines, des bulbes ou des tubercules, des feuilles et parfois des fleurs.

La main de Mars glisse de son bras alors qu’il se lève, attrape une dernière fois sa tasse pour la terminer d’une traite avant de hausser des épaules. « Si c’est qu’une table basse, je m’en remettrai. »
Alors le voilà debout. Il scanne la pièce des yeux et trouve rapidement ce qu’il veut. Un élastique que l’Oublié a, eh bien, oublié sur la minuscule table à manger la semaine dernière, une feuille de papier qu’il commence à plier. Il y a des formules dessus, des ratures, des gribouillis - un brouillon pour son dernier devoir. Elles donnes à l’avion en papier un drôle d’air de navette spatiale que des vandales de l’espace auraient couverte de graffitis. Quand enfin il se retourne vers son ami et invité, il a un de ses petits air malicieux qui annonce qu’il a bien envie de s’amuser un peu pendant cette expérience.
Il tient les flancs de l’avion dans sa main droite entre le bout de son pouce et de son index, l’élastique enroulé autour de son pouce gauche. Il a préparé ses armes, et le bout de celle en papier est pointé vers sa victime. Dans une voix basse, exagérément sérieuse, il annonce : « essai numéro 1. »

Il fait mine de lancer l’avion plusieurs fois, positionné comme s’il allait lancer une fléchette. Et enfin, il souffle dessus doucement, son anima activé. Une seconde plus tard, les ailes frémissent, assez pour que Mars puisse le voir.
Petite impulsion : l’avion décolle, droit vers le milieu du front de l’oublié.
Il est immédiatement suivi de l’élastique, propulsé à toute vitesse vers son visage, qu’Orion a tendu très vite et catapulté comme un lance-pierre.
Atterrissage immédiat !

Il y a un instant où Mars se surprend à rester suspendu au regard d'Orion, comme s'il attendait une certaine suite à ses paroles, sans vraiment savoir pourquoi. Mais il est aveugle à ses propres sentiments, ne comprend pas bien qu'il n'est pas certain de ce qu'il ressent, car il s'est catégorisé comme ne pouvait véritablement ressentir cette quelconque once d'amour que les gens apprécient tant louer. Mais lui aussi, a ce pétillement dans le fond des prunelles, même quand Orion reprend la parole, qui lui fait hausser les sourcils. Le petit surnom, honey, le fait un peu pouffer de rire. Il ressemble à une diva, à parler comme ça.

« J'espère que ce n'est pas de la publicité mensongère. »

Sans se douter qu'il ne s'est jamais agi d'autre choses que de plantes. Il faut bien croire qu'il finir en rondelles à cause d'Orion, finalement (heureusement que non). Et puis il le regarde se redresser sans trop rien dire, un peu curieux, quand même. Il veut bien savoir ce qu'il se trame dans cette tête-là.Quelle idée l'a donc traversée?

« Mhm, c'est vrai que ce serait mieux la table basse que tes neurones. »

Petit sourire en coin, et le voilà qui se redresse un peu de sa place pour continuer à le suivre des yeux, à voir ce qu'il fait, exactement. Et les plis, et le sourire sournois. Oh, il sait qu'Orion va passer un bon moment. Mais lui? Il n'en était soudainement plus certain, alors qu'il le regardait, bien sceptique. Il fronce les sourcils, observe bien attentivement l'avion en papier (si Orion a ainsi décidé de le plisser, c'est qu'il ne doit plus être très utile) et l'élastique volé (enfin, il l'avait surtout abandonné).

« Tu fais presque peur, comme ça, tu sais? »

Mais Orion ne lui répond même pas, avant de lancer sa prétendue expérience. Et, oh, comme c'est rigolo! Il se fait attaquer en même temps par les deux objets, et n'a même pas le temps de se protéger le front que l'élastique frappe sa peau, qu'il grimace et repousse l'avion juste à temps, pour qu'il s'écrase contre le bout de son nez, et puis tombe. Mars reste un instant un peu idiot, à se frotter le front, et redresse la tête vers Orion avec un faux air pas content.

« Ah bravo, je dois avoir une superbe marque rouge sur la tête. »

Finalement, ce n'était pas la table basse qui prenait le plus, c'était lui-même. Et puis, ça n'avait rien activé du tout. Mais il finit quand même par rire, en reprenant l'avion dans la main, essayant de le lancer sur Orion, sans grand succès. Celui-ci finit aux pieds de son propriétaire originel.

« Je crois bien que ça n'a rien fait du tout. »

Petit soupir, et il penche la tête, se saisissant de l'élastique pour l'enfiler, redresser encore ses cheveux en chignon, posant sa tête contre son poing.

« On a d'autres idées? Je vais finir avec des blessures de guerre, je le sens. »

Dramatique.

Que l’on ose dire à Orion qu’il s’amuse un peu trop ; le vaisseau de papier s’envole, sa cible en ligne de mire, se déplace souplement dans l’air au dessus du parquet, du tapis - se fait dépasser par l’élastique supersonique. Il lâche une exclamation triomphante quand les deux projectiles touchent tous les deux leur cible (il ne l’aurait pas cru, il ne sait pas tant bien viser que ça).
En réponse à son cobaye du moment, il ne fait que rire : bientôt, deux petites, très légères marques rouges se forment sur sa peau, l’une sur son front et l’autre sur le bout de son nez. « Oh, mince alors »

Mars abandonne son air faussement bougon pour rejoindre le rire d’Orion, qui s’élèvent doucement dans le salon alors que l’avion fait un bancal trajet retour.
Mais ça n’a rien fait.

« Heh, on allait pas y arriver du premier coup. »

Alors il croise les bras (de toute façon il ne croyait qu’à moitié à son idée de base) et fixe de nouveau l’Oublié, tout comme tout à l’heure. Il l’observe rassembler ses cheveux plus haut sur son crâne (il en a assez pour faire un chignon), découvrant son cou et sa nuque et, en coulant son regard dessus, Orion a soudainement une autre idée.

« Oui, j’en ai une. Ne bouge pas. » Il agite la main à la mention de blessures de guerre, comme si c’était accessoire, et marche dans sa direction. Il marque une pause à ses côtés, les yeux toujours aussi pondérés.
C'est rapide : il se penche en avant, le surplombe un instant, porte sa main à son visage, ne pense pas trop à l'envie saugrenue qu'il a de lui embrasser  le front - le fameux bisou magique, c'est cela donc - et s'attelle à sa mission secondaire : lui toucher le bout du nez. « Boop. C'est réparé. » Il est très fier de lui - un petit sourire avant qu'il ne retrouve son fameux air très sérieux. Comme si de rien n'était. « Ne te retourne pas non plus. » Puis, il le dépasse, contournant le canapé, en direction de la cuisine.

Mars doit probablement l’entendre faire - la porte du frigo, une autre porte qui s’ouvre, un craquement distinct puis un autre, puis un troisième, un peu comme celui d’une articulation. Le robinet du petit évier qui s’ouvre et se ferme, à peine une seconde, quelques gouttes s’écrasent contre l’inox. L’oublié a peut-être deviné.
Oh, Orion a prévu de continuer à bien s’amuser.
Il se rapproche à pas de loup, le plus discrètement possible (ça n’a pas d’incidence, c’est pour l’effet) de l’arrière de canapé qui scinde la pièce en deux. Il a songé à mettre un guéridon haut, derrière, pour combler un peu - poser des plantes dessus, de genre de choses - mais il a peur de perdre de l’espace dans la cuisine, déjà si petite. Et finalement, heureusement qu’il ne l’a pas fait : c’est beaucoup plus simple pour lui de poser une main ferme sur l’épaule de sa victime, lui indiquant de ne pas bouger. L’index de son autre main, humide, vient se poser sur une vertèbre saillante. « Essai numéro deux. »
La suite va très vite.
Il passe quelques doigts dans le col de son t-shirt, le soulève et dépose sa paume glaciale sur le haut de son dos, laissant les deux glaçons qu’il y gardait y glisser, eux et le reste d’eau refroidie. Très gratuitement, il parvient à aussi en faire tomber un troisième devant, par dessus son épaule.
Il n’a même pas la décence de se reculer avant d’éclater de rire.
Ils allaient savoir très vite si c'était un cristal d'eau, de feu, de température ou de quoique ce soit de la sorte.