Lui aussi, a les souvenirs qui hantent. De ces eaux limpides qui étouffent, de ces paroles prononcées sans sens (juste pour lui, le bonheur d'un instant, malheur de toujours). Il y a les insultes proférées qui faisaient du bien, qui détendaient fraction de secondes, c'était le rêve endormi (du maître, le vilain, lui qui se croyait être détenteur de ce titre se faisait bien berner par un autre). Mais au final, il avait été seul, Acace. Du début à la fin, désespérément seul. De cette même solitude qu'il a connu sur Terre, de celle de voir Hortense désemparée face aux monstres, de celle de savoir son père décédé des mains de ce dernier. Oh, à ne s'en méprendre, cette mort-là l'avait réconforté. Il n'aurait à supporter le démon de ses pensées. Mais seulement voilà, c'était comme se retrouver face à ce mur, là, celui tout dressé duquel on ne voyait le paysage au loin (celui de l'enfance brisé, Acace, celui qui hante tes rêves, que tu maudis, que tu hais tant). Le Maître des rêves. Il avait tant ranimé les cauchemars adolescents. Et les autres n'avaient rien arrangé, vraiment.

Le message d'Altagracia l'avait ranimé dans cette vive brutalité qui enserre les sens, le cœur, le corps. Il a la haine en armure, Acace, celle qui le protège des autres, celle qui accueille sur ses lèvres le sourire de chat, que personne n'apprécie vraiment (sauf Azalée). Mais il n'avait envie de s'en servir contre cette sotte, celle qui avait engourdi ses bras, engourdi son être (fait perdre ses moyens comme vulgaire marionnette). Oh, non, il n'était pantin, les poupées étaient ceux de ses spectacles, vulgaire regards de foule sur sa personne. Être prit ainsi de court l'avait laissé tout pantelant, Acace, tout froid comme si on avait décidé à sa place, pris sa place. Inadmissible. Et pourtant, la voilà vraiment. Comme si le message n'était pas passé. Ses amis? Avait-elle en idée que tous les Oubliés se lisaient des charades autour du feu en voulant faire copain-copain? Le voilà qui repose le livre qu'il lisait, qui relève la tête, ça fait glisser ses tous beaux cheveux (mieux coiffés que givrés des cavernes). Et le voilà, sourire narquois. Ne montre pas tes faiblesses, petit roi, sors les griffes, bats toi.

« Cela m'étonne que tu ne te sois retrouvé ensevelie par les sables engourdis. Cela m'aurait bien arrangé. »

L'analyse, se redresse un peu. Il a mis sa plus belle chemise, aujourd'hui, il a cet air princier.

« Prêt à quoi? J'ai déjà signalé mon refus à te suivre, je n'ai nullement l'intention d'accepter quelque contrat que ce soit de ta part. Peut-être espérais-tu que je sois aussi naïf que toi? Si tu cherches tant accompagnateur, ne devrais-tu demander à ce gamin qui t'avait accompagné? J'ai oublié son nom... Aussi important que toi. »

C'est dit avec le miel, le sucre ajouté. Il a la voix douce, pas une once de colère, les cils battants, les lèvres ourlées. Acace, tout craché.

Oh, elle brûle d'un enthousiasme bien trop ardent, elle rayonne, elle semble si sûre d'elle. Et ça le dégoûte bien assez pour qu'il détourne les yeux. Elle ne manque de culot, la petite sotte venue des constellations tourmenter ses pensées. C'est qu'elle brûle la peau, les songes. Il aimerait l'ignorer, n'en est pourtant pas capable. Elle semble avoir cette faculté de le faire tourner en bourrique, deviendrait-il fou à lier par les paroles fanfaronnes? Croise brièvement le regard extatique, soupire et tend les jambes. Quelle malencontreuse rencontre. Elle ne serait fortuite, que s'il lui était encore possible de l'insulter sans redouter les coups mesurés suite à ses débordements. Il ne comptait réitérer l'expérience de recevoir quelques gifles, comme Mariette s'était adoré à orner ses pauvres joues opalines.

« Il serait regrettable de dissimuler une telle déception, après tout. »

La voix toujours mielleuse, poudreuse. Il se redresse, s'étire, c'est comme offrir un peu d'attention au clown qui se présentait face à elle. Et sa façon de parler lui laissait penser qu'elle n'avait d'estime que de soi, les autres étant bien bas dans la hiérarchie de ses pensées. Mais ce n'était pas bien surprenant (ils se ressemblaient d'ailleurs bien sur ce point).

« Les aventures n'ont de palpitant que le goût de la découverte lorsque l'on est bien accompagné. Je doute que te rajouter à l'équation de cette définition fasse bon ménage. »

Il a un petit sourire en coin, insupportable, que l'on rêve d'arracher. S'en fiche pas mal, il saurait se redresser, tablette entre les bras ou pas. Altagracia n'avait de feu que les paroles erratiques et les grands sourires, n'était en réalité qu'une profiteuse qui voyait faiblesse en chacun. Oh, il la laisse faire des cercles autour de son corps, analyser. Elle ne trouverait de faille, il jouait si bien la comédie, Acace. Mais elle a bien raison. Le Maître des Rêves, des cauchemars plutôt. Celui qui hante encore ses nuits (il y a l'appareil photo devant son visage, le soir).

« Crois-tu vraiment que mon régime se contente de dévorer de la terre? Et puis quelle idée. »

Il croise les bras, la toise bien droit. Oh, il ne serait si aisé de le convaincre. Mais elle tirait sur la corde sensible de ses maux tourmentés.

« S'il n'y a de gain, j'ai encore moins bien de raison de t'accompagner. Te sens-tu si seule que tu demandes au premier venu de t'accompagner dans tes mésaventures foireuses? »

Il ne serait de cette naïveté là, lui, oh ça non.

Oh, la première menace ramène le souvenir vif des bras tremblants, sens en émois, genoux presque posés à terre par la perte du contrôle de son propre corps. Elle choisit bien ses mots, l'astre, elle a dans la voix cette intonation de menace qui lui rappelle ce regard avare des tablettes entre les bras ensevelis. Oh, il n'y aura de guerre aujourd'hui, il ne la laisserait voler cette once de dignité qu'il porte si fièrement comme couvre-chef. Qui crèverait les yeux de qui, en premier? Qui sera le plus insupportable des deux? Ce sera Acace, assurément, et il saurait le lui signifier en usant de quelques querelles, peut-être cette fois tournées vers lui-même. Oh, comme agrémenter cette hargne que la jeune femme déjà possédait ornerait son visage d'un sourire fleurissant. Cela lui ferait tant plaisir, de voir ce visage se tordre de haine, de colère, d'esprit vengeur (jumeau au sien, l'arme au poing).

« Je crois que tu ferais mieux de clore ces jolies lèvres, finalement. Tu ne voudrais pas insister pour mener un clan d'handicapé, Hector finirait bien plus intéressant que moi, encore une fois. Et peut-être regretterais-tu de me voir chercher vengeance en t'arrachant cette arrogance. »

Il a le sourire des êtres niais, de ceux qui lancent des menaces en l'air sans y songer, sans même une once de réalité entre chaque syllabe. Et pourtant, c'est qu'il en serait bien capable, de se faire furie, petite harpie, à lancer toutes ses armes contre maître de ses malheurs. Oh, comme il a eu le sourire de savoir le père mort après toutes ces années. Il ne regretterait de faire souffrir quelque peu pour vengeance. Et si Altagracia voulait essayer de l'enfermer dans ses petits bocaux de verres, il saurait s'en défaire, avait trop été enfermé dans les pellicules pour se finir objet de curiosité à en crever. Et elle a cette façon de parler qui ferait soupirer n'importe qui. Mais pas lui, oh non. Il est bien trop roi pour se suffire à lever les yeux en laissant une gueuse le nommer rustre. Elle pouvait bien parler, mais lorsqu'il l'observait, il se demandait bien qui l'était le plus, d'eux deux, le rustre. Entre la chemise princière et le short jaune perçant, qui serait donc gagnant de la souveraineté? Il doutait que ce soit elle.

« C'est là la manière dont tu recrutes quelques esclaves pour bosser à ta place, alors. En leur promettant quelques folies de ta panoplie. »

Mais il a tout de même ce doute, ce sourire collé au masque qui hante les rêves et les journées écoulées au rythme du sablier. C'est lent, long, hideux. Le Maître des rêves dans chaque recoin de la tête. Et cela fait réfléchir, cela donne à douter, à chercher les réponses qu'Altagracia semble quémander, aussi. Mais ce doigt contre la poitrine, c'est celui de la volonté, Acace le sait. Il le lit au fond des iris sombres là-bas, il voit l’honnêteté (autant qu'elle en possède). Alors il la laisse planter cet ongle qui arracherait la chair en d'autres circonstances, même si cela rappelle l'affolement des membres perturbés, et s'approche aussi, plante le regard azur dans celui de l'Astre.

« Quelle est, exactement, l'idée saugrenue qui te taraude? Tu ne fais que lancer quelques indices dans la marre, sans réellement exprimer le but de ta quête. »

Oh oui, dis lui à quel point il serait bon de détruire ce Maître des rêves, et il te suivrait résolument.

Si Acace aurait la décence d'afficher les véritables sentiments qui passaient au travers de sa tête, il serait probable qu'il lève les yeux au ciel par tant d'absurdité. Altagracia, celle qui ne faisait visiblement que répéter sa propre réussite, pendant qu'il serait le garnement au fond, le second plan invisible du tableau, serait jalouse d'un gamin aussi inutile que Hector? Et puis quoi, encore? Elle avait le talent de faire vibrer les consonnes contre sa langue, comme un véritable serpent, il fallait se l'avouer. Peut-être étaient-ils semblables, sur ce point-ci. Il refusait d'ores et déjà d'admettre leurs rapprochements, ils n'étaient en aucun cas similaires. Il faudrait pour cela que la jeune femme possède aussi une couronne (celle des cornes endiablées), mais il ne voyait que les orties sur ces cheveux-ci. Oh, lui se plairait bien à la faire tourner en bourrique. Il voulait voir ce beau minois se former d'impatience, les lèvres se pincer, et puis la rage éclater. Comme il serait hilare, peut-être aurait-elle le même visage que Mariette, la même audace, qui sait?

« Jalouse, vraiment? Je te croyais moins susceptible. Mais il est vrai que j'aurai bien trop de mal à me concentrer sur toi... Tu n'as pas le même attrait, tu sais. Tu n'attires véritablement le regard, à dire vrai. »

Oh, Acace, fou? Assurément. Il a la folie dans les yeux, celle de la vie, celle de la survie. Il a les souvenirs, hantise, dans ces fonds de prunelles. Véritablement, il serait faux d'affirmer Acace comme sain (plutôt comme saint). Mais cela le fait bien rire, cela orne les lèvres du sourire démoniaque de ceux qui font mine de ne pas comprendre. Mais il est vrai. Il a la revanche au creux de la poitrine, qui ne réclame qu'à lever le poing contre les injustices qui encore ensevelissent son corps. Mais cette rancœur, ne vient-elle qu'ardemment happer les derniers songes du Maître des rêves? Oh, non, il se fera harpie envers Altagracia, il se vengera bien de cette dernière action rêvée, celle des insomnies d'aujourd'hui.

« Oh, vraiment? Il fallait le dire plus tôt enfin, j'aurai accepté avec le plus large sourire d'accompagner cette chute en splendeur. Le trône (la scène) ne lui appartient pas, il faudrait lui retirer ce vilain masque, il ne serait plus rien qu'un visage parmi d'autres. S'il est Maître des rêves, le mien serait de voir sa sombre figure tomber six pieds sous terre. »

Est-ce trop expressif, a-t-il le regard trop incisif? Il est vengeur, il a la haine au creux du corps, ce sera furibond qu'il se jettera sur la figure pâle et maigrichonne de l'homme aux images effacées des songes. Oh, il saurait être le parfait accompagnateur dans cette quête de la chute interminable. Duo hargneux, il faudrait bien s'en méfier, ils mordent tous deux à même puissance.

C'est qu'Altagracia possède envers lui la même affection qu'il en a envers elle (aucune), et c'est bien tant mieux. Oh, il se verrait mal faire de leur conversation une douce plaisance, une mélodie fort agréable aux oreilles, aux maux qui ne se refermaient pas. Non, elle avait osé l'agresser en ce rêve mal venu, et il était peut-être temps qu'il s'en remette, mais il avait le droit d'être rancunier, de cracher encore un peu sa haine envers la jeune femme. C'est tout naturel, c'est qu'il en a envie, qu'il a le sang encore bouillant de ces mésaventures dont il garde quelques cauchemars. Il n'est pas véritablement déçu que ce visage ne se déforme pas en rage, s'y attendait presque. Mais il avait peut-être un peu l'espoir de la voir s'énerver inutilement. C'est que ça aurait embaumé son petit cœur tout flétri des pétales mourantes.

« Oh il n'y avait aucun mouron à se faire, je me serait abstenu du moindre compliment envers toi. Tu sembles t'auto-suffire dans ce cadre. »

Elle s'aime bien toute seule, Altagracia. Un admirateur n'aurait rien ajouté, si ce n'est cette pointe de félicitée qu'elle ne méritait aucunement. Il n'était pas temps de jouer de cela, et, s'il voulait la faire tourner en bourrique, la patience pourrait être une vertu, sur celle-ci. Il faudrait bien qu'il en fasse preuve, qu'il joue sur le long terme, qu'il trouve quelques pointes faibles pendant leur aventure pour enfoncer le doigt dans la plaie (peut-être changerait-il d'avis, d'ici-là). Mais déjà, elle a le sourire de la satisfaction. Elle a gagné (encore), cette fois, mais la prochaine, ce serait sa petite victoire à lui, il s'en assurerait. Et si elle semblait bien ironique, cette même longueur d'onde, il avait envie de s'y accrocher rien qu'un peu. Peut-être sauraient-ils se défaire de ce Maître des rêves (cauchemars), enfin. Et la mention d'un amour mutuel le fait bien sourire en coin. C'est qu'au moins, elle possède un peu d'humour.

« Evidemment. Tu es si douée pour forcer la main aux gens que je ne pouvais refuser. »

Et disparaît dans sa tente, pour enfiler quelques vêtements qui, cette fois, ne risqueraient pas de finir détrempés dans les eaux du lac. Un short, un t-shirt, tous deux noirs, quelques motifs, et puis il s'attache les cheveux, enfile aussi une casquette bien sombre, ressort le sac enroulé sur les épaules. Il l'a bien assez rempli pour ne pas mourir au bout de deux jours, et lance un bref regard vers Altagracia.

« Je refuse le titre d'assistant. »

Il a le sourire carnassier de ceux qui s'amusent bien, de ceux qui veulent embêter sans trop blesser. Il ne se le cache pas, cette fois.

« Je mériterais plus celui d'associé, après tout, je refuserais chacune de tes propositions si elle ne me convient pas. L’assistant n'y aurait droit, et je ne viens pas pour te seconder. »

Il est capricieux, le roi du désert, n'est-ce pas? Et Altagracia ne saurait se repérer entre tous les grains de sable, ce sera donnant donnant.

« Maintenant les termes du contrat mis au clair, avais-tu une idée nette de notre première destination, ou es-tu venue sur le même coup de tête que celui qui t'as décidée à me demander à t'accompagner? »