Icare se sent trop à l'étroit dans sa propre vie. Il y le nez rougit qui ne sent plus le froid, les cheveux attachés en un chignon mal fait, dissimulés sous un chapeau laid. Peut-être l'a-t-il volé à Chapomosh, qui sait. Mais le froid paralyse les membres, paralyse les sens (les émotions). C'est la recherche de liberté, des secrets des régions de Celestia qu'il n'a jamais arpenté. Il n'est pas aventurier, Icare, il est curieux, il est idiot. Il a le coeur lourd de cette sensation d'être perdu dans ce qui l'entoure, depuis que Hélianthe est devenu plus puissant, encore, que son précédent poste. Oh, qu'il est heureux pour lui, qu'il s'en sent tout frivole. Mais ce n'est là pas ses préoccupations, non, c'est cette sensation qu'ils sont encore plus éloignés que depuis leur rendez-vous inachevé. Il y a le fossé au creux des pieds, il s'écroule sous leurs êtres. Ce sera à qui touchera le fond en premier, Icare s'éloigne du soleil.

Et puis il se perd dans ses pensées, avance, toujours. Un pas devant l'autre, faut être prudent. Mais il glisse souvent. Ces montagnes ne sont aisées à gravir et il ne sait s'y prendre. Il n'a pas appris ces bases là, c'est vrai. Il est venu à l'inconnu (risque gros, la vie en jeu mais c'est l'adrénaline qui vide le crâne). Il ne voit qu'au dernier moment la silhouette qui s'effondre plus loin, se rapproche presque en sautillant et le voilà inquiet, se penche pour voir le résultat. Il n'avait guère fait attention à l'état météorologique, n'était qu'inconscient de sa propre épopée en terres inconnues de ses pieds bien citadins.

« Vous allez bien? »

Le voilà qui rejoint l'homme, examine sa posture et puis soupire, un peu soulagé. Il n'est pas blessé (l'aurait probablement regardé se vider de son sang si c'était le cas). Il secoue un peu la tête.

« Ces montagnes sont assez dangereuses, il faut faire attention à où l'ont met les pieds... Je vous ai vu glisser, ça m'a un peu inquiété. Mais vous ne semblez rien avoir de cassé. »

Sourire rassuré. C'est le soleil qui brille sous le ciel gris. Et puis les flocons s'écoulent plus ardemment, les voilà qui floutent la vision et grimace, Icare. Il lève la tête vers le ciel, resserre les pans de son manteau.

« Je crois qu'une tempête de neige approche. »

Icare n'était pas du genre à s'outrer à la moindre petite pique lancée, mais peut-être qu'aujourd'hui était un mauvais jour, car la façon dont Alvis le détailla avant de faire une remarque (véritablement innocente, qui pourtant lui retourna un peu le cerveau) lui fit froncer les sourcils, quelque peu mécontent. Comment ça, faire du tourisme? Il n'était peut-être pas venu avec son âme d'aventurier, en ce grand jour, mais il n'en était pas moins que ces monts, il passait à côté sans arrêt depuis son arrivée sur Althéa. Il n'était pas temps que l'on juge ses quelques virées surprenantes.

« Oh, vous savez, ce n'est pas vraiment pour le paysage que je suis ici. »

Le ton un peu plus sec qu'il ne l'aurait voulu, les sourcils plus froncés qu'il ne le pense. Et il ment, aussi, parce qu'il n'est là que pour se vider la tête, que pour penser à autre chose, plutôt qu'à Hélianthe et sa routine dérangeante qui commençait étrangement à s'installer. Mais voilà qu'Alvis lui tend des vêtements. Ca le laisse un peu pantois, ça le prend de court, alors qu'il hausse un sourcil, bien curieux de ce que cette annonce peut vouloir dire. Le prend-t-il pour un citadin paumé dans les hautes montagnes? Oh, soit, il n'était guère le plus adroit dans cette situation, mais il ne fallait pas le prendre pour une poupée de porcelaine, presque cassable si l'on cherche à trop la manipuler.

« Oh, vous savez, je n'ai pas vraiment froid, je suis bien assez couvert comme ça... J'ai tout prévu! Même des gants plus chauds, au cas où... Vous devriez plutôt garder ça pour vous. Vous m'avez l'air si frileux que vous me croyez sur le point de mourir de froid quand ce n'est pas le cas. »

Mais le voilà en quelque sorte emporté dans une aventure qui n'était pas censé le concerner. Mais cela lui ôterait tous ses soucis de la tête, alors il n'allait pas rechigner à la distraction, véritablement bienvenue malgré la tempête.

« Très bien, alors dépêchons. Il ne faudrait pas que l'homme meure de froid pendant que l'on perd du temps à bavarder. La tempête arrive, et celles du Mont Celestia ne font jamais semblant, croyez moi. »

Oh, il en sait quelque chose, pour les avoir observé depuis sa fenêtre, s'abattre contre le dôme de Polaris avec vigueur. C'est qu'il est un peu fasciné par cette météo qui n'en fait à chaque fois qu'à sa tête. Il est bien heureux de se retrouver entre la neige, bien que la verdure lui manque. Alors le voilà qui tapote le dos de son nouveau camarade, et se remet à marcher. Et il n'a soudainement plus l'air de ce citadin perdu qu'Alvis semblait avoir mépris. Il était bien plus assidu, maintenant que toutes ses pensées étaient focalisées sur la survie d'un être vivant.

« J'aurais tendance à dire que vous n'êtes pas d'ici. J'ai raison? »

Sinon, ne serait-il pas habitué au froid?

Les premières fois dans le Mont Celestia avaient de quoi être impressionnantes. Pas seulement par la neige, mais par les montagnes, les intempéries. Il y avait sans cesse quelque chose qui ébranlait le quotidien, même à Polaris! Peut-être était-ce ce qui lui plaisait tant, dans son tout nouveau pays. Il ne regrettait pas son choix, Icare. Pas trop, tout du moins. Au moins était-il libre de cavaler dans les grosses mottes de neiges, libre de s'y rouler si l'envie lui prenait. Il faut dire que sur son île au nord de l'Allemagne, il avait beau avoir vu la neige, elle n'avait jamais semblé aussi présente qu'aujourd'hui, sur les terres d'Althea.

« Ah, j'espère que vous resterez plus longtemps après votre expédition. Il y a tant de choses à voir, ici! »

Et l'enthousiasme était de retour, toujours au rendez-vous dans ses altercations avec les autres. Notamment avec "le protagoniste". Mais c'est en continuant d'avancer qu'ils se rendirent compte qu'aller plus loin allait s'avérer plus difficile que prévu. Après un bref froncement de sourcils, une réflexion, il songea qu'en effet, essayer de passer en force, même en essayant de planer jusque là-bas, ne serait pas un jeu d'enfant. Saleté de tempête, il n'aurait eu presque aucune difficulté, si la neige et le vent ne risquaient de le faire tanguer à chaque instant (peut-être était-il trop confiant, pour quelqu'un qui ne savait clairement pas gérer ses énormes ailes quand elles poussaient). Et malgré le mutisme précédent de son nouveau compagnon de voyage, il décida de ne pas le contredire : contourner ainsi semblait être la meilleure solution. Alors il lui emboîta le pas avec entrain. Il avait encore de l'énergie à revendre.

« Oh, enchanté, je me nomme Icare. Et j'avoue que moi non plus. Je cherchais plutôt à me changer les idées dans ce vide que sont les montagnes, en fait... Et puis vous voilà. Heureusement que vous avez une mission à mener à bien. D'ailleurs, quel est le nom de cette personne que nous cherchons à secourir? »

C'est qu'avoir un prénom et un visage à cette occasion serait bien pratique.

Icare était plutôt surprit par la description complète de leur recherche. Il n'en avait pas attendu autant, mais, finalement, ce n'était pas plus mal. Il aurait au moins de quoi le reconnaître si son regard croisait une telle silhouette dans le blizzard. Alors avec un petit bruit d'approbation (et en évitant d'aspirer la neige au passage), il répondit sur un ton enjoué (probablement plus enjoué que nécessaire dans ce genre de situation).

« Ah, vous en avez de la chance, de m'être tombé dessus! Vous aurez au moins une paire d'yeux en plus pour espérer le trouver dans toute cette tempête. Et puis, j'ai l'expérience, vous savez, en sortant de Polaris vers le reste du monde, il faut souvent passer par la neige. »

Petit acquiescement pour lui-même, un petit sourire collé aux lèvres, c'est qu'il a un air un peu enfantin pour un homme de son âge, Icare. Il n'en fait pas véritablement exprès, a toujours cette âme de grand enfant. Il tapota l'épaule d'Alvis avec énergie, c'est qu'il en fallait pour leur péripéties! Et bientôt, malgré les directives de son nouveau compagnon de route, Icare se demanda s'il ne préférait quand même pas descendre en planant. C'est qu'il n'avait jamais fait ce genre de descente, vous savez, ça avait de quoi être un peu flippant... Il souffla cependant par le nez, et s'obligea à suivre les instructions, se tournant ensuite vers lui, un air de chiot un peu perdu collé au visage.

« J'espère avoir bien tout mis, c'est la première fois que je le fais depuis longtemps, si on oublie l'accrobranche quand j'avais quinze ans. »

Et quelle catastrophe. Hélianthe s'était moqué de ses cloques sur les paumes pendant plusieurs semaines! Maintenant, il doutait que cela se reproduise jamais. Maudites pensées, il fallait les effacer, mais, après une approbation, le voilà qui s'élance. Et la nervosité aurait pu prendre le dessus, mais il se trouve que ce n'est pas le cas, et qu'il arrive correctement sans trop d'encombre. Élève la voix:

« Je suis bien arrivé! »

Il faudra aussi vérifier la descente d'Alvis, il ne tenait pas à devoir sauver deux personnes à la fois. Surtout lorsque l'un des deux était encore perdu dans la poudreuse.

C'est que le vent redouble, la neige s'engouffre presque dans les yeux, les chapeaux s'envoleraient s'ils n'étaient pas bien sciés sur les crânes. Ah, vraiment, il songe qu'ils auraient dû faire appel à un météorologue pour cette mission, il s'en serait certainement mieux sorti que deux patrouilleurs gauche qui ne faisaient que s'enfoncer dans la neige à tâtons. Mais leur duo s'en sortait mieux qu'ils n'en avaient l'air, finalement. Icare s'en serait presque félicité, mais il ne voyait que vaguement la silhouette d'Alvis, et commençait à se demander s'ils auraient assez de vision pour voir correctement leur homme, celui qu'ils recherchaient maintenant.

« Tout va bien, oui! Il faut juste être prudent, la neige cache un peu trop nos corps, on risquerait de se perdre. »

Mais il a raison, Alvis, il vaudrait mieux garder la corde les reliant. Alors il s'avance à sa suite, c'est qu'il faut bien continuer le voyage, malgré tout. Il est trop tard pour faire demi-tour, et puis, mine de rien, il a maintenant le cerveau si bien vidé de toute pensées polluante. Peut-être était-ce l'aventure dont il avait besoin pour se détacher du quotidien. Le silence revient entre eux, car ils sont attentifs à tout. Et bientôt, le sol craque sous leurs pieds, funeste, on se croirait dans un film d'action un peu trop réaliste au goût d'Icare. Il tend l'oreille, s'immobilise, et, bientôt, un nouveau craquement. Il ne faut pas rester ici plus longtemps, ils risqueraient de se faire engloutir par la glace.

« Il faut avancer! Si on reste ici trop longtemps, cela peut vite devenir dangereux! »

Alors il se remet à avancer. Et chaque pas émet un craquement sonore, chaque avancée vers un terrain peut-être plus praticable est plus dangereuse que la précédente. Tout devient un peu plus sinistre, mais, bientôt, ce qui devait arriver arriva, et la glace céda sous ses pieds, bientôt sous ceux d'Alvis. Et tout se passa si vite, qu'il eut à peine le temps de siffler une brève mélodie entre ses lèvres pour que deux énormes ailes sortent d'entre ses omoplates. Tourne, vole, ploie, il y a les débris qui écrasent les plumes, qui le font grimacer de douleur, mais, bientôt, recueille son compagnon de voyage entre ses bras, et la chute se fait moins douloureuse, amortie par la pluie de plumes, par le corbeau battant dans l'air pour que la chute se fasse avec plus de douleur. Mais une fois en bas, ils sont sur les décombres de morceaux de glace, il a l'aile droite engloutie sous les débris, et le corps d'Alvis bien serré contre lui, l'autre aile protégeant leurs corps contre les petits bouts de glace tombant encore. Il souffle finalement quand il n'y a plus un bruit dans la caverne dans laquelle ils venaient d'atterrir, il laisse son étreinte se desserrer, et puis se redresse en position assise, ou, tout du moins, essaye. C'est qu'il se rend compte de la douleur que cela fait, d'avoir l'aile coincée, et il feule, ignore superbement le sang sur son épaule, sur sa joue. Il secoue le membre qui se déloge presque entièrement.

« Je suis coincé. »

Et cela sonne presque comme une réalisation soudaine, car il est encore secoué par leur soudaine chute, lève la tête vers le soleil mais, au moins, ici, la neige a bien du mal à les poursuivre, mais ils ont bien dû chuter de plusieurs mètres. Pour l'instant. Il faut se bouger un peu, essayer de se déloger, il n'est pas sûr d'avoir la force nécessaire pour les refaire disparaître pour l'instant, et sent déjà son estomac gronder. Ah, quelle histoire, il va finir épuisé, lui aussi. Mais bientôt, les deux ailes libérées, il les ramène contre son corps, a l'air d'un pauvre oiseau tombé du nid. Oh, elle n'a pas fière allure, celle qui vient de sortir des décombres, mais elle survivra, n'est-ce pas?

« Oh, j'espère que tu n'as rien de cassé. »

Il a tout fait pour éviter le pire, oiseau de malheur.