Elle hésite Sasha. Entrer, repartir. Malgré les apparences et ce surplus de magie pouvant rendre n’importe qu’elle polarien mal à l’aise, elle apprécie beaucoup la Vallée.
Même si bon sang
il avait fait nuit toute la journée.
Une horreur comme une autre à laquelle elle s’habituerait bien évidemment, grâce à la sublime vue des étoiles surplombant sa tête sans interruption.
Ici, les astres sont beaux
les astres sont rois.
Mais Sasha n’a pas l’âme d’une aventurière ni d’une exploratrice. Les étoiles, elle les aurait très bien vues depuis sa fenêtre. Malheureusement pour elle, Raphaëlle n’allait certainement pas se poster à la sienne pour y montrer ses talents.
Long soupire, hésitation devant l’entrée de ce grand cabaret ou quelque soit le nom (n’avait pas demandé). Seule fautive dans ce gage qu’elle assumait à peine.
Elle avait voulu
alors elle avait.
Oh comme les cœurs sont tremblants, incohérents quand il faut s’investir. Volatile comme ce doux parfum d’un autre temps ; jour de neige, de longue soirée et de quilles à maltraiter.
Ce parfum, il fallait apparemment traverser la moitié du continent pour le retrouver. Et à l’arrivée, Sasha hésite (comme d’habitude puisqu’il fallait se mouiller).
Une petite inspiration, et son visage se tord, se retord dans une chaotique harmonie. Sa haute taille diminue drastiquement tandis que ses pupilles de glace laisse place à deux grands yeux terreux. Une torsadée chevelure brune pour compléter le tout et la voilà parée du plus beau camouflage qu’il soit. Une femme quelconque sans trop de charme, ne souhaitant peut-être, pour la toute première fois de sa vie le centre de l’attention.
Trouillarde
lui souffle son cœur.
Le fait taire dans un claquement de talons, le long de sa robe topaze étroitement moulée qui n’allait d’ailleurs plus du tout avec les nouvelles couleurs de son physique emprunté, qui valut long un froncement de sourcil de la part de la jeune femme.
Se maudissant un peu pour sa lâcheté et ses envies mitigées, la russe s’avance dans cet étrange endroit.

Il y a d’abord les couleurs, chatoyantes sous les étranges lumières.
Il y la musique, douce et entêtante. Harmonie entre chaque être amassé là. Oh et les grands verres qui volent ici et là entre les mains des invités, manquant de percuter une Sasha un peu trop distraite.  Décidément, ce n’était certainement pas son monde. Alors ce grand verre de champagne, elle l’attrape pour le boire d’une traite ; un peu de courage liquide sous la lumière tamisée alors qu’elle se demande une nouvelle fois
ce qu’elle pouvait bien faire là.

C'est qu'elle était excitée comme une puce, Raphaëlle. On aurait dit une adolescente qui redécouvrait les joies de faire des avances à sa crush (ce qu'elle n'avait jamais fait, jusqu'à arriver à Althéa). Car cette invitation, elle avait tout fait pour qu'elle tombe au moment parfait. Un soir où le cabaret fermait plus tôt, un soir où elle aurait l'occasion de présenter à Sasha le fruit de ce gage qu'elle attendait avec tant d'avidité, la dernière fois. Mais elle ne se doutait pas qu'elle était la seule d'entre elles deux à avoir la tête aussi vidée de tous les soucis de la vie. Insouciant petit cygne, c'est qu'elle a les idées en folies, les espoirs à prendre le cœur. Peut-être aussi parce que Sasha a ce petit piment de plus intéressant que toutes les femmes qu'elle invite parfois sans grande conviction entre ses draps. Mais même si la soirée ne finit en cette proposition indécente qu'elle avait osé lui faire la dernière fois, elle espère simplement apercevoir ce sourire sournois qu'elle avait tant apprécié sous le ciel artificiel de Polaris. Était-ce trop demander aux étoiles, de briller plus fort en cette soirée?

Il y a les talons qui glissent sur scène, les genoux nus limés par le temps qui s'enfoncent dans le sol, les cheveux en cascade et l'énergie, les sourires, les belles robes. Oh, Raphaëlle est de ces beautés qu'on ne peut louper, incontournable en cette folle soirée, elle est la reine de la scène, après tout, on redemanderait de ses concerts à n'en plus pouvoir. Et cette fois, les plumes dans le dos embrassent sa figure blanche. Cette fois, la couronnes de lys (de véritables fleurs enchantées) tombe dans les cheveux blonds aux mèches vertes, elle lui donne un air d'elfe, de fée. Mais aucune Sasha à l'horizon, quand elle scanne le public pour la énième fois de la soirée, se penchant pourtant, petite révérence, on l'applaudit, et elle descend de la scène vers le bar après avoir fait un court passage en coulisses, il faut bien retirer les plumes trop lourdes après les danses acharnées. Peut-être l'adrénaline redescend-elle un peu. Peut-être que Sasha ne viendra pas.

« Fais-moi un truc surprenant, je crois que j'en ai besoin tant cette soirée est décevante. »

Et elle scanne encore la salle, c'est qu'il n'y a personne digne d'intérêt ici, ce soir. Peut-être car le cabaret ferme plus tôt, il est vrai. Alors la boisson qui glisse dans son œsophage sera la seule touche de fantaisie, peut-être. Elle qui espérait ne serait-ce que faire danser quelques secondes la reine des glaces sur cette grande scène, elle s'était fourré le doigt dans l’œil, n'est-ce pas (elle avait dû lui faire peur, à Sasha)?

L’inconnue magie d’une nuit sans fin, sous les couleurs éclatantes d’une promesse, d’un gage qui tout au bout, l’attend probablement. Et c’est une pointe de doute qui lui transperce le cœur, fissure son écran de glace pour boursoufler les peurs.  
Il n’y a pas à chercher, à contempler la foule pour espérer la voir. Car finalement, il n’y a plus qu’elle qui rentre en scène. Et si tous ici présents ne la regardent pas, Sasha ne comprendrait pas.
Elle est belle Raphaëlle, comme d’habitude est probablement comme l’infini. À sourire à la scène, prêtresse de leurs rêves, de sa longue robe étincelantes. Un cygne qui déjà s’envole pour leur faire miroiter ses sublimes couleurs, de ses plumes enchevêtrés en mille danses, mille demandes. De sa couronne de reine qui ne craint personne, car sur scène, elle est bien la seule à accaparer les regards (les cœurs sournois).
Alors Sasha comprend enfin pourquoi tel joyau fait le bonheur des Astres, si peu près à s’en séparer. Sous la fluidité des mouvements, la peau d’ivoire aux centaines de nuances et la soie qui sur le corps glisse, peut-être bien qu’elle y gagne un millier d’amoureux, la danseuse.
C’est bien plus prenant que la russe ne l’aurait imaginé, un peu subjuguée.
Et quand le monde applaudit, peut-être bien qu’elle aussi. Un peu plus fort, toujours un peu plus fort.
Mais les questions reviennent à la charge quand la scène se fait désert. Raphaëlle la recherche-t-elle dans tout ce charmant public ? Car si leurs yeux se croisent un instant, dans ce balayage de foule il n’en reste pas moins parfaitement ignorant.
Les yeux de Sasha trop bien enfouis sous sa peau de magie.
La voit s’accouder au bar quelques minutes plus tard, alors elle n’hésite pas, s’en approche comme la lionne traquant sa proie (ne serait-ce pas l’inverse ?).
Un peu trop proche.
Un joli sourire au barman, un joli sourire pour l’ange.

« Décevante ? Vous avez était ravissante sur scène si je puis me permettre. »

Le voilà, ce faux sourire de mondanité qui pourtant, devient un peu plus chaleureux en reconnaissant bien la son amie. Un regard au barman puis au tableau derrière lui, revenant pourtant vers le cygne rose.

« Auriez-vous une boisson assez forte à me conseiller ? Tous ces noms me sont malheureusement inconnus. »

Bon sang était-ce des breuvages magiques ? Elle ne savait si ce genre de chose se faisait ici mais à Polaris, cela serait bien trop blasphématoire.
Elle ne perd pas son petit sourire Sasha, parfaite dans son rôle.
Peut-être ce petit jeu est-il une mauvaise idée. Malheureusement, il lui faudra encore un peu de courage avant de se révéler.

C'est que ces yeux-là, elle ne les a jamais vu, Raphaëlle. Elle s'y serait peut-être intéressée, dans un autre contexte, qui sait. Mais ce soir, elle n'était qu'une part du décor inintéressant parmi cette foule de gens aux visages sans intérêt. Peut-être aurait-elle au moins le mérite de la distraire rien qu'un peu lors d'une fausse conversation animée au bar, comme elle savait si bien les tenir. En se saisissant du verre rougeâtre, un peu fluorescent à la fumée étrange, le cygne tourna finalement les yeux vers Sasha déguisée. Et puis, il y a un petit rire sur les lèvres colorées par le maquillage, elle se tourne finalement, s'accoude au bar en prenant une gorgée de sa boisson.

« Eh bien, je prends le compliment, merci bien. »

C'est qu'elle s'attendait à plus, et la déception ne s'en va pas. Mais eh bien, tant pis pour Sasha, si elle préfère venir au dernier moment. Ou pas du tout. Raphaëlle regarde sa nouvelle camarade de beuverie du coin de l’œil, elle réfléchit un peu en observant tout les noms de boisson. Certains qu'elle n'a jamais vraiment goûté car la texture fait un peu peur, et puis elle décide de jouer de la farce. Si elle ne connaît aucun de ces breuvages, il était peut-être temps de s'amuser rien qu'un peu en cette soirée.

« La spécialité d'ici, c'est le cocktail étoilé. »

Et le barman s'y attaque après un bref regard lancé. La blonde tapote le siège à ses côtés, pour que l'inconnue vienne s'y installer. Si elle a eu le courage de venir lui parler, elle ne se sentirait pas trop nerveuse de s'approcher de la star de la scène précédente, n'est-ce pas?

« A qui ai-je donc l'honneur? Je me serais bien présentée, mais ils ont crié mon nom dans toutes la salle il y a deux minutes. »

Petit rire, elle s'hydrate encore un peu (ou pas), et puis voit la boisson se terminer. C'est qu'elle a un petit sourire amusé quand une boisson d'un étrange mélange vert et violet arrive sous le nez de Sasha. Il y a des bulles qui reviennent à la surface, des paillettes tout en dedans. Et ça rappelle un peu le ciel éternellement étoilé de la Vallée. Un fruit en forme de lune sur le côté, ça ajoute du charme.

« Je vous avoue ne jamais y avoir goûté. Ce ne sera peut-être même pas fort, mais je suis bien curieuse de savoir quelle tête vous ferez. Apparemment, c'est surprenant. » Petite aparté. « Mets donc ça sur mon compte. »

Elle hausse les sourcils, comme pour la mettre au défi de refuser la boisson qu'elle lui offrait, maintenant. Au moins, elle n'avait d'excuse à se soustraire au regard de chat de la danseuse. Elle serait bien déçue, si sa seule distraction de la soirée refusait le jeu.

Peut-être s’en veut-elle un peu de cacher ainsi son apparence, dissimuler la joie de son regard sous une couche de magie. Culpabilité bien vite balayé, la situation n’est-elle pas follement amusante ? Oh les entrailles se tordent mais ça, elle les ignore. Raphaëlle est ici reine de soirée, peut-être les fans viendront-ils bientôt l’accaparer, quémander un son, un bonjour ou un sourire ; personne ne pourrait leur en vouloir de désirer si follement toucher les astres. Mais pour l’heure, il n’y a plus qu’elles deux.
Le cygne et le faux visage.
Et là voilà lui proposant une boisson au nom délicat. Cocktail étoilé, plein de charme et d’ironie collant parfaitement à cette lointaine contrée. Ça la fait doucement rire, repenser aux boissons propres au Mont bien souvent nommés par la glace et le givre. Comme si tout leur pays n’était que sombres flocons et rien d’autre.

« J’espère que le goût sera au moins à la hauteur du délicieux nom. »

Et fort. Peut-être aurait-elle dû arriver avec sa propre bouteille à la main. Que craignait-elle à se faire traiter d’alcoolique, son propre visage n’existant plus.
Sasha s’installe sur la place libre, ravis d’être ainsi invitée (sinon, il aurait fallut grogner).
Mais la voilà bien en peine. Qui est-elle ? Là voilà qui tente tant bien que mal de se remémorer le prénom du visage malicieusement volé. Une collègue croisée de temps en temps aux mines bien que leur plus simple interaction se limite probablement à un regard mauvais et une dramatique ignorance. Lui voler ainsi ses attributs la ferait probablement hurler au scandale.
Irma ?
Emma ?
Non attendez

« Gemma, ravis de vous rencontrer. » Quitte à voler un corps, autant prendre le nom avec, bien que celui-ci ne soit pas au goût de la demoiselle.  
Elle rit un peu tandis que la boisson prend place devant elle. Soudainement, elle n’a plus envie de sourire. Les paillettes à l’intérieur étaient-elles même comestibles ? Des bulles… cette chose est probablement empoisonnée ça n’en fait aucun doute.
La moue est sceptique malgré la beauté original de la chose. Touche d’un ongle parfaitement manucuré le petit fruit en forme de lune. Hum, étrange.

« Je vous avoue être un peu indécise. » Relève la tête, un long regard énigmatique pour la femme à ses côtés avant de reprendre son sourire narquois,familier. Celui que Sasha sait si bien manier, le défis aux lèvres.
« Mais j’imagine que me faire offrir cette boisson par la star de la soirée devrait me rendre folle de joie. Bien goûtons ça, je me ferais donc cobaye. »

Les lèvres sont délicatement trempées, une petite gorgée pour espérer ne pas s’étouffer (mourir empoisonnée). Tout d’abord une petite grimace étire sa bouche carmine. Et puis étrangement, c’est un florilège de saveur. Ne peut s’empêcher de pousser une petite exclamation, les yeux un peu arrondis. Surprise, ce n’est pas mauvais.
C’est même absolument divin, la première impression passée. Ce n’est certes pas très fort, mais parfaitement au goût de la russe qui retrouve là les senteurs sucrées qu’elle aime tant.

« Ce cocktail est formidable ! » Encore une autre gorgée, puis un regard admirateur à l’astre. « S’il vous plaît ne me laissez plus jamais douter de vos choix, ils sont divins. »
Ses lèvres ayant laissé une trace vermeille de rouge à lèvre sur le bord du verre, Sasha fait soudain glisser la boisson le long du bar, juste devant Raphaëlle dans un long sourire langoureux.
« Goûtez donc, vous serez surprise. »

Gemma, donc. C'est qu'elle est persuadée qu'elle ne la connaît pas, cette fois (les soirées arrosées effacent les visages, mais pas les noms). Raphaëlle acquiesce donc dans un silence surprenant, lance un regard vers son pauvre verre tout triste de se faire remplacer par une douce conversation.

« Le plaisir est partagé. »

Enfin, ça, elle n'en est encore sûre. C'est qu'elle est étrangement bien heureuse qu'on ne la laisse ruminer seule dans son coin. Le fait est que, pourtant, Gemma n'est qu'une distraction parmi d'autres, et elle n'a encore véritablement attiré l'attention du cygne. Mais qui d'autre que Sasha saurait attirer son attention en cette soirée, après tout. C'était son invitée, c'était donc bien normal. Mais le visage de dégoût en voyant la boisson face à elle la fait bien rire, c'est vrai, accapare son attention. Elle hausse les sourcils avec un air bien amusé collé au visage. C'est qu'en plus, les couleurs de la boisson s'accordent parfaitement à son costume du soir, n'est-ce pas? Rappel de verdure, de touches brillantes.

« C'est ce que j'aime entendre, vraiment. J'aurai été tant déçue que vous ne goûtiez pas que je me serai enfuie en coulisse pour y ruminer toute la soirée. »

Petite moue, elle exagère, le signifie en plissant légèrement le nez, après un court clin d’œil. Et c'est que la nouvelle séance pour goûter la boisson l'intéresse. Elle s'appuie un court instant contre son poing pour observer la réaction de Gemma, et rit bien en la voyant grimacer (encore), avant d'ouvrir de grands yeux. C'est que tout cela est bien intriguant, et Raphaëlle se penche, un air de petit chiot curieux collé au visage.

« Oh, voyons, vous allez me faire rougir! »

C'est faux, mais ça la fait pouffer de rire. Elle penche légèrement la tête sur le côté, un peu intriguée quand le verre lui arrive presque entre les doigts. Elle hausse les sourcils, un peu surprise qu'on soit si direct avec elle, mais finit par hausser les épaules, ignorant superbement le regard insistant du barman voulant presque signifier "tu ne devrais pas". Mais collègue (ami) ou pas, elle était bien décidée à l'ignorer. C'était ça, de côtoyer une forte tête. Alors à la première gorgée, elle eut la même petite moue un peu dégoûtée (savait le supprimer d'habitude, mais à quoi bon si Gemma connaissait déjà cette saveur), avant de plisser les yeux.

« Vraiment, les cocktails de la Vallée ne cesseront jamais de m'impressionner. »

Bref regard vers son collègue qui s'en va, les yeux au ciel, et elle se reconcentre sur Gemma, lui rendant son verre où le rouge à lèvre rose s'est ajouté au vermeil. Peut-être qu'elle ne lui rend pas ce même sourire un peu intéressé, c'est qu'elle a la tête ailleurs, Raphaëlle, scanne malgré elle encore la pièce de son regard glacé, avant de souffler du nez, pour se tourner vers sa nouvelle compagne.

« Vous avez raison, je suis bien surprise. C'est que la carte des cocktails change souvent, je me concentre sur ceux qui disparaissent trop vite, vous savez. Les habituels incontournables, ce n'est pas ma tasse de thé. Je ferai peut-être une exception pour celui-ci. »

Mais n'est-ce pas le résumé de sa propre vie? Une chaise musicale infernale dans laquelle aucune femme n'était jamais celle qui finirait sa vie au bras du cygne. Quelle triste réalité, au moins a-t-elle l'occasion de se reposer. Mais l'habitude ne fait pas partie du rythme de vie de Raphaëlle. Le quotidien, la routine, c'est ce qu'elle méprise plus que tout. Mais il y a des saveurs que l'on ne peut laisser de côté, dans la vie.

« Vous devriez venir plus souvent, si vous voulez tous les savourer. »

Cette soirée prenait une tournure qu’elle n’aurait imaginé. Boire tranquillement au bar en présence du cygne en toute discrétion ? Certainement pas. Pourtant, elle se sent joueuse ce soir, un peu enfant ; petite farce qui ne saurait faire de mal et qu’elle ne compte pas faire durer trop longtemps. Sasha reconnaît bien là les exagérations de Raphaëlle et ça la fait rire. Oh non, elle ne la laisserait pas s’enfuir de sitôt.

« Et m’abandonner à mon triste sort ? Comme c’est horrible de votre part. »

Elle ne le pense pas, la belle est tout sauf horrible. Probablement la plus grande étoile des cieux. Là voilà pourtant intrigué par la boisson qu’elle avait elle-même proposé. Une enfant désirant ardemment le goûter du voisin, comme c’était mignon. La russe l’attend, cette petite grimace d’avant-goût et elle ne la manque pas, souriant quand l’autre fait la moue.
Et ce sont les mondanités qui suivent. Un cocktail original, un cocktail habituel. Encore un point sur lequel Sasha ne serait pas d’accord, elle qui s’enlise si facilement dans sa routine pour ne plus savoir s’en séparer.
Jusqu’à aujourd’hui.

« Les habitudes ont pourtant quelque chose de rassurant mais j’imagine que prendre ce cocktail comme exception de doit pas être bien compliqué. »

Elle hausse les épaules, finalement ennuyé que Raphaëlle ne lui livre pas tout le fond de sa pensée. Peut-être la vrai Sasha aurait-elle réussi à la faire rire aux éclats, retrouver cette petite étincelle fiévreuse dans le regard de l’autre.
Malheureusement, la russe n’aura le temps de tout goûter (et honnêtement, certains cocktails ne lui donnaient pas du tout envie).

« Malheureusement je ne suis pas d’ici, c’est bien dommage. » déjà, elle change de sujet, ne manquant rien des beaux yeux de Raphaëlle balayant de temps en temps la salle. « Cherchez-vous quelqu’un ? Un bel amoureux à rejoindre d’ici peu ? »
Oh ce n’est pas très gentil de susurrer ainsi. Elle s’essaye maligne Sasha, observant ses ongles bien limés en feignant ne pas s’y intéresser, buvant dans sa délicieuse boisson. Puis c’est un regard amusé, ne pouvant s’en empêcher ; un peu tentateur qu’elle lance à l’autre.

« Quel chanceux si vous voulez mon avis. »

Horrible. Voilà bien un mot qui devrait lui correspondre à quelques occasions. Et pour une raison bien étrange, ça la fait rire, l'Astre. Elle pouffe, elle rentre légèrement le cou dans les épaules, elle secoue le doux visage de gauche à droite en rythme lent. Oui, c'est vrai, ce serait horrible de laisser une pauvre femme au bar à boire seule ainsi. Horrible Sasha, donc. Les rôles s'inversaient bien.

« Oh, vous avez bien raison. Je ne devrai laisser une lady telle que vous à vous morfondre dans les alcools de ce triste cabaret. Mais vous avez choisi la mauvaise soirée pour pointer votre nez. Pour une première fois, vous savez, vous auriez pu faire la fête bien plus tard... Comme demain, par exemple. Aujourd'hui, nous fermons plus tôt. »

Petit air de "désolé, c'est la vie". C'est vrai que la routine a cette assurance que l'inconnu ne permet pas. Mais Raphaëlle a vécu dans de beaux souliers toute sa vie, à rêver par sa fenêtre de nouveaux horizons, au bras d'un mari trop occupé dans sa vie pour se rendre compte que sa femme ne l'a jamais aimé, ni lui, ni son fils. Alors elle ne rêvait plus de ce confort qui lui avait pollué l'esprit tout le long de ces vingt-trois premières années avant le kamikakushi.

« Les cocktails ne sont mes seules exception à la vie trop morne, je vous rassure. Je serais une femme bien niaise d'affirmer posséder une vie trépidante si je me contentais de quelques verres pour l'orner de parures colorées. »

C'est qu'elle aime les plus exotiques des fruits. Peut-être était-ce là la raison principale de sa déception de ne pouvoir apercevoir la chevelure blonde de Sasha dans la foule des spectateurs. Et elle est presque prête à approuver, comme il est dommage que Gemma ne vive à Requiem, oui, mais elle se fait interrompre parce qu'elle est peut-être un peu trop ouverte dans son observation de la foule en délire face aux autres spectacles. Mais la question la fait bien rire. Oh, un amoureux, elle ne sait pas. Une amoureuse non plus, à dire vrai. Elle a les espoirs adolescents mais ne se fait de grandes idées sur les relations qu'elle peut entretenir avec les autres femmes. Peut-être est-elle trop habituée aux déceptions de sa vie sur Terre pour se trouver une compagne de long terme, qui sait. Elle fait un peu la sourde oreille, car les sous-entendus de Gemma ne l'intéressent pas, ce soir. Elle a dans la tête les yeux de glace de la reine de Celestia. Et, non, celle-ci n'a définitivement que le chocolat dans le fond des prunelles.

« Un amoureux? Oh, enfin, le dernier homme de ma vie est certainement mort il y a cinq ans, pour le plus grand bien. »

Ou pour son plus grand bien? Elle a l'air un peu sadique, à parler ainsi de son défunt mari (l'est-il?), mais s'en fiche bien. C'est que sa boisson est presque toute disparue, au fil de la conversation. Elle a les yeux rieurs quand elle les repose sur Gemma, elle n'est absolument pas désolée, pourtant. Des cœurs, des espoirs, elle en a brisé plus en cinq ans que jamais auparavant.

« Vous pouvez jalouser un plus beau joyau encore qu'une quelconque moustache que l'on rase si vite le matin. »

Et pourtant, une légère moue quand elle s'appuie contre le comptoir. Quelle enfant capricieuse, vraiment.

« Enfin, les plus brillants des diamants se font toujours désirer, n'est-ce pas? »

Retourne donc pleurer l'intérêt qu'elle ne te porte pas, Gemma. Mais Sasha ne devrait-elle se réjouir?

Sasha ne se morfond pas du tout, au contraire là voilà qui apprécie de plus en plus les joies de l’anonymat. S’il est bien enviable d’attirer les regards de l’aristocratie Célestienne et de s’y perdre en délicate mais non moins absurde mondanité, se cacher la tête dans le sable semblait parfois pour elle être une irrésistible envie.
Une mauvaise soirée apparemment, Sasha aurait certainement dit le contraire. Gemma elle, se contente de faire la moue, un peu curieuse. Demain, elle n’était pas sûre d’être encore là.

« Ne vous inquiétez pas, pour moi la soirée ne fait que commencer. »

Elle n’en dit pas plus de peur de se dévoiler, préfère tremper ses lèvres dans la douce boisson. S’enivrer un peu.
Sasha n’en doute pas, l’Astre doit avoir dans sa vie bon nombre d’exotiques passions. La danse et les cocktails ne sont sans aucun doute que le début d’une longue liste d’audacieuses couleurs. Se demande parfois si la vie de Raphaëlle ne serait pas qu’une fête sans fin, harmonisée de plumes, de fleurs et de sourire.

« Et bien j’ose espérer que votre trépidante vie perdure ainsi, les cocktails et parures sont certes de très bons accompagnements. »

La russe n’aurait dit le contraire, un splendide bijoux d’or au creux du cou (qui n’allait malheureusement plus du tout avec ses nouveaux yeux marrons).
Mais voilà Sasha un peu peinée, beaucoup gênée. Il fallait s’y attendre en posant ainsi la question. Mais oh ce n’était certainement pas Gemma qui s’attendait à de pareil confidence. Qu’était-il donc arrivé pour que la belle sourit ainsi du décès de l’homme de sa vie ? Sasha ne sait que dire. Sous sa véritable apparence nul doute qu’elle aurait rit avec elle, peut-être questionner sur cet (horrible ?) homme. Mais Gemma n’en avait le droit et à vrai dire voilà la polarienne bien en mal sous les mots qui se suivent, s’alignent pour enfoncer sa culpabilité tel de petits coups de massue.

« Si vous le dites, nous ne pouvons donc que nous réjouir de la mort de cet homme. »

Horrible à dire mais si Raphaëlle le pensait, peut-être n’avait-elle pas tord.
Est-ce donc elle le si beau joyau ? Là voilà qui doute ; redoute. Oh non ce petit jeu n’était pas une bonne idée, elle se retrouve bien piégée l’audacieuse. Alors aussi bonne comédienne qu’elle l’est, Sasha ne peut empêcher ses jolies lèvres de se crisper, l’air un peu gênée. Désire presque partir en courant, remonter le temps.
Prend finalement sur elle dans un long soupire en s’armant d’un courage qu’elle n’a certainement pas.

« J’imagine que je dois me sentir chanceuse de n’avoir effectivement quelconque moustache... »
C’est une petite moue désolée qu’elle lui offre Sasha. Elle s’est bien amusée, au tour de la culpabilité. Enchaîne immédiatement sans lui laisser le temps de répondre, de se poser plus de question. Déjà, ses yeux commencent à perdre leur si terne couleur, dévoilant le bleu polaire caché en dessous.

« Je n’avait pas vraiment dans l’idée de me faire désirer, j’en suis quelque peu navrée. » Petit sourire presque timide. « Mais il m’est fort agréable de constater que vous ne perdez votre piquant en aucune circonstance Raphaëlle. Gemma prend note de votre discret rejet. »
Et finalement, elle rigole vraiment. Sa chevelure d’or reprenant sa place tandis que sa haute taille reprend forme, remplissant bien mieux sa longue robe de soirée bleutée.
Adieu Gemma.
Bonjour Sasha.

Il faut dire que les parures, elle en change tous les jours. Car quand le soir elle danse au rythme des cymbales, le jour, elle prend la forme d'autres personnes, elle s'orne de leurs peaux, de leurs yeux, de leurs cheveux. C'est qu'elle n'est plus Raphaëlle pendant quelques heures, c'est que ça lui plaît étrangement, de s'échapper de cette vie dont elle n'avait jamais rien voulu. Et même si, maintenant, elle en voulait, de cette vie qu'elle menait, il y avait ce sentiment d'adrénaline de pouvoir être un.e autre pendant quelques temps, de pouvoir s'échapper sous d'autres regards que ceux trop habitués à la petite blondinette.

« C'est aimable de votre part. Cette combinaison a l'honneur de ne me laisser dépérir d'ennui. »

C'est que Raphaëlle enjolive toujours les belles paroles qui sortent d'entre ses lèvres quand elle parle de son époux. Oh, le pauvre est un petit ange qui n'a jamais vu trop loin, pas plus que le bout de son nez. Un naïf tout apte à espérer un amour fou de la part de sa reine, quand elle ne rêvait que de s'échapper aux bras des belles. Il était gentil, le bougre, c'était le plus désagréable à affirmer. Alors elle hausse les épaules. Elle peut se réjouir de sa liberté, oui, est égoïste d'apprécier sa mort.

« Oh, vous n'en êtes pas obligée, c'est que j'ai moi-même un avis très pointu sur mon ancienne vie. »

Et c'est que la suite s'enchaîne étonnamment vite. La voilà qui n'a pas le temps de cligner des yeux que Gemma est toute disparue, Sasha l'ayant remplacée et elle ne sait véritablement quoi dire, quoi penser. C'est que, visiblement, elle n'est la seule à aimer se faire passer pour autrui, Raphaëlle. C'est presque étonnant, c'est qu'elle pourrait si bien proposer à Sasha de faire d'elle son associée, si elle ne convoitait pas déjà le diamant des mines célestiennes. Oh, non, elle ne laisserait cette douce beauté devenir Masque comme elle. Et pourtant, pourtant, il y a cet instant de flottement où elle ne sait quoi répondre à sa propre invitée. C'est que Sasha rayonne bien plus que Gemma, dans ces habits détaillés, dans cette robe satinée, dans sa propre peau. Et celle qu'elle recherchait depuis tout ce temps est en fait face à ses yeux depuis le début. Il lui faut un petit soupire, et elle se tourne vers le bar, encore.

« Je crois que j'ai besoin d'un second verre. Oh, ne me regarde pas comme ça, je n'ai plus qu'une danse à faire ce soir. »

Et elle boit le verre qu'on lui tend avant de reposer son visage contre son poing, laissant son regard glisser sur l'ange de la soirée. Oh, c'est qu'elle ne se dérange pas pour la déshabiller de ces yeux de glace, non. Si Sasha s'était bien amusée à se camoufler pour lui faire avouer quelques anecdotes de sa triste vie, elle se ferait un plaisir de la gêner à ce propos.

« Je me disais bien que Gemma ne savait marier les couleurs, finalement. Mais ce n'est pas votre cas, n'est-ce pas? Cette robe vous met très bien en valeur. Vous êtes presque à croquer. »

Elle sourit, se redresse, rapproche un peu le visage de Sasha, pour murmurer, presque sur le ton de la confidence.

« Je regrette déjà presque d'avoir rejeté telle beauté, j'espère ne pas vous avoir froissée, après tout, Sasha, c'est que le prénom roucoule presque sur cette langue là, vous savez très bien que c'était vous que j'attendais, hm? »

Elle a le regard luisant, elle a un peu envie de se venger de cette douce plaisanterie, et, si l'idée de bouder son invitée lui avait traversé l'esprit, elle préférait cette version du couteau planté dans le dos.

« Il n'y a plus de surprise quant à mes attentes, quelle déception. Vous savez déjà tout de moi, Gemma a tout entendu. »