Il y a de ces jours où crapahuter dans le sable jusqu'aux ruines ensevelies procure une certaine satisfaction (de la marche, sûrement). C'est qu'il n'a jamais vraiment autant marché depuis qu'il est à Althea, le pauvre petit démon. Ce n'est pas son élément naturel, ici, il n'y a à peine que quelques paires d'yeux véritablement intéressés par ses chorégraphies aux charmes surprenants (il le sait, ça n'empêche l'espoir). Mais si l'attention n'est pas au rendez-vous, les farces, elles, pleuvent à n'en plus pouvoir. Et peut-être était-ce pour ça qu'il observait ce groupe de jeunes de loin, le regard curieux, comme pour savoir de quel pays ils venaient, car, c'était évident, ils n'étaient du Désert, pour sûr. Ils avaient tous cet air un peu hagard des nouveaux intéressés par de vieux cailloux, et Acace préférait encore jouer avec la pierre qu'il avait ramassé en chemin plutôt que de compter quelques croix sur des gravures anciennes. Il avait eu sa dose d'aventures avec le Maître des (cauchemars) rêves.

Mais il y a la petite fourmi curieuse, celle qui ne suit pas le groupe, celle qui s'enfonce dans les couloirs opposés, la pénombre et à la merci de toutes ces bêtes qui s'enfoncent dans les gouffres surprenants. Et Acace sourit, oh, il a trouvé la petite perle de la journée. Il a trouvé celle qui souffrirait de son petit jeu ridicule, et s'engouffre dans les ombres à sa suite. C'est qu'il n'est pas bien difficile de la suivre, Nina. Elle a la lumière face à elle, elle admire quelques murs sans intérêt, s'arrête parfois, et l'idée qui trotte dans la tête du petit démon se fait de plus en plus accentuée. Il fait glisser la pointe de ses ongles contre les pierres. Ça résonne un peu, on dirait un film d'horreur, mais le son n'est pas assez fort. Il shoote dans un caillou qui s'enfuit plus loin, et la jeune fille murmure entre ses dents, tout comme lui.

« Quelle sotte, chercherait-elle à servir de dîner aux hyènes? »

Et le murmure de sa voix ressemble presque à un grognement sauvage, un murmure du fond des grottes. Oh, c'est qu'il joue sans s'assurer que la plaisanterie ne se retournera pas contre lui. Elle pourrait s'enflammer, Nina, oui, mais qu'en est-il des bêtes tapies dans l'ombre? Celles qui ne feraient qu'une bouchée de deux idiots comme eux? Il pouffe de rire, et cette fois, c'est un véritablement grognement qui revient de sa gorge, espérant peut-être apercevoir la grimace de terreur sur le joli minois de la demoiselle égarée, lui, caché derrière un mur épais. Il n'a que le bout des yeux qui dépassent, que l'immaturité qui feule.

C'est qu'elle a les flammes qui rongent la peau, la petite. Elle a les bras en feu, la terreur dans les yeux, et, dans le noir, Acace ne voit que ce visage terrorisé, ce qui orne son visage d'un simple sourire. Oh, il s'est bien amusé, il pourrait mener la plaisanterie encore plus loin, se demande quelles seraient ses limites, cette fois. Il a déjà joué des farces bien plus amusantes, la colère était bien ce qu'il y avait de plus grisant à observer sur le visage d'un Homme, mais à présent qu'il sentait la tension dans les membres de Nina, il ne pouvait s'empêcher de songer qu'après tout, ce sentiment-là était tout aussi intéressant. Et elle vibre dans les couloirs sombres et engloutis, il n'y a qu'elle qui résonne en quelques échos de lumière, elle ferait une très belle proie, vraiment, la pauvre, à s'éloigner ainsi des quelques personnes qui auraient su la protéger du grand méchant loup.

Mais c'est à son tour de sursauter, Acace, quand elle s'enfuit, non dans la direction opposée, mais bien droit sur lui. Et il aurait été temps de partir en courant, essaye de se plaquer contre un mur pour l'esquiver, mais le contact est brusque, les deux corps se rencontrent, et tous deux s'écroulent, pile quand la jeune fille hurle à s'en écorcher la gorge. Oh, et malgré la soudaine douleur de la brûlure contre son torse, il roule sur le côté, se dégage de la gamine terrorisée qui pourrait provoquer un incendie (le brûler vif, c'est certain), grogne un peu, se redresse légèrement sur ses coudes en observant les dégâts. Et tout n'est pas si catastrophique, il y a simplement une de ses chemises favorites qui est à moitié brûlée, le feu s'est éteint dans la roulade au sol, heureusement. Mais bientôt, le rire remplace le mécontentement, et, lui aussi, s'écroule en échos contre les parois. Il fait plus sombre, Nina ne le voit certainement pas encore, mais il laisse les sursauts de l'hilarité secouer tout son corps.

« Oh, c'est que ton cri était digne d'un chien effrayé par une mouche. »

Il se moque, se moque, mais est-il véritablement en bonne situation, pour ça? Peut-être qu'elle se vengerait comme Mariette, lui infligerait quelques claques pour le remettre à sa bonne place, qui sait? Mais il n'a pas le temps d'y songer, car, cette fois, un autre grognement leur parvient, et il tait son rire, tend l'oreille. Et il est sûr que ce n'est pas Nina qui rejoint sa farce, mais peut-être pense-t-elle encore que c'est lui, qui se moque de sa pauvre position. Elle n'aurait pas tord, en temps normal...

Les lumières s'éteignent, il a à peine le temps de voir le visage de Nina de plus près, et elle, probablement son sourire insupportable. Oh, vraiment, pauvre enfant, il ne fallait tomber sur le diable entre ces quelques dédales si le noir te fait tant peur. Mais le noir fait soudainement peur aux bêtes moins féroces et griffues que celles dont provient le grondement sourd. Acace se tend un peu, car, soudainement, la conscience lui vient assez pour comprendre qu'ils sont tous deux en danger. Et toute plaisanterie est écartée, quelques fractions de secondes. Et il tente de saisir Nina au passage, de rattraper cette main qu'il ne voit pas, l'empêcher de bouger. Mais c'est trop tard, et leurs souffles saccadés sont presque trop audibles à ses oreilles, soudain. Oh, c'est qu'il faut du courage pour s'aventurer par ici, et peut-être n'en avait-il pas accumulé assez pour être trop malin, cette fois. Les louves sauvages ne font pas peur, mais les hyènes, elles, s'attaquent aux pires charognes sans rancune.

Et le nez pointu de la bête n'a rien d'amical, loin de là. Acace se redresse avec lenteur, car lapereau il est, lui aussi. Deux pauvres proies apeurées dans ces dédales, et, étrangement, il n'est pas bien solitaire, cette fois-ci. Le rire encore étranglé dans le fond de sa gorge, il attrape le poignet de Nina avec lenteur.

« Je pense qu'on devrait se casser d'ici, car, cette fois, la bête a des crocs et ne vient guère plaisanter. »

Il a le murmure étouffé, et la bête approche de ses grosses pattes, faisant trembler ses propres jambes (il ne faut pas le montrer). Et tire Nina vers l'arrière, la lumière quitte la gueule de l'animal, ce qui semble le faire gronder plus fort, encore. Et puis, il faut prendre ses jambes à son cou en espérant être plus rapide que l'horrible bête. Et Acace lâche bien quelques bulles dans leur sillage, espérant coller les vilains coussinets du dingo et le retarder par la même occasion.

« J'ai très mauvaise mémoire, et ai bien oublié de quel côté tu es entrée. »

Oh, Nina, tu devrais bien te souvenir, toi, comment échapper aux gueules des enfers?

C'est que la poigne de Nina sur son poignet, étrangement, porte l'espoir de ne pas finir par mourir dans ces souterrains. L'idée même semble absurde (et que fait-il ici, il n'aurait dû suivre les âmes égarées). Et ils courent, mais les grognements se rapprochent. Où est-elle, lueur du jour? Pour faire fuir les cauchemars, loin des adolescents en fuite? Et Acace profite de ce cri de guerrière, profite de cet instant de délivrance, de vent en plein le visage, pour semer les bulles, pour faire coller les vilaines pattes du monstre à leur poursuite. Et reprend les doigts de la jeune fille, pour la tirer plus loin, pendant que la bête se débat contre le sable, contre la colle.

« Désert de merde, et pourtant t'es là. »

Il ne peut s'empêcher de répliquer, pas pour défendre ce pays (car il n'y a d'attache qu'Azalée), mais pour jurer lui même contre leur situation (cocasse, quand on y regarde de plus près, non?). Il s'accroche lui aussi aux doigts de Nina, et lui rappelle une douce réalité : il ne faut pas trop tarder, il ne faut laisser les poumons brûler, il faut toujours avancer, ne se laisser mourir entre ces murs. Oh, s'il est tombé ici encore en vie, il en est certain, c'est pour faire de grandes choses. Pas pour mourir entre quelques crocs trop affamés.

« Là-bas. »

Et on n'y voit pas grand chose, dans les pénombres des couloirs, mais, il le sent. Ce vent qui n'a rien d'artificiel, celui que Nina n'a pas créé de toutes pièces, qui vient doucement frôler leurs visages. Il faut pousser sur les muscles, encore un peu, encore quelques pas et. Les voilà à l'air libre, mais pas le temps de respirer que le soleil, déjà, les assomme de son assommante chaleur. Il souffle cependant, petit diablotin, et s'assoit à même le sable, lève les yeux vers la pauvre jeune fille essoufflée, marque une minute de silence et puis. Eclate de rire, se tient le ventre, rejette la tête en arrière, les cheveux décoiffés suivent le mouvement. Oh, il est bien amusé, oh, quelle aventure desquelles il se rappellera!

« Tu sais ce qui est encore plus drôle que d'avoir réussi à survivre face à une telle bête? Tu es vraiment trop expressive. »

Et il sourit en coin, mais, n'est-il bien amusant, lui aussi, dans son état?

Acace sourit avec malice. C'est que le vent l'a tout décoiffé, oui, la course effrénée, aussi. Qu'il est presque plaisant, d'ainsi se laisser tomber dans les grains de sables (qui les rattraperont toujours, oui). Il hausse les sourcils, amusé, et regarde Nina comme si elle venait de lui dire qu'il avait une superbe tenue. C'était tout comme.

« C'est la coiffure des folies. »

Pourtant, le voilà qui cherche à aplatir les mèches rebelles de ses mains. Le corbeau contraste avec la pâleur de sa peau (comment est-ce possible, en plein désert?). Il se penche un peu pour voir le visage exténué de Nina et lui envoie un sourire malin, un sourire confident. C'est qu'ils sont tous les deux morts de fatigue, après une telle course poursuite, mais Nina s'était clairement échauffée lors de leur sortie en trombe des souterrains.

« Il est normal que tu aies chaud, tu as pris feu quelques secondes après avoir entendu les premiers grognements. C'était beau. »

Autant parce qu'elle avait un air terrifié sur le visage que parce que le spectacle était prenant, là, dans la pénombre. Il tend une main lors de la présentation de la jeune femme. Elle est poisseuse, un peu moite et pleine de sable, mais la jeune femme n'est pas dans un meilleur état. Et puis, il faut se serrer la main pour commencer sur de bonnes bases (non).

« Acace, ouais, je vis dans le coin. »

Il penche la tête sur le côté avec un air satisfait, curieux, aussi.

« Pourquoi t'as quitté ton groupe de touristes comme ça? »