Tu ne sais pas trop ce qui t’as pris, ce qui explique le fait que tu n’aies pas changer d’idée en arrivant devant la boutique. T’as une photo en main, un genre de selfie un peu étrange où tu as pris l’apparence d’une autre le temps d’une photo. Peut-être que tu aurais pu utiliser le même procédé pour le reste de ton idée (idiote), mais tu ne t’en sens pas capable. Depuis la chute des capitales il y a six ans, tu as opté pour prendre le déni comme compagnon dans ta vie de tous les jours. Tu ne penses pas à ce qui aurait pu lui arriver parce que tu n’as aucune envie de te retrouver face à la réalité si elle devait être tragique. Alors tu n’y as pas pensé, tu ne t’es jamais arrêté sur ta soeur plus qu’un instant, plus que le temps qu’il faut pour la mentionner au passage.
Alors qu’est-ce qui a changé pour que tu te retrouves devant cette boutique ? Toi sans doute. T’as changé, pas tant de ton fait, que par ce que la vie a décidé de te mettre sur les épaules. T’es malade Claire, tu vas surement mourir un jour, une mort terrible où tu te transformerais en… quelque chose. Tu les as vu ces transcendés dans le désert et tu dois vivre avec le fait que tu deviendrais l’un deux un de ces jours. Ou tu mourrais avant, mais bizarrement ce n’est pas une pensée qui te rassure franchement. Mais c’est ce qui t’as changé, parce que maintenant, tu ne peux plus te rattacher vaguement à l‘idée que si jamais ta soeur est vivante t’auras sans doute la chance de la croiser un jour. Et à défaut d’avoir l’hypothétique chance de t’excuser un jour, il faudrait trouver une autre solution.

T’excuser par l’entremise de quelqu’un d’autre par exemple.
Quelqu’un qui jouerait le rôle.

Et voilà qui explique ta présence devant cette étrange boutique. Tu ne sais même pas comment tu en as découvert l’existence en vrai. Tout ce que tu sais, c’est que tu peux payer pour qu’elle joue un jeu, qu’elle prenne l’apparence de qui tu veux. Une part de toi se demande quelles étranges requêtes elle a du avoir, le reste de ta personne se dit que ta requête n’est sans doute pas si normale que ça non plus. Alors tu prends une grande respiration et tu te permets d’entrée. C’est maintenant ou jamais après tout, qui sait à quelle vitesse la maladie tu transformeras. « Bonjour ? » T’es étrangement calme, renfermée même. Faut croire que tu n’es pas prête à affronter tes démons. « Je voulais me payer vos services… hm. » Trop tard pour reculer maintenant. Reste qu’à découvrir à quelle cette femme au voile qui obscure son visage pourrait t’aider.  

Des personnes étranges aux désirs tout aussi étranges, Raphaëlle n'a cessé d'en rencontrer depuis qu'elle a décidé d'ouvrir cette boutique. Oh, oui, il y a ceux qui fantasment sur des vieilles de quatre-vingt-dix ans (elle n'a pas beaucoup apprécié prendre autant de rides d'un coup), ceux qui pleurent leur mère, ceux qui sont follement amoureux de la voisine d'à côté, ou de leur fiancée disparue. Oh, Raphaëlle reine des désirs, c'est qu'elle prend si bien les identités, les vole, fait d'elles ce qu'elle veut. C'est elle qui aura toujours le dernier mot, après tout, personne d'autre. Elle est ici celle qui réalisera chaque désir le plus fou, et les clients affluent de plus en plus, ils sont malades, ils regrettent, ils veulent de l'amour, de l'attention, de la haine. Oh, les Hommes sont si fascinants, vraiment.

Il y a cette jeune femme qui entre, ça lui fait relever la tête, sous ses voiles tous noirs, brodés de fleurs. L'entrée de la boutique n'est véritablement pas bien grande. Il n'y a que quelques décorations, et un tapis qui mène tout droit à une sorte de petite cabane à une seule fenêtre, qui, étrangement, change de couleur à chaque pas fait. C'est que Raphaëlle, au travers de la cabine, doit ressembler à une véritable fée, c'est sûr. Et quand elle prend la parole, l'Astre sourit doucement, acquiesce.

« Bonjour, bien sûr. Les tarifs sont affichés sur votre droite. Vous pouvez prendre vingt minutes, quarante, ou une heure. »

C'est qu'elle a la voix douce, elle sait bien que cette cliente là n'est jamais venue, encore. Elle a cette faculté de se souvenir des visages des gens avec aisance. Il faut la mettre en confiance, lui prouver qu'ici, elle ne sera pas jugée par le choix de sa requête. Car de toute façon, Raphaëlle les exécute (presque) toutes, sans poser de questions.

« Il me faudra simplement une photo de l'être dont je dois prendre l'apparence, et le détail de votre requête, de votre relation avec cette personne. Je vous ferai entrer à l'arrière de la boutique, où vous me donnerez quelques détails sur elle, et puis je pourrai sans souci vous rejoindre où vous le souhaitez, ou simplement rester ici, sous son apparence. Je deviendrai cette personne pour la période de temps indiquée. »

Elle sourit sous le voile, doute que ce soit visible, mais elle a la voix douce, charismatique. C'est qu'il faudrait qu'elle songe à peut-être embaucher d'autres personnes, car la boutique ferme dès que son don atteint ses limites...

Tu n’es pas trop à l’aise dans cette boutique. Peut-être est-ce une question de vulnérabilité que tu retrouves dans une situation où tu fais preuve de trop de sérieux à ton goût. Peut-être est-ce que tu n'es tout simplement pas prête à l'idée de faire face à ton passé, même si ce passé serait joué par une inconnue. Qu'importe, le fait est que tu n'es pas très à l'aise, que tu regrettes presque d'être entrée. Sauf qu'il est trop tard, tu ne vas définitivement pas te défiler alors que tu te trouves devant celle que tu cherchais à engager. À sa réponse tu laisses ton regard passer vers le tableau des prix, non sans que tu t'en soucies vraiment. L'argent n'est pas vraiment un problème, surtout pas lorsque toute dépense doit être prise en te disant que ce serait peut-être ta dernière - ou l'une des dernières. La question du temps demandé, en revanche, est tout de suite plus problématique pour toi. « Si je prends vingt minutes mais que ce n'est pas suffisant je pourrai allonger ? » Là est la question, parce que qui sait combien de temps ça te prendrait faire des excuses digne de ce nom à une image de ta soeur. Il y a tant de choses que tu voudrais lui dire, que t'aurais du lui dire, que t'aurais du faire par le passé. Il est trop tard à présent, t'as que cette opportunité pour te donner la vague impression de rectifier tes tords.

T'écoutes les explications qui sont ensuite données. Tu fais attention, tu prends note de certaines choses, tu te demandes si le lieu où vous étiez importait vraiment pour ce que tu veux faire. Une part de toi se demande aussi quelles demandes a-t-elle pu entendre, mais la question ne traverse pas tes lèvres. Pour une fois, tu as des priorités bien plus sérieuse. Tu hésites un moment avant de tendre la photographie que tu as prise exprès - non sans une once de malaise à l'idée de prendre l'apparence de ta propre soeur. « Voilà pour la photographie. J'ai juste besoin de m'excuser à cette personne... » Tu ne sais pas quel détail donner, soudainement trop consciente de la stupidité de tes décisions, celles que t'as pris dans le passé, mais aussi celle que tu prends à présent. Est-ce que t'excuser à une image de ta soeur t'absoudrait vraiment de ce que tu as fait ? Probablement pas. « C'est ma petite soeur, Manon. On était assez proche j'imagine... » Le j'imagine veut tout dire. Tu te demandes un peu quels détails elle attend de toi, quels détails lui étaient nécessaires pour remplir ta requête. Enfin tu supposes qu'il vaut mieux attendre d'être dans l'arrière boutique pour ça. 

Oh, elle est habituée à ces airs de chiot perdu, Raphaëlle. Elle en a vu défiler, des personnes sceptiques, certaines qui s’en allaient à la fin des explications, prétextant repasser et puis, elle ne les a certainement jamais revus. C’est qu’il faut peut-être trop de courage pour venir assouvir ses véritables désirs, ou le fait que quelqu’un soit au courant les dérange. Mais Raphaëlle garde tous les potins de ses clients bien au fond de sa tête, tapis, là. C’est un secret qu’elle ne partagerait jamais, tout comme ses propres hontes, sa propre vie raffistolée.

« Bien sûr, si l’argent ne vous pose pas de problème, je peux simplement mettre un chronomètre afin de vous dire combien de temps vous avez passé avec la personne désirée. »

Il faut bien s’adapter aux désirs de chacun. C’est son (drôle de) rôle. Et elle observe attentivement la photo, prend en note chaque aspect de l’apparence de la jeune fille qui lui est présentée, et acquiesce doucement. Ce serait un rôle assez aisé, alors ? Elle se demandait si les excuses seraient éprouvantes, comme elle avait déjà dû le subir quelques fois. Mais elle ne fait pas de commentaire sur les états d’âme de Claire, elle semble assez dérangée par sa demande, n’oserait enfoncer le couteau dans la plaie.

« Bien sûr, si vous voulez vous pouvez me donner quelques détails de son caractère. J’essaye de faire de mon mieux, c’est au bon vouloir du client, si cela vous dérange que j’agisse différemment d’elle ou non. Je suis toute prête, si vous l’êtes. »

C’est qu’elle espère qu’elle saura combler ses remords, Claire. Elle espère qu’elle n’aura plus à s’excuser auprès de qui que ce soit, après cette visite. Elle se sentait plus empathique, quand elle était dissimulée par un tel voile.

La douceur de la femme t'aide à prendre un peu plus d'aise dans la situation. Tu supposes, de toute façon, que tu ne dois pas être la demande la plus étrange qu'elle ait déjà eu. Alors tu te contentes d'un petit hochement de tête, le signe que ce qu'elle t'indique ce qu'elle peut faire. « Super alors. » Pas pleinement convaincue, mais tout de même rassurée, tu te dis que ça te convient. Après tout, comment savoir combien de temps ça te prendrait à faire tes excuses. Peut-être que tu bouclerais le tout en quelques minutes, peut-être que tes émotions prendraient le dessus. Qui sait, ta technique habituelle est de vivre dans le déni lorsqu'il est question de ta vie d'avant, de ta cadette surtout.

C'est pour ça que ce que la femme ajoute te trouble un peu. Est-ce que tu veux donner des informations supplémentaires ? Est-ce que tu le pourrais seulement ? Comment est-ce que tu pourrais décrire ta soeur ? C'était l'enfant parfaite, celle que ses parents auraient voulu à ta place, celle qui a rempli le rôle qui aurait du être le tien, celui que tu lui as laissé sans aucune gêne. T'hésites donc un moment, peut-être serait-il mieux que la copie soit la plus parfaite possible pour taire la culpabilité qui t'étouffe dans le moment présent. « Manon est... » Tu sais pas si elle l'est encore tu sais pas si elle est vivante, si bien que tu te ravises : « ...était sérieuse, diligente. Je suis pas certaine des mots qui la décriraient le mieux, mais elle était mature, responsable. L'enfant que n'importe quel parent voudrait j'imagine. Celle qui répondait à leurs attentes. » Contrairement à toi, voilà ce que tu sous-entends. « J'avais l'habitude de la faire sortir un peu pour la forcer à se décontracter un peu. » Non pas que ça ait déjà fonctionné, mais ça ne t'empêchait pas de recommencer encore et encore. T'as d'ailleurs jamais su si elle avait eu des commentaires de la part des parents sur le sujet. Dommage que la femme devant toi ne pourra pas répondre à ce genre de question.

Mais qu'importe.
« Je suis prête. »
Ou pas, mais il est temps. Sinon tu ne te lancerais jamais.

Oh, c'est que Claire semble elle-même incertaine de ce qu'elle annonce. Elle ne peut véritablement lui en vouloir, car l'on croit tout connaître de certaines personnes, et, finalement, ce n'est pas vraiment le cas. Mais Raphaëlle acquiesce, oh, elle n'oserait contredire ses clients, elle n'est là que pour exaucer leur moindre souhait, se plier tout à leurs pieds. Elle ferait la parfaite Manon, elle l'espérait, pour que Claire n'ait aucun regret. Alors la voilà qui prend quelques notes mentales, sur ce que l’inflexion de la voix devait signifier, sur les sous-entendus glissés quelques fois. Oh, Claire, Claire, elle ne peut t'en vouloir tant que ça d'avoir voulu être cette petite divergence de ce que quelques parents attendraient de leur enfant. Elle-même aurait tant souhaité s'évader dans ses plus jeunes années. Manon devrait comprendre, elle aussi.

« Parfait, alors. Maintenant que tout est dit, je vais vous demander de passer dans la pièce à l'arrière, je vous y rejoindrai directement, et je serai tout de suite Manon. A tout à l'heure. »

Et c'est à son tour de s'éclipser, se glisser face au miroir. Elle examine le cliché plusieurs minutes et puis, elle prend forme de Manon. Et son corps tout entier se transforme, sa tête, ses yeux, ses cheveux. Elle est une copie parfaite de la jeune sœur, elle sent même ses pensées changer. Ah, c'est rafraîchissant de changer de peau. Et puis, bientôt, la voilà qui rejoint Claire, après avoir enfilé quelques vêtements qui semblaient correspondre au physique. Ah, elle est toute jolie, Manon, elle a un doux sourire, elle a les mains liées face à elle, toute sage. Et dans cette chambre rustique, aux draps blancs, au parquet clair, aux murs légers, c'est comme si vous étiez encore à la maison, non? En vacances, sur ces bords de montagnes, entre quelques arbres hauts. L'air y est pur, on a envie de s'assoupir, presque.

« Tu m'attendais? »

Raphaëlle n'est déjà plus, c'est sûr, c'est une voix toute autre, un peu forcée, elle en est désolée. Mais elle fait tous les efforts, parce que c'est ton moment, Claire.

Est-ce que tu es vraiment prête à affronter Manon - ou du moins une image d'elle ? Probablement pas. Ça s'entend sans doute dans ta voix, mais tu comptes quand même te lancer de peur de ne jamais le faire autrement. T'es rassurée de voir que Raphaëlle ne s'y oppose pas, ne te demande pas de le confirmer parce que t'aurais peut-être pu changer d'avis malgré toi. Ça te stresse après tout, t'es anxieuse à l'idée d'être confronté à quelque chose que tu as pu presque complètement éviter pendant les six dernières années. T'en as un peu parlé à Ingrid, mais encore, t'as donné la version la plus simpliste, celle qui ne demandait pas d'aveu sérieux. Qu'en serait-il une fois confrontée à une vision de ta soeur cadette ? T'en sais rien. Tu le saurais bientôt.

Tu t'exécutes en t'installant dans la pièce à l'arrière, jouant avec tes mains pour passer le temps, t'occuper l'esprit. Ça ne fonctionne pas vraiment, tu continues d'appréhender l'arrivée de Manon. Est-ce que tu t'effondrerais immédiatement ? Est-ce que tu te fermerais en sachant, au fond de toi, que ce n'est pas ta soeur ? Les interrogations sont multiples sans même qu'une réponse ne puisse te venir en tête.
Tu n'en as pas vraiment besoin de toute façon, parce qu'elle est là, devant toi. Tu relèves la tête lorsqu'elle arrive. Tu sens ta gorge se serrer, mais l'émotion ne déborde pas, pas encore. « Ouais. Qui l'aurait cru. » Que c'est toi qui attends, que tu l'attends depuis six ans. Tu finis par forcer un sourire sur tes lèvres. « Tu m'as manqué. » Elle te manquait toujours en fait. L'apparence est presque parfaite, il n'y a rien à redire, mais tu ne sais pas si ça comblerait le vide. Qu'importe, t'es là pour faire des excuses, pour essayer de tourner la page avant que tu te transformes un monstre. Et peut-être que tu te laisserais prendre par les apparences.

Tu tends la main pour l'attirer vers toi, nerveuse comme pas possible. « Je voulais te parler de quelque chose de sérieux, tu veux bien ? » On pourrait souligner de demander la permission de quelqu'un que tu paies. Mais c'est Manon. Tu lui as bien trop imposé de choses dans votre vie commune et tu veux bien changer ça, même si c'est que pour quelques minutes.  

C'est que Claire a un air nostalgique collé au visage, Raphaëlle ne peut lui en vouloir, car elle doit bien être l'une des rares à avoir accepté si rapidement le kamikakushi, à l'avoir embrassé avec vigueur pour oublier tous les défauts de son ancienne vie. Manon ne peut s'empêcher de penser qu'elle finirait peut-être cette session en larmes, trop prise dans le personnage (comme à chaque fois). Oh, la voilà qui s'approche de Claire, qui prend cette mains tendue pour venir s'installer à ses côtés. Elle ne prend pas trop de temps avant d'observer le doux visage de cette sœur qu'elle avait perdu quelques années auparavant, et, maintenant qu'elle y regardait bien, elles se ressemblaient énormément, toutes les deux.

« Toi aussi, tu m'as manqué... Plus que je ne l'aurais cru. »

Car si Raphaëlle comprenait bien, leur relation n'avait pas dû être des plus aisée à vivre. Mais elle presse leurs doigts les uns contre les autres, elle se fait rassurante, elle se veut Manon chagrinée, nostalgique, et pourtant compréhensive. Car l'enfant devait être bien mâture, maintenant, devait avoir compris les gestes de sa grande sœur, malgré tout ce que cela avait dû lui faire subir dans le passé. Elle hausse les sourcils, un air un peu inquiet sur le visage, espère bien recréer ses traits, à ce visage qui ne lui appartient pas vraiment.

« Bien sûr. Je t'écoute. »

Elle était là et payée pour ça, après tout.

T’as le coeur lourd devant cette Manon. Peut-être que c’est exactement ce que tu devrais ressentir, ce qui t’attendais depuis toutes ces années. Tu ne saurais le dire, t’as tellement évité de penser à tout ça que c’est encore plus difficile maintenant. Tu le sens alors que ta gorge se serre un peu plus en entendant ses douces paroles. Tu y crois, c’est ce que tu voulais entendre après tout. T’as jamais voulu faire du mal à ta soeur, t’as jamais voulu être la cause de son malheur, tu sais juste que t’y as probablement contribué malgré toi. Mais qu’importe, parce que tu lui as manqué, parce que tu peux serrer sa main dans la tienne, parce qu’elle t’écoute. Oh, tu ne t’attendais pas vraiment à une autre réponse, mais ça te rassure quand même, ça te fait presque sourire.

Il faut juste que tu te lances maintenant. Tu sens ta gorge se serrer un peu plus, la peur de ne pas être capable de mener tes excuses à bien. « Je… » Le courage te manque un peu alors que ton regard quitte le visage familier de ta soeur pour prendre un point fixe dans la pièce. « Je voulais m’excuser pour avant. Quand on était plus jeune et que les parents se sont tournés vers toi parce que j’étais pas assez sérieuse. » Parce que t’étais beaucoup de chose, mais ce qu’ils voulaient surtout. Sérieuse, c’est une simplification, mais malgré tout, t’aimes croire que Manon comprendrait. Peut-être que c’est un voeu idiot, mais tu te rattaches à ça pour poursuivre alors que ta voix se fait tremblante : « J’ai jamais pensé à ce que ça impliquerait pour toi, j’ai juste fait à ma tête parce que je voulais pas les écouter. » C’est plus que ça en fait, parce que même sans y penser, tu en étais consciente, à quelque part. T’as même profité des voyages que ça impliquait, des avantages que les efforts de Manon t’apportaient. Mais chaque chose en son temps, t’as déjà du mal à commencer avec le plus simple, autant ne pas trop t’en demander. Ce sérieux et cette vulnérabilité ne te ressemblent pas, après tout.  

Ah, Claire avait des choses à se reposer. Et Raphaëlle sentait les larmes qui arriveraient (probablement). Oh, elle se doutait bien de tout ce que cela pouvait dire, de tous ces remords qu'elle porte, cette femme. Elle a dans la tête le visage d'un bambin aux cheveux blonds qui ne la quitte jamais vraiment. Mais ces pensées s'échouent pour observer les doux traits rongés par le remord de Claire. Elle pose avec douceur une main sur son épaule, cherche son regard du sien, teste quelques mots qui découlent si aisément de ses lèvres. Oh, elle prend la peau de Manon avec tant de perfection.

« Le temps guérit les blessures, tu sais? Je crois que même si je t'en ai voulu, même si cela a pu me faire du mal, je comprends l'égoïsme dont tu as fait preuve. Je rêvais parfois d'être comme toi... Je ne sais si je te pardonne. Mais je peux bien essayer. »

Et Manon a ces sourires angéliques qui ravissent les cieux, ces sourires angéliques qui détendent les âmes, les réchauffent. Et si Claire n'avait jamais été assez responsable, il fallait bien que l'un des deux enfants le soit, n'est-ce pas? Elle serre l'épaule entre ses doigts, fait glisser la main contre celle de sa sœur.

« Et maintenant, Claire? Si tu ne veux plus les écouter, peut-être que tu pourras m'écouter moi. Ou suivre toutes ces indications que tu pensais si fort, mais que tu te forçais à oublier. »

Elle espérait que l'illusion ne se dissiperait pas, mais se doutait aussi que ses mots étaient peut-être bien maladroits. Elle sourit avec tendresse, avec amusement, un peu malicieuse, Manon.

« Regardes-toi, tu dis que tu n'es pas sérieuse, mais tu as les sourcils tous froncés. »