— I got your fake identity

Ah l'été est là et l'été cogne. Il est collant en grains de sable sous les pieds, gluant comme l'huile de protection solaire sur la peau. Il hurle comme les deux gamins insupportables qui braillent sur les transats d'à côté. Il sent l'air iodé et saturé de chaleur et du gras qui flotte autour du panier de vendeurs de chichis. Pourtant tout le monde aime l'été. Même Thècle. Pour la première fois de sa vie, elle comprend pourquoi pas les touristes occidentaux aiment tant aller à plage. Maintenant qu'elle vit à Polaris où la neige et le froid remplacent les vagues et le soleil, elle voit mieux pourquoi à l'approche du mois d'Août tout le monde s'en va fuir les villes pour s'entasser sur les bords de mer. Elle-même est bien contente de pouvoir se rôtir tranquillement les miches sur sa serviette - mais bien à l'ombre sous son parasol et protégée par d'énormes lunettes et son kimono à fleurs fétiche car il faut pas déconner, les UVs ça fait vieillir. Quand même c'est chouette d'avoir maintenant un travail un peu posé, le genre qui te donne des congés payés que tu peux prendre un peu près quand ça te chante. Avant, il y avait tout le temps trop de choses à faire pour pouvoir vraiment se relaxer, entre les gosses, le mari, les trucs à traquer et les trucs à fuir.
Enfin bon, alors qu'elle se met sur le côté pour lire tranquillement le dernier numéro de la gazette sur la nomination de ce Donovan à la tête de la Vallée, elle se demande tout de même si pendant ces dix jours d'absence les frontières de Polaris seront bien gardées. Oh probablement que Leonas et toute sa clique doit rouler de joie dans la neige en l'absence de la terrible douanière. Bah qu'à cela se tienne, elle aura tout le temps de rattraper ce temps perdu une fois revenue. Pour rien au monde, Thècle ne laisserait une crapule pareille lui gâcher ses vacances. Une petite gorgée de mojito bien frais. Ah oui pour rien au monde, Thècle ne laisserait une crapule tout court lui gâcher ses...

▬ HEY LA HYÈNE ! T'AS PAS D'AUTRES CARCASSES À ALLER EMMERDER ? Hurle-t-elle sans prévenir, faisant sursauter les passants, baissant ses lunettes pour mieux observer ce type-là, ce type-là avec son insupportable dégaine assurée, ses cheveux gris, son air de petit salopard qu'on ne peut pas tout à fait détester.

C'est un bonjour comme un autre. Le genre qu'elle ne réserve qu'à Rosario.

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Mais quel enfer. De tout Caer, il faut qu'elle ait atterri pile au même endroit que ce trublion. Déjà qu'elle devait se le taper avant Althea. Comme quoi, c'est un bon retour de karma. Finir ses jours pourchassée par la présence de ce type qu'elle trouve exécrable parce qu'il lui ressemble trop avec son humour crasseux, ses histoires pas nettes, son énergie qui ne colle pas à son âge. Vraiment Rosario c'est un peu son portrait craché. Il a même une chemise à fleurs lui aussi.

▬ Et toi on ne t'a pas dit que le soleil était mauvais pour tes deux neurones restants ? Qu'elle réplique aussitôt en réajustant ses lunettes de soleil avant d'en placer une autre, le doigt pointé vers sa tête : Et ça fait tomber les cheveux. Déjà que t'en as plus beaucoup mon gros. Et pourtant elle tapote la serviette à côté d'elle, lui faisant signe de poser son cul sous le même parasol. Assieds-toi saleté, tu me fais de l'ombre.

Voilà quelque chose de plus distrayant que les ragots de ce torchon qu'elle essaye de lire ou que l'observation des gamins en train de se rétamer dans les vagues. C'est une trêve provisoire sous le signe des vacances.
La glacière enfoncée dans le sable est ouverte et Thècle en sort un verre froid qu'elle s'empresse de remplir avec le shaker de mojito. Un Rosario bourré est tout aussi bruyant qu'un Rosario sobre mais il a le mérite d'être plus amusant. C'est toujours comme ça entre eux deux. Un mélange de chaos, d'insultes et de rires. On pourrait croire qu'ils ont passé l'âge des gamineries mais non. Leur rivalité ne vieillit pas, même au soleil de ce monde souterrain.

▬ Aya crapule rafraichis-toi le gosier au moins avant de cracher tes conneries. C'est l'été. Elle ricane un peu. Ils ne vont pas se battre comme des chiffoniers sur la plage au milieu de la foule pas vrai ? Quoique... Tous les regards des vacanciers voisins sont déjà rivés sur eux. Alors comment proposes-tu de régler ça ? On ne peut pas faire un concours de tirs au milieu de toutes ces braves gens. Du regard elle suit un couple de bambins dodus. Ce sont des cibles trop faciles à viser, tu ne trouves pas ?

Un humour noir pour un humour de vieilles carcasses.

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Ah l'absence de neurones, Thècle veut bien l'admettre mais la beauté, la beauté... Alors que le cul de Rosario vient s'échouer à ses côtés - en projetant par elle ne sait quel tour de passe-passe du sable sur ses genoux, la ranger se rappelle que ce gars-là a quand même plus d'enfants qu'elle ne peut les compter sur ses dix doigts. Oui, dans ses souvenirs sur Terre, bien des années plus tôt, Rosario n'était pas trop laid. C'est sûrement grace à ça qu'il a pu engrosser tant de pauvres bonnes femmes !

▬ Je te rappelle que cette gonzesse peut te casser le bras avant que t'aies eu le temps de cligner les yeux. Rétorque-t-elle en se pointant du doigt, pas impressionnée par la remarque de la hyène qui se sert quand même généreusement sans même lui dire merci.

Cependant, le commentaire sur le « petit gros » la fait rire aux éclats. Rosario est comme un cigarillo : il est encombrant, il n'a pas de filtres, il vient d'un autre temps - celui où on pouvait tout dire même quand c'était pas poli, il pue la nostalgie mais bon sang en même temps il lui donne la sensation d'être encore jeune !

▬ Et paf, bye bye Moby Dick ! C'est vraiment méchant mais qui oserait leur dire quoi que ce soit à ce couple de vieux loubards ? HÉ ! Mais c'est du rhum de qualité espèce de sagouin ! S'empresse-t-elle toutefois d'ajouter quand elle s'aperçoit avec effarement que le caerien a englouti son verre en deux gorgées. Un cocktail c'est fait pour être apprécié ! Vraiment les hommes tous les mêmes : quel manque de savoir vivre ! Finalement Thècle se redemande comment il a fait pour engrosser tant de pauvres bonnes femmes. Peut-être qu'en plus d'être aveugles, elles étaient sourdes aussi ?

▬ Félicitations pour votre couronnement, votre Majesté des baleines. Quel est votre premier décret ? Siffle-t-elle sur le ton du sarcasme avant de bondir sur ses deux jambes, en en profitant évidemment pour envoyer du sable sur Rosario car oeil pour oeil, dent pour dent. Se défaisant de son kimono, elle pose ses mains sur les hanches et s'exclame sans écouter ce qu'il peut bien lui répondre : Trop tard votre Altesse, c'est l'heure de la révolution ! Je vous challenge la couronne à une course jusqu'à la bouée ! 1... 2... Bien entendu qu'elle part avant le 3. Elle ne s'embête à vrai dire même pas à l'énoncer, criant tout en s'apprêtant à sauter par-dessus un des gamins sur son chemin : PARTEZ !

Et plouf, Thècle est déjà dans les vagues. Tant pis si Rosario ne la suit pas, elle pourra toujours le traiter de poule mouillée ensuite. Enfin ça le surprendrait quand même, plus le défi est stupide, plus il est prompt à l'accepter. Monsieur n'est pas du genre à renoncer un challenge, tout comme elle !

Finalement, ce sont sûrement eux deux les plus gros gamins de la plage.

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Le problème d'une révolution c'est qu'il faut bien évidemment s'attendre à des pertes collatérales. Comme ce pauvre nageur innocent qui ne demande qu'à faire ses brasses tranquillement et que Thècle percute à toute vitesse, murmurant à peine un « Pardon » étouffé entre les éclaboussures, le cri des mouettes et les hurlements des gamins. Usant de son cristal de contre-physique tout fraichement acquis pour limiter l'impact, la ranger repousse ce malheureux badaud marin à plusieurs mètres avant de continuer sa course... et de s'apercevoir que Rosario est loin de se prêter au jeu.
Allons, allons... La victoire a un goût amer quand elle n'est pas accompagnée du la douce satisfaction d'avoir complètement oblitéré le camp adverse. Et comment tirer une quelconque gloire à oblitérer quelqu'un qui n'essaye même pas ? Aussi Thècle revient vers le baroudeur avec un regard boudeur et une nouvelle pique destinée à titiller son ego :

▬ Bin alors ? Trop rouillé pour la natation ? Dommage, il parait que nager c'est très bon pour l'arthrite.

Mais elle comprend rapidement la démarche du caerien quand celui-ci s'approche et la tire vers le fond. Traitrise ! Tu parles d'un coup bas !
Alors que son visage s'enfonce sous l'eau, Thècle a une montée d'adrénaline comme jamais : son corps se rappelle des bagarres dans la rivière du Nyabarongo où ses frères plus âgés prétexter mimer les hippopotames ou les crocodiles pour lui faire boire la tasse. Et la riposte est imminente, Thècle qui d'abord se tortille comme une anguille se laisse entrainer vers le bas pour mieux attraper les pieds de Rosario et l'emmener avec lui sous les vagues. Mieux encore, profitant de la gravité aquatique, elle peut sans mal éjecter le bougre comme un vulgaire sac à patates en se mettant en boule et en tournant sur elle-même, projetant le gaillard plusieurs mètres plus loin sous l'eau en espérant qu'il se cogne contre un rocher ou un gamin qui vient de se pisser dessus.
À peine est-elle remontée à la surface qu'elle s'écrie, triomphante malgré le sel qui lui pique l'oeil :

▬ Viva la revolución et longue vie à sa Majesté des baleines ! Couchée la htène ! Puis ses mains viennent se poser sur le dessus de son crane, tâtonnent la chevelure attachée en une tresse et s'affolent quand elle se rend compte qu'il lui manque quelque chose.
Merde mes Ray-bans ! Dans l'empressement, elle les a gardés sur le sommet de sa tête et en vrai ça la ferait chier de devoir s'en racheter. Surtout que c'est un modèle qu'on ne fait plus depuis des années.

▬ Où elles sont bordel ? Commence-t-elle à s'énerver en pataugeant sur place, cherchant du regard si ses lunettes ne se sont pas échouées dans le sable et les algues sans se soucier de savoir si Rosario comptait revenir ou non à la charge.

Grossière erreur que de tourner le dos à un charognard aussi acharné.

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C'est sous le regard effaré de Thècle que la hyène vient extirper du sable la fameuse paire de lunettes recouverte d'algues avec un air de victoire dans le sourire. Et bien entendu qu'il ne compte pas les lui rendre de bon coeur puisqu'il les pose sur son nez avec un air de défi. Hyène et pie voleuse en même temps donc. Cet animal là demande vraiment à ce qu'on lui coupe la tête, pardi !

▬ Un pauvre homme sans aucun goût, eh. Répète-t-elle dépitée avant de nager vers lui et de faire des cercles autour du pâtissier, requin se demandant comment il va bien pouvoir récupérer son bien.

Faut-il foncer dans le tas et faire couler le premier sang ou bien user de diplomatie ? Ce sont les vacances après tout et Thècle veut rentrer à Polaris avec un joli bronzage, pas des bleus et des égratignures.

▬ Tu ferais mieux de me les rendre mon cochon, leur forme ne te va pas du tout, ça te grossit le visage. Grince-t-elle en tendant la main. Et comme je me sens d'humeur généreuse, je te les échange contre... hum disons... Qu'est-ce qui pourrait tenter une sale bête pareille sinon l'odeur de la pourriture et les vieilles carcasses ? Thècle sèche. Elle finit par poser les poings sur les hanches et s'exclamer : Je sais pas. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? Un dîner ? Un coup à boire ? Mon pied dans la figure ? Et elle ricane un peu avec de laisser son regard glisser sur l'homme, une étincelle carnassière dans la pupille, le sourire menaçant sur le bord des lèvres : Ce serait bête que tu rentres dans ta boutique avec un poignet cassé. Ce serait vraiment pas pratique pour battre la pâte !

Et s'il faut en venir aux mains, Rosario ne pourra pas se plaindre de ne pas avoir été prévenu. Tant pis pour le bronzage, il y a des choses qui valent la peine de se battre.
Comme cette fabuleuse paire de Raybans.