A l'orphelinat, les enfants parlent d'un fantôme qui hantent les lieux. Un fantôme qui erre dans les couloirs, laissant derrière lui une odeur de belle de nuit. Seule Elisabeth, petite fille qui a fêté ses sept ans la semaine dernière sait de quoi il retourne. Mathilde, la maman de la maison ne sait plus quoi faire de sa carcasse. La nuit est redevenue son ennemie et ses insomnies la rendent irritable. Une nuit elle s'est rendue dans la chambre de la fleur. Assise dans son grand lit, elle paraissait si seule. Alors bravant l'interdit, elle a grimpé sur les draps blancs sans faire de bruit, venant se lover contre Mathilde. Celle-ci n'a rien dit, elle l'a étendue près d'elle et lui a caressé les cheveux tendrement.

Mathilde ouvre les yeux, le petit matin entre par la fenêtre où les rideaux ne sont pas tirés. A ses côtés, la petite fille dort encore paisiblement sous la couette. Elle secoue la tête, elle n'aurait pas dû la laisser dormir ici. Ce n'est pas juste pour les autres enfants. Et pourtant ... C'est la première nuit depuis des semaines qu'elle dort correctement. Avec un soupir elle se lève et s'habille. Que pourrait-elle faire pour la remercier ? Elles se soutiennent bien plus depuis Avril, depuis ... Elle ne veut pas s'en rappeler. Elle descend les marches, cherche un signe du géant mais pas une trace de lui. Alors elle sort chercher le courrier, se drape dans sa robe de chambre pour affronter le froid. Une lettre et un prospectus. La lettre est pour Thaddeus alors elle la laisse sur le meuble de l'entrée comme d'habitude et observe le papier coloré entre ses doigts.

Australis.

Elle pourrait emmener Elisabeth là-bas ? Après tout, elle s'en rend compte, elle tourne en rond ici. Sortir ne pourra que leur faire du bien.

La route ne fut pas longue pour elle, mais pour la petite. Elles n'étaient pas ressorties depuis le drame et il faut croire que rien n'est effacé dans les mémoires. Mais une fois entrées dans Australis, les yeux d'Elisa se mettent à briller. Mathilde est rassurée de la regarder tourner la tête de tous les côtés pour observer les lumières colorées.

« Eli ! Reviens par ici ! »

La petite fille court en tout sens sous le regard affolé de Mathilde qui lui court après. Mais sa course est arrêtée alors qu'elle entre en collision avec quelqu'un. Ca devait bien arriver.

Mathilde soupire doucement et pose une main sur la tête de la petite, lui caresse les cheveux et lui souffle des mots de réconfort. Elisabeth se reprend rapidement, après tout elle sait ce qu'est la vrai douleur et montre que rarement ses larmes. La belle de nuit essuie du pouce une goutte qui s'attarde sur sa joue et le petit diablotin passe des larmes au rire. Enfin la brunette s'excuse en regardant la grande et belle dame, quant à Mathilde elle hoche la tête de satisfaction.

« Les enfants ... Ils ne font jamais attention à ce qu'il se passe autour d'eux. »

Et elle la remercie pour le petit pansement alors que la petite se relève, tout chagrin oublié.

« Voici Elisabeth la tête dans les nuages. Et je suis Mathilde. »

D'ailleurs la rose ne peut s'empêcher la surprise s'étaler sur ses traits. Elle observe la nouvelle venue, avec ses gestes doux et aériens. Elle ne ressent rien de malsain venant de Raphaëlle mais depuis qu'elle est tombée ici elle préfère être méfiante plutôt que de faire confiance à tout va comme avant. Avec la confiance vient l'attachement et avec l'attachement viennent les larmes. Elle se referme sur elle un instant et détourne les yeux. Après tout elle venait enfin de confier son cœur à Thaddeus et depuis quoi ? Le silence, ce même silence que son mari décédé à laissé derrière lui. Sans parler de son tout petit.

« Je ne- »

La voix vide de Mathilde est recouverte par un oui vivace et plein de vie de la part de la petite Eli qui sautille autour de la nouvelle venue en s'accrochant à elle. De nouveau la surprise se peint sur ses traits, puis l'amour vient y faire un tour. Sourire aux lèvres elle hausse les épaules, elle est heureuse de voir que les enfants se relèvent plus vite de leurs traumatismes que les adultes.

« Après tout, pourquoi pas ? Vous aussi, vous venez pour la première fois ? »

Mathilde penche la tête pour la regarder, ses longs cheveux blonds, ses yeux de biche qui semblent la transpercer.

« On ne sait plus où donner de la tête avec Elisa, mais j'ai vu une boutique qui vendait des sucreries. Ca vous va si on commence par ça ? »

Au mot magique la petite sautille sur place un peu plus, entamant peut-être une danse sacrée de la joie. Mathilde la regarde du coin de l'œil, amusée puis retourne son attention sur la dame. Elle a quelque chose qui la rend mal à l'aise, c'est rare qu'elle soit intimidée comme ça. Ou alors c'est parce que Mathilde n'était pas sortie de son antre depuis pas mal de temps ?

Le trio se dirige vers la petite boutique et à sa tête la plus petite qui se croit presque reine des bonbons. A l'orphelinat il est rare que les enfants en trouvent, Mathilde tient à ce qu'ils aient une bonne hygiène de vie mais elle n'est pas non plus tyran. Elle les distribue simplement avec parcimonie, souvent pour féliciter un bon comportement. En plus de faire plaisir à Elisabeth, il lui faut remplir les caisses car il n'en restera bientôt plus assez pour leur faire plaisir. Et quoi de mieux que de refaire les stock avec les principaux consommateurs ?

« Vous êtes donc de Requiem ? Je n'y suis jamais allé mais il paraît que c'est un endroit très beau. Un endroit où les rêves se matérialisent. »

Mathilde est sur la réserve mais voyant Elisa rayonnante de joie elle ne peut s'empêcher de se laisser un peu aller. La petite a un don pour ressentir les choses sombres, la belle de nuit à eu le temps d'observer le phénomène assez souvent. D'ailleurs celle-ci les attend sagement devant la porte, Raphaëlle entre la première les yeux aussi brillants que les siens. Mathilde retient un sourire attendri en regardant les deux s'échanger des paroles candides, sur quelle sucrerie est la meilleure selon elles.

« Si je peux me permettre, ces dragées bleues sont une pure merveille. »

La rose aussi se laisse parfois tenter par ces douceurs, lorsque son chagrin est trop grand. Ca apaise les maux du corps et de l'esprit. Elle en prendra certainement un peu plus pour sa propre consommation.

« Et ces bonbons au miel ... Mon secret quand un enfant n'arrive pas à dormir : laissez un bonbon fondre dans une tasse de lait chaude et les voilà parti pour une bonne nuit. »

Elisabeth hoche vigoureusement la tête en appuyant les paroles de Mathilde en expliquant que lorsqu'elle n'arrive pas à fermer les yeux, c'est bien ce que fait la patronne de l'orphelinat. Celle-ci observe encore la blonde à la dérobée, sa langue se délie petit à petit et sans s'en rendre compte elle leur tourne le dos, ayant assez confiance en elle pour remplir le sac de différents bonbons alors que les deux autres continuent leur échange.

Mathilde regarde les yeux étoilés de sa petite alors que la belle lui offre les sucreries. Elle ne peut dire non et Raphaëlle l'a bien deviné. Alors avec un petit rire elle hausse les épaules.

« Elisabeth, une seule et tu ranges les autres dans ton sac, je te fais confiance. »

La jeune sautille sur place, danse et remercie tant et tant la gracieuse dame si gentille. Et si belle avec ses cheveux longs ! Elle vient donc lui prendre le sac avec un énième sourire, un énième remerciement et vient se loger dans ses bras. Une brève étreinte, celles des enfants qui ne savent plus contenir leurs sentiments et pouf les voilà repartis vers d'autres aventures. Elle range sa précieuse cargaison dans son sac, après avoir glissé une douceur entre ses lèvres bien entendu. Chantonnant, elle avance en première avant de s'arrêter devant une aire de jeux. Du son, des lumières et la voilà qui ne semble plus si enjouée. Il semble se passer quelque chose sous ses cheveux d'ange et finalement elle se tourne vers les deux femmes. Le visage sérieux, elle demande la permission en appelant Mathilde, elle voudrait aller vers le groupe d'enfants un peu plus loin, jouant à se courir après ou glisser en bas du long tobogan.

« Bien sûr, mais ne t'éloigne pas plus loin. »

La belle de nuit semble tracassée, elle n'avait pas vu ce regard depuis le buffet au désert ... Mais se rassure en se disant que les enfants cogitent moins que les adultes. Et pourtant.

« Je connais certaines de leurs habitudes mais ... »

Elle secoue la tête et détourne les yeux une seconde pour regarde Raphaëlle puis vient s'asseoir sur un banc. Mais toujours son regard est attiré par la petite fille.

« Oh je ne crois pas l'avoir déjà dit, je gère un orphelinat. Enfin plutôt, j'aide un ... un ami à le faire. Eli n'est pas ma fille. »

Sa mâchoire se serre et son regard trahit une tristesse infini. Elle qui pensait avoir dépassé le stade du deuil de son enfant depuis le temps. Elle l'aurait fait avec Thaddeus à ses côtés, mais rien ne va jamais et l'ombre s'abat toujours sur ses cils de glace.

La politesse l'oblige à avaler difficilement sa salive et à lui poser une question sur sa profession. Oui c'est ce qu'elle aimerait faire mais son chagrin la rattrape et elle sait que si elle ouvre la bouche, les trémolos dans sa voix vont la trahir. Alors elle s'enferme dans le silence et observe la fillette debout devant le petit groupe.

Les sons et le bruit ambiant n'aide pas à apaiser le coeur de Mathilde qui est habituée au silence de la neige. Aux bruits des oiseaux et les échos étouffés par le manteau blanc sur ses montagnes. Elle serre ses mains sur ses genoux, s'oblige à desserrer les dents au risque de les briser et ferme les yeux de douleur.

« Oui, je m'en sortais de mieux en mieux. »

Même la belle de nuit ne sait pas si elle parle d'elle-même ou de l'orphelinat. Son âme brisée à tant cherché une oreille attentive. Et la voilà qui la trouve chez une presque inconnue.

« Mon ami est parti je ne sais où. Ce n'est pas dans son caractère de laisser les enfants derrière lui mais ... Aurais-je dépassé les limites la dernière fois que je l'ai vu ? Je ne sais plus. »

Cette fois elle est obligée de poser ses mains sur ses yeux pour retenir les larmes de givre. Le printemps n'a pas pu s'installer longtemps, l'hiver reprend ses droits dans le cœur de Mathilde.

« Excusez-moi. »

On entend les pleurs dans sa voix, on entend un chagrin qui n'est jamais vraiment parti.

« Vous vous en sortiez merveilleusement bien avec Elisabeth. »

Un léger rayon de soleil perce les nuages remplis de neige.

Elle se rassure, elle n'est pas seule. Mathilde tente de maintenir le fin lien qui la tient debout. Les épaules affaissée mais elle n'est pas prostrée. Raphaëlle la maintient dans ce monde, réchauffe un peu le givre qui tente de geler son corps. Alors elle fait ce qu'elle peut pour se concentrer sur la présence près d'elle.