S’il y a une chose pour laquelle Orion s’est découvert un intérêt au cours de ses voyages sur le continent Althéen, c’est, comme il les appelle presque tendrement, les vieux cailloux. Les remparts de Caer Callabus, les façades de ses bâtiment aux ocres toits pentus, les petites maisons de Requiem aux murs pas toujours verticaux - il paraît que les murs ont des oreilles. Qu’ont celles-ci à dire ?
Et puis il y a les ruines ensevelies du Désert. Ruines dans lesquelles il ne s’est jamais vraiment aventuré et où sa fascination, pour une fois, est contrebalancée par la prudence. Surtout en ce moment.
A partir de la frontière, le voyage n’avait pas été simple pour mille-et-unes raisons. Principalement la fatigue mentale qu’apporte une constante vigilance - ici il faut surveiller chaque bruit, le moindre mouvement suspect au creux des dunes, mais - Orion ne pense pas avoir le droit de se plaindre. Il n’habite pas ci - tout le temps, à chaque heure de la journée et de la nuit. (Au moins, maintenant, il y a les pyramides.)

Mais, il n’est pas là pour explorer les antres, pas qu’il doute que son guide pourrait le lui emmener. C’est qu’il a un rendez-vous ! Et il a pris de l’avance. Au cas où, par exemple, il ne parviendrait pas à trouver son chemin immédiatement.
Une colonne par-ci, un muret effondré par là, un reste d’escalier plus loin. Du sable entre chaque interstice de la roche, oh ! Une arche toute entière ! Il aurait pris le temps d’observer le calme spectacle de cette ville délabrée s’il n’était pas déjà passé par là au moins trois fois. Pas la moindre fontaine en vue. Alors il rumine sous sa casquette, « tu aurais pu être plus précis, » comme si son fameux guide l’entendrait. Il prend une gorgée d’eau pour se donner du courage.
C’est au bout d’un bon quart d’heure qu’il la trouve : la fontaine - c’est un bout de verdure qui attire son attention, des blocs de pierre en meilleur état que les autres, une architecture en rond. Il presse le pas et le sourire lui vient. Son cœur fait un petit rebond, il a hâte ! et bientôt ses pas le mènent sous l’une des nombreuses arches. C’est là qu’il s’arrête, dans l’ombre, à l’abri du soleil pour quelques instants.

Un peu plus loin, au bord d’un bassin asséché décoré de statues d’animaux, se dresse la silhouette qu’il cherchait et qui - il est honnête avec lui-même - lui a manqué ces dernières semaines. « Mince, je voulais arriver avant toi. » Il rit un peu, « mais, évidemment, je me suis perdu. »
Son expression est incontrôlable, il ne sait pas vraiment ce qui s’y trouve mais ses lèvres s’étirent d’elles-mêmes alors qu’il s’avance rapidement vers Mars. Il ne regarde pas vraiment le décor autour de lui.
Lorsqu’il peut plus clairement voir son visage, capter son regard, et quand il arrive à sa hauteur il réprime l’automatique geste de lui prendre la main. A la place, il la pose sur son épaule. Ah, il a du mal à ne pas déborder, Orion.

« Ça me fait plaisir de te voir. » Il redresse un peu sa casquette pour mieux le voir, autant que la queue de cheval qui libère sa nuque le lui autorise. « Tu vas bien ? » Et quand enfin il prend un peu le temps de regarder autour de lui, il baisse un peu la voix qu’il ne s’était pas rendu compte avoir élevé, par enthousiasme, « C’est joli, ici. »

C'est qu'il y a dans ce cœur la flamme de beaucoup d'émotions. Nervosité, impatience, euphorie, crainte, et puis, et puis. Il a le cerveau retourné, Mars, pense trop, réfléchit trop, se pose trop de questions. C'est qu'il a l'impression de ne pas avoir vu Orion pendant des mois, alors que cela ne devait bien faire que quelques semaines, tout au plus. Mais cette fois, tout semblait différent. Cette fois, les voilà à braver les sables, cette fois, c'est sur son territoire à lui, que leurs yeux se rencontreraient encore. Et il y a toujours cette crainte, dans le fond de la poitrine, que l'Astre se rende compte de la véritable condition de son compagnon. Peut-être sera-t-il une déception? Il en a tant l'habitude, que la pensée ne lui semble même pas absurde, sur le coup, avant de secouer légèrement la tête en soufflant fortement par le nez. Il n'est plus temps de remettre l'invitation en question. Il lui a promis les beautés cachées du désert, et a bien assez réfléchi pour ne pas retourner sur ses pas maintenant. Surtout en entendant les bruits de pas dans son dos.

Et les craintes s'évaporent aussi vite qu'elles se forment dans sa poitrine. Car Orion semble aussi impatient que lui (sûrement par la perspective de l'aventure), et son sourire fend ses propres lèvres de leur jumeau. Ils ont bien l'air de deux idiots, à ainsi s'observer d'un air bien (trop) heureux. Il a une petite moue amusée sur le visage, en le regardant approcher, à tout juste le temps de répondre, avant que le blond ne se retrouve planté devant lui.

« Tu n'espérais pas arriver avant un pro du terrain, tout de même. »

C'est que la tenue d'Orion le fait un peu sourire, car, après tout, il semble le plus prêt possible pour résister au soleil. Mais contrairement à son ami, lui n'a pas l'expérience de ces contacts retenus, n'a pas l'habitude de ce débordement d'émotions dans sa poitrine. C'est tout nouveau, ça fleurit à peine, c'est difficile à contenir. Alors il a la main qui glisse près du visage à la peau pâle, il a les doigts qui effleurent la joue doucement, et puis, instant de flottement. Se rend compte de son geste, pose sa propre main sur l'épaule d'Orion, un peu gêné, et, pourtant, le sourire ne s'efface guère.

« Dis moi au moins que tu as pensé à mettre de la crème solaire. »

Car sa tenue est bien différente, peut-être moins colorée, cela dit. Il a des voiles qui couvrent chaque parcelle de peau, l'on remarque à peine la queue de cheval dans le bas de sa nuque, si ce n'est pour ses cheveux qui reviennent dans son cou (il les laisse pousser). Il a une sorte de capuche qui camoufle sa tête, mais cela ne l'empêche pas d'avoir le visage dégagé. Et c'est peut-être pour ça qu'il se rend compte de leur soudaine proximité, du soudain engouement qu'il a eu à venir à la rencontre d'Orion, de cette soudaine envie de l'engouffrer entre ses bras (entre ses lèvres). Se recule un peu, comme si de rien n'était, comme s'il ne venait pas d'être un peu trop affectueux (on finit par s'y habituer, non?).

« J'ai plein de surprises pour aujourd'hui! »

Oh, il a l'air si heureux.

« Non, pas vraiment, mais j’ai voulu essayer. »

Un petit défi lancé à lui-même, peut-être pour se forcer à aller plus vite. Mais pourquoi aurait-il la moindre raison d’être déçu d’un si bel échec, alors que le visage de Mars se découpe entre les voiles qui encadrent son visage ?
Sa tête se penche, par instinct, vers ses doigts qui ont effleuré ses joues tant de fois maintenant. Ça semble naturel, ça l'est - pour une fois, l’une des seules fois dans sa vie, Orion décide de ne pas se poser de questions. Un jour, ils en parleront. Un jour, Orion lui dira. Devrait-il vraiment se sentir coupable des tendres affections de l’Oublié ? Il a les mains rêches, probablement abimées par le sable la poussière la chaleur les embûches. Mais il les aime comme elles sont, ces mains là. Elles sont choisi de trouver leur place contre son visage, après tout. Il ferme les yeux, les garde clos en répondant.

« Pour qui tu me prends ? » Il les rouvre, le regarde en souriant. « Tu crois vraiment que je crains le feu du soleil ? » (en vérité, il a pris soin de couvrir sa tête avec ce qu’il avait sous la main - la fameuse casquette - et de couvrir ses bras d’un t-shirt à manches longues. Il a étalé de l’indice sur sa nuque (surtout), son visage. Il n’est pas fou. Un Cristal n’est pas éternel). « Même si c’est l’opposé, le désert c’est un peu comme les étendues de neige. » Aride, le soleil qui frappe, se réfléchit de toute sa puissance. Ce n’est pas tous les jours qu’il murmure un indice d’avant.
Il y a des questions qui tournent encore dans sa tête, elles se réveillent au contact de ces doigts. Souvent il se souvient des paroles de l’Oublié. La raison pour laquelle il avait voulu remonter. « La revoir. » De cela aussi, peut-être, un jour, ils en parleront. Au fond, il aimerait bien.
Mais aujourd’hui il n’est pas question de cela.

Il lâche un bref rire. Ils ont l’air idiots, tous les deux, l’une de leurs mains sur l’épaule de l’autre, respectivement. Orion le regarde de haut en bas, longe son bras des yeux avant de remonter vers les siens, avec cette malice qui lui est propre. « Regarde-moi ça, on dirait deux vieillards. Autant se serrer la main à ce niveau. On devrait plutôt se trouver un check, non ? » Et, après avoir affectueusement pincé le bout de son nez, il se recule pour enfin observer ce qui se trouve autour d’eux.

Un lézard doré zébré de noir se repaît des rayons brûlants, agrippé à l’une des colonne encerclant le lieu. L’on dirait un paradis oublié, avec ses plantes grasses et rustiques dont on devine les racines profondes. Il en reconnaît quelques unes, mais pas toutes. Il aurait prélevé quelques échantillons s’il en avait le matériel.
Il fait quelques pas - soulève quelques grains de poussière - imprime des images dans sa mémoire, suit les lignes, s’étonne des cordylines et des agaves, s’attendrit des dasylirions et euphorbias. C’en est presque luxuriant, et se doute que la réponse se trouve derrière lui, dans ce bassin tranquille vers lequel il se tourne.

Devant lui il y a Mars dont il s’imprègne de l’image. C’est l’inverse aujourd’hui - Mars qui de coutume fait l’effort du dépaysement, celui d’être l’étranger que voilà maintenant chez lui, dans cet environnement hostile qui l’a fait devenir celui qu’il est à présent, son territoire. C’est facile d’oublier un instant les dangers qui tournent en rapace plus loin dans les sablonneuses, lorsqu’il arbore un air aussi doux.
Le voir là, posté près de cette fontaine inanimée et asséchée, est de cette même honnêteté que ses rires, que ce cri poussé lorsque l’Astre lui a glissé ces glaçons contre la peau le dos, que la trace froissée de sa forme sur les draps, dans le lit défait au matin après avoir séché ses larmes (il en a un peu honte), que les quelques cheveux qu’il a laissé sur l’oreiller. Cette même honnêteté qu’Orion a toujours autour de son cou, la chaînette cachée sous ses vêtements. Il se souvient l’avoir saisie lors de ses pires angoisses. (Il a laissé les boucles d’oreilles à l’abri aujourd’hui.)
Il se demande si, de là où il est, Mars ressent toutes ces vagues d’affection qui le traversent - il a l’impression qu’elles débordent de son corps. Même dans l’ombre, ses yeux sombres et tout son visage resplendit.

« Comme toujours, Obi-Wan, » dit-il à la place de tout ce flot de pensées (il fait référence à sa drôle de capuche, ce n’est pas méchant - et sa voix tremble imperceptiblement, ce cœur au bord des lèvres qu’il contient difficilement). « Mets-en moi plein les yeux. »

Est-il habitué à la neige, Orion? La question se pose, peut-être ont-ils tous deux côtoyé les flocons, avant. Mais il a raison, ça brûle, c'est insoutenable, parfois. Et c'est pourtant si beau, l'on en réclame encore. Mais le sable a cette particularité de ne pas fondre, lui. Pas plus stable, cela dit, toujours à glisser sous les pieds, à s'enfuir plus loin, à s'envoler à la moindre brise. Mais on s'y habitue. Presque. Il a le sourire sur le bout des lèvres, quand il répond.

« Peut-être que les étendues de sable donneront de nouveaux souvenirs. Ca donne presque envie de venir s'y installer, hm? »

Il rit un peu, car, non, définitivement, ça ne donne aucunement envie de venir y vivre. Même si les pyramides dans lesquelles il a pu s'installer depuis peu sont assez confortables, il y a le danger partout, ici. Il faut s'y habituer, cohabiter. On n'y est pas autant à l'abris que dans les confortables capitales des autres pays. Et c'est qu'il ne s'attend pas, lui, à cette main qui vient lui pincer le bout de son nez. C'est qu'il sourit légèrement, amusé, préférerait bien lui faire une accolade (pour ne pas dire une étreinte) plutôt qu'un check, mais se retient de le prononcer (ça brûle les lèvres).

« Quoi, t'as peur d'être trop has-been? »

Et il laisse Orion fouler ces pierres autour desquelles il a tant gravité, lui aussi. Autour desquelles il s'est émerveillé, car, non, le désert n'était peut-être finalement pas simplement fait de sables épais. Il sourit un peu, regarde le blond tourner, observer, et, lui, s'installe sur le bord des fontaines, attend patiemment. Il n'y a pas une goutte d'eau dans le fond du bassin, mais Mars sait qu'il suffit d'une rare averse pour que celui-ci soit bien rempli. Pour quelques heures, seulement. Et s'il regarde un instant la pierre, il sent le regard vibrant d'Orion sur lui, relève le visage, à son tour. C'est que ça le transperce presque, a l'impression que c'est son cœur qui lui fait voir quelques illusions, en plus du soleil. Mais il est beau, la peau toute pâle sous le soleil, il est beau, avec ce sourire sur le coin des lèvres, à l'autre bout des rochers. Il a presque envie de faire tout le tour pour le rejoindre. Presque envie de ne plus lâcher ces yeux là du sien, mais le fait, pourtant, presque gêné par toutes ces nouvelles émotions auxquelles il ne s'est pas encore bien habitué.

« Comme d'habitude, hm? J'aurais tendance à dire que tu es le plus surprenant de nous deux. Mais tes désirs sont des ordres. »

Se redresse, fait mine de faire une petite courbette pour son altesse, et puis, enlève le voile qui lui protège le visage. Le range dans son sac, il sourit un peu malicieusement.

« J'espère que le feu ne craint guère l'eau, aujourd'hui. »

Car ils finiront tous deux bien trempés, mais le jeu en vaudra la chandelle. Et il baisse la tête un instant, c'est que l'on pourrait se demander s'il n'a pas un soudain mal de tête. Croise les mains sur le torse, se concentre, ferme les yeux. Il est celui qui fera vivre la fontaine, car, déjà, quelques nuages viennent du lointain, ils sont blancs, ils sont cotonneux. Il y a une fine bruine qui vient s'écraser sur la roche, sur les habits, puis une pluie un peu plus épaisse. Il n'est pas bien capable de faire beaucoup plus, dans un tel climat, mais avec un peu de patience, les animaux de pierre cracheraient cette pluie. Et relève le visage vers le ciel, sourit, parce qu'après tout, ce n'est pas tous les jours que l'on peut apprécier une pluie en plein jour, dans le désert. Et il tourne la tête vers Orion, dont les cheveux sont mouillés, le visage, aussi, le corps, tout entier. Il rit un peu, par le ridicule de la scène, mais l'eau fait du bien, par ces températures.

« Promis, c'était pas juste pour voir tes vêtements coller au corps que je fais ça. »

Et cela ne l'empêche pas de lâcher un petit clin d'œil. Dans quelques minutes, le vrai spectacle commencera.

Un roulement des yeux, c'est tout ce que Mars aura pour réponse.
Has-been, non. Gênant, oui.
Enfin, ce n’est pas vrai. Orion se fiche bien d’être gênant.

Mars, ensuite, rompt le contact visuel, et Orion hausse les sourcils. Lui, le plus surprenant des deux ? Lui qui avait, l’expression paniquée, frappé à sa porte après avoir absorbé un cristal sans le vouloir ? Lui qui s’était révélé si chatouilleux qu’il en avait plu des plumes toutes colorées ? Lui qui avait doucement serti son cou d’un bijou contre lequel il aurait pu échanger de quoi se nourrir une semaine ou trois sans se poser de questions ? Lui qui l’avait accepté, tout compte fait, malgré les froncements des sourcils, les moues ennuyées, les yeux hostiles ? (Pourquoi Orion avait-il insisté ? Pourquoi Mars avait-il cédé ? Oh le hasard avait certainement aidé.)
Lui chez qui, l’Astre le sait, coule une violence nécessaire, mais qui vient d’effleurer sa joue de la plus douce des manières ?
Mars se trompe, mais il n’est pas nécessaire de le contredire.

Il le fait rire à faire une courbette comme ça, les drapés de sa capuche bougent un peu autour de son visage avant qu’il ne la retire, et Orion peut mieux le voir. Enfin.
Mais il reste silencieux après son avertissement dramatique. C’est qu’il attend la surprise.
Elle vient du ciel.
L’Astre se serait inquiété de sa posture s’il n’avait fait aucune annonce, mais Orion le regarde tout de même avec un air un peu soucieux, jusqu’à ce que la lumière diminue. Le soleil se cache derrière les quelques morceaux de cotons qui viennent tacheter le jaune et bleu du ciel désertique. Il reste là debout, le nez levé, jusqu’à ce que les nuages ne s’assombrissent et se percent enfin, progressivement. Ce sont d’abord des gouttelettes puis une pluie, une vraie.

« Oh ! » Orion s’exclame, il ne peut faire que cela. Il y a la clameur des gouttes contre la roche, celle plus sourde contre le sable, celle plus distincte contre les feuilles. Il peut déjà sentir le pétrichor s’élever délicieusement alors, il retire sa casquette, se déleste de son sac à dos et écarte les bras. Depuis quand n’a-t-il pas senti la pluie ? Les gouttes tièdes sont exquise sur ses joues, sur ses paupières, dans ses cheveux, lavent l’épuisent du trajet jusqu’à ce paradis. Il rouvre les yeux sur l’Oublié au moment où ce dernier tourne la tête vers lui, et il sourit de toutes ses dents.

« Je savais pas que tu pouvais faire ça ! »

Quelques pas, et il peut voir le bassin se remplir petit à petit dans un petit clapotis. Il se poste tout près de Mars dont les mèches (de plus en plus longues) épousent les tempes, parsèment le front. « Pas que ça m’aurait dérangé. » Un clin d’œil, il lui renvoit le sien.
Et puis son regard s’appuie, bien en évidence, sur ses épaules, ses bras, son buste que les vêtements trempés soulignent. L’audace le prend, il n’y pense pas vraiment ; le bout de son index se dresse, s’approche pour tracer une ligne sur son sternum, quelques centimètres, du haut vers le bas, s’arrête sans repartir tout de suite. « En tout cas j’aime bien ce que je vois. » - et, le sourire au coin des lèvres, il se détourne pour plonger le bout de ses doigts malicieux dans le bassin un tiers rempli.
Il ne ressent pas vraiment de gêne, Orion. Il est sincère dans ses action, mais Mars est libre de le prendre comme il le veut, s’il veut jouer à ça.
Il s’accoude au bassin pour observer la fontaine.

Une nouveauté s’ajoute bientôt au paradis perdu. Ça commence par un bruit plutôt étrange, pour tout dire, un espèce de gargarisme - jusqu’à ce la fontaine prenne vie. C’est le sommet qui sort d’abord de son sommeil, une eau limpide qui déborde du petit bassin pour se déverser dans celui du dessous jusqu’à ce qu’elles atteignent enfin les pièces maîtresses. « Oh, wow. » Les animaux en pierre s’animent, les jets d’eau se jettent plus bas dans une ravissante mélodie et Orion a comme des étoiles dans les yeux. Qui l’eut cru, que se trouvait au milieu du désert une fontaine qui rendrait celles de Caer Callabus et Versailles réunies rouges de jalousie ?

Pluie artificielle des cieux. C'est ce qui lave le visage, les soucis, l'âme même. Il a à peine le temps de voir ce visage adouci par les larmes des nuages, que, déjà, Orion a les yeux grands ouverts (se souvient de cet instant où il s'était permis d'observer l'apaisement sur ces traits là, entre deux draps, pour, simplement, s'assurer que tout irait bien s'il se levait pendant cinq minutes, aller chercher un verre d'eau). Il sourit un peu face à cet enthousiasme, se demande s'il est bien sage d'ainsi larguer toutes affaires à même le sol, et puis. Après tout, il n'y a qu'eux ici. Ce n'est comme à Requiem. Il n'y a que la pluie, la fontaine, le clapotis de l'eau, Orion, Mars. Et cette sensation qui lui serre le cœur, le corps, à chaque seconde qui passe. Comme une tension entre chaque doigt, plus palpable que jamais, aujourd'hui.

« Parce que je le fais très peu, à vrai dire... On a pas forcément besoin d'une pluie aussi éphémère, par ici. Elle est si fine qu'elle s'évaporerait, si ce n'était pour la fontaine. »

Et, profite un instant de la pluie, lui aussi. Mais c'est que l'instant s'étend, s'étale, devient aussi lourd que l'orage. Et, si les nuages commencent déjà à disparaître, doucement, s'il n'y a plus qu'une fine bruine sur leurs peaux, cette averse de sensations, elle, prend le relais. Quand il y a le doigt d'Orion tout contre son corps (son cœur), quand le regard se languit sur les muscles détrempés. Il reste sans voix, un instant, aimerait avoir saisi le poignet de l'Astre plus tôt, car il n'a le temps de rien dire, rien faire, avant qu'Orion ne se retourne vers les fontaines. Et peut-être que ce désordre auquel il n'arrive à mettre un therme dans sa tête ne nécessiterait que quelques pas, que quelques centimètres, qu'un peu de courage pour se calmer. Il inspire soudainement, quand il se retourne. Il sent son cœur repartir à toute vitesse, regretter, tout aussitôt. Renfrogné, il l'est. Mais il lui laisse le temps d'observer la beauté du spectacle, se laisse le temps de réfléchir, de peser le pour et le contre, et se sent plus nerveux qu'il ne l'avait été jusqu'alors, quand il répond, avec un temps de retard :

« Wow, en effet. »

Mais son regard, à lui, n'est guère posé sur la fontaine. Il est ardent, dans la nuque d'Orion, il transperce presque la peau. Il aurait pu prendre un air plus enjôleur, plus assuré, plus, plus, plus. Mais la réalité est qu'il n'a pas assez confiance en lui, sur le moment. Il est un peu incertain, a l'air soudainement un peu trop sérieux, un peu trop perdu. Il regrette presque la situation, mais ne faut-il pas avancer sur des terrains glissants, pour trouver les meilleures fondations. Et il a la main qui, cette fois, ne s'échappe pas, vient délicatement voler vers les mèches mouillées, collées sur le visage d'Orion pour le lui dégager un peu. Nerveux. N'a-t-il pas les doigts un peu tremblants, effrayés par ses propres sentiments? Peut-on rassurer les troubles que les mères ont cédées à leurs fils?

Au dessus de leurs têtes, le ciel s’éclaircit déjà, les nuages se dispersent, l’eau commence à peine à s’évaporer, l’air se réchauffe. Pourtant la fontaine, elle, sous les yeux de l’Astre, reste en vie, resplendissante sous les rayons brûlants qui s’en reviennent, le sera jusqu’à jusqu’à ce que la source s’épuise. Pour l’instant elle est fraîche contre ses doigts, sa paume, les ondes continuent à se déplacer jusqu’à heurter les rebords. Ce n’est pas le soleil qui lui brûle la nuque. Ce n’est pas une chaleur qu’il craint.
Des doigts encore humides viennent délicatement replacer quelques brins de cheveux (ils sont de plus en plus longs, eux aussi) et l’Astre s’y laisse aller, ferme les yeux une nouvelle fois. C’est quand il en ressent les frémissements qu’il les rouvre et, sans bouger la tête, son regard se tourne vers Mars.
Il ne l’a jamais vu ainsi. Nerveux, sérieux. Indécis, et c’est là que le cœur de l’Astre se serre. Une boule grossit dans sa poitrine alors que son expression prend les mêmes traits, y ajoute la crainte.

« Mars. »

L’incertitude le gagne, ça se sent dans ses gestes, lorsque ses doigts viennent entourer le poignet de l’Oublié, l’écarte doucement de son visage pour qu’il puisse se retourner et, en une petite impulsion, s’assoir sur le rebord de la fontaine. Il lui fait dos maintenant. Le temps suit son cours et bientôt, l’éphémère arrêtera de couler - mais il y a plus important et peut-être n’y aura-t-il pas d’autre moment opportun.
Orion le regarde. Cela ne fait que quelques minutes, mais ses cheveux sombres ont déjà commencé à sécher, ondulent doucement comme à leur habitude. Il n’est pas sûr de la ligne de ses sourcils, celle de ses épaules et l’Astre détourne le regard. Lui qui n’a pas manqué de culot sent l’angoisse monter. Ce n’est pas bon. « Ecoute, je… » Oh il n’est soudain plus sûr de rien. « Je sais pas trop ce qu’il se passe, hum… tu sais. » Sa main, celle dont le pouce ne frôle pas le pouls irrégulier de l’Oublié, gesticule vaguement entre eux, le bref espace qui les sépare maintenant qu’il lui fait face. « Enfin, si, pour moi je sais. Je, hum, te l’ai dit. A l’instant. » Il soupire. C’est qu’il s’en sort mieux avec les actions, Orion, on dirait, lui qui pensait l’inverse. Mais soudainement Mars l’intimide, son regard lui semble insoutenable - il ne sait même pas ce qu’il adresse là. La flamme ardente qui le traverse lorsqu’il le voit, lorsqu’il pense à lui tard le soir (et ses joues en rosissent, c’est la culpabilité de l’indécence) - ou bien parle-t-il de sa poitrine sur le point d’éclater, ses mains un peu moites et les étincelles qui naissent dans son estomac ? (C’est d’un cliché à en faire grogner les plus fleurs bleues).

Derrière ses épaules qui s’abaissent un peu, la fontaine se meurt petit à petit. « Excuse-moi si je suis allé trop loin. C’est juste que je sais pas à quoi tu penses, ni si je comprends bien tout, euh, ça. » Et il refait ce geste. S’il rosissait, à présent il rougit d’embarras.
Il aurait dû se poser plus de questions avant.
Il n’ose pas vraiment s’approcher. Il marche sur un fil. « Donc, » Ses doigts se resserrent un peu. « Euh, » Ils se desserrent. Une échappatoire, si Mars le souhaite. « J’aimerais bien avoir ton avis. Que je me fasse pas d’idées. » Avoir, pas entendre, pas forcément. Avoir une réponse, de quelconque nature. Se reculer, s'approcher, parler. Et après, quelle qu’elle soit, il pourra de nouveau le regarder dans les yeux.
Une réponse, une simple réponse.

Ce sont des feux d'artifices sur les joues d'Orion. Roses, puis rouges. Il sent toute cette tension accumulée dans ses propres muscles s'échapper, quand il laisse ses propre doigt glisser sur le poignet du blond, quand il sourit un peu, malgré lui, de voir qu'il n'est le seul ici, à côtoyer la nervosité. Il le laisse pourtant parler, est tout attentif à ses paroles, sur lesquelles il bute, sur lesquelles il ne parvient à s'exprimer clairement. Mais il ne lui en veut pas, lit entre les lignes. Il fronce un peu les sourcils, il sent son palpitant tout prêt à exploser, telle une petite boule de stress, toute prête à éclater. Oh, oui, il n'a jamais ressenti ça, mais, tout à la fois, cette sensation d'élévation ne lui fait que du bien. C'est tout cela qui fait tourner la tête, qui le pousse à se rapprocher, encore, un peu, quelques centimètres. Et il souffle, un peu incertain et pourtant jamais aussi sûr qu'il ne l'avait été depuis longtemps.

« J'espère que je n'ai pas mal compris les choses. »

C'est presque caché entre leurs lèvres, ces paroles, car bientôt, il n'y a plus d'espace entre eux. Bientôt, la main a lâché le poignet pour glisser sur la taille de l'Astre, maladroite, autant que le baiser si chaste. C'est qu'il n'y est pas habitué, Mars, ne sait trop comment s'y prendre, expérimente. Une légère pression est bien suffisante pour qu'il ne se recule presque aussitôt, tout autant aux anges que totalement terrifié. Et cela doit se lire dans ce regard, qu'il lance aussitôt le visage relevé. Et pourtant, il a ce sourire radieux sur les lèvres. Ce sourire qui pourrait peut-être rivaliser avec le retour du soleil. Et la chaleur semble presque dérisoire, et Orion est si beau, presque entre ses bras, et il a soudainement l'impression que toutes ses craintes sont ridicules car, ne sont-ce la les mêmes sentiments que les siens, qu'il lit entre ses traits? Il ouvre la bouche, il est presque prêt à libérer toutes ces paroles en tourment d'un coup, comme une bombe.

Mais ce sont d'autres mains, qui le tirent en arrière. Ne comprend pas, il est bien surprit, sur le coup, il a un hoquet de surprise, lorsque les doigts s'enfoncent dans sa joue, s'enfoncent dans son ventre. Lorsqu'il est soudainement jeté en arrière, vulgaire petite poupée. Lorsqu'il sent le sable dans ses yeux, le sable dans son nez, le sable dans sa bouche. Il a un cri de douleur, quand sa jambe heurte violemment une roche, se redresse sur son avant bras, pourtant, choqué, à s'étouffer au loin, à se rendre compte du lancement dans son corps, dans sa tête qui lui tourne. Cherche Orion de sa vue brouillé et. Ne trouve qu'un monstre, aux rangées de dents surprenantes. Aux bras longs, aux cheveux raides, tout jusqu'au dos. Juste devant le blond, juste devant Orion. Et la bête a les bras qui s'élèvent, avant de retomber en gémissements de douleur abominables, plus monstrueux, peut-être, que la créature même. Et en même temps, Mars gémit dans son coin. En même temps, il se rend compte que la douleur infligée au monstre est si forte, qu'il la ressent lui-même. Peut-être car son cerveau, totalement en alerte, lui avait ordonné de le protéger sans même réfléchir. Et il a la vue brouillée, aimerait faire plus, aimerait dire à Orion de s'enfuir, mais, mais. Il s'étouffe par le sable.

Et ce sont des larmes de peur, cette fois, de peur, de douleur, de haine, qui coulent sur ses tempes.

Insouciants, innocents, voilà ce qu’ils sont en cet instant, rougissants, incertains. C’est né il y a quelques temps déjà et pendant quelques instants ça devient tangible dans l’air rafraichi, dans le doux clapotis de la fontaine éphémère. Dans des bruits de pas étouffés par le sable qu’ils n’entendent pas.

Il y a quelques tremblements qui se logent au creux des bras de l’Astre. C’est une plaine inexplorée qui s’étend devant lui, une où il n’est pas seul. Ses mots buttent sur les collines, n’arrivent jamais à être précis, ricochent sur ses pensées en serpentines. Il ne sait quoi faire de ce silence. Et s’il avait mal perçu le message ?
Il a laissé le choix à Mars, l’espace nécessaire pour lui porter sa réponse. En cet instant, il en a besoin comme un assoiffé a besoin d’un ruisseau d’eau fraîche.
Cette réponse vient d’abord sous forme d’une ombre. Le soleil baisse déjà dans le Désert, et en se rapprochant Mars le cache dans un joli contrejour, ses cheveux dans un joli halo désordonné, doré par les rayons blancs - sans s’en rendre compte, Orion s’est redressé vers lui. Son cœur lui fait l’effet d’une bombe à chaque battement, il se sent capable de déclencher un tremblement de terre. Et ses yeux s’arrondissent, s’arrondissent si grand quand un murmure qui n’est pas le sien glisse sur son visage. Il l’entend à peine. L’oublie immédiatement. Il ne pense plus. Ses yeux se ferment.
Les lèvres de Mars sont douces contre les siennes. Plus douces que tout au monde, c’est irréel. Ce n’est qu’un contact mais Orion en frissonne, en gardera un soupçon brûlant et en même temps qu’une des mains de l’Oublié se glisse sur sa taille, la sienne se dépose contre sa joue.
C’est un baiser presque papillon, qui ne dure que quelques secondes (pour Orion, ça a duré beaucoup plus longtemps) et, les lèvres vides, il reste un instant les yeux clos. Il n’a pas envie de les ouvrir, il veut rester dans ce petit monde plein de chaleur mais les entrouvre pourtant, parce qu’ils sont deux.
La tête de Mars fait presque envie de rire. Il a ce sourire couplé à cet air de terreur, c’est un drôle de mélange. Mais Orion a aussi envie de rire car - il a au bord des yeux et du cœur ce tourbillon de joie éclatante et d’amour qu’il ne pourra jamais décrire - mais il sourit à la place. Son pouce - sa main est restée sur sa joue - voyage un peu contre la peau de l’Oublié, achève sa course à la commissure de ses lèvres qu’il ne peut que regarder. Quand son regard - ses yeux sont plissés de bonheur, pétillants - se redresse vers le sien, il s’apprête à placer son autre bras autour du cou de cette personne qu’il aime tant, l’attirer vers lui sans écouter ce qu’il a dire, l’embrasser encore, une deuxième fois et une troisième-
Mais ils sont dans le Désert. Le Désert les rattrape.

La bulle éclate - beaucoup trop vite. Mars est arraché de ses bras comme un pantin que l’on jette, dans une bourrasque ensanglantée. Orion ne comprend pas.
L’image la plus radieuse est remplacée par un cri, par une grande silhouette macabre. Mars n’est plus dans ses bras, il est quelques mètres plus loin, allongé sur le sable.
Orion, qui n’a pas fait un mouvement, là assit sur le rebord de cette si jolie fontaine, Orion dont le visage n’exprime d’abord que la surprise et le choc, se ferme.
Peut-être que tout ceci n’est qu’un rêve qui tourne au cauchemar.
Alors comme il le fait toujours, il se ferme. Tout ce qui afflue dans son sang ne l’atteint plus, le barrage se construit en un instant. La violence le laisse de sang froid, il a l’habitude, beaucoup trop l’habitude alors il fait comme il a toujours fait : laisse son corps agir au mieux.
Avant, c’était se recroqueviller. Placer ses bras devant son visage dans l’espoir de réduire les dégâts et la douleur. Rester immobile, attendre que ça passe. Dissocier, ce le mot que l’on lui a appris plus tard.
Cette fois il se dresse, saute de son perchoir. Au fond de lui, il reconnaît cette même fureur qui s’est emparé de son corps entier quelques semaines plus tôt dans cette pièce toute blanche. Il s’en sert.

Il entend Mars crier, il entend Mars gémir - Orion ne cède pas à la panique. Mars est en vie. Il trace entre sa silhouette blessée et celle du monstre, l’abomination qui a osé le toucher une épaisse ligne de feu, un mur pour empêcher le transcendé de l’approcher de nouveau. Sa silhouette grotesque s’agite, gémit telle une créature infernale - une horrible symphonie qui s’imprime malgré lui dans sa mémoire - se replie pour une raison qui lui échappe, mais ce n’est pas grave. Orion en profite pour passer au travers du mur de flammes, rejoindre cet être cher à qui il glisse un regard.
Vision insupportable. Autour de lui quelques parcelles de sables sont devenues marron, son sang si vite absorbé par le sable. L’agonie sur son visage, les larmes qui coulent de ses yeux sont la vraie vision d’horreur. Orion ne se rend pas compte à quel point lui-même tremble.
Pourtant le danger fait toujours rage, alors il doit se détourner.

La barrière de feu se baisse instantanément, au moment même où le monstre semble se reprendre. Il n’en aura pas le temps. « Va te faire foutre. »
Cette fois aussi tout va très vite. Malheureusement pour lui, le transcendé est seul. Lorsqu’il se fait engloutir par les langues de feu de bleu et de rouge, il n’y en a pas d’autre pour poursuivre son œuvre macabre. Il fait un pas, un seul avant de s’écrouler dans de nouveaux hurlements. Oh, ça doit faire mal de brûler vif ainsi. Très bien. L’Astre le laisse se consumer, le regarde fixement jusqu’à ce qu’il ne bouge plus. Laisse le feu le consumer sans prendre la peine de l’éteindre. L’odeur de la mort envahit le paradis éphémère, et c’est ainsi que cela se termine pour lui.
Le barrage cède.

« Mars ! »

Les tremblements reprennent le dessus, sa vue se brouille alors que ses genoux s’enfoncent dans le sable près de l’Oublié. « Mars, tu m’entends ? Regarde-moi. » Jamais il n’a eu aussi peur.
Mais il faut qu’il réfléchisse, qu’il agisse encore, même s’il est submergé. « Merde, merde. C’est pas possible… c’est pas possible. » C’est sûrement un cauchemar, se dit-il encore. Sa main attrape tout de même son sac qu’il avait échoué un peu plus loin auparavant, en sort une gourde, un opinel, une boite, un talisman. Doit-il le bouger ? Il a du sang plein le visage, une blessure en ventre, et sa jambe… Et s’il s’était cogné la tête ? Si son dos avait heurté quelque chose ?
L’odeur de la chair brûlée est presque insupportable. Il coupe un morceau du vêtement qui lui recouvre l’abdomen, y trouve des plaies ouvertes. Elles n’ont pais l’air d’être profondes - il passe à sa jambe. Son souffle se coupe une fois la blessure dégagée de son pantalon, « putain. » Elle saigne beaucoup trop.
« Je suis désolé, » est le seul avertissement qu’il donne à Mars alors qu’il verse un peu d’eau sur la plaie ouverte, dégageant le sable, et appuie la compresse qu’il avait sorti de la boite. Elle s’imbibe de sang immédiatement. « Je suis désolé, » sa voix tremble, tout son corps tremble, le talisman de soin se fraye un chemin dans la plaie. Il ne sait pas si cela fait grand chose, mais il appuie avec de nouvelles compresses, serre les dents aux cris, ne veut pas penser à la suite-

« Bordel mais qu’est-ce qu’il s’est passé ici ?! »

La voix est forte, elle se fait entendre d’un peu plus loin entre les colonnes. Sans cesser sa pression, l’Astre tourne la tête. Il y a une silhouette forte (une silhouette humaine) postée entre eux et la masse immobile et fumante du transcendé - quelques autres un peu plus loin. Orion ne cherche même pas à savoir si ce sont des brigands (s’ils en sont, peut-être que l’avertissement qui se trouve sous leurs yeux sera suffisant).

« Il est blessé ! J’ai besoin d’aide ! »

Il aurait pu pleurer.

Sont-ce les cauchemars, qui viennent hanter son existence? Il a la douleur dans la tête, il a en son sein, les veines qui bouent, le corps qui souffrent. Il sent ses poumons brûler, quelques secondes, et puis, c'est un peu comme si tout s'éteint, pour une fraction de secondes. Le don cesse de fonctionner, et, aussitôt, il a le sentiment que tout va mieux, cesse un instant le gémissement de douleur, à demi entre soupir et cri, pose le crâne contre le sable (devenu soudainement confortable, est-ce normal). Et la plénitude qui le prend s'efface pourtant rapidement. Car, sans cette douleur factice, il y a celle de sa jambe qui s'éveille, fourmillement, d'abord, et puis. Mars n'a jamais pleuré fort sous les égratignures enfantines. Il n'a pas pleuré fort, le jour où il s'est coupé en voulant aider maman à la cuisine. Il n'a pas pleuré fort, le jour où il est tombé et s'est cassé le bras. Il n'a pas pleuré, le jour où la cicatrice qui lui barre le visage s'est dessinée. Non, non. Il n'avait pas pleuré. Mais aujourd'hui, il a les larmes sur les tempes, par la douleur, par l'inquiétude, par la surprise, par le bonheur de l'instant passé. La bulle explose en son sein, trop rapide, et il y a du coin de l'œil ses hantises, qu'il aperçoit.

Le feu jaillit, le feu vient lécher le soleil, il a la tête qui se tourne vers lui, et cherche à s'en cacher, tremble, pousse un juron, la douleur le ramène presque à la réalité. Car il sent la chaleur si proche de lui, et il voit Orion jaillir d'ente deux feux, a la peine, la terreur qui lui prend à l'estomac. Il serait capable de vomir, si tant de sensations ne traversaient déjà son corps. Mais il ne lâche cette figure du blond, à la fois admiratif, à la fois impatient, à la fois terrorisé. Mais s'en est trop, de voir le corps (même déformé) de la bête brûler. Il a les hurlements de la chose qui résonnent en lui, trop forts. Il a les doigts qui cherchent à s'accrocher à quelque chose, n'importe quoi, à espérer s'enfuir du cauchemar. Et il ne peut pas bouger pour aider plus, il essaye de se redresser sur ses coudes, de glisser contre le sable, de faire quelque chose. Peu importe quoi. Mais rien, rien, rien. Il n'y a que la douleur qui répond à ses clameurs. Mais soudainement, il y a une figure, floue, devant lui. Il souffle fortement, il a la main qui cherche un appui, qui vient se saisir d'un pan de vêtement, tremblant. Il ne voit pas bien le visage du blond, mais ferme les yeux, après avoir croisé ce qui lui semblait être son regard, peut-être.

« Orion. »

Soulagement. Il est là, il est là, il n'est pas mort, il ne l'a pas abandonné. Il rouvre les paupières, a le regard un peu fou, quand il cherche la bête des yeux. Est-elle évincée, elle? Il l'espère, n'a pas le temps de vérifier, il entend les jurons d'Orion d'une oreille, les a sifflantes. Il sent déjà sa jambe le piquer, a un sursaut, enfonce le visage dans le sable, enfonce le poing dans la cuisse d'Orion, siffle entre ses dents. Il a les sens qui se réveillent soudainement, à cet acte, tremble à son tour, a froid, sous le soleil brûlant. L'odeur putride de brûlé lui prend au corps, il a un haut le cœur, la bile menaçant toujours. Et puis, les mouvements sur sa jambe lui font pousser quelques gémissements, un cri, presque, à demi soufflé entre les lèvres qui n'ont plus la force, et puis, une sensation d'apaisement. Il tremble de tout son corps, Mars, il a la tête qui lui tourne, ne comprend pas vraiment ce qu'il se passe autour de lui, voit seulement ce visage d'ange, ce halo blond, s'y accroche fermement. Et quand celui-ci tourne la tête, il a un hoquet, de ceux qui brisent les cœurs, de ceux terrorisés, mais soulagés tout à la fois.

« Orion. Orion, Orion, ça va..? »

Il a la main qui cherche à l'aveugle sur le corps de son ami (?), une blessure, quelque chose, sent de nouvelles paires de mains sur son corps, qui cherchent à tâtons, qui le déplacent avec douceur, mais il se sent partir, Mars. Il n'est plus logique dans ses pensées, est à moitié à l'ouest. Il n'y a que la douleur qui le maintient éveillé, et, peut-être, les émotions fortes qui font battre son cœur à toute vitesse. Quand il perd connaissance, il enfonce le visage contre le ventre d'Orion, il s'accroche à ce qu'il peut sentir contre ses mains. Il a l'odeur du soleil, l'odeur des astres, tout contre le nez, pour essayer de le rassurer.