Deux jours. Il avait fallu deux jours pour atteindre les pyramides. Ils avaient dû faire une pause au campement des nomades. On lui avait dit « il est trop pâle, il faut qu’on trouve un médecin au plus vite, » et l’Astre n’avait pu que hocher de la tête. La main immobile qu’il tenait dans la sienne, petit à petit, se faisait fraîche.
Lorsqu’ils avaient lentement déplacé le corps de Mars, il était alors encore à demi-conscient... si les quelques mots délirants, ses yeux qui semblaient ouverts sur le vide, ses gestes aveugles alors qu’il s’agrippait à lui, cherchait la moindre blessure sur son corps. C’est ce qui avait fait craquer Orion.
Mars qui ne connaissait plus que la douleur, la peur la panique (il l’avait vue, limpide comme la pluie qu’il avait fait pleuvoir comme par magie) - qui lui demandait s’il allait bien. Si lui allait bien.

Les marchands, car c’est ce qu’ils étaient, n’avaient pas posé de question, pas vraiment. Il n’y en avait aucune à poser, la scène avait parlé d’elle-même. Une carcasse putride, calcinée. Un homme au sol couvert de sang et un autre appelant à l’aide. Et puis, c’était le Désert. Nul doute que de tels accidents arrivaient régulièrement.
Orion avait pleuré silencieusement pendant tout le trajet - dès l’instant où la tête de Mars s’était lovée contre son ventre pour ne plus bouger. Les larmes avaient coulées toutes seules, peut-être était-ce le choc qui lui permettait de parler presque normalement au travers.
Mars respirait toujours. Il ne saignait plus - avait perdu beaucoup de sang - mais ne répondait pas non plus. L’un des marchants l’avait prévenu - ils étaient quatre - s’il s’était cogné un peu trop fort la tête, s’il avait reçu un trop gros choc dans le dos, ce serait probablement la fin de beaucoup de choses. « Il a bougé les jambes, pourtant, tout à l’heure, » avait doucement avancé Orion. Cela pouvait venir après, lui avait-on répondu. L’Astre les avait remercié ensuite.

« On s’est déchargés de deux sacs de marchandise pour vous embarquer. Ça sera pas gratuit. »

D’une main (il refusait de lâcher celle de l’Oublié), il s’était défait de la si jolie chaîne dorée qui ornait son cou, des pierres précieuses qui sertissaient le pendentif si fin, l’avait doucement déposé dans la paume qui s’était tendue.

« - …On vous amènera jusqu’aux pyramides après qu’un médecin l’ait vu.
- Merci.
- C’était sur notre chemin, de toute façon. »

Peut-être s’agissait-il de pitié. Peut-être qu’il avait payé bien assez. Beaucoup trop payé. Cela n’avait aucune importance.


Deux jours passés dans le brouillard, les yeux fixés sur la poitrine de Mars, la peur de la voir arrêter de bouger - sur son visage qui se contractait parfois, toutes les preuves que la vie coulait encore en lui.
Le médecin avait dit qu’il vivrait. Qu’il remarcherait. Avait essayé de le rassurer, mais Orion n’y croirait que lorsqu’il verrait ses yeux s’ouvrir, que sa voix lui parviendrait de nouveau. Il s’en faisait trop, lui avait-on dit. Peut-être.
Ainsi il n’avait pas fermé l’œil.

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Il fait frais, dans la Pyramide. L’air y est brassé, il entend le vrombissement dans les coins des couloirs, n’y fait pas vraiment attention. Il ne prête pas un regard aux chef d’œuvres d’architecture, ne pense pas au symbole qu’elle représentent avec leur lignes abruptes découpant le ciel en trois.
Mars est allongé sur un lit, un vrai. On a retiré de son bras l’aiguille qui le reliait à la pochette de sang lorsque celle-ci s’est trouvée vide - son visage a repris des couleurs depuis mais il reste endormi.

Au bout de la quarante-huitième heure, Orion ne tient plus, il cède (encore). Ne bouge pas de la chaise pliante sur laquelle il est assit et qu’il ne quitte que pour recevoir la nourriture que l’on lui apporte (il paye en Luma) mais se penche en avant. Sa joue touche le matelas, ses yeux se ferment sans qu’il s’en aperçoive, et - Il n’a aucune idée du temps qui passe jusqu’à ce qu’il perçoive un mouvement contre sa main.
Les doigts qu’il n’a que rarement lâchés bougent doucement. Se referment sur les siens, puis se détendent. Son cœur bondit, sa voix est cassée depuis longtemps déjà mais il se relève immédiatement.

« Mars ?

Mars ne sait rien. Il n'est qu'installé sur les draps propres, étalé, tout entier. Il n'a dans la tête que le vide de ses pensées, quand il commence à se réveiller. Il ne voit rien. Ne sent rien, si ce n'est cette chaleur qui l'entoure, qui entoure sa main. C'est presque par réflexe, qu'il serre les doigts contre les siens, les desserre, presque aussitôt. Comme s'il venait de se réveiller d'une mauvaise sieste, il sent son état nauséeux, à peine ouvre-t-il les yeux. Il entend son prénom, tourne paresseusement la tête vers Orion, qu'il voit entre ses cils et lui sourit, un peu. C'est doux, comme réveil. C'est tout ce dont il aurait pu rêver, vraiment. Et il y a soudain les souvenirs qui reviennent, il a les rêves en échos, il se redresse, a le regard qui parcourt les corps; d'abord celui d'Orion, le sien, ensuite. Il sent ses pensées s'envoler un peu, reste immobile, quelques secondes et. Il tire sur le drap qui recouvre ses jambes, la peur, déjà au ventre. La jambe est toujours là. Elle a mauvaise mine, elle a une grande cicatrice qui zèbre la peau, et Mars ne dit rien, en la regardant. Il ne sait pas s'il veut savoir sa condition, souffle difficilement par le nez.

Il a la gorge sèche, quand il tourne son regard vers celui qui lui a tenu la main tant de temps. Il n'a rien. Il n'a rien, et c'est le principal, dans ce silence de plomb, qu'il n'ose briser. Pour dire quoi? Pour s'excuser? Pour demander? Pourquoi? Il se déplace un peu (sent sa jambe bouger, se rassure, rien qu'un peu), il se rapproche comme il le peut de la chaise et de son habitant. Il serre cette main, qui n'a toujours pas quitté la sienne, et, finalement, pose la question la plus logique qui lui passe par la tête.

« Qu'est-ce qu'il s'est passé? »

Parce qu'il a dans les souvenirs le feu, Orion, le sang, la douleur, et Orion, des mains étrangères, quelques secousses, le noir total. Le transcendé n'avait-il eu le temps de s'attaquer à l'Astre? Cette pensée, étrangement, gonfla son cœur. Et si, lui, ne se rendait compte qu'il avait de nouvelles traces de griffures sur le nez et la joue, il était bien heureux de voir que son compagnon n'avait rien. Cela dût d'ailleurs se lire sur son visage, lorsque le regard détailla le corps d'Orion. Et quand il est certain qu'il n'a rien, il fond contre son torse, ignore la légère douleur qui parcourt son corps, serre fort cette chair entre ses bras, cet homme pour qui il a eu si peur, à peine avait-il été projeté au loin.

« Tu vas bien. »

Et c'était un murmure rauque, mais rassuré, un murmure plein de sentiments tous mélangés, plein de soulagement. Il glissa quelques doigts contre sa nuque, contre son cou, contre sa joue. Ce n'était pas un rêve. Il n'avait pas brûlé entre ces flammes gigantesques, n'avait été écrasé par le transcendé.

Il a des croisillons de rouge-larmes et de de charbon-cernes sous les yeux, Orion. Il a la voix rauque de la fatigue et du sang d’encre, mais elle se fait douce lorsqu’enfin, après des heures, des jours, les yeux sombres de Mars s’entrouvrent. Son cœur est au bord des lèvres lorsque l’Oublié lui sourit, c’est la première chose qu’il fait, sourire - et l’Astre lui en renvoit un tremblotant dans un bref soupir. Il va bien.
Il ne réagit pas tout de suite lorsqu’il le voit se redresser - c’est encore un peu irréel de le voir bouger comme ça, la conscience dans les membres, il a l’impression de l’avoir vu inanimé pendant une éternité. Donc, il le laisse faire. Il ne devrait pas, Mars devrait rester allongé, devrait se reposer, ne pas bouger, mais le regarder faire l’hypnotise. Il va bien. Il est vivant. Bouge.

Que s’est-il passé ? Orion se le demande.
Mais il ne répond pas encore, ses pensées trébuchent un peu. Il est épuisé - mais c’est qu’il n’aurait pas pu le repousser maintenant qu’il peut enfin passer ses bras entiers dans son dos et le serrer contre lui - pas trop fort, il faut faire attention - enfouir son visage dans son cou. Mars sent le chloroforme.
Revient la sensation de ses doigts contre sa nuque comme il le fait toujours, contre sa peau, et Orion se prend à rire un peu. Un rire un peu cassé, trop plein de trop d’émotions contradictoire.

« Tu vas bien. » Il soupire une nouvelle fois, ferme les yeux un instant. Ses bras sont lourds, et c’est quand ils retombent un peu qu’il se reprend.
Sans se défaire de l’éteinte, il attrape l’oreiller que Mars a laissé derrière lui pour le redresser contre la tête de lit en métal. Ce n’est pas idéal, mais ça fera l’affaire.

« Tu ne devrais pas trop bouger. » Donc, il le repousse doucement avec un petit sourire, jusqu’à ce que son dos touche doucement le coussin qu’il a disposé. Puis, il le regarde.
Cherche ses mots pendant quelques secondes.

« Il ne m’a rien fait. Il n’a pas eu le temps de me toucher. Je… » son regard se baisse un instant, incertain. « Il a brûlé. » Ce n’est pas quelque chose qu’il veut aborder. Il a eu le temps d’y penser pendant ces deux longs jours, a eu le temps de réfléchir à ses actions. (Il n’est pas temps d’ouvrir cette boite de Pandore dans laquelle il a enfermé sa conclusion). « Entre la pluie et, hum, tout ça, des marchands nous ont entendus et nous ont ramenés au campement. Mais tu avais besoin de plus de soins, alors ils nous ont déposé jusqu’aux pyramides. » Sa main n’avait pas lâché la sienne, ne la lâche pas alors qu’il parcourt son corps des yeux (bien différemment de quelques jours plus tôt mais cela lui semble si lointain, presque dans une dimension parallèle, peut-être a-t-il rêvé de ses lèvres contre les siennes), butte contre chaque blessure, clos ses paupières jusqu’à ce que sa nuque ploie légèrement. Sans la redresser, il le regarde de nouveau droit dans les yeux « Tu vas bien. Les plaies vont cicatriser et ils ont dit que te remarcheras sans problèmes, mais que tu auras mal pendant quelques mois, probablement. J’avais un talisman de soin, je pense que ça a un peu aidé. Tu… » Enfin, il se penche. Comme tout à l’heure, son front heurte le matelas, un peu plus sèchement. Il s’est laissé tomber. « Tu es resté inconscient pendant deux jours. J’ai eu tellement peur, j’ai cru que tu ne te réveillerais pas, » il souffle faiblement, un peu tremblant, « j'ai… » murmure tout bas, « eu tellement peur. »

Et c'est comme un soupir de soulagement dans sa poitrine qui, il ne s'en était pas rendu compte, s'était serrée à peine avait-il posé les yeux sur le bas de son corps. Il s'était forcé à ne pas y penser de trop, mais Orion, déjà, venait libérer ce soulagement soudain : il allait bien. Et c'était presque tout ce qu'il voulait savoir. Orion, entre ses bras, sain et sauf, et son corps, (presque) en un seul morceau. Mais il n'a pas envie de quitter cette étreinte, et, si le souvenir du baiser avant le désastre était vrai, il avait d'autant plus envie de rester contre lui. Mais il n'était pas temps d'être capricieux, non, se laisse aller contre le coussin, se rend bien compte de l'engourdissement de ses membres, de la douleur qui parcourt légèrement son corps encore endormi. Et entre les inquiétudes, entre les révélations, Mars reste soulagé. Parce que, malgré cet instant de panique qui lui reste dans la tête, malgré ces souvenirs de feu qui ronge la peau d'Orion, il a la certitude que ce monstre n'a pu poser ne serait-ce qu'un doigt sur lui. Et il souffle, laisse ses yeux à demi ouverts, reposé. Il écoute le récit d'une oreille, se localise, de l'autre. Des marchands? Il ne savait exactement quelle bonne âme ferait cela dans le désert, surtout s'il s'agissait d'argent. Et ce regard planté dans le sien est si intense, que Mars ressent toute cette inquiétude accumulée, tout ce stress. Il lui serre la main, il le regarde s'effondre, et la glisse sur l'arrière de son crâne, sans trop bouger, avec douceur, avec tendresse.

« Je suis désolé. Je n'aurais peut-être pas dû te faire venir au désert, finalement, la vallée est toujours plus sûre... »

Et s'il avait accepté cette invitation à rejoindre le pays depuis le début, s'il avait cru en Cassandra, en lui-même, il aurait pu. Il aurait pu vivre dans cette grande ville, aux côtés du blond, loin des dangers de tous ces transcendés abandonnés entre quelques grains de sable. Il souffle, un peu, difficilement, parce qu'il ne sait pas vraiment quoi rajouter. Mais il serre la main d'Orion, ne cesse les quelques caresses rassurantes sur le haut de son crâne.

« Et je suis réveillé. »

Il a envie de rajouter quelques choses, mais sa gorge reste sèche, il cherche du regard un verre d'eau, quelque chose, choisit dans son sac, posé aux pieds du lit pour engloutir toute une bouteille d'un coup, s'aérer les pensées, hydrater cette gorge. Il n'a pas eu le temps de lui dire, à Orion. Le monstre lui a arraché cette occasion qu'il avait, de simplement murmurer deux mots qui contreraient cette malédiction que sa mère était persuadée porter comme un fardeau. Mais maintenant, il n'osait trop le dire. Il était fatigué, Orion. Il avait les creux sombres sous les yeux. Et en reposant sa bouteille, il se décale un peu, dans ce lit trop petit pour deux, pourtant, lui propose de venir s'y installer à ses côtés.

« Tu me dis que j'ai besoin de rester allonger, mais tu devrais, toi aussi, te reposer je crois. »

Rien qu'un peu, deux corps enlacés, rassureraient peut-être leurs maux, à eux deux. Et dans cette atmosphère, restent les non-dits, les inquiétudes encore palpables. Peut-être n'est-ce seulement pour Orion, qu'il lui propose cette place.

Même après plusieurs mois, il ne se lasse pas de la main de l’Oublié dans ses cheveux, ses doigts y traçant de lents petits cercles. Il d'ailleurs n’est pas certain de s’en lasser un jour. La première fois, il était à sa place - allongé sur un lit (d’hôpital), deux semaines après la désastreuse cérémonie. Les autres fois avaient été chez lui, à chaque moment opportun, tout plein de petits gestes d’affections qui avaient abouti à - la Fontaine Ephémère. Ce qui avait mené à une autre catastrophe.

Il secoue la tête, elle tourne un peu. La Vallée est plus sûre, oui… Le visage d’Ambre glisse dans ses songes. Ce n’est pas le moment d’y penser. « Sois pas désolé. Tu fais le trajet à chaque fois… » Sous ses yeux se dessine un petit sourire, une once d’amusement - il peut se le permettre ce genre d’esquisses maintenant que tous les deux sont sains et saufs. « Et puis on aurait pu être plus prudents. On s’est faits avoir comme des débutants. » Comme deux benêts, amoureux transis qu’ils ont été. Quoique. Bien qu’aucun mot n’ait été posé là dessus, et Orion ne voulait pas trop s’avancer. Ce n’était peut-être pas le moment d’en parler non plus.

« Ah, » Orion se redresse avec un air contrit alors que Mars attrape la bouteille d’eau qui traînait dans son sac depuis deux jours, « désolé, j’aurais dû t’en proposer avant. » Un soupir. Penser est devenu difficile avec toute cette fatigue accumulée. D’ailleurs, Mars doit avoir faim. Quelle heure est-il ? Ah, ses paupières sont si lourdes, il a l’impression d’avoir le corps lourd comme l’acier.
Mais Mars se décale - un instant, Orion a peur qu’il se fasse mal, sa blessure est encore récente après tout - et l’interrogation prend place sur son visage avant qu’il ne réalise : il lui a fait de la place. « Oh. »
En soi il a raison, il faudrait qu’il ferme les yeux ne serait-ce que quelques heures. Il secoue la tête cependant avec un nouveau sourire, y place toute la chaleur qu’il peut trouver. « C’est tentant, mais je risque de te faire mal si je m’allonge à côté de toi. Imagine si je te donne un coup de pied en dormant ? » Mais - il se lève, se rassoit, sur le bord du matelas cette fois, tourné vers l’Oublié. Se penche vers lui. Hésite un instant avant de se pencher un peu plus.

Il pas de menaces, ici. Ils sont à l’abri, bien en sécurité dans cette pyramide où l’air est frais, où les grains de sable restent à l’entrée. Peut-être en reste-t-il quelques uns dans leurs cheveux.
Mars a de nouvelles zébrures sur son visage, des griffures qui guérissent bien sur sa joue, qui s’aventurent sur l’arrête de son nez. Il les a vues se dessiner lorsqu’il a été arraché de ses bras - il se demande si elles laisseront des marques, comme celle bien plus épaisse qui marquait sa joue droite - sur laquelle sa main vient doucement se poser - sa mâchoire, une partie de son cou. Les cheveux d’Orion retombent des deux côté de leurs visages et il ne prend pas la peine de les dégager. Il peut se le permettre, n’est-ce pas ? Il se souvient du sourire-terreur qu’il avait reçu, la première fois. « Ce serait dommage. »
Il fait attention à ses blessures en penchant légèrement la tête sur le côté, dépose doucement ses lèvres sur les siennes. C’est comme un poids qui lève de son dos, son cœur fait un drôle de rebond dans sa poitrine. Ce n’est qu’un contact - comme la dernière fois - mais il a l’impression de fondre un peu.
Il doit se faire force pour se redresser un peu, mais cède une fois - c’est que Mars est juste là dans l’air calme, tout va bien, sa chaleur filtre entre ses doigts. Il arrive à être beau avec son air fatigué, ses marbrures sur la peau, ses cheveux noirs étalés sur l’oreiller, ses yeux mi-clos. Alors Orion revient un instant, un contact un peu plus appuyé. Difficile de résister, mais - il se détache, se redresse enfin dans un petit soupir. « C’est pas moi qui suis convalescent. » La tête lui tourne un peu, mais ce n’est pas vraiment par fatigue.

De sa main libre, il vient pincer son bout du nez avec la légèreté d’une plume - on ne peut pas vraiment appeler ça un pincement - avant de redescendre et de reprendre place sur sa chaise. Là, il vient croiser ses bras sur le matelas et vient y loger sa tête. « Comme ça c’est très bien, » murmure étouffé. Ses yeux se ferment. Ensuite, ça va très vite.« Tu devrais te ren… dormir… »
C’est sur ses mots qu’il se laisse aller au sommeil.

Mars glisse son regard sur le visage ensommeillé d'Orion, quand il murmure, quand il nie, quand il s'excuse. Il sourit un peu, car, même s'il se sent un peu coupable d'avoir empêché le sommeil de lui venir, il a veillé sur lui. Il a vérifié sa santé, il ne l'a pas lâché une seule seconde. Et ça lui réchauffe un peu le cœur, pendant qu'il repose la bouteille d'eau.

« Mais même avec de la prudence, le Désert reste dangereux, crois-moi. Ca ne m'a jamais dérangé, de faire le voyage. Et ne t'inquiète pas, j'ai beau être à demi handicapé pour l'instant, je suis encore capable de bouger pour boire. »

C'est que cela lui fait voir du pays, d'ainsi se déplacer. Et aller chez Orion avait toujours ce goût d'euphorie, de renouveau. Quitter les grains de sables pour voir la voûte céleste à chaque heure de la journée faisait presque partie de son quotidien, maintenant. La Vallée risquait pourtant bien de finir par lui refuser sa venue, si cela continuait. Peut-être devrai-il insister plus, pour qu'Orion se décide à le rejoindre. Lui donner un coup de pied pendant leur sommeil? Il y croyait peu. Mais il décida de ne pas insister, pourtant tout prêt à faire mine de bouder, rien que pour l'embêter un peu. Mais Orion se déplace, pourtant. S'installe à ses côtés, et il lève le visage vers ses mouvements, bien curieux, bien surprit. Et celui d'Orion, de visage, se rapproche soudainement. Mais il n'est pas aussi terrorisé qu'il avait pu l'être, deux jours auparavant. Il n'avait pas cette hantise dans le fond du crâne (pas après avoir senti le sourire tout contre lui), et il n'y avait aucun monstre pour les briser en deux, cette fois.

« Hm, très. »

Était-il en train de le persuader ainsi? Il avait beau être transi de fatigue, Mars se sentait pourtant assez fort pour répondre sans trop réfléchir, cette fois. Il glisse une main sur la joue d'Orion, a le corps qui se tend un peu, ne s'en préoccupe pas. Car il aperçoit son regard pendant une fraction de secondes sur son visage (et peut-être lit-il cette même fascination dans le regard fatigué de l'Oublié) avant que leurs lèvres ne se rencontrent à nouveau. Et il a presque envie de ne le laisser s'échapper, cette fois. Il a la main qui suit son mouvement, qui vient presque s'accrocher au visage, avant de la laisser retomber sur les draps, sur ses cuisses. Il souffle un peu, a le sourire en coin, quand il répond, brièvement, le souffle un peu court.

« On profite des convalescents, hm? »

Mais l'ironie perce la voix, et il ne peut qu'observer Orion se tordre sur la chaise pour s'allonger à moitié sur le matelas. Mars secoue brièvement la tête, lui attrape une main, essaye de le secouer un peu, avant de se rendre compte de quelque chose. Il dort déjà. Et le sourire qui vient se dessiner sur ses lèvres est bien trop attendri, bien trop heureux. Et il se permet de serrer les doigts de l'Astre entre les siens, fermer les yeux à son tour. Ils avaient tous deux besoin de repos.

« Ne te plains pas, si tu as mal au dos demain. »

Orion se réveille dans un sursaut.
S’il s’agit d’un mauvais rêve, le songe s’évapore dès que ses yeux s’ouvrent sur une étendue grise qui aurait été blanche s’il y avait eu de la lumière.
Quelques petites secondes de panique le prennent - où est-il ? Alors soudainement il se redresse. Grave erreur.
En même temps que la douleur lui reviennent en tête les événements de ces derniers jours et il en est quasi-sûr, ce n’est pas un cauchemar qui l’a réveillé mais bien l’agonie qui s’impose à toute sa colonne vertébrale.

« Ouuuuch. »

Il a l’habitude de s’endormir sur son bureau, là bas plusieurs kilomètres plus loin à Requiem. Mais le lit dans lequel est toujours étendu Mars est bien plus bas qu’une table. Il a l’impression d’avoir quatre-vingt ans.
Quand il se penche en arrière comme dans une tentative de remettre ses vertèbres en place en s’aidant du bord du dossier de la chaise, ces dernières craquent les unes après les autres dans un bruit relativement sinistre - salve de piqures assassines et, enfin, délicieuse délivrance.
Puis son regard se pose sur Mars - il sourit doucement sans même s’en rendre compte. Ce n’est pas la première fois qu’il le voit dormir, mais le voir ainsi respirer doucement, les cheveux en bataille et le visage détendu vaut pour lui tous les rhomboïdes courbaturés au monde (entre autres). Surtout après ces derniers jours.

Dans son sommeil, Orion a bougé. La main qui s’était jointe à la sienne (il a encore du mal à y croire) a finie en oreiller de fortune. Et bien que son immense torpeur actuelle et l’agonie de son dos se font bien sentir, il se trouve dans cette paume une preuve, celle qui atteste d’un bon sommeil. Alors qu’il vient s’essuyer le bord des lèvres et la joue, il se retient de pouffer de rire, murmure un petit « woops. »
Tout son corps proteste lorsqu’il se lève, alors il étire ses bras, ses jambes, fait quelques moulinets avec ses épaules, baille comme jamais. Et puis il grimace de nouveau. Maintenant la tension retombée il se sent… poisseux. Avec un peu de chance, il y a de l’eau chaude à la pyramide. Il la veut brûlante.
Heureusement, il y a une petite salle d’eau ajournée à la chambre (d’hôpital ?). Mais avant une douche bien méritée, l’Astre attrape la bouteille que Mars a laissée pour la vider et la remplir d’eau fraiche. Trouve un papier et un stylo sur lequel il écrit désolé de t’avoir bavé dessus en dormant lol qu’il dépose sur une petite serviette sur la table de nuit. L’Oublié toujours profondément endormi, il file ensuite dans l’étroite salle de bain. Il ne sait pas combien de temps il y reste, mais cette douche est méritée - elle marque la fin de ces deux jours infernaux. (Il se félicite également d’avoir prévu un change - il ne s’était pas attendu à ne rester qu’un jour en partant.)

Une fois propre des cheveux aux orteils (il n’y a pas de sèche-cheveux, alors il les éponge et laisse la serviette sur ses épaules) et puisque Mars dort toujours, Orion décide de partir à la recherche de quelque chose à manger et, équitablement important, de café. Dans sa quête il trouve deux choses : l’heure (il est dix heures du matin passées, quelqu’un a probablement gentiment éteint la lumière après avoir vérifié l’état de Mars) et l’objet de tous ses désirs. C’est du café instantané, mais ça fera largement l’affaire.
Il est donc de très bonne humeur lorsqu’il retourne dans la chambre un plateau à la main (il ouvre la porte avec un coude et son pied) sur lequel se trouve deux tasses de café en plastique, des couverts également en plastique, trois petites miches de pain, quatre petites barquettes de confiture très industrielle saveur abricot, deux parts individuelles de beurre, deux sachets de sucre et deux pommes. Un véritable festin, pour ne pas dire buffet.
- Bonne humeur qui atteint le plafond lorsqu’il voit Mars les yeux ouverts adossé au dossier du lit. Il ne cache même pas la vague d'affection qui s'empare de lui et déborde dans sa voix.

« Bonjour ! » et sans faire de pause, « tu as meilleure mine ! »

C’est avec un sourire immense qu’il vient déposer le plateau (du plastique, toujours) sur la table de chevet, détachant son regard de Mars uniquement pour s’assurer qu’il ne le posait pas à côté.

« J’ai ramené du café. Comment tu te sens ? »

A peine a-t-il repris sa place sur la chaise la plus inconfortable au monde qu’il lui tend l'une des deux tasses pleines de café soluble avant de s’atteler à couper les morceaux de pain en deux. C’est qu’il meurt de faim, et il n’est sûrement pas le seul.

Oh bien sûr, il a mille choses à lui dire. Mille sujets à aborder qui ne demandent qu’à jaillir de ses lèvres, mais quel genre de monstre serait-il à bombarder un homme convalescent qui vient de se réveiller et non-caféïné ? Alors à la place, il demande : « tu veux du beurre avec ta confiture ? »

Cela fait bien longtemps, que Mars n'a pas aussi bien dormi. C'est que sa tente, bien que confortable, n'est pas de taille face aux pyramides, rien que par la température intérieure. Lorsqu'il se réveille, il sent les paupières encore lourdes, il a envie de se rouler encore en boule dans la couette, avant de réaliser : Orion a disparu. C'est ce qui l'alerte en premier, avant de repérer un morceau de papier, qu'il saisit et hausse un sourcil. Ah. En effet. Il sourit pourtant un peu, tend l'oreille, alerte, peut-être n'est-il pas très loin... Mais rien à signaler. Alors il remonte la couette jusque sous son nez, sort son holokit et décide de lire un peu, de répondre aux messages que certaines personnes auraient pu lui envoyer. Bref, de s'occuper. Il ne se lèverait pas tant que l'Astre ne serait pas revenu.

Et ce n'est qu'après avoir envoyé une rapide réponse à Samson qu'Orion entra de nouveau dans la chambre, muni d'un plateau repas et de deux cafés. A cet instant précis, son estomac décida de se manifester en toute élégance, ce qui le fit grimacer un peu malgré le sourire, jumeau à celui du blond, qui vint orner ses lèvres. Sa propre voix est bien plus tendre, quand il répond :

« Salut, toi aussi tu as meilleure mine. »

C'est qu'il le préfère sans ces cernes qui ornent ses jolis yeux. Il accepte le café avec un bref remerciement murmuré et souffle de contentement lorsque la boisson vient réchauffer ses mains, oui, mais sa gorge, aussi. Il a l'impression que cela fait une éternité qu'il n'a rien avalé.

« Ca va. Ma jambe me tire un peu, mais on a connu pire. Et toi? » Il finira par s'y habituer, il finira par aller mieux, mais préférerait qu'Orion ait passé une nuit réparatrice, après avoir veillé sur lui deux jours entiers. « Juste de la confiture, merci. » Il prend une pomme et sourit un peu, amusé. « Où est-ce que tu es allée dégotter tout ça? »

Et croque, pousserait presque un geignement de satisfaction mais son estomac s'en charge à la place. Il ne s'excuse pas, à quoi bon? Préfère continuer son petit déjeuner en observant du coin de l'œil Orion. C'est qu'il semble ne plus pouvoir le quitter des yeux (n'en a pas envie, non plus). Il se demande combien ils doivent payer, pour avoir le droit de rester ici, dans cette chambre. Il prend un peu de temps pour se nourrir, un peu encore pour bien se réveiller, avant de finalement oser demander.

« Comment as-tu payé les marchands? Et cette chambre? Je ne voudrais pas te ruiner, non plus. »

Se doute bien qu'ils n'étaient bons samaritains tout simplement. Personne n'est comme ça, au désert.