Il se contente de hausser les épaules lorsque tu lui montres que tu pouvais le défendre
mais ce que tu oubliais c'est que les pieds ne touchaient pas forcément le fond vaseux
Ah, Magdalene, la poule mouillée n'allait pas se mouiller, se débattant pour faire cesser tes chatouilles ─ se retenant de rire ─, et soudain ton rire se transforme en cri et perce à nouveau la tranquillité déjà bien mise à mal de la jungle. En catastrophe tu traînes ton corps hors de l'eau, une sangsue s'accrochant à ta jambe.

▬ Ça va aller ?

Question bien idiote, puisque déjà tu es débarrassée de cet animal collant, en enfant débrouillard que tu étais. Et il sort de l'eau à ton ordre, attrapant ses affaires ─ constatant qu'il était mouillé malgré tout
la poule mouillée était mouillée bien malgré elle

▬ Je vous l'avait bien dit, soupire-t-il en remettant ses chaussures après avoir essuyé tant bien que mal ses pieds.

Il te rejoint une fois paré, ne relevant pas ta moue (défaite) boudeuse. Te regarde quelques instants, se demandant ce qu'il devait dire, maintenant ; se demandant s'il devait te congédier.

▬ Vous devriez aller voir un médecin pour votre blessure, on ne sait jamais.

Il meuble comme il le peut, mais ne sait pas trop quoi faire, à vrai dire
(continuer à explorer ou rentrer ?
seul toi en sera juge, Magdalene)

Ulrich ne peut résister à la tempête que tu es ; encore une fois, il se laisse entraîner à ta suite, cette fois un peu moins résigné
(ta présence lui semblait bien moins insupportable que quelques secondes auparavant)
Il reste près de toi, te suivant ─ n'a pas besoin de ton ordre pour rester le plus proche possible, lui qui serait bien incapable de se défendre en cas d'une nouvelle attaque
(finalement, ça n'était pas si désagréable, d'être accompagné)

Aucun mot n'est échangé pendant un temps, Ulrich en profite pour s'abreuver du calme ambiant et pour laisser ses azurs se poser sur les étrangetés de ce monde dont il avait quelque difficultés à s’acclimater, lui qui était tombé bien trop récemment pour s'en être complètement habitué, à ce nouveau monde si proche et pourtant si différent de celui d'où il venait.
Et puis ton exclamation vient troubler la contemplation ; Ulrich te suit vers les abords de l'étendue d'eau, s'accroupit à tes côtés, et regarde ces poissons colorés paresser dans l'eau sans vraiment craindre votre présence. Il a envie de les toucher, Ulrich, ces petits êtres chatoyant, mais il sait qu'ils fuiront à peine ses doigts auront effleuré l'eau.

Et soudain, ta simple question fait ressurgir des abysses de sa mémoire des souvenirs qu'il aurait préféré enterrer à jamais ─ ses saphirs prennent un éclat bien plus sombre. Il en avait vu, des transcendés, oui ; mais ce n'était pas ça qui lui avait fait peur, oh que non
(car il y avait bien pire que ces créatures)

▬ Oui. Ça se voit tant que ça, que je suis tombé récemment ? Très léger sourire qui effrite son inexpressivité (mais le cœur n'y est pas)

Et il continue de fixer ses poissons aux mouvements paresseux mais pourtant si apaisants
(comme s'ils permettaient de calmer un peu la vague de souvenirs qui revenaient en force à l'évocation de cette surface maudite)

Évidemment, que ça se voyait, qu'il était encore en train de découvrir cette terre pleine de surprises, quelle question idiote.
Ah, il se fichait bien, en vérité, Ulrich, que les transcendés soient des personnes comme lui et toi ; ça ne lui faisait ni chaud ni froid, après tout, que ses congénères décrépissent et tombent en Enfer
((parce qu'ils l'ont tous mérité))

▬ Plus ou moins... Je n'ai pas les compétences nécessaires pour tenir face à eux, je laisse les autres se sacrifier pour ma sécurité pendant que je fuis. On se débrouille comme on peut, face à ces... choses.

Et il n'ira pas les plaindre, ces choses, n'ira pas plaindre les malheureux malades
parce qu'après tout l'humain n'a que ce qu'il mérite
leur sort lui importe bien peu
car de toute façon il coulera avec les autres bien malgré lui
Ulrich ne relève pas ta remarque, parce qu'il ne s'était jamais demandé ce qu'il ferait, s'il était malade ; la seule fois où il avait décidé d'en finir, il avait lamentablement échoué
mais d'un autre côté, c'était oh ! perspective bien délicieuse que de devenir la terreur du genre humain et de le faire payer tout ce qu'il a pu subir
(et il se dit que l'humain a toujours été malade)

▬ Non... Les transcendés sont impossibles à tuer, de toute façon. Dans tous les cas, je ne m'occupais pas de ça.

Et ce n'était pas faute d'essayer, combien de ses congénères étaient décédés en essayant de les tuer ? Il n'avait pas bien compté, mais ils avaient tous été pour leur stupide témérité. Alors il s'est contenté de fuir avec le reste du groupe
tout en fuyant ce même groupe sans jamais y parvenir
jusqu'à ce jour fatidique.

▬ Et vous ?

Lui aussi étais curieux, finalement, de savoir quel genre de noirceur se tapissait sous cette apparence d'enfant insouciant.

Il te regarde, se demandant ce qu'il avait bien pu dire pour t'énerver aussi vite : c'était pourtant une évidence, que ces bêtes étaient impossible à tuer tant elles résistaient à tout
(on ne pouvait que fuir en laissant des appâts derrières soi
prier pour que jamais elles ne nous rattrapent)
Et tu lui révèles une partie de tes ténèbres, Magdalene, car les transcendés, tu en avais fait ta spécialité ; Madga la pourpre, pourpre comme le sang qui devait teinter tes mains si graciles à chaque bête tuée ? Magda la pourpre, pourpre comme ce liquide qui devait teinter ton visage de son criard maquillage pour masquer ta bouche déformée par la folie de la douleur ?
Et il se dit, Ulrich, que malgré tes airs d'enfants, malgré ton visage d'ange, malgré tes éclats de rires innocents, tu étais déjà bien adulte.

▬ Comment avez-vous réussi à en tuer ? Dans mon groupe, on n'avait jamais réussi à en abattre un malgré tous nos efforts.

Parce qu'ils étaient trop occupés à me tuer et à me laisser agoniser.
et d'une simple phrase il te redécouvre et te reconsidère
(d'enfant imbécile tu deviens adulte tourmenté)
Car tu n'avais pas pu viser aussi juste, Magdalene, toi qui semblait avoir souffert à cause des stupidités d'autrui
ah, Magdalene, finalement, tu n'étais pas si différent d'Ulrich, n'est-ce pas ? Avais-tu, toi aussi, pris la décision de ne plus aimer pour ne plus souffrir des couteaux de la trahison ?
((et il souffre en ne voulant plus avoir mal))

▬ Si vous voulez mon avis, l'homme est déjà un monstre, la transcendance ne fait qu'exposer au grand jour sa véritable nature.

L'humain est hideux
L'humain est affreux
L'humain est la créature la plus affreuse et la plus terrifiante qui n'ait jamais existé.

Ah
finalement tu n'es pas d'accord.
Finalement, tu l'as gardé, ce bel espoir que l'homme est beau, que l'homme rayonne, que l'homme a bon fond
ah tu es encore bien innocente, Magdalene, car autrui n'existe-t-il pas pour mieux nous détruire ?
Si autrui n'avait pas existé, peut-être serait-il heureux aujourd'hui

Ah, Magdalene, qu'il t'enviait, d'être aussi innocente ; qu'il en crevait d'envie, de t'en ravir une partie pour se l'implanter et enfin voir un peu de lumière. Il avait envie de te croire, Ulrich, tu sais, il avait envie lui aussi de se dire qu'il y aurait quelqu'un pour lui tendre la main ─ l'aimer
mais l'aide il ne l'avait jamais eu
les mains tendues l'étaient pour le blesser
les soins attendus il ne les a jamais eus
ses plaies n'ont jamais été pansées
((on le laisse à l'agonie))

▬ Vous aurez vite l'occasion de découvrir la véritable nature de l'homme.

Tu apprendras vite, Magdalene, que l'homme est malveillant de nature : car s'il aime, c'est pour mieux haïr ensuite.
Il accepte ta main et se relève à son tour.

▬ L'homme n'est qu'un barbare qui se cache sous des habits élégants pour paraître beau : il détruit ses semblables dès qu'il en a l'occasion. Sûrement pour se sentir exister.

Toi qui voulais connaître la noirceur qui se cachait au fond d'Ulrich, te voilà servie.