Sasha n’a pas encore l’alcool au cœur, les idées vacillantes comme un tremblant brouillard. Non, elle a le vice au bord des lèvres paresseusement trempées au rosé, le questionnement comme une bombe à retardement. Ne voudrait être seule à plonger, se révéler dans l’immensité ; oh Hélianthe est monstre souverain sur ces terres quand Sasha a les pics enneigés froidement pointés contre les gorges. Se mordra la queue à vouloir taquiner les plus vicieux, mais la russe aime la sensation vertigineuse,
du jeu et de l’audace. Sous une pluie d’acier, orage de vin millésimé.
Faire connaissance autrement. Les mots sont bien pensés, cent fois soupesés pour ne pas fourcher les langues, languir les courageux. Elle lit entre les lignes Sasha, tente de satisfaire les vipères oh combien dangereuses là enfermées dans la peau des grands garçons.
Elle repose son verre, délaisse le doux remous des bulles entre ses doigts de cristal pour faire mine de réfléchir. Au monde, à la vie, aux diables et aux cygnes qui de leurs ailes toujours rendent amoureux les mortels prétentieux.

« Si tu tiens tant à ce que je te la présente… »
Alors soit.
Le regard parle pour elle, comme une victoire, elle qui n’attendait peut-être que ça. Sans penser aux sombres pensées des êtres aimés, aux crocs acérés un jour délivrés. Qu’ils se dévorent donc et elle, princesse aux premières loges n’aura plus que ses larmes pour consoler son cœur.

Et Sasha sait, oh Sasha sait qu’il y a forcement quelqu’un. Pour faire trainer de tels soupirs à son vieil ami, regard tourné vers le fil rouge que personne ne verra jamais, n’oserait apercevoir.
Petit sourire, un peu triste cette fois. Oui, les ombres. Ces ombres mêmes qui cernent les yeux du beaux caerien, enlaidissent les cercles et flambent les courroux. Trompeuses villas aux charmes endiablés, à qui saurait s’y emmêler.
Sasha connait, Sasha est peinée. Pour elle comme pour lui ; surtout pour lui. Comme ils s’élèvent, s’élèvent jusqu’à ne plus distinguer le sol, oublier sa forme, sa texture, son goût. Oh ils s’écraseront, vulgaires insectes aux ailes brisées d’un simple souffle. Une seconde et c’est fini.
La voilà maussade pour un instant, laisse Hélianthe déguster son plat avant de venir lui attraper la main par-dessus la table.
« Je suis sûre que vous y arriverez. » Sourire de fierté comme une promesse d’avenir.
« Tu- »

Clic.

Les mots suspendus à ses lèvres, elle a déjà oublié. Tourne brusquement la tête vers le paparazzi naïvement dissimulé derrière un buisson, l’appareil photo scintillant sous le soleil d’hiver. Un cliché pour lui, un cliché pour Caer Hrid.
Sasha papillonne, légèrement surprise avant de se reprendre immédiatement, bien trop accoutumée à ce monde sournois pour se laisser impressionner plus d’une demi-seconde.
« Oh mais que voilà. »
Immense sourire sur ses lèvres rouges, la voilà qui décale sa chaise, vient s’installer aux côtés du prince des villas sans jamais lâcher sa main, pour un parfait tableau d’empereurs (d’imposteurs).
« Souris Hélianthe, ça leur fera peut-être oublier ton allure du jour. » Sous ces cernes de deux kilomètres.
Une pose parfaite et un énième sourire à l’appareil photo alors qu’un clic sonore retenti une nouvelle fois.