Et voilà que la pluie se met de la partie, pense Pavel, yeux tournés vers le ciel monochrome qui le nargue. L’absence de parapluie le force à prendre refuge sous la toiture de la boulangerie qu’il vient de tout juste de quitter. Il sert contre sa poitrine le sac contenant les pâtisseries du jour, pensant qu’ainsi, au moins celles-ci seraient épargnées par la précipitation surprise de juin. Juin ? La réalisation le frappe : oui, il était bien en juin et pourtant, il lui semblait que les événements de la mine étaient frais d’hier. Ç’avait été la joie, la célébration : l’équipe de foot avait remporté la coupe, et pour être totalement franc, Pavel en avait rien à faire, mais ç’avait été là, le parfait prétexte pour une première date. Officielle. Avec Rachel.

Il semblait n’avoir rien de normal à Althéa, car ce qui devait être le moment rêvé tourna rapidement au cauchemar : panique, dragon mécanique et homicide involontaire.

De la légitime défense, qu’on lui avait dit. Mais Pavel n’arrivait pas à vivre avec la culpabilité qui s’en suit. C’est des scénarios parsemés de regret qui défilent en boucle dans sa tête, à la recherche de la solution parfaite qui n’existe pas. Car, à la place, ç’aurait été Eon, non ?

Pavel soupire, puis contemple la pluie tomber en grosses gouttelettes contre l’asphalte fraîchement refaite de la rue principale avant de réaliser qu’il n’a pas à attendre que celle-ci diminue.  Le cristal d’eau s’active : sans pour autant disparaître, la précipitation s’amoindrit et devient une fine bruine.  Ça devient une course contre la montre, Pavel se met à courir, cri des ‘désolé’ contre les passants qu’il a le malheur de bousculer.

Essoufflé, épuisé, la clé tourne dans la serrure et il pousse la porte, s’apprêtant à formuler une politesse. Sauf qu’il n’a le temps : Rachel (elle l’attendait ?) le devance. Bouche-bé, son regard cascade sur le sac maintenant trempé. Une seconde s’écoule, deux, puis dix et il se rend compte qu’il a oublié de respirer, et pire, de répondre. Rien ne sort. Puis vient un : « Oh… » Hésitant, lourd, mais surtout une acceptation. Il enlève ses chaussures, pose ses clés sur la table et considère jeter son offre de paix aux poubelles.

« Quand ? »

Une question dont il connaissait déjà la réponse, pourtant, il lui semblait important de la mettre en mot, histoire d’avoir une confirmation et surtout, de l’entendre de sa bouche. Il y a une différence entre se l’imaginer et l’entendre. C’était prévisible, Pavel savait qu’il faudrait qu’elle retourne à Requiem, un jour où l’autre, mais les fois où il s’était imaginé le scénario, ça n’avait jamais fait si mal. Il retient un soupir et ses pensées roulent à cent milles à l’heure, calculant jusqu’à combien de temps peut-il la forcer à rester artificiellement, mais ça ne lui semble pas juste, pas très honnête et au moment d’une minute de silence, il abandonne rapidement l’idée.

« Attends… » il se racle la gorge, ravale les mots qui se bousculent et se reprend : « attends au moins à demain… C’est plus raisonnable. Il fait tard là, non ? » Un coup d’œil rapide vers l’horloge du four lui indique que non, il n’est que deux heures de l’après-midi. Pavel baisse les yeux sur le comptoir, cherche à s’occuper l’esprit en ramassant le peu de traîneries s’y trouvant, sachant fort bien que depuis l’arrivée de Rachel, son appartement n’a jamais été aussi propre. Au final, ça ne dure pas bien longtemps, pas plus que le silence brisé par une vérité fracassante.

Ça pince. Mais il ne peut lui en vouloir : lui-même s’étant longtemps débattue avec l’ennuie, la monotonie de sa propre vie. Naturellement, ce n’était qu’une question de temps avant que ça n’affecte aussi l’Astre. Il prend appuie sur l’îlot de cuisine avant d’inspirer et de se permettre un soupire.

« Je comp- » son timing est mauvais et ça chevauche presque la justification de Rachel. Mais c’est qu’elle n’a pas besoin de le faire : il comprend. Tout ça c’est, c’est qu’une accumulation d’un peu de tout. Et peut-être qu’au final, c’est mieux que ça éclate là, en ce moment, au lieu de perdurer indéfiniment jusqu’au ressentiment. «  Non, je… tu as raison : ta boutique à besoin de toi. » Tout comme moi, mais n’ose pas rajouter la seconde partie, ne voulant pas être égoïste.

Pavel se mordille la lèvre inférieur, il y a définitivement un problème et il le sait. C’est lui. Il a du mal à faire la paix avec les derniers événements, alors comment pourrait-il lui reprocher ?

« C’est compréhensible, vraiment, que tu aies besoin de retourner à Requiem. » Que t’aies besoin de t’éloigner. « Mais est-ce que tu comptes revenir ? » Il n’ose pas mentionner la période difficile où elle ne retournait pas ses appels, estimant que c’est un coup bas, et la dernière chose qu’il a besoin, c’est d’ajouter de la tension dans cette situation à voltage. Pavel soupir une nouvelle fois avant de baisser les yeux. « Désolé, c’est moi le problème. »

Le silence, toujours le silence, plane; lourd, il suffoque et les mots (la justification) qu’il avait monté à la hâte se bloquent au mur de ses lèvres. Secoué, ce n’est pas à quoi il s’était attendu. Certes, il ne s’était attendu à rien de particulier, mais entendre ces mots se voulant rassurant ne le rassuraient guère. C’est que lentement, tranquillement, l’idée s’était insidieusement plantée dans son esprit et avait finalement germé au point il en était convaincue : c’était sa faute. S’il n’avait pas fait ‘ci’, s’il n’avait pas fait ‘ça’, alors peut-être que l’ambiance stérile de l’appartement n’aurait jamais eu lieu. Leur relation aurait progressé au lieu de reculer de deux pas. Pavel retient un soupir, n’ose pas respirer même de peur que le moindre bruit ne vienne ternir le silence inconfortable dont il l’est l’auteur.

Il le sait : les secondes deviennent des minutes, mais c’est qu’il ne trouve pas les bons mots et qu’il a peur. Peur de ne pas dire les bonnes choses, peur d’aggraver la situation, mais surtout peur de regretter. Pas que ça soit nouveau, diriez-vous, mais c’est que c’est de Rachel qu’on parle. Il n’a pas envie de la perdre, pas envie que leur relation ne s’érode davantage alors qu’elle ne fait que gagner du terrain.

Puis, y’a le tonnerre qui pourfend les cieux, éclate le silence qu’il tente désespérément d’entretenir et ça le surprend, alors Pavel jette un coup d’œil à la fenêtre, contemple la pluie avant de se rendre compte que la foudre, c’est elle.

« Rachel, je- » qu’il finit par dire avant de ravaler ses mots et de l’écouter abattre sa foudre. Ça fait peur : c’est une pluie de vérité qui tombe, mais plus que la peur, c’est que ça fait mal aussi. Parce que, bien que Pavel ait la transparence d’un livre ouvert, ça le surprend qu’elle voit beaucoup plus loin de ce qu’il a bien voulu montrer. « …je pensais que… » finit-il par dire après un long moment, serrant lentement les poings avant de se décider de quitter la protection offerte par l’îlot et d’avancer prudemment vers elle, comme on le ferait pour apprivoiser un animal sauvage. C’est qu’il a bien vu l’instabilité des plantes poussant (mourant) un peu partout dans la zone et ne sachant pas l’étendue de leur hostilité, il préfère ne rien risquer. « Je pensais que tu avais seulement besoin de temps. » qu’il avoue regard au sol. Du temps, il pouvait lui en donner, après tout, ne lui avait-il pas déjà dit qu’il l’attendrait ? Mais il réalise que l’inaction à ses vices.

Lorsque la distance entre eux s’amoindrit, il hésite : tend les mains vers elle (prêt à abandonner l’idée si elle se montre réfractaire).

« La vérité est que… je ne sais pas. » Il pause, soupire, lève les yeux vers elle. Il y a la fatigue. « Je ne sais pas comment vivre avec le poids de la culpabilité. Tout ça aurait pu être évité si j’avais su… si j’avais, si j’étais… » Plus compétent ?  Ce n’était pas exactement le mot recherché. « Mais quand tu dis que ça ne compte pas, c’est faux. Ça compte, ça compte beaucoup même et c’est pour cette raison que je pense que c’est important de te laisser le temps qu’il faut pour faire la paix avec la situation. » C’est que Pavel priorise son bonheur par-dessus le sien. Mais aujourd’hui, il réalise que le manque de proactivité pose problème. « Pour être honnête, je préférais que tu restes, mais je ne suis pas en droit de te retenir. » Après tout, si elle a besoin de prendre congé, de s’éloigner, de se ressourcer…  Il a envie de la prendre dans ses bras, de la serrer et de ne pas la laisser partir, mais encore une fois, il ne se sent pas en droit, alors il ne le fait pas. Au lieu, il l’entraîne vers le salon et l’invite à savoir sur le canapé ; autant pour elle que pour lui, car il sentait ses jambes céder bientôt.

Et maintenant que devait-il faire ? Encore là, il en avait pas la moindre idée.

« Si tu as besoin de temps et d’aller à Requiem, alors prend-le, mais revient, » qu’il dit étonnement calmement malgré ses mains tremblotantes. « Mais si tu penses que… » Il prend un pause, prenant soin de bien peser ses mots. « Toi et moi… on, on ne peut plus revenir » que la flamme s’est éteinte, qu’il n’y ait plus de retour, qu’il soit trop tard, « alors je pense qu’il est mieux… qu’on arrête. » Plutôt que de se faire mutuellement mal.  

Que ne donnerait-il pas afin d’apercevoir un éclairci ? À l’instar de la météo, c’est qu’il n’a pas de contrôle sur Rachel et surtout, il n’a pas envie de la contrôler. Qu’elle vive ses sentiments, quitte à mener à clore un chapitre à peine écrit. Tout ce qu’il peut faire, tout ce que Pavel peut faire, c’est ce montrer transparent, plus qu’il ne l’a jamais montré ces derniers jours, ces dernières semaines, ce dernier mois. Il ne veut pas la perdre, mais ne veut pas la rendre malheureuse. Et pire qu’une Rachel qui ne l’aime plus, c’est une Rachel qui finit par le haïr.

Ils sont au salon, et bien que Rachel n’ait toujours rien dit, elle s’est laissé guider. Pavel, sans vouloir y mettre tous ses espoirs, se dit que ce n’est pas un si mauvais présage. Alors, il continue à s’ouvrir et à partager sa pensée, qu’il gardait jusque-là secrète. Puis, lui offre une solution, un choix plutôt.

La pression, la tension, le suspense le portent au bord des larmes. C’est que malgré ce qu’il vient de lui dire, après avoir goûté à l’éphémérité du bonheur qu’ils ont partagé, Pavel n’a pas envie de la laisser partir. Contre toutes attentes, Rachel se love contre lui et sans réellement réfléchir, il enroule ses bras autour d’elle et l’emprisonne.

Même s’il y a le confort du contact physique qui lui manquait tant, Pavel ne peut secouer l’amertume qui le gagne. Bien sûr que personne ne leur avait appris ça, pas plus qu’on leur avait appris à voler la vie d’autrui. Ah, Rachel. C’est lorsqu’il entend sa voix si douce, si déterminé à trouver une solution pour alléger ses mots qu’il se trouve stupide de n’avoir pas parlé avant. D’avoir laissé le tout s’accumuler et finalement exploser. Pavel s’apprête à lui répondre, mais les mots se coincent aussitôt qu’il sent le contacte de mains sur ses joues et le regard qui plonge dans le sien. Il a un mouvement de recul, surpris et le rouge teint son visage.

« Alors c’est une promesse. »

Une promesse qu’il tentera d’honorer. Certes, ça ne sera pas parfais, mais il fera de son mieux.
Et si plutôt, il y avait l’amertume, il y a maintenant une vague de soulagement. Lui non plus ne voulait pas qu’ils se séparent.

« Je me doute que tu as ta vie à Requiem… et je comprends : c’est nouveau et en même temps, c’est beaucoup que te demander te tout lâcher. » Il a un soupir et Pollux le chat, jusqu’ici négligé qui s’impose et saute sur leur genoux pour exiger une forme d’attention, maintenant que la tempête est passée. «Et c’est pas quelque chose sur lequel j’ai envie de te mettre de la pression… » Grattant les oreilles du chat, il ajoute : « par contre, c’est faux. Je ne me sens plus très bien à Polaris… il y a des rumeurs comme quoi il aurait une seconde ville, donc si c’est moins… si c’est plus calme, alors je pense peut-être repartir de zéro. Bien sûr, ça ne t’oblige à rien. D’ailleurs, repars-tu pour Requiem, demain ? »

Pas qu’il voulait qu’elle s’en aille, mais si elle avait besoin de mettre de l’ordre dans ses affaires.

« Si, euhm… si ça ne t’embêtes pas, je peux t’accompagner ? Je crois que ça ferait plaisir à Claire… tu sais, de nous revoir. »

Pavel se mordille la lèvre inférieur, se demandant si son aveu, celui d’un renouveau, n’était pas en réalité une nouvelle mine qu’il venait de poser et, en même temps, d’activer. C’est le manque de transparence, encore et toujours, qui semble poser soucis et il se trouve stupide de n’y avoir pas prêté attention avant que les choses n’empirent à ce point. Surtout, il a parlé prématurément : loin d’être enraciné, l’idée n’est qu’un germe arrosé de temps à autre par les pubs vendant du rêve. So pouce trace des cercles dans la paume de sa douce.

« Ça… m’a traversé l’esprit, oui. » Vient la réponse hésitante, trahissant un manque de confiance et renforçant la fragilité du projet. Et plus vite qu’il ne peut répondre, Rachel l’assène d’une question dont il cherche encore la réponse. « J’y pense… »

C’est tout ce qu’il a à lui offrir avant que le silence règne à nouveau. La voix de l’astre s’élève et tout de suite, ses yeux glissent pour rencontrer les siens. Il y a l’hésitation et son pessimiste lui souffle de s’atteler, car ce qu’elle s’apprête à lui dire peut ou peut ne pas être une bombe.

«  Aaaah… » il souffle, d’abord soulagé que ça ne soit que ça, puis, Pavel est touché et attendrit par la suggestion. Il tilte à la mention de ‘nos finances’ et ah, quel baume sur son petit cœur ; il a le sourit béat, le sourire des idiots en amour et se colle un peu plus contre la femme qu’il aime. « Tu es la meilleure et je te promets d’y penser. » Pas d’accepter, cela dit, car Pavel ne pense pas qu’il soit sage d’arrêter le flow monétaire, même si ironiquement, ça ne lui dérangeait pas que ce soit Rachel qui prenne une pause. Loin d’être histoire de fierté, c’est que s’il ne travaille pas, c’est moins d’argent pour le futur… pour la famille ?

Le lendemain, il l’aiderait à se préparer et l’accompagner.