Noël Noël. Comme un chant dissonant, horrible aux oreilles d’Altagracia. Noël comme les longues réunions de famille toujours détestées ; les pères haïs et les sœurs à maudire. Douce souffrance que d’en murmurer les chants.
Pour elle, les anges se sont écrasés il y a bien longtemps, là-haut sur terre quand plus rien n’allait (et que rien n’ira jamais).
Mais cette année oh cette année est différentes, comme une douce senteur de cheminé ; l’âme en paix au coin d’une table, sans famille n’y rien à maudire.
Cette année oui, elle n’avait pas prévu grand-chose. Passer la soirée avec Kajsa lui irait parfaitement, à rire devant leurs feuilletons préférés et se gaver de pop-corn probablement.
Dure journée, la jeune femme à déjà les yeux qui se ferment tout seul, les pieds douloureux à force d’avoir tant marché. Les clés tintent contre le bois de la porte, mais Altagracia grimace. Sa colocataire avait encore dû laisser les clés dans la serrure, alors elle sourit sans s’en formaliser, s’amuse à marteler la sonnette du bout du doigt.
Car il faisait bien froid en cette période hivernale, un peu de givre recouvrait ses épaules et ses cheveux étaient plaqués en arrière par l’humidité.
On finit par lui ouvrir, la rousse toute aussi pétillante que d’ordinaire. Et pour ne rien changer, un bonjour digne des plus grands.

« Salut chérie je suis rentrée ! » D’une voix un peu plus aigue que d’habitude. Altagracia et son humour plus que bancale qui ne faisait probablement rire qu’elle.
Mais les paroles de l’autre la font s’arrêter, son épais manteau à moitié enlevé. Noël ? Était-il prévu qu’elles fêtent réellement Noël ? Ah pas le temps, la voilà qui jette ses affaires sur le porte-manteau et se dirige rapidement vers le salon. Ouvre de grands yeux face à la grandiose décoration et aux magiques petits plats posés là comme un véritable festin.

« Kajsa !! C’est juste magnifique ! »

Elle sautille d’un pied à l’autre, en total admiration devant tant de travail. La détective se retourne, plante un chaleureux baiser sur la joue de l’autre. « Joyeux noël ! »
Pour s’en retourner tout aussi vite vers les festives décorations.

« Je n’y crois pas, et moi qui m’attendais à devoir encore manger un horrible plat surgelé… »

Elle marmonne en continuant son exploration. C’est qu’elle n’avait pas toujours le temps de cuisiner après ses longues journées de travail et son amie n’avait parfois pas les mêmes horaires qu’elle. A l’idée du repas qu’il les attendait, elle en frémissait d’envie.

Tout excitée à l’idée de fêter Noël, c’est bien une première. Altagracia ne remarque pas le paquet sous le sapin, bien trop occupée à observer la nourriture, de quoi lui remplir le ventre pour toute la semaine. Car chez elle, le bonheur passait avant tout par un estomac et un porte-monnaie bien rempli. Faute d’avoir les deux, elle se contentera des bons petits plats préparés par sa colocataire.
Une bouteille vient accompagner tout cela et les voilà qui trinquent sous le champagne qui coule à flot. Une gorgée, une deuxième et tout cela ne se compte maintenant plus qu’en verre. Ah il fallait bien finir là les joues rosées et la tête en vrac pour une fête tout à fait parfaite.
Les toasts et petits fours s’étalent à perte de vue et la détective ne se retient pas, se fichant bien de garder de la place pour la suite du repas car tant pis si elle devait par la suite rouler jusqu’à sa chambre.
La discussion s’anime, apaise les cœurs quand de leur langue bien pendue, les deux jeunes femmes s’amusent jusqu’à la fin du repas.

Et finalement : le dessert. Le ventre bien trop rempli d’Altagracia semble protester mais la voilà qui l’ignore, bien trop tentée par une note sucrée pour finir cette belle fête.
Et Kajsa la surprend encore une fois. Une surprise ? Un cadeau ? La cubaine fait la moue une seconde, car elle n’avait elle, rien prévu pour son amie.

« Il ne fallait pas… je n’ai pas pensé à prendre de cadeau pour toi je suis désolée tu m’as surprise avec tout ça. »

D’un geste vague, elle englobe toute la table où les restes s’amassent ici et là. Ah la voilà un peu gênée de ne pas y avoir pensé ! Mais tout intriguée par le cadeau, un immense sourire vient tout de même orner ses lèvres alors que ses petites mains s’attaquent au paquet.
Pour dévoiler une longue veste à la Sherlock. Altagracia pousse un cri de ravissement, levant les bras droit devant elle pour apprécier la vue de son sublime cadeau.
« Kajsa c’est tout simplement sublime, merci ! » Sans attendre, elle l’enfile sans se soucier de la température pourtant idéale de la pièce. Caresse l’étoffe et observe la coupe qui lui va comme un gant. « Idéal pour une filature. Tu seras désormais mon Watson. » Qu’elle dicte avec une autorité toute feinte. Car son présent, elle l’adore mais la joie bien visible sur son visage laisse bien vite place à la réflexion.
Son amie méritait un cadeau. Et soudain, une idée alors qu’elle se redresse, déterminée.
« Ne bouge pas. »
Bien qu’elle ne puisse pas vraiment aller bien loin.
Altagracia file dans sa chambre et observe avec soin ses nombreuses cages à insectes, bestioles en tout genre.
Ah, voilà. Une petite cage en verre est attrapée. L’achat étant tout récent, Kajsa n’avait surement pas encore aperçu ce nouveau petit être.
Pétillante d’excitation, la détective rejoint sa colocataire, lui tendant la cage.

« Joyeux noël ! Je pensais en faire un nouveau compagnon pour Cookie qui doit se sentir un peu seule parfois, mais je pense que tu t’en occuperas aussi bien que moi ! »

Dans la cage, une adorable mygale, un peu plus petite que Cookie et aux beaux reflets roses.
N’était-ce pas là un merveilleux cadeau ?

Altagracia est totalement ravie par les rires et les remerciements de son amie. Une mygale, qui ne rêverait pas d’avoir cet adorable animal comme animal de compagnie après tout.
Les voilà qui trinquent une nouvelle fois, une raison de plus à cette folle soirée presque improvisée. Mello, se sera donc Mello. Petit cri de ravissement de la part de la détective qui n’attend pas une seconde de plus pour exprimer à quel point se petit nom est adorable. Cookie et Mello.

« Oh tu as bien raison, peut-être que l’on devrait même agrandir la famille en leur achetant une troisième petite sœur… »

Un rire, c’est qu’elle est à moitié sérieuse Altagracia, ne dirait certainement pas non à une armée de superbes bestioles comme celles-ci.
La cage est délicatement posée dans le salon, au-dessus d’une commode semblant n’avoir jamais connu un semblant d’organisation vu la paperasse y aillant fait son nid.

« Ne t’inquiète pas je t’expliquerai tout ce qu’il y a à savoir ! Point le plus important : ne jamais oublier de refermer leur cage où tu te retrouveras avec une petite mygale sur l’oreiller à ton réveil ! »

Elle parlait d’expérience, étant bien la dernière à suivre ses propres instructions.
Pour une fois, aucun commentaire fâcheux sur les plantes et la maladresse de la cubaine quant à leur survie, ne désirant pas gâcher la soirée en expliquant à sa colocataire les 50 raisons qui pousseraient apparemment ces odieuses plantes à se laisser dépérir entre ses mains. Sournois petits végétaux.

Soudainement, un son les fait toutes deux sursauter. La détective se redresse immédiatement, en alerte. Car ce son, elle le connait bien. Oh oui, des années sur terre à entendre les fusillades des sanglants quartiers de La Havanne. Même ici, Althea avait son lot de tireur fou sur lequel elle n’avait cessé d’enquêter. Un regard inquiet pour Kajsa, se demandant intérieurement si tous les bruits provenant maintenant des escaliers sonneraient la fin de leur petite soirée à deux.
De grands coups contre la porte.
Il fallait croire que oui.

Immense soupire d’ennui, Altagracia fait la moue, bien malheureuse de devoir reposer sa coupe de champagne pour aller ouvrir à la pauvre femme, non sans glisser quelques mots à son amie au passage.
« Une fois sur trois, c’est la femme qui tue son mari infidèle… »
Petit grimace, elle verrait bien.
Sur le palier, une femme d’une trentaine d’année au visage en larme, hoquetant tant bien que mal qu’il leur fallait intervenir. Qu’une détective comme elle DEVAIT intervenir. Il fallut à Altagracia bien quelques minutes pour la calmer, ayant reconnu sa voisine Carla vivant au troisième étage, mariée depuis quelques années à un bonhomme bien énervant, il fallait l’avouer -la détective s’étant toujours demandé ce qu’une femme comme elle pouvait bien lui trouver.
A grand renfort d’apaisement, la malheureuse Carla finit par se calmer assez pour leur indiquer l’escalier du doigt.
« Il est- oh mon dieu je ne peux pas y retourner vous devez m’aider ! »

Si Altagracia avait vu assez de morts dans sa vie pour supporter un tel spectacle, elle doutait qu’il en soit de même pour son amie.
« Je vais voir, tu devrais peut-être rester ici… »
car ce ne serait certainement pas bien beau à voir, en plus d’être dangereux. Alors oui, la cubaine regardait maintenant sa colocataire avec une certaine lueur d’inquiétude dans le regard.
Mais bien vite, elle s’engagea dans l’escalier.

Son amie se souciait d'elle, trop mignon. Kajsa ne trouve pas de façon de lui avouer qu'elle avait vu passer un nombre déjà trop conséquent de corps sans vie et parfois bien amochés par toutes les expériences subies dans son laboratoire althéien. Hors de questions de dévoiler les projets confidentiels qui se tenaient derrière certaines portes des Archives magiques.

— Ça ira pour moi.

Et un sourire rassurant en guise de réponse. Elle se lance à la suite d'Altagracia dans l'escalier et s'arrête comme elle au troisième étage devant une porte ouverte. Snif, pas de crochetage de serrure. En même temps ça l'arrange : elle sait pas le faire, elle a juste trop regardé Elementary. Les deux jeunes femmes pénètrent dans l'appartement et se dirigent vers le salon, guidées par des traces rougeâtres sur le sol.

Elles auraient bien eu du mal à se perdre de toute façon : l'appartement est identique au leur, moins les insectes et plantes bizzaroïdes, les propriétaires des lieux semblant avoir des goûts en matière de décoration plus communs. Si l'on excepte le cadavre au milieu de la pièce bien évidemment. La suédoise laisse la détective faire son travail en tâchant de la gêner le moins possible mais quitte à être montée, autant tenter de se rendre utile.

Elle se penche donc pour examiner le malheureux, descendu d'une balle dans la tête à en juger le trou dans son crâne. Mais c'est un autre détail qui fait tiquer Kajsa. Le corps est déjà complétement raide, ce qui indiquerait une mort survenue bien plus tôt dans la journée et qui ne coinciderait pas avec le coup de feu entendu il y a quelques minutes.

— À priori il a bien été tué par balle, par contre, d'après moi il est mort depuis au moins six bonnes heures...

Comment le sait-elle ? Overdose de série policières.

— Dis, on appelle les autorités ?

Elle lève les yeux au ciel Altagracia alors que l’autre la suit dans l’escalier. Bien, le contraire l’aurait étonné, bien que rien ne l’amuse dans la situation. Car si Kajsa vomissait sur le palier, elle ne se porterait certainement pas volontaire pour nettoyer.
3ème étage, la porte est ouverte. Un corps au milieu du salon, un trou dans la tête. Alors l’excitation la gagne, elle bien trop amoureuse des enquêtes sordides pour refréner son enthousiasme. Elle siffle de bonheur.

« Oh bon sang depuis le temps que j’attend d’enquêter à nouveau sur un meurtre ! »

La détective en avait plus que marre des couples adultères à prendre en photo, des pauvres vieux matous perdus dans les égouts et des objets à retrouver quand leurs propriétaires les avaient tout simplement oubliés sous le lit.
Mais un meurtre, un vrai, il n’y avait bien que ça pour la remotiver, se fichant pas mal d’en outrer certain. Sa colocataire au moins, était bien au courant de ses sordides penchants. Un peu de cervelle écrasée et la voilà aux anges !

Prenant apparemment la situation très à cœur, son amie s’improvise détective à ses côtés, révélant déjà les failles de la situation. La cubaine se penche à son tour en fronçant les sourcils.

« T’as raison… Il y a un truc pas net là-dedans. » Un regard pour son amie, assez impressionnée. « Dis-moi, t’aurais pas été médecin légiste dans une autre vie ? »
Au moins n’avait-elle pas vomi ou crié face au corps sans vie de l’homme. Ah Kajsa n’était certainement pas sa colocataire pour rien. Elle se rengorge pourtant à la question.
« Quelle idée, je suis bien plus compétente qu’eux ! »
Aucune raison d’appeler les autorités donc, du moins pas avant d’avoir élucider ce crime.

Alors elle se redresse, commence à fouiller le petit salon.
« Si c’est un suicide, j’imagine qu’il aurait laissé une lettre… ou au moins l’arme à ses côtés. » Mais non, rien. Pas la moindre trace d’une arme à feu ou d’un petit papier qui retracerait ses méfaits.
Venu se ragenouiller à côté du corps, elle se met alors à lui fouille les poches, un regard désolé à son amie.

« Je sais je sais, je n’ai aucun droit de toucher une scène de crime… mais tu ne vas pas me dénoncer hein ? »

Petit clin d’œil, la scène macabre sous ses doigts ne la gênant absolument pas. C’est qu’il en fallait bien plus pour la dérouter.
Des poches de la veste, la cubaine finit par sortir un petit carnet, ainsi que quelques photos. Si la plupart semblent le représenter lui et sa femme, quelques-unes le montrent aux côtés d’une tout autre personne, une jeune femme aux traits délicats.

Oups, une question potentiellement compromettante, vite elle l'esquive d'une pirouette.

— Mais non c'est comme dans le film qu'on a regardé la semaine dernière, tu te souviens pas ?

Puis elle lève les mains lorsque sa colocataire lui assure sa compétence à résoudre l'affaire, comme pour s'excuser d'avoir pu douter de ses capacités. Il est bien vrai que si elle parvenait à ramener de quoi payer son loyer chaque mois c'est qu'elle devait être un tant soit peu douée dans son métier. Alors elle se met à la suivre et écoute ses déductions, en bonne élève attentive.

Kajsa tourne le dos à la détective lorsque son amie joue les pickpockets, à la recherche d'indice dans les poches du cadavres, et ajoute d'un air malicieux :

— J'ai rien vu, j'sais pas de quoi tu parles !

Loin d'elle l'idée de mettre Altagracia dans l'embarras, elle s'amuse bien trop. Un peu trop d'ailleurs, elle se rappelle bien vite qu'elle est sur une scène de crime et retrouve son sérieux. Lorsque la détective se relève pour examiner les clichés, Kajsa remarque un numéro de téléphone et des symboles 이가현 écrits au dos. du dernier.

— Eh mais je reconnais ça ! C'est du coréen ! Regarde !

Oui, fan de séries policières et de K-pop, c'est une ado. Elle dégaine son téléphone et là voilà sur la page Althapédia du hangeul à traduire l'inscription en alphabet latin.

— C'est un prénom : Lee Ga-Hyeon. Tu penses que c'est le numéro de la jeune femme sur les photos ?

Altagracia fait la moue, n’étant pas certaine de se rappeler d’une telle situation dans un film regardé récemment. Mais avec la quantité de série et animation policière que les deux jeunes femmes regardaient régulièrement, tout ça n’était finalement pas bien étonnant.
Trop concentrée sur les photos, à essayer de trouver là la faille du meurtre, le point clé de l’enquête, la détective sursaute presque. Du coréen ? Elle fronce les sourcils, observant à son tour les étranges symboles ainsi que le numéro de téléphone. Kajsa était définitivement digne d’être son Watson, ses étranges compétences la surprenant toujours et la voilà qui ne se gêne pas pour lui en faire part en secouant la tête avec amusement.
« Tu m’impressionnes, je devrais peut-être t’embaucher… »
Mais de nouveau concentrée sur l’enquête, elle se décide enfin à sortir son holokit pour en taper le numéro.
« T’as surement raison mais il n’y a qu’un seul moyen de le savoir ! »

Toute fière, l’appel est bien vite lancé. Ca sonne une fois, deux fois et finalement une voix féminine se fait entendre alors qu’Altagracia plaque l’holokit à son oreille.

« Bonjour je suis Altagracia, détective privée. Connaitriez-vous par hasard un certain Harry ? Grand, brun, un air idiot, habitant près de la boulangerie rue des Lucioles ? »

Elle hoche la tête, apparemment heureuse d’entendre réponse positive à sa question et levant un pouce à Kajsa qui ne pouvait probablement pas tout entendre.
« Oh parfait, je suis navrée de vous l’apprendre mais Harry est… disons… mort. Sans vie. Une balle dans la tête c’est triste n’est-ce pas ? » Babillage incessant, la cubaine n’étant pas la plus subtile des femmes de ce grand monde. « Oh ne pleurez pas ! » Elle écarte l’holokit, lançant un grave regard à sa colocataire tout en se mettant à chuchoter à son attention. « Bon sang je déteste quand ils font ça… » Pour bien vite reprendre une voix joyeuse en dépit des circonstances, parlant à nouveau à madame Lee Ga-Hyeon. « Vous avez fini ? … Oh génial. Quelles étaient donc vos relations avec Harry ? … de simples amis ? … oh d’accord. Vous êtes sûr ? … Je ne sais pas, je mène en ce moment même l’enquête… vous n’en savez pas plus ? … je vois, et bien bonne journée madame, je vous rappellerai au besoin. »
L’appel est terminé, laissant Altagracia lever un poing en geste de victoire. Car grâce à ses cristaux, elle n’avait certainement pas manqué les petites décharges électriques dans tout son corps, signes que la femme au bout du fil lui avait menti.  

« Elle m’a juré qu’ils n’étaient qu’amis. Elle mentait. Peut-être devrions-nous parler de nouveaux avec la femme de ce pauvre homme qu’est-ce que tu en penses ? »