Pavel vivait sa vie de façon plutôt frugale, alors lorsqu’une de ses clientes lui parla du tout nouveau modèle polarien de roomba(tm), le fonctionnaire reconvertie avait haussé un sourcil, affichant presqu’ouvertement son scepticisme flagrant quant à la nécessité d’un tel produit de luxe. Sauf que, le soir venu, après quelques visionnements sur l’équivalent du YouTube althéein, il se laissa tenter, se disant qu’au moins, si ça ne lui plaisait pas, il pourrait toujours le retourner. Aussitôt l’appareil déballé et chargé, il s’était mis à arpenter les couloirs de la petite maison, entraînant dans son chemin poils et miettes, mais aussi deux chats désireux de chasse.

Ce jour-là, Pavel eut une révélation : il ne pourrait plus jamais se passer de l’aspirateur. Outre qu’occuper les démons de la maison, il roomba faisait aussi le ménage. Une pierre deux coups, comme on dit.

Il l’aimait aussi car l’appareil lui faisait économiser sur le ménage : pendant qu’il s’en occupait pas, il pouvait focus son attention sur Rachel et sur le repas qu’il préparait pour célébrer son séjour à Australis. Ah… parfait. Ça faisait longtemps et sans doute qu’un tête à tête avec chandelle lui plairait ? Pavel était en train de mettre les crèmes brûlées au four lorsqu’il entendit tambouriner à sa porte. Il s’essuya les mains avant d’aller répondre. Qui cela pouvait être ? Sans doute pas Rachel ; la parfumeuse n’était pas le genre à assassiner de son poing sa porte.

« Bonjour ? » qu’il dit, confus, car ça ne pouvait pas être sa douce. Ah si, c’était bien sa douce. Contrairement à lui, ce n’est pas d’un bonjour qu’elle l’accueillie. Pavel ne put répondre que de la seule façon dont il jugea approprié : « … pardon ? Ma… quoi ? » Et son regard glisse finalement sur l’intruse. Heureusement qu’il ne tenait rien, car il aurait échappé à la vue du nuage noir et des corbeaux tourbillonnant autour d’elle.

Peut-être qu’il n’était pas en train de cuisiner finalement, peut-être qu’il était au salon en train de faire la sieste, alors Pavel se pinça. Il soupire, c’aurait été trop beau. Son regard va de Rachel, puis vers la femme pour retourner sur Rachel. « Je… euhm… je ne suis pas certain de comprendre ? »  Il allait ajouter, ‘car c’est toi ma future femme’, mais se dit que c’était un peu trop prématuré, surtout pas le bon moment. « Je pense qu’il y a erreur, euh, vous vous êtes trompée de maison, madame… » Il prit la main de Rachel pour l’entraîner à l’intérieur.

Comme un nombre incalculable de choses dans sa vie, Pavel ne s’était jamais imaginé avoir le (dé)plaisir d’être au centre d’une bagarre de femmes.  Si ça se trouvait être le fantasme de beaucoup d’hommes, ce n’était pas le sien : au contraire, c’était même terrifiant. Et ce n’était pas à cause des corbeaux tournoyant autour de la femme en extase, mais bien à cause du regard tranchant que lui servait sa (pourtant si) douce moitié. Un regard qu’il n’eut pas de mal à décoder, mais hélas, il n’avait réponse à sa question : lui-même n’ayant aucun idée l’identité de cette femme qui semblait pourtant le connaître. Possiblement qu’il l’avait croisé en faisant les courses, conclue-t-il, avant de répondre par le regard qu’il était en possession d’aucune explication.

Ah. Sa femme. Voilà qui ne faisait aucun sens. Pavel  jette un œil à la dérobée et maintenant qu’il a le focus sur elle, il le voit : elle n’est pas moche du tout, très jolie même avant de chassé aussitôt les pensées, de peur que Rachel ait mis la main sur un cristal de lecture de l’esprit. Elle était jolie oui, mais Rachel restait la plus belle. Et ce, même en hurlant des inepties devant la porte de sa demeure.  

Et le plus beau dans tout ça, elle s’était époumonée qu’il était SON homme. Ç’avait sitôt remplacé la pitié par un sourire niais qu’il s’empressa de chasser, ne voulant absolument pas que les actrices de la scène puissent croire qu’il prenait plaisir. Pavel mime un ‘désolé’ avant que la porte ne soit refermée avec délicatesse et il la verrouille –pour bonne mesure.  

« Tu as la pêche, dis-donc, » qu’il dit sur un ton à tâter le terrain. Plus que la pêche, elle est en feu : Pavel écoute, acquiesçant ici et là. « Barbe à papa ou chewing gum ? J’ai une préférence pour carnation ; c’est plus doux. » Moins vibrant, plus dilué. Il enjambe le roomba et se dirige vers la cuisine où il ouvre la porte de congélateur pour vérifier s’il peut exaucer les souhaits de madame.  « Euh… il y a que vanille, est-ce que ça te va ? »

En attendant la réponse, il ferme la porte, histoire de ne pas attraper froid. Probablement encore de mauvaise humeur, il est sans doute trop tôt pour lui parler de ce qui vient de se passer et d’apaiser ses insécurités, alors il laisse le sujet tomber. Pavel va la rejoindre au salon, lui tendant ou ne lui tendant pas un bol de glace et l’observe avant de se jeter à l’eau et d’y poser une question qui le titille depuis qu’elle a mentionné à peinture : « si tu parles de changer la couleur… est-ce que ça serait, par hasard… parce que tu as réfléchie à ce que tu voulais faire ? »

« Tu es sûre? » il demande, jetant un coup d’œil aux murs. Elle avait raison, ils manquaient un peu de couleur. Ils étaient blancs, fades et à son image. « Doublement sûre ? » qu’il ajoute aussitôt qu’elle ne dit plus vouloir de la glace. Ses épaules s’affaissent, il s’apprête à faire demi-tour, mais s’arrête et va la rejoindre au salon. « C’est de la vraie vanille de… bon, peut-être pas de Madagascar, mais elle est 100% naturelle. Rien à voir avec les arômes artificiels. »  Comme pour lui donner envie, il glisse la cuillère dans sa bouche. « Ouvre grand. »

La cuillère (vide ou non) repose dans le bol.
« Concernant… »

Les mots s’arrêtent à la vue de son regard larmoyant.
Pourquoi pleurait-elle ? Il en avait aucune idée. Était-ce dû à la fan hystérique ?

Pavel était de ceux qui détestait jeter le blâme sur le cylce menstruel, mais… ses pensées ne purent s’empêcher que peut-être que… Enfin, il prend un moment pour réfléchir s’il veut vraiment orienter la conversation sur ce qui semble être une pente glissante. « Je parles de… » La pluie, du beau temps, n’importe quoi. « De nous. »

De leur couple, de la future, et la distance qui leur sert de barrière.

« J’ai… Quand tu as parlé des murs, je, en fait j’ai assumé -à tort, je crois bien, que peut-être… l’envie de customiser la maison était indicateur d’une envie de faire le saut. Euuuhm, de la Vallée à ici. » Voilà, c’est dit. Mais maintenant que les larmes sortent, débordent comme un ruisseau trop plein, Pavel doute. Il dépose le bol sur la table de salon et s’approche de copine pour la prendre dans une étreinte. « Je t’aime Rachel. »

Il la serre un peu plus fort.

« Je n’aime pas te voir comme ça, je n’aime pas non plus ne pas savoir la cause. Mais je ne peux pas savoir si tu ne me parles pas. Parle-moi. Dis-moi ce qui ne va pas… Est-ce que, est-ce que je te rends inconfortable ? »

C’est qu’il se sent bête d’en avoir fait toute une histoire alors que Rachel, baignée de larmes, lui annonce que tout ce quoi il a cru n’était qu’un mensonge ; un coup de pub, qu’elle a dit. Mais bien plus qu’un ‘ah bon’ sidéré, ou un ‘tu es sûre’ (car depuis quand la 0 en cuisine avait des leçons à donner), Pavel n’ajoute rien, toujours atterré par l’état dans lequel se trouve sa copine. Toujours de ceux trouvant mille et une raisons de tourner autour du pot, jusqu’à l’abandon, jusqu’à fuir la confrontation, Pavel ne s’avait pas comment attaquer le cœur du problème. Mais c’est que l’abcès doit être crevé et s’il ne le fait pas, personne ne le fera pour lui.

Il s’ouvre, se livre, met toutes ses cartes sur la table, car Rachel va mal et il ne sait toujours pas pourquoi.  Et s’il en est la cause, et bien, il se ravisera, s’ajustera et se battra. Et Pavel qui a toujours cru (suivant l’exemple de ses parents et de ses grands-parents) qu’à une relation fracturée, on y recolle les morceaux tel vase, la laissera aller. Parce qu’à quoi bon, autant immesurable soit-elle l’amour qu’il lui porte, si elle ne se sent pas bien, il n’y a pas de point à la retenir.

Et peut-être qu’elle le sent Rachel, à travers leur étreinte, la nervosité, l’anxiété qui le rongent, qui le font trembler. Il s’attend au pire, car il est comme ça : toujours plus facile de s’élevé d’attentes trop base que de crasher lorsqu’elles sont trop hautes. C’est un poids devenu hélium qui s’élève lorsqu’elle lui dit que c’est pas lui, mais l’amour qu’elle lui porte.

Elle refond en larme et ce qui suit ne fait aucun sens à ses yeux qu’il ne peut s’empêcher l’ombre d’un sourire, car si pour lui, il s’agissait d’une évidence, pour Rachel, ce n’était visiblement pas le cas : il n’y a place que pour une femme et c’était elle. Pavel est un homme simple : entendre la femme de ses rêves se livrer ainsi le porte sur un nuage. Il clôt la distance les séparant avant de saisir délicatement le coussin servant de barricade pour rapprocher leur visage. C’est une main qui vient se loger contre la tempe de la blonde et repousse derrière son oreille les quelques mèches rebelles. Puis, il pose ses lèvres sur les siennes et c’est probablement la seule réponde dont elle a besoin.

Le baisé prend fin, il y a la béatitude sur son visage.
Il maintient le contact visuel.

« Rachel, tu es la seule pour moi. Tu l’as toujours été, et ce, depuis que nos regards se sont croisés pour la première fois à Souvenirs. » Si ironiquement, il venait de lui sortir un discours digne des films à l’eau de rose qu’il détestait tant, il n’en pensait pas moins : elle a toujours été la seule et aucune, aucun fan hystérique ne pourrait le changer. « Je pense que tu ne réalises pas à quel tu m’apportes. À quel point tu as changé ma vie, pour le meilleur. »

Déjà un an, il n’y croyait pas. Et en cette année, il s’en était passé des choses.

« Du coup, tu veux toujours du rose pour les murs ? »