Des croquis et des photos, elle lui en fournirait sans aucun problème, ses carnets et son holokit en fourmillait, comme si elle travaillait dans l’idée qu’un jour on reprendrait ses travaux.
Piètre commerciale, elle était incapable de déterminer si ses conditions étaient trop hautes ou trop basses, bien qu’elle se doute que si l’homme acceptait aussi facilement, c’était surement car le marché était largement en sa faveur. Ses dents vinrent chercher l'intérieur de sa joue, le reste de son visage impassible. De toute manière, elle s’en voudrait de s’enrichir sur une transaction qui causerait la mort.
A quoi ressemblait-elle dans les yeux du caerien? Ses poisons, Alessio devait les considérer comme ses épines, mais en réalité, Amarante était une plante qui en était démunie. C’était sans doute une belle fleur, mais elle était infiniment moins dangereuse qu’elle n’en avait l’air.

“N’importe quel endroit où reconstruire ce qui avait été perdu dans la chute aurait fait l’affaire.”

Elle avala une nouvelle bouchée de son plat, détendant ses épaules de leur subtile crispation dans une expiration. Elle marqua la pause, cherchant ses mots.

“La transcendance est l’affaire de tous, tous ceux pouvant travailler dessus le font. La peur de l’attraper maintenant qu’elle se répand chez nous motive, pour sûr. Mais ce n'était pas un sujet lorsque je suis arrivée sur Althea.“

Nouvelle bouchée. Elle reposa sa fourchette sur la table dans un cliquetis métallique.

“Je ne vous poserais pas la question pour Caer, j’ai l’impression que vous êtes le citoyen modèle de chez eux.”

Loin du jugement, la phrase avait été prononcée comme une observation. C’était la nation dans laquelle elle s’aventurait le moins, et les citoyens qu’il lui arrivait de volontairement éviter. Question d’atomes crochus, c’était des gens trop lumineux, trop fiers, trop ostentatoires, trop trop. La scientifique savait qu’avec un plus d’orgueil elle aurait pu se mêler à ce simulacre de haute société et d’abondance. Encore une fois, c’était une simple appréciation de sa propre personne et de ses expériences.
Elle aurait sûrement encore faim après un plat pareil, mais elle espérait qu’au moins, il épongerait l’alcool du pétillant avalé plus tôt. Un pince sourire vint fendre ses lèvres.

"Le poisson était bon, finalement. "

Elle ne s’attendait pas à manger quelque chose de mauvais dans un cadre pareil. Le contraire l’aurait même surpris, vu le standing.
L’œil attiré par le flottement des fumerolles de tabac, le nez chatouillé par les effluves de cigarette, elle posa un coude sur un des bras de sa chaise, reposant son menton entre ses doigts. Elle l’allumerait dehors, plus tard.

Son regard dardé sur les dernières lamelles de poisson dans son assiette resta baissé, alors qu’il la qualifiait de chanceuse.
L’herbe était toujours plus verte ailleurs, et elle imaginait avec facilité ce qui le poussait à penser une telle chose. Malgré tout, elle avait eu vent de l’horreur qu’avait été la surface après sa chute, et l’idée qu’une situation aurait été plus avantageuse qu’une autre était assez difficile à envisager pour elle.
Elle allait ouvrir la bouche pour parler, mais se contenta d’avaler un dernier morceau de son plat, ne se sentant pas d’humeur à lui offrir une corde sensible à laquelle gratter.

“Je ne suis pas une experte en mystère, mais au moins ça vous fait des choses à raconter, non ?"

C’est qu’il avait l’air d’aimer faire la conversation. Elle avait l’impression d’être face à un de ces êtres qui lorsqu’ils entrent dans une pièce, font retenir leur souffle aux assemblées, sur qui on fixe son regard car ils attirent la lumière. Leurs capacités sociales étaient à peine comparables.
Elle porta plus attentivement son attention sur son œil de verre, doré, brillant, et la cicatrice qui l’encadrait. Oui, la vie avait été difficile là haut, elle n’en doutait pas. Elle finit par détourner les pupilles, hochant le menton comme pour approuver ses dires au sujet de sa situation.
Leurs plats s’échappèrent, retournant de là où ils étaient venus, le service étant d’une rare discrétion.

“Vous étiez déjà certain d’obtenir ce que vous vouliez j’imagine ?”

Elle chercha ses mots, son visage figé dans une expression indéchiffrable quelques instants. Ils n’avaient certainement pas besoin d’une méprise et rapidement, elle développa.

“Je ne vous trouve pas désagréable non plus, mais j’aurais sûrement préféré vous rencontrer dans d’autres circonstances.”

Amarante ne trouvait pas particulièrement agréable moralement d’être mêlée d’une manière ou d’une autre à la mort, et bien contre son gré, leur rendez-vous avait été placé sous ces auspices. Elle avait été bien incapable de l’anticiper, et la scientifique aurait probablement refusé de le rencontrer si elle en avait su un peu plus.

Elle ne répondit pas à sa remarque, posant ses mains jointes sur ses cuisses croisées. Elle était réellement curieuse de ce qu’il avait pu réaliser pour craindre à ce qu’on l’assassine, mais ravala ses questions avec un sourire. Peut-être le découvrirait-elle tôt ou tard, mais préféra laisser le hasard, ou plutôt le bon vouloir de son interlocuteur faire les choses.
Elle était après tout déjà bien trop impliquée, et craignait même ne pas réussir à percevoir réellement les conséquences que pourraient avoir l’aide qu’elle lui proposait sur sa propre vie.

“C’est vrai, nous sommes tous faits d’un bois similaire, nous autres.”

Beaucoup de ses collègues, elles y compris, laissaient la curiosité et leur recherches prendre le dessus sur leur morale. C’était une façon d'interpréter sa propre réaction. Les cartes glissèrent sous ses yeux, remerciant le serveur, elle posa les yeux sur l’objet, puis sur Alessio.

“Mais je ne vous aide pas vraiment par curiosité, ou pour faciliter mes recherches. Vous m’avez mis dans une situation où mes actions ou mon inaction sembleront provoquer inévitablement la mort de quelqu’un.”  

Elle baissa à nouveau les yeux vers la carte, avant de la saisir, la dressant devant elle. Toujours fidèle à son attitude composée, elle se concentra sur le menu alors qu’il évoquait la possibilité d’un dessert. Peu dépensière, la femme envisagea l’idée dans l’idée où ils séparerait l’addition, et décida qu’elle pouvait bien se le permettre.
Cependant, son esprit était agité, incapable de savoir comment considérer l’homme face à elle. Charmant, il l’était, mais le faisait-il de bonne foi, ou pour obtenir encore plus d’elle ? A quel point pouvait-elle avoir confiance en lui ? Elle en était réellement incertaine, et elle glissa un regard par-dessus sa carte, le baissant à nouveau aussi vite qu’il était monté. Peut-être que leur future relation ne pouvait être que basée sur de la méfiance mutuelle.

Rapidement, on vint reprendre leur commande, leur demandant s'ils souhaitaient continuer le repas.

“Une poire belle-Hélène s’il vous plaît."

Un dessert gorgé de souvenirs de la surface. Quelques années avant, elle aimait la cuisine  et s’en servait comme un moyen de faire plaisir aux autres, mais elle avait abandonné ce passe-temps lorsqu’elle avait commencé à vivre seule à Polaris. Certains considéraient qu’il était naturel qu’on prenne plus soin des autres que de soi-même, et la scientifique en faisait partie.

The greater good.
Elle pinça les lèvres, détournant le visage, alors que le serveur s’en allait déjà avec leur commande. Elle était prise au piège depuis le début, et il avait tout mis en œuvre pour que les choses soient telles qu’elles sont, bien qu'à présent il essayait d’adoucir l’amertume de son choix. Elle avait pourtant vu déjà trop de morts pour une vie entière, et avait tout fait pour éviter d’en produire de nouvelles.

Ses sourcils se froncèrent légèrement, les iris plantés sur l’homme. Elle commençait à mettre le doigt sur ce qui la mettait mal à l’aise face à Alessio: elle se sentait réellement désarmée, et contrairement aux bêtes qu’elle rencontrait parfois hors du dôme, lui ne lui avait laissé aucune possibilité de fuir.
A la surface, elle se dit qu’il aurait été un redoutable commercial.

Un soupir glissa entre ses lèvres, alors qu’une de ses mains vint saisir l’arrête de son nez.

“Je n’ai qu’une parole après tout. Ce qui a été dit sera fait, j’ai accepté de vous aider.”

Elle avait probablement besoin de le formuler à haute voix pour ancrer la situation dans sa réalité. Les choses se feraient, et elle s’en accommodera. Elle avait vécu bien pire.
Elle reposa un regard sur Alessio, le jaugeant un court instant, avant de caler son dos dans son siège. Tout le soin apporté à son apparence et la manière dont il se comportait, laissaient transpirer cette assurance, et elle arborait un sourire carminé de courtoisie lorsqu’elle lui répondit.

“Oui, ça aurait été une raison valable de vous rencontrer, si j’avais cru à un rendez-vous galant.”

C’était là l’avantage des faits, ils ne la mettaient mal à l’aise lorsque c’était elle qui les prononçait.
On leur apporta leur dessert, le serveur s'effaçant aussi vite qu’il était arrivé. Contemplant le contenu somptueux des assiettes, elle se rendit compte que même la finesse de la nourriture servie n’arrivait pas à l’adoucir, et si son visage était toujours orné de son masque de quiétude, son attitude était sensiblement plus lasse. Cependant, elle était certaine que la poire lui laisserai un souvenir agréable, car comme depuis le début du repas tout était exceptionnel: leur discussion, comme le cadre.

Dans le même silence que le sien, elle dégustait le fruit poché, s’attendant à une fin de conversation. Après tout, leur repas était pratiquement terminé, et leur accord, conclu.
Elle hocha simplement la tête affirmativement à sa question, portant son attention sur le reste de la salle et le ballet discret des serveurs entre les tables.

S'apprêtant à plonger à nouveau sa cuiller dans le plaisir sucré devant elle, son geste se figea brutalement, tandis que ses yeux remontèrent vers ceux d’Alessio.

Qu’elle mouche l’avait piqué pour qu’il interprète ses paroles précédentes de la sorte ? Elle se remémora rapidement ses propres mots, cherchant en vain une demande de rendez-vous dans ceux-ci. En l’écoutant, c’était comme si lui acceptait une requête qu’elle n’avait pourtant jamais formulée.
Il y avait un monde où elle acceptait, mais leur échange l’avait classé chez ceux que la scientifique jugeait dangereux. Avant celui-ci, elle aurait probablement dit oui, un peu de bon temps n’a jamais fait de mal à quiconque.

Sa bouche s’ouvrit et se ferma rapidement, le laissant parler sans lui répondre d’abord, peut-être par surprise, ou bien par gêne. Posant son couvert sur le rebord de son assiette, joignant les mains, elle ferma les yeux le temps d’une lente inspiration.

“J’imagine que vous êtes sans aucun doute un homme plus complexe que ce que j’aurais l’occasion de voir pendant cette entrevue mais je n’ai pas besoin de plus de temps pour le savoir et cela me convient.”

Reprenant le manche en main, elle s’attaqua au reste de son assiette enmurée dans un mutisme soucieux. Il en rirait probablement, elle en serait agitée. Décidément, il était bien déterminé à la tourmenter. Son timbre rauque se fit plus bas, terminant presque sa phrase dans un murmure.

“Ne troublez pas notre future association avec des ...propositions pareilles.”

Ses mains allèrent chercher au fond d’une poche de sa robe un paquet rectangulaire et un briquet, et portant un des tubes aux lèvres, elle l’enflamma. Elle n’aimait pas fumer en intérieur, mais une cigarette allumée de plus ou de moins dans le lieu ne ferait pas grande différence. Détendant ses épaules précédemment rigides, elle poussa le paquet et son briquet vers l’homme, composée.

“Si vous en voulez une, servez-vous."