Perdition… Perdition s’était avérée éprouvante, épuisante et éreintante Et si vous vous en étiez sortie sain et presque tous saufs, tu ne pouvais en dire autant de ton opinion de la Vallée et de son dirigeant qui fut allègrement écorchée. ‘Pour Jill, fait-le pour Jill’, t’étais-tu dis à répétition comme un mantra pour garder le cap et pourtant, une fois l’expédition terminée, ce n’est pas chez la cheffe de la sécurité que tes pieds t’avaient traînée, mais chez une toute autre personne. C’est sous la pénombre perpétuelle de Requiem que tu t’étais laissé guidé par ton cristal de localisation. Chez. Onyx. Mauvaise idée, tu réalises lorsque c’est devant sa porte que tu te tiens. Mauvaise idée, mauvaise idée, mauvaiseidée. Et tu fais demi-tour, il n’est pas trop tard, peut-être que si tu demandes gentiment, Jill voudra bien t’héberger. À peine eus-tu le temps de faire un pas, t’entends cogner. Tambouriner même. Tu ne peux pas t’empêcher de baisser les yeux sur tes mains pourtant immobiles. C’est à l’apparition d’une nouvelle lacération que tu réalises. Uh-oh.

Alors ça, si c’était pas ce présenter à l’improviste.
La porte s’ouvre et baigne dans la lumière Onyx, au sourire enchanteur.

Ah oui, vraiment, la pire des idées.
Et pourtant, malgré l’envie de prendre tes jambes à ton cou, tu te surprends à accepter son invitation silencieuse.

C’est que t’es dégueulasse. La boue s’écaille, révèle à la lumière de l’entrée des plaques bleues entre-mêlées ici et là de sang séché, puis vient salir le plancher. Heureux, qu’il a dit. Serre les dents, serre les poings, dévie le regard.

« Pourtant, tu devrais pas. Je suis dégoutant. »

Onyx n’eut que réponse l’affirmation peine perceptive d’un mouvement de la tête. C’était bien ton sang, enfin. Peut-être qu’entremêlé, il y avait aussi celui de l’araignée (sale bestiole qui, t’espérais, même dans la mort, brûlait perpétuellement dans les flammes ardentes de l’enfer). Drôle de question, jusqu’à ce que tu réalises que sans contexte, c’était bien difficile pour lui de comprendre d’où tu venais. C’est une justification que tu lui dois, une justification qui ne vient pas ; ne sachant par où commencer. De toute façon, les mots sonneraient vides, terrés sous une épaisse couche de sarcasme (et dire que tu pensais que Perdition était venue à bout de ton quota). L’Astre demande (ordonne ?) de ne pas bouger et c’est ce que tu fais : tu ne bouges pas. D’une part parce que t’as peur de souiller son sol, et d’une autre, car tu ne sais pas quoi dire.

C’est lorsqu’il quitte que tu te demandes ce que tu fais là.
Et surtout, s’il n’est pas trop tard pour prendre la fuite.

T’as la perception du temps en déroute. Onyx, déjà de retour, fait signe de le suivre et c’est bien parce que jouer l’enfant difficile serait cracher sur son hospitalité que tu le suis.

L’eau coule, sur son passage, elle laisse légèrement une peau légèrement meurtrie par tes limites. Parmi ces plaques bleues, certaines sont des ecchymoses laissées par l’impacte de la chute. Mais t’étais pas blessé.

« Onyx ? » tu l’interpelles, enroulant la serviette autour de la taille. Sans attendre de réponse, tu vas à sa rencontre et l’observe, affairé à peu importe ce qu’il est en train de cuisiner. « Tu n’as… » Pauses, passes une main dans tes cheveux encore humide. « Pourquoi…pourquoi tu ne poses pas de questions ? Je veux dire… pour ce que t’en sais, j’ai peut-être tué quelqu’un.  » Il n’en était rien de tel, évidement. Et, malgré le ton accusateur que tu venais de prendre, au fond, t’étais plutôt soulagé qu’il n’en pose pas.

« C’est parce que t’as pitié ? » La hargne dans la voix. Peut-être que, si poussé à bout, il va se lasser, Onyx. Peut-être qu’il va réaliser qu’il perd son temps et qu’il fera mieux de te chasser. Si c’est une raison qu’il lui manquait, tu pouvais lui la donnée.

Au fond, t’as besoin de sa main tendu, tu ne sais juste pas comment demander.

Tu dis n’importe quoi.

« Non, je… » Les mots se barrent une fois de plus et tu te mords la lèvre inférieure. Les idées tourbillonnent, s’emmêlent et créent une incohérence qui te rend hystérique. Fatigue ? Tu ne sais pas, mais une chose est sûre c’est que la balade à Perdition a tirée plus de jus que tu ne l’aurais cru. Normal ? Tu ne sais pas, mais bien qu’irritable, Jill ne t’avait pas semblé si éreintée. Et pendant que tu cherches encore une justification ou simplement quoi dire, tu ne focus pas sur Onyx et sur ce qu’il dit. Et c’est dommage car les mots, une mélodie, sont pourtant les plus sexy que t’eus entendu depuis très, très longtemps. Aider à cacher le corps ? Oui, on ne t’avait jamais dit ça. C’est au ralenti qu’ils te percutent. « Q-Quoi ? »

Ça te sort de cette torpeur et pour la première fois de la soirée, tu croises son regard. Avant de fuir et d’y cracher du venin. Venin qui l’affecte très peu, ou pas. Pourquoi. Pourquoi est-il si gentil alors que vous ne vous connaissez que de corps et pas d’âmes ?

T’as le soupir lourd, acceptant les vêtements si gentiment, (trop gentiment) tendus et c’est avec une docilité déconcertante que t’exécutes, allant au canapé non sans enfiler ce qu’il t’a donné. Tu t’assieds, lèves les yeux au plafond, observes le lustre qui l’orne avant de te prendre la tête dans les mains.  

« Je ne devrais pas être ici. »
Tu devrais être chez Jill. D’ailleurs, ne l’avais-tu pas oublié ?
Tu te lèves, obverse Onyx sans rien dire puis re rassied.

« Je, je ne sais pas ce que j’ai, » tu dis, finalement. « J’ai envie de t’en parler. Et à la fois non. » Un soupir, mais t’as l’ombre d’un sourire à la commissure des lèvres. « Je dis n’importe quoi, non ? » Ça laisse un goût amer : celui de la self-deprecation, et pourtant t’avais le dédain des gens s’adonnant à cette pratique.

« Tu peux me forcer. » Réponse tardive à la question de tout à l’heure. « Tu peux me faire mal aussi. » Puis, d’une plus petite voix : « je veux avoir mal. »

Et ça, si c’était pas du n’importe quoi.

« Parce que… »

Parce qu’il y avait là une détresse qui avait (trop) longtemps perdurée. Depuis les 6 dernières années, ta vie était un jardin laissé à l’abandon, et si certaines fleurs avaient réussie à se tourner vers le soleil, elles étaient maintenant oppressées par la mauvaise herbe. T’avais besoin d’aide, tu ne savais juste pas comment d’y prendre. Va savoir pourquoi, Onyx était ce jardinier sur lequel t’avait forcé le contrat, sauf mal orienté, mal outillé, tu ne faisais pas d’effort pour l’aider à t’aider.

« Ne m’touche pas, » tu dis au bout d’un moment, incapable de supporter la douceur de ses doigts et l’intensité de son regard. Et peut-être qu’à force d’être désagréable, peut-être qu’à force de te montrer difficile, il va céder. « Arrête d’être si considerate, c’est révulsant. »  Ou se lasser. « Tu fais ça avec tous les gens que tu passes dans ton lit ? Jouer au psy ? » Ou te mettre une claque ou deux. Ça serait mérité, non ?

Tu ne veux pas qu’il soit gentil ni tendre, alors que t’as ton forcé l’entré dans le confort de son foyer. Et pourtant, tu veux qu’il te réconforte. T’esquives son regard une nouvelle fois, ne prends pas le temps d’excuser les mots crachés à son visage, puis dit, la voix cassée :

« Je pense que j’ai la transcendance. »

Ce sont entre les dents serrées qu’il t’arrache un « non ». Non, il n’avait pas l’air d’un psy ; trop impliqué, il n’était pas assez détaché et tu ne comprenais pas pourquoi. Y’avait ce sentiment de pouvoir lui demander de décrocher la lune et de la servir sur un plateau d’argent et il le ferait. Il le ferait et tu ne comprendrais pas pourquoi. Il n’y avait rien entre vous. Que deux inconnus qui, par une blague poussée trop loin, avaient fini dans les bras de l’un l’autre. Rien de plus. Et pourtant, il était là Onyx, doux, attentionné et surtout patient. Mais c’est que tu ne mérites pas cette attention inconfortablement confortable. Et c’est que tu pourrais t’y faire. Lentement. Tranquillement.

Mais c’est que les attaches font mal, bien plus que la violence que tu lui réclames.
Puis t’y lâche la bombe. Enfin bombe, c’est encore une incertitude, mais tu n’en serais pas surpris.
Ça expliquerait les oublis, la manque de patiente à perdition, la fatigue… et les changements d’humeurs.

Peut-être qu’en lui disant, il va avoir peur.
Ô comme ça serait bien. Plus d’attache ; coupée par la peur de la maladie.
Ça serait… bien.
Merveilleux.

Mais il est contre toutes attentes, Onyx.
Il parle d’un remède.
Il parle d’espoir.

« MAIS ARRÊTE ! » tu hurles, tu te jettes sur lui et te tes mains, t’emprisonnes ses poignets. « Arrête… arrête d’être si gentil. Arrête de de soucier de moi, arrête de faire comme si on se connait alors que… »

Tu ne sais rien de lui.
Il y a les objets à l’alentour qui, chancellent, s’élèvent de quelques millimètres et aux secondes qui s’éclipsent, Onyx est témoin d’une coupure se matérialisant sur ton visage.

« Ne me parle pas d’espoir : j’en ai rien à foutre de la transcendance… rien à foutre du remède. Rien à foutre de toi, Onyx ! »

Rien à foutre de vivre.
De toute façon, ça faisait longtemps qu’il n’y avait plus rien pour toi sur Althea.