(cw: violence conjugale, meurtre - c'est évoqué plus que détaillé mais au cas où !)
T’as jamais vraiment eu de voix dans ta vie. On ne t’a pas écouté. On ne voulait pas t’écouter. Même à ton procès, le conseil de ton avocat était aisément résumé.
Ne dis rien.
On t’a dit d’invoquer le cinquième amendement. Parce que si tu parlais, tu t’incriminerais. Voilà ce qu’on t’a dit. Mais au fond, est-ce qu’on aurait écouté ? Est-ce qu’on aurait cru la jeune femme que tu étais à l’époque ? Une meurtrière présumée, celle qu’on avait retrouvé avec le sang de sa mère partout sur ses mains. Non. Il fallait que tu te taise, que ton silence soit la seule chose que la cour entende et que peut-être qu’on te prenne en pitié. Sauf que c’est pas arrivé cette fois, comme ce n’est jamais arrivé avant.


Non parce qu’on ne t’a pas écouté lorsqu’est venu le temps de quitter ton Mexique natal pour aller aux États-Unis. Ça a été une décision unilatérale de ta mère. Elle avait eu un contrat au Texas et il était hors de question qu’elle manque cette opportunité. Tant pis pour les amis que tu as pu te faire depuis le début de ta courte scolarité. Tu as essayé de protester, de dire que les États-Unis n’étaient pas pour vous, mais elle n’a rien voulu entendre. Elle a décidé et c’était comme ça. Ça a toujours été comme ça dans ta famille. Ta mère menait ton monde et celui de ton père sans que vous puissiez jamais participer. Alors vous êtes partis et toute la famille est parvenue à immigrer malgré les complications que les visas pouvaient entrainer. À l’époque, tu n’avais pas compris, tu aurais du espérer qu’on te refuse le visa. De rester au Mexique avec ton père, loin de ta mère, loin de ce qui t’attendait.


L’acclimatation à ta nouvelle école au Texas n’a pas été simple. Ton accent tranché au couteau n’était pas le point le plus populaire de ta personne. Rapidement, tu as été victime des petits durs de l’école. Et on ne t’a pas cru lorsque tu es allée te plaindre au professeur. On a rigolé lorsque tu as raconté comment un des garçons te tirait les cheveux à chaque occasion et te poussait parfois au sol. Non on t’a répondu avec tout le sérieux du monde : 

Boys will be boys
Comme si ça expliquait tout, comme si ça justifiait le traitement que les gamins te faisaient subir. Ils n’étaient pas méchant après tout. Ils ne faisaient rien de grave. Tant pis si ça rendait tes journées pénibles, si tu en avais marre que l’on se moque de ton accent, de ta façon de dire certains mots. Personne ne se préoccupait du fait qu’aller à l’école était pénible.

Et on se fichait bien de savoir qu’une rage commençait à naitre en toi.


L’école t’a déçu une autre fois. On ne t’a pas cru à nouveau lorsque tu es allée te confiée à ton enseignante. Lorsque tu as avoué à demi-voix que ton père se faisait battre. Tu cherchais à expliquer pourquoi tu avais éclaté en sanglot pendant le cours de la matinée. Tu as dit que ton père pleurait souvent à la maison, que ta mère était méchante. Oh tu as voulu leur faire comprendre ce que tu avais vu. Sauf que non. On t’a dit que c’était pas possible. Après tout, les hommes ça ne se fait pas battre. Les hommes ça ne pleure pas non plus. Tu leur as prouvé qu’ils avaient tord. Le petit Oliver, il a pleuré lorsque tu lui as collé un coup de poing en plein visage. Ça lui apprendra à te tirer les cheveux.

Et la rage continuait de grandir sous leurs regards indifférents


C’est en grandissant que tu as réalisé tout ce que ta mère faisait. Plus jeune, c’était surtout les conséquences sur ton père que tu remarquais. Mais lorsque la naïveté et l’innocence ont commencé à t’abandonner, tu as pu voir ce qui se passait réellement. Les coups, les menaces, la manipulation. Tu n’en as jamais été victime. Non, ta mère s’est toujours contentée de te pousser vers la grandeur, de demander la perfection de toi. Une pression que tu as porté sans broncher. Parce que c’était ce qu’on demandait de toi, parce que tu t’es habituée. Ça te bouffait un peu plus chaque jour, mais tu ne le réalisais pas complètement. Ton père, lui, le voyait bien. Il a vu les conséquences que ça avait sur toi. C’est finalement ce qui l’a poussé à décider de partir, de t’amener loin d’elle.

Sauf que ta mère n’a pas voulu. Elle vous a surpris alors que vous cherchiez à vous pousser dans la nuit. Et le premier coup est tombé. Tu l’as vu gifler ton père avec force. L’invectiver, lui rappelant qu’il n’était rien sans elle. Elle a menacé de l’abandonner et de te garder avec elle. Puis est venu un deuxième coup un troisième. Et tu n’as pas réfléchi davantage. T’as seulement écouter la rage en toi. Il fallait que tu protèges ton père. T’as pris le premier couteau dans la cuisine et tu l’as planté dans son dos. Ça ne t’a pas suffit. Tu as recommencé, encore et encore. T’as fait fi de ses cris de douleurs, de ses cris de collègue, de l’horreur que tu pouvait lire sur le visage de ton père. T’as continué à la poignarder même lorsqu’elle était au sol. T’as continué jusqu’à ce que ton père t’arrache le couteau des mains. Et tu as pleuré, pas de tristesse. Non t’as pleuré de rage, parce que rien ne faisait taire la colère en toi.


Sans surprise, le procès a été plié plutôt rapidement. La preuve était assez difficile à écarter et le témoignage de ton père a tôt fait de convaincre le jury de ta culpabilité. T’as évité le pire en raison de ta minorité, mais tu n’as pas échappé à une condamnation à 20 ans de prison. T’aurais sans doute croupis bien longtemps dans une petite cellule si ce n’était du Kamikakushi. Toi tu n’es pas tombée, la prison où tu étais n’étant pas dans une capitale, mais le chaos qui en a découlé t’a permis de t’échapper. Tu n'as pas su ce qui s'est passé exactement, des gens ont parlé de monstre dans la prison et d’autres informations beaucoup trop confuses. Toi t’as pas cherché à comprendre, tu t’es juste poussée. T’as fait une drôle d’équipe avec d’autres détenues qui se sont échappées en même temps que toi.

Survivre là-haut n’a pas été simple, mais votre communauté a porté ses fruits. Les plus fortes s’occupaient de protéger les plus faibles - jusqu’à ce qu’elles deviennent trop faibles et doivent être abandonné. Ce n’était pas une véritable vie, mais c’est tout ce que vous connaissiez à présent. Et ça a fonctionné pendant quelques temps, le groupe devenait toujours un peu plus petit au fil du temps. Vous n’étiez que deux à la fin, deux devant le trou qu’était la capitale américaine. « On se retrouve en bas ? » T’as pas su si elle a sauté avec toi. Toi t’avais pris ta décision dès que vous avez eu vent que c’était accessible. Peu de chance que là-bas (peu importe ce que là-bas c’était) soit pire que ce que tu as pu vivre sur Terre.


Et oui, c’était mieux là-bas au final, même si ça n’a pas été une amélioration immédiate. T’as découvert un autre monde, un monde qui t’a donné un pouvoir. T’as pas trop compris comment ça fonctionnait. T’as fuit les recruteurs par méfiance plus qu'autre chose. Après tout pourquoi tu ferais confiance à un gouvernement ? À des inconnus qui se pensent suffisamment meilleurs pour vous juger ? Très peu pour toi. T’as erré un certain temps dans le Désert, ça changeait pas tellement de tes dernières années sur Terre. Puis t’as eu vent d’un territoire un peu plus… libre. T'as décidé de rejoindre la Baie des Songes pour profiter des opportunités que ce territoire offre. T’as déjà donné par le passé, maintenant tu choisis la liberté. T'as vite été confortée dans ton plan en arrivant sur place. C'est un endroit luxueux que tu as pu découvrir, bien mieux que les dunes de sable à perte de vue. Puis bon, même si on ne peut pas dire que tu fais particulièrement confiance au Maitre des Rêves - le propriétaire des lieux - il semble avoir un certain flair et t’as plus de chance de trouver ta place dans le monde qu’il semble construire.
Ou bien celui que t'aideras à construire.