Bellamy traine des pieds, observe avec envie les grandes devantures. S’émerveille encore une fois de ce dôme protégeant mille âmes. Polaris, il connaît, y a mainte fois posé les pieds et apprécie toujours autant. L’après-midi déjà bien entamé, il rechigne pourtant à regagner son hôtel. Le rendez-vous de la matinée n’a rien donné, lui qui pensait rentrer à Requiem avec un ou deux nouveaux talents à son bras.
Mais rien.
Rien. Pas une once de magie dans la voix pourtant fort agréable de cette chanteuse lyrique. Pas un seul soupire d’envie face au superbe violoniste lancé dans ses prouesses acrobatiques. Et si Bellamy n’est pas satisfait, comment son public pourrait-il l’être ? Un voyage pour rien, l’irakien n’est pas au mieux de son humeur, trouve pourtant apaisement dans les vifs couleurs du centre-ville et l’intense brouhaha de la vie.

Non il ne veut pas rentrer, pester seul sur cette affreuse journée, là enfermé entre quatre murs. Inconsciemment, ses pas le mènent vers un attroupement. Des enfants sautillent, des femmes s’amusent dans un ou deux pas de danses, le sourire aux lèvres. Les hommes applaudissent pour en avoir toujours plus. Oh douce mélodie qui vient caresser ses tympans quand enfin, le vibrant son d’une flûte le transperce ; pour ne plus le lâcher. Intrigué et pour le moins charmé, l’Illusionniste s’avance, bouscule en s’excusant quelques passants plantés là. Car hors de question qu’il reste à l’arrière, désirant être aux premières loges pour apprécier la musique.

Un joueur de flute. Douce mélodie faisant danser un monde de papier. Virevoltent ça et là les feuilles colorées, presque comme une illusion.
Presque comme ses illusions. Un regard pour ces tourbillons de formes et de couleurs. Mille regards pour cet homme à la longue chevelure noire.
Et il n’y a plus qu’un mot : subjugué.
Il lui en faut peut-être peu (peut-être trop) mais Bellamy est ce rêveur jamais conquis ; aujourd’hui peut-être l’est-il.
Il imagine, imagine cette musique faire danser tout son cabaret, charmer les pays. Il imagine cet homme inconnu sur la grande scène qui surplombe le public animé. Charme les cœurs, charme les profondeurs.
Il n’en faut pas plus au magicien pour se décider.
Il le veut. Sur scène, dans son cabaret. Pour une représentation ou un millier encore. Et si la beauté de l’homme le nargue comme un séduisant soleil de printemps, Bellamy est assez professionnel (nest-ce pas ?) pour délaisser ses propres envies.
L’art, ne penser qu’à l’art. Aux millions d’applaudissements récoltés et aux joyeux rire d’un monde essoufflé.

Le joueur de flute a fini sa représentation, remercie son public. L’irakien note le nom du restaurant dans un coin de sa tête, ne saurait manquer cette occasion. Mais il ne part pas, oh non comment résister ; aux regards et aux douces notes qui là encore résonnent, il en mettrait presque des paroles.
On lui offre un éclatant sourire et… que voulait-il dire déjà ?
Ah, il se reprend, un agréable sourire sur ses propres lèvres.

« Enormément, je suis absolument sous le charme. » De quoi précisément, il ne saurait le dire ; à trop mélanger il se mettrait à douter.
« Jouez-vous souvent dans les rues de Polaris ? L’établissement qui vous emploie doit être bien chanceux de vous avoir. Ces notes vibrantes de magie… je n’en reviens pas ! »

Les derniers mots sont lancés avec empressement, Bellamy est bien plus ému par la musique qu’il ne voudrait l’admettre. Il n’y avait bien que l’art et les illusions pour charmer son cœur, percer sa carapace de pudeur. Pourtant, il se demande comment aborder le sujet. Rare sont les personnes prêtent à tout plaquer pour le suivre jusqu’à la Vallée des Constellations sur une simple demande. Il allait devoir être plus fin que ça, se questionnant déjà silencieusement sur les mots à venir qui permettraient à l’inconnu de vouloir lui, intégrer son établissement

Et ce sourire qui charme un peu plus. Et ce rire qui soudain résonne. Ah Bellamy s’y perdrait bien un instant. Il est pourtant bien d’accord avec les mots, la musique rendait la beauté aux choses oubliées, fragments du passé. Telles les illusions de magicien, les notes s’envolent comme un avion de papier offert au ciel.
Il hoche la tête sans perdre son sourire, s’excusant presque de ne l’avoir jamais croisé dans les grandes rues de Polaris.

« C’est que je ne suis pas du coin, Requiem a beau avoir son lot de magie il lui manque définitivement une douce mélodie comme la vôtre pour égayer les rues. »

Il en rit. Ah il n’échangerait tout de même sa ville pour rien au monde, là perché entre mille étoiles, mille espoirs.
Occupé à soigneusement lisser sa fine moustache, Bellamy retient avec intérêt. Ainsi donc le bel inconnu n’avait aucun contrat définitif. Réfléchissant, il laisse simplement échapper quelques mots. « Je vois… »
Peut-être devrait-il se renseigner un peu plus sur les réseaux sociaux dans ce cas.
Relevant la tête, il vient tendre sa main pour une simple mais polie présentation.

« Je ne doute pas de votre talent et de vos sublimes spectacles à venir ! Je m’appelle Bellamy, enchanté. »
Un brin gêné, il hésite un peu. Finit par se lancer.
« Accepteriez-vous… de boire un café en ma compagnie ? J’ai croisé de charmantes terrasses dans le coin, je promets de ne pas vous kidnapper bien longtemps. »
Il en rit un peu, légèrement soucieux de ne pas se faire ignorer.

Oh il y a bien d’autre musiciens tout aussi talentueux et Bellamy mentirait en prétendant le contraire. Mais ce n’était jamais assez, non jamais assez. Occupé à chercher les perles rares, les oiseaux exotiques et explosions de magie, l’Illusionniste ne comptait pas s’arrêter à quelques bons musiciens au sein de son cabaret.
Non, il désirait presque le monde entier ; non pas à ses pieds, mais pour tous les subjuguer. Il balaye pourtant les commentaires d’un geste de la main.
« Evidemment mais chaque musique est différente, je ne vous apprends rien je pense. »
Les présentations sont faites et Bellamy se retrouve plus qu’enchanté de cette situation. Icare avait certes ce talent pour la flute, mais il y avait également toute la mise en scène derrière. Les papiers virevoltant dans le vent, le sourire apaisant pour le public et rien que pour le public. Un concentré de jovialité, une aura magique comme l’irakien les appréciait tant.

Une main vient frotter sa chevelure, l’astre est quelque peu gêné de devoir avouer ses pensées sans avoir au préalable appris à connaitre l’autre. Mais celui-ci semblait bien trop curieux et ne se laisserait apparemment pas amadouer par un ou deux charmants sourires. Un léger soupire, et il avoue tout.
« Hm je ne suis pas si discret que je le pensais j’imagine… Voyez-vous je dirige mon propre cabaret à Requiem et suis sans cesse à la recherche de nouveaux talents. Il semblerait que le votre ne passe pas inaperçu… »
En plus de ce grand sourire et de cette sublime chevelure mais ça, il préfère le garder pour lui. Leurs pas les mènent vers un charmant café. Tout en parlant, il ouvre grand la porte pour laisser passer son invité dans un geste de galanterie automatique.
« Thé, café, chocolat chaud… tout ce que vous voudrez si cela ne vous fait pas prendre la fuite. »

Petit rire amusé, Bellamy craint pourtant de voir ses paroles devenir réalité.  

La blague le faire sourire. Oh non il ne pensait pas l’inconnu fait de papier, mais de féérie. A vrai dire, il craignait que l’idée d’un contrat avec un établissement tel que le sien le rebute. Jouer dans les rues ou dans un restaurant étaient une chose, jouer dans un classieux cabaret aux centaines d’invités était une autre. L’univers n’était pas non plus le même, il le savait. Nombreuses étaient les personnes influentes aimant y passer du bon temps et Bellamy ne comptait plus le nombre de cercles privés finissant bien trop saouls avant la fin des représentations. L’irakien devait avouer qu’à lui non plus, ce genre de clientèle n’était pas sa tasse de thé, il n’y avait bien que Lazarus pour parfois lui faire changer d’avis dans un sourire amusé. Malheureusement le succès venait avec les inconvénients, il ne pouvait en être autrement.
« Non, bien sûr que non. Mais certains se font parfois une idée bien fausse d’un cabaret. »
Quand certains préféraient y voir la débauche et les danses sensuelles, Bellamy voyait là l’amusement, les rires et instants de frisson. Il offre spectacle pour ceux qui savent voir ; alcool pour ceux qui ne savent plus que boire.

Alors que son invité commande, le magicien opte lui, pour un café bien noir.
La remarque de l’autre le fait sourire. Evidemment, il ne comptait pas le voir courir ici et là à sa simple demande. Il clarifie, peu sûr de lui.
« Ce que je voudrais, c’est effectivement vous voir jouer sur ma scène. Je ne peux évidemment vous demander d’effectuer sans cesse des aller-retours aussi épuisants. Vous seriez logé au cabaret comme certains autres artistes, à moins que vous ne préfériez l’hôtel et pourriez ainsi enchainer les représentations sur la durée qui vous convient. »

Tout pour appâter l’artiste, Bellamy dirait volontiers oui à la moindre de ses envies.
S’installant à la table, une serveuse vient bien vite leur apporter leur commande, rendant le magicien plus que ravi, trempant ses lèvres dans le sombre breuvage.
Il réfléchit quelques secondes sur la meilleure façon de lui répondre.
« C’est une scène comme une autre, dans une ville comme une autre rassurez-vous. On finit par s’habituer à cette nuit éternelle jusqu’à ne plus pouvoir s’en passer. »
Sourire nostalgique, pour lui du moins était-ce le cas.