Mains enfoncées dans les poches de ta veste et traînant un peu des pieds, tu l’avais suivi sans mot dire, te laissant emporté dans cette fantaisie. Car c’était ça, non ? Une fantaisie qui, ironiquement, rappelait votre première rencontre… un rancart. Un gag ayant un peu trop bien fonctionné. Mais là, c’était un peu plus solennelle malgré l’absence de frivolité et d’habit d’occasion. Il y avait là une simplicité à se balader à ses côtés et aux yeux de passants, sûrement aviez-vous l’air d’amis, sans plus. Mais, les meilleures dates n’étaient pas les plus simples ? Entre elle et toi, il n’y avait jamais eu d’extravagance. Et votre première avait la banalité de celle-ci. Tu lui jettes un regard à la dérobé, cherchant quoi dire et à défaut de trouver, tu lui sers une platitude : « j’imagine. » Toutefois, un point pour lui : t’étais pas fana du café, préférant le thé.

Jamais tu ne t’étais attardé à découvrir Requiem et ses secrets.
Et après Perdition, tout intérêt s’était volatilisé.

Mais, il fallait admettre que la flore luminescente a un de ces cachets qui n’a rien à envier au désert, ni aux autres pays. Pas que tu les aies vues, seulement de rumeurs. Puis, Onyx et sa confidence t’arrachent un sourire et si tout à l’heure, tu galérais à répondre, cette fois, tu sautes sur l’occasion d’y sortir une remarque toujours aussi empreinte de sarcasme.

« Romantique. »

Sauf que, à moins que l’entièreté de la Vallée soit maudite comme la jungle, t’avais confiance que ta localisation vous sortirait du pétrin. Mais ça, tu ne lui dis pas, souhaitant plutôt rester dans cette forêt. À ses côtés. Pour le voir galérer. Et ça te traverse l’esprit et s’imprime, l’image de l’Astre perdant son sang-froid. Les secondes filent et le spectacle se révèlent. La forêt vous enivre de sa féérie et c’est bien car c’est à couper le souffle que tu ne dis rien, préférant observer que teinter le moment de venin. Il y a cette mélancolie qui colle à la peau ; les pensées errent, vagabondent sur des ‘et si’. Et si c’était elle, à sa place ?

La pensée choque, te fait perdre pied et à défaut d’avoir un arbre à proximité, tu choisies d’être fesses contre sol au lieu de t’accrocher, ne serait-ce qu’un peu. « C’est magnifique, » tu finis par dire avant te relever (sans aide, si elle vient), comme pour lui faire oublier que tu venais te planter. Puis, y’a le silence ponctué des cris de la faune qui vous rappellent que vous n’êtes pas seuls.

« Dis, » tu l’interpelles au bout d’un moment. « il y en a combien avant moi?  »

Onyx n’avait-il pas dit être masochiste ?

Incroyable, l’amertume avec laquelle tu teins tes réponses ne l’atteigne pas. Ou du moins, si ça a un quelconque effet, Onyx ne le laisse pas paraître. Et pire que l’inférence ou l’indignation, ce sont bien les sourires avec lesquelles il riposte qui provoquent la plus grande des frustrations. Impossible d’imaginer que cet homme à la chevelure aux reflets de la lune soit étranger au second degré, non, plutôt il fait exprès : s’amuse presque de tes réponses, cherchant à les adoucir comme l’on saupoudre du sucre pour couper l’acide. Et si ça laisse le goût de l’exaspération qui cloue le bec, ne t’empêchant pas de rouler exagérément des yeux.

S’en suit un spectacle s’imprégnant dans les esprits ; un triste rappelle que vous aviez bel et bien quitté la terre et laissé à sa surface, le souvenir d’une vie qui n’est plus. Ça fruste, fait bouillir le sang dans les veines et avec ça, la frustration de penser à une autre alors que tu es là avec lui, à (essayer de) passer un bon moment.  Essayer oui, car tu ne peux t’empêcher de le chercher, de la piquer et de finalement, le pousser à abandonner.

Sauf qu’Onyx n’abandonne pas, n’abandonnera peut-être jamais.
Et là où tu te serais fermé à double tour, il se met à découvert.

T’époussettes tes vêtements, faisant mine de l’écouter d’une oreille (alors que c’est faux). Il rit et finalement, t’es pas sûr de vouloir réponse à cette question qui n’a été posée que pour jouer les difficiles. Parce que, c’est un refus auquel tu te serais attendu. Cavalier et sans douceur, une opportunité de ruiner ce rendez-vous puis de te remettre à ta place, comme tu le mérites tant.

Une vague de culpabilité s’écrase ; sculpte sur tes traits le malaise résultant de sa confession. Et peut-être l’a-t-il remarqué, Onyx, la désolation au fond de ton regard, criant que c’est une erreur, et jamais, jamais aurais-tu demander. Alors, lui aussi avait une Mathilde, sauf qu’il s’appelait Celestien.

Elle te frappe, la cruauté des mots que tu lui avais craché au visage, ce soir-là.
Ça te sidère, qu’après tout ça, qu’il soit encore là.
Là.
Au milieu d’une date.
Que t’essaies de ruiner.

Tu ne sais pas si ce sont les effets de ta maladie (cette même maladie ayant emporté son marie) ou la réalisation de n’être vraiment qu’une merde, mais ta vision se broue de la colère qu’il n’a pas (ne semble pas avoir). Tu clos la distance vous séparant avant d’agripper à deux mains (malgré la différence de taille) le col de son vêtement. « Pourquoi, pourquoi est-ce que tu sonnes comme si tu regrettais de l’avoir fait ? » Et ses amants. « C’est pour ça qu’il y en a tant ? Tu cherches à l’oublier ? À noyer son souvenir sous l’extase d’une nuit dans les bras d’un étranger ? » Comme moi, comme… Et les mains tremblent, ont du mal à garder leur poigne. « Explique-moi ! » Parce que pour toi, c’était inconcevable.

Tu n’offres aucune résistance lorsqu’il cherche à se libérer (gentiment, tu l’auras remarqué) de la poigne dont tu l’eues retenu prisonnier. Et quel piètre garde tu fais, lâchant le vêtement à contrecœur. Il se justifie, Onyx alors qu’il a tous les droits de ne pas le faire. Il donne réponses aux questions indiscrètes auxquelles, même toi (tu penses), une limite est franchie et c’est si personnel, si douloureux que t’aurais préféré qu’il te refuse, qu’il t’envoie chier de la pire des façons. Car, après tout, c’est ce que tu mérites, non ? Une juste conséquence au mal que tu cherches (cherchera peut-être toujours) à lui faire.

Mais c’est indéniable et malgré avoir déclaré que vous aviez tous perdus, qu’il n’y avait rien de spécial, tu ne peux t’empêcher d’y voir des similitudes entre son histoire et la tienne. Une similitude, oui, mais aussi un contraste net entre la façon de gérer la perte. Et de ces différences, tu ne saurais t’appointer arbitre.

Le contact visuel se brise et c’est sur la main posée contre ton cœur que tes yeux se posent. Tu te demandes bien ce qu’il y sent avant de secouer lentement, négativement la tête. Du bout des lèvres, tu lui confirmes que « non », tu n’en es pas un, au même titre que lui en était plus un à partir du moment où tu avais fait le choix de te présenter sous ton vrai nom. Mais c’est que tu ne penses pas que vous êtes amis, et à vrai dire, tu ne saurais de quelle étiquette apposer sur cette relation qui ne cesse d’évoluer.

Et c’est peut-être bien pour ça que tu as envie de le secouer, de lui hurler à n’en perdre la voix qu’il mérite mieux que ça. Mieux qu’un homme rongé par rancœur contre une vie vide de sens, qui, lui, ne se gêne pas à le traiter de la pire de façons. Ta main libre vient dégager (avec une douceur dont t’avais jamais fait preuve jusque-là) la paume reposant toujours sur ta poitrine et d’un mouvement sec, tu libères ton poignet.

« Tu sais… » Un préambule à une conversation pouvant partir dans tous les sens. « Je n’ai pas menti quand j’ai dit vouloir te connaître. » Malgré la douceur de la voix, il est impossible de dissimuler l’effort de la garder sous contrôle. « Mais pas comme ça… pas quand je t’arrache des réponses parce que. » Voulais-tu vraiment blâmer la transcendance alors tu n’arrives plus à tracer une ligne entre ce qui est toi et ce qui est la maladie ? « Je n’arrive plus à contrôler mes émotions. » Et ça te fait peur, pour lui, mais aussi pour toi, car il y aura toujours cette partie de toi qui cherchera toujours à l’éloigner jusqu’à le blesser. « Onyx, je… je ne sais pas si c’est une confirmation que tu attends ou peu importe, mais tu as le droit, et c’est amplement mérité, de me refuser, de me remettre à ma place et juste… » Et tu ne sais plus comment terminer. Il t’avait refusé oui, refusé de faire mal, mais pouvait-on vraiment compter cela comme un refus ?

La suite ne vient pas ; meurt sur tes lèvres alors tu compenses avec des gestes, et à défaut de prendre sa main dans la sienne, c’est son poignet que t’attrape.

« S’il n’est pas trop tard, j’aimerais faire de cette date un succès. »

C’est que, malgré la promesse, il t’est toujours aussi difficile de le croire ; tu ne peux que lui accorder le bénéfice du doute et garder un œil sur le futur. Toutefois, tu ne juges pas opportun d’en rajouter, préférant noyer ses paroles sous silence et montrer, par les actions, ta résolution à essayer. Et t’espères qu’il s’en rend compte, de l’effort, car s’il est du genre tactile (et tu l’as remarqué à plusieurs occasion), tu es son opposé. Comme de fait, sans hésitation Onyx démontre son aisance à approfondir le contacte et s’il sent la rigidité (et la moiteur) de tes doigts contres les siens, il peut en être rassuré, car ils sont toujours là.  

Et il t’arrache un sourire timide, Onyx, te rappelant l’utilité des rencontres. C’est que ça illustre bien vos différences ; en termes de dating, tu n’avais que Mathilde comme référence, et il fallait dire, vous n’aviez pas eu besoin de vous connaître. La réalisation frappe et y’a l’éclat d’un rire gêné.

« J’imagine que tu as raison. »

Puis, tu tires sur sa main, lui motionnant de te suivre car ce n’est pas en faisant du surplace que la forêt vous révélera tous ses secrets. Et c’est que ça fini vraiment à ressembler à un rancart : baigné dans le silence, illuminé par lueur de la flore et profitant de la sérénité des lieux.

« Tu sais… » Et non, il ne savait sûrement pas, car tu ne lui laissais pas l’occasion d’apprendre. « Tu es le premier avec qui j’ai une date depuis la chute… » finis-tu par lui avouer. Ce sont sur les fleurs que tu poses le regard, les arbres, vers le ciel, la lune qui rappelle l’argent de sa chevelure ; n’importe où sauf ses yeux. Sans doute était-il plus facile de s’adresser à la forêt même qu’à l’homme à tes côtés. « Mathilde… c’est comme ça qu’elle s’appelle. » Tu pauses. « Ma copine, ou plutôt mon ex… ? » Ah, rien que d’y penser, t’as le cœur lourd. « Nous sommes tombés en même temps, la chute nous a séparé. »

Et c’est lorsque tu t’apprêtes à serrer le poing que tu te rends compte que ta main est encore dans la sienne. « Je l’ai cherché, cherché, cherché… et récemment, je l’ai trouvé. Mais elle devenue une transcendée. » Au final, être atteint du même mal, n’était-ce pas romantique ? Toutefois, bien que tu le penses, tu retiens les mots, par égard pour Onyx. « Elle était ma raison de vivre. »

Était-ce vraiment la peur de l’abandonner ? Tu ne saurais mettre en mot le fond de ta pensée, mais tu ne croyais pas que la raison soit si noble, au contraire, n’était-ce pas plutôt égoïste ? La perte d’un être cher était là un fardeau bien que trop lourd à porter (et tu n’oserais souhaiter ce mal à personne), mais si tu t’arrêtais un instant afin de te pencher sur la question, et de façon très objective, tu ne pouvais t’imaginer laisser un trou béant dans la poitrine de quiconque. Certes, il y aurait Jill, mais elle s’en remettrait. Onyx… Onyx, c’était tout nouveau.

C’est avec véhémence que tu lui avais craché au visage, lui avait dit que de toute façon, comme tous les autres, il est celui qui mettrait fin à tes jours. Et si, à ce moment, t’y avais cru dur comme fer que cela passerait ainsi, aujourd’hui c’était tout autre : tu préférais disparaître. Disparaître ou bien user l’attacher jusqu’à ce qu’elle cède.

C’est qu’aujourd’hui, il y avait ce respect pour sa personne, pour l’homme qu’il est et surtout, quelque part, t’admirais cette force que t’aurais jamais alors pourquoi pas fait l’effort. Demain est un autre jour et tu lui avais dit, être avec toi, c’est être masochiste.

« C’est justement pour cette raison que tu devrais garder tes distances, » tu finis par souffler au bout d’un moment. Onyx avait vécu la même chose, alors pourquoi voulait-il répéter une histoire à la fin toute tracées d’avance. La mélancolie vous colle à la peau, la chasser c’est la retrouver en centuple, alors autant l’embrasser. Et il fait sourire, Onyx, tristement, mais il fait sourire car tu sais que ce qu’il dit est vrai : peu importe leur location, ils seraient heureux.

« Hm… » Assurément qu’elle l’est, Mathilde. Probablement déjà attristée de ces six années volatilisées à errer pour rien, finalement. Mais c’est que tu ne te laisses pas : voit la construction d’une nouvelle vie (sans elle) comme la pire des trahissons. Et elle est là, toute l’hypocrisie, car si les rôles seraient inversés, t’aurais pas voulu qu’elle se morfonde autant. Puis, tu sens ses doigts se resserrer et tu te demandes à quoi il pense (ayant toutefois une vague idée), et ça t’attriste, l’incapacité de lui rendre la gestuel. Le silence s’installe à nouveau ; n’étant jamais très loin. « Peut-être que les choses auraient été différentes… si… » Tu soupires lourdement. Et si c’était ses yeux que t’eurent rencontré avant ceux d’Alekseï. Tu délies vos doigts entrelacés. « J’ai dit que tu étais le premier, mais tu n’es pas le premier à avoir essayer, il y a eu ce type. » Alekseï, il a. « Il a volé son apparence, m’a fait croire qu’elle était encore en vie et puis… » Ah. « Il m’a embrassé avec ses lèvres. »

Tu passes une main sur ton visage, sentant la fatigue émotionnelle.

« J’y ai cru, c’est stupide, non ? »