C'est pas tout ça mais éboueur même à Celestia ça ne paye pas grand chose. Surtout quand la moitié du salaire passe dans les réparations du camion qu'il ne cesse d'éclater contre les trottoirs surélevés de la capitale. Il faudra vraiment que quelqu'un invente le scooter broyeur de poubelles ce serait plus pratique tout de même dans les ruelles étroites de Polaris.
Bref, désireux de mettre un peu de beurre dans les épinards ce mois-ci, Nezumi fait des heure sup comme il avait l'habitude de le faire à la surface. C'est un bon travailleur Nezumi à l'exception qu'il n'est en fait pas bon du tout et a le chic pour s'attirer les ennuis. La preuve en direct.

C'est un job simple qu'il a choisi ce soir : vigile pour un studio télé. Il faut juste s'assurer de ne laisser passer personne sans son badge et ça tombe bien parce que Nezumi sait bien faire le type pas sympa qui croise les bras en ronchonnant devant les portes d'entrées. Seulement en se présentant au bâtiment le jour J, il a beau répéter son nom ainsi que celui de la dame qu'il a eu au téléphone lors de son rapide entretien d'embauche, personne ne sait quoi faire de lui. Le japonais ne le sait pas mais une fulgurante épidémie de gastro a eu raison d'une partie de la prod, mettant sans dessus dessous l'organisation de l'émission du soir.
La situation est si critique qu'on finit tout de même par le faire entrer sans trop lui poser de questions et qu'on lui tend un badge sur lequel est gravé le titre d'assistant avant de lui indiquer un numéro de loge où il doit recevoir ses instructions. Trop heureux d'avoir pris du grade en pointant simplement le bout de son nez, Nezumi s'empresse de filer à l'endroit indiqué.

▬ Patron ?! S'exclame-t-il en rentrant comme une tornade dans la pièce après avoir tout de même donné trois coups enthousiastes contre la porte. Sans laisser le temps à son nouvel employeur d'ouvrir la bouche, le voilà qui se plie en deux à la japonaise dans une position comique : tout raide et la tête bien basse. Il se présente à toute allure : J'suis Nezumi patron ! Vot'nouvel employé ! Ravi d'faire vot'connaissance ! J'ferais d'mon mieux alors soyez magnanimes avec moi s'vous plait !

C'est limite s'il hurle pas en regardant ses baskets autrefois blanches mais chez lui c'est comme ça qu'on lui a appris à saluer.

Heureusement pour son ego, Nezumi est si concentré dans sa présentation qu'il ne se rend pas compte de la crainte qu'il instille tout d'abord chez son nouvel employeur. C'est vrai qu'avec sa dégaine il n'inspire pas vraiment la confiance, seulement lui n'en a pas vraiment conscience. De toutes façons, Monsieur s'avance déjà vers lui avec une main tendue, main que le japonais s'empresse d'attraper avec les deux paluches pour une poignée plus qu'enthousiaste, un peu trop même. La paume du présentateur est broyée sous celles de son subordonné qui s'efforce de le regarder droit dans les yeux comme si de rien n'était et de ne pas lorgner sur ce fabuleux caleçon à coeurs.

▬ Quel poste ? Je euuuuh... On lui a bien dit mais il a déjà oublié. Dans son hésitation il a baissé les yeux et se souvient brusquement du badge autour de son cou. Sans discrétion, il s'en saisit et en épelle bêtement les inscriptions : Ne-zu-mi As-sis-tant V-I-P ! Oui c'est ça ! J'suis votre assistant, M'sieur VIP !

Son regard balaye la loge. Qu'est-ce que ça doit faire au juste un assistant ? Ça il est presque sûr qu'on lui a pas dit ! Et puis ses yeux s'arrêtent sur la tenue soigneusement disposée dans un coin, font des allers-retours entre le boss et les vêtements. Eureka ! Un bon assistant n'envoie pas son patron tout nu sur la scène !

▬ 'Tendez, laissez-moi vous aider ! Avec une grande (trop grande) envie de bien faire, il se jette sur le haut et le déboutonne sauvagement avant de s'arrêter pour contempler l'habit d'un air perplexe et de s'exclamer : Mais c'est qu'elle est toute froissée vot'chemise patron ! Z'allez pas mettre un truc comme ça si ? Pour quelqu'un qui s'y connait si peu en stylisme au point qu'il marie régulièrement néons et motifs criards, il est évident que ces ourlets ne sont pas voulus. C'est forcément que son prédécesseur a oublié de les repasser ! Vite laissez-moi vous trouver un fer !

Heureusement (ou pas), la styliste a laissé un défroisseur à vapeur dans le coin. Nezumi s'en saisit triomphalement et allume avec un peu trop de précipitation l'engin qui asperge d'eau bouillante le pauvre vêtement lavande.

▬ Uh oh. C'est tout ce qu'il trouve à dire en contemplant avec des yeux de chien battu ce haut tout trempé qui doit coûter au moins l'équivalent d'un mois de son salaire.  

Les rats sont rarement férus de mode c'est bien connu, aussi Nezumi tente-t-il se de se persuader que le look mouillé ferait peut-être fureur sous les projecteurs. Mais oui imaginez, on pourrait également lui humidifier et lui rabattre les cheveux à ce présentateur. Peut-être même lui coller des paillettes sur la tronche pour simuler des gouttes d'eau ? Un look de sirène de la télé, c'est tendance les sirènes non ? Le japonais s'apprête à lui suggérer cette merveilleuse idée quand le rire de son nouveau patron l'interrompt. C'est drôle ? Ah peut-être que cette chemise se porte réellement comme ça alors...
Mais la pique de la starlette a pour effet de le faire rougir furieusement.

▬ T-torse nu ?! L'humour n'étant pas son fort non plus (à croire qu'il n'a pas grand chose pour lui), l'ex-yakuza prend la boutade au premier degré, agite les mains et bredouille confusément : Ah non ? Enfin c'est pas que vous z'êtes pas beau torse nu mais pensez aux enfants, est-ce que ça passerait à la télé un animateur torse nu ? Et puis z'allez chopper la mort comme ça ! En portant un haut trempé aussi, mais de toutes façons le vêtement lui est confisqué. À la place, VIP s'empare d'une chemise d'un bleu trop pâle à son goût et surtout au décolleté beaucoup trop aguicheur pour son cerveau de mâle macho étriqué. C'est euuuuh... Doit-il se risquer à vexer son boss ? Non, non il faut rester professionnel. Nezumi capitule et lève un pouce vers le haut : C'est saillant ! Euh seyant !

Maintenant que la crise vestimentaire est passée, il faut trouver quelque chose d'autre à faire. Le gredin renifle et balaye à nouveau la loge du regard sans oser toutefois toucher à quoi que ce soit :

▬ Qu'est-ce que j'peux faire pour vous ? Vous voulez un café ? Un chocolat ? Un massage ? Il se frotte la nuque et tente toujours de deviner ce que ça fait exactement un assistant VIP. Ou alors j'peux aller bahuter l'public ou quelqu'un qui vous fait du tort M'sieur ! Z'avez pas de haters par hasard ? J'suis prêt à tout !

Décidément, on ne se reconvertit pas de truand à staff de plateau télé aussi facilement !

Des papiers ? Oui ? Non ? Peut-être ? Nezumi a déjà oublié, dès qu'il a vu le sacro saint badge, ses derniers neurones se sont envolés de joie. On aurait pu lui mettre n'importe quoi sous le nez qu'il aurait signé. Alors dans le doute, on va dire que...

▬ Euh oui, oui ! Je crois ?

De toutes façons il voit pas en quoi la paperasse pourrait aider son patron. Croyez-le ou non, Nezumi n'est pas un homme de lettres, il n'a même pas eu l'équivalent du bac et est plus à l'aise avec ses mains qu'avec les mots. D'ailleurs en parlant de mains, ce ne sera pas de massages pour le Boss Bào (ouf, il ne va pas lui craquer la nuque par mégarde, enfin pas pour l'instant), simplement un café ! Voilà une chose simple qui semble être tout à fait dans ses cordes !

▬ Entendu ! Un café illico presto !

L'animateur télé est malin : c'est un bon moyen de se débarrasser (temporairement) de cet encombrant assistant car ce dernier s'est jeté en dehors de la loge, direction la machine à café high tech qu'il a vu dans le couloir. Ceci dit devant tous les boutons colorés de cet imposant bijou de technologie désaltérante, il reste un instant pantois. Macchiato, cappuccino, ristretto, latte, americano, espresso, double espresso, décaféiné, soupe à la tomato ? Que des noms compliqués qui ne lui disent rien. Et qu'en est-il du pourcentage de sucre ? Et du genre de lait ? Hum... Le japonais réfléchit un long instant (trois secondes exactement, c'est très long pour lui) puis décide de tenter plusieurs combinaisons au pif. Sans être mathématicien, il suppose que statistiquement il y aura forcément un mélange qui conviendra au chef.

C'est ainsi avec un carton de pas moins de 6 gobelets que Nezumi redébarque dans la loge, faisant valdinguer la porte d'un coup de pied parce que ses deux mains sont occupées à tenir ses breuvages.

▬ Pardon Boss je savais pas ce que vous aimez du coup j'ai tout pris ! S'exclame-t-il avec enthousiasme avant de... oh malheur... trébucher sur un câble, déclenchant un tsunami de café chaud (avec un surplus soupe à la tomate) sur les genoux de Bào. Et puis sur lui aussi tant qu'à faire.

Si le.a HR est intelligent.e, i.elle lui aurai fait signé un contrat avec une clause de non-responsabilité en cas d'accidents du travail...