Autant dire, qu’officieusement, la demeure d’Onyx faisait office de résidence secondaire, tant le temps que t’y pensais ne faisait que croitre. Ce n’était pas voulu, évidement, mais il se faisait tard au retour du rencart et lui demander, bien qu’embêter, de t’héberger semblait être la suite logique des choses. De fil en aiguille, un jour se transforma en deux, et maintenant, ça devait bien faire le troisième jour. Et comme toutes bonnes-, comme toutes choses ont une fin, il était temps de plier bagages (ironiquement, t’en avais aucun) et de retourner à la Baie.

Vivre avec Onyx durant cette courte période t’avait fait réaliser qu’un : c’est possible de coexister sans problème, tant que les sujets épineux sont évités ; deux : avoir un colocataire ce n’est pas si mal, c’est même- ah non, oublions ça, et trois : son domicile était incroyablement vide. A croire que les murs blancs sont tendances à la Vallée. Entre ses murs et ceux de Jill, aucune différence. Bon, t’avais un peu (beaucoup) de blâme quant à ce style épuré (forcé), toi qui avais été la cause de la destruction du peu de décorations en sa possession.

« On sort, » lui avais-tu annoncé après avoir longtemps contemplé la blancheur des murs. Et si ç’avait sonné comme un ordre, c’est que c’en était une : sachant fort bien qu’Onyx, une fois mis au parfum du plan, aurait probablement dit quelque chose du genre ‘ce n’est pas grave, ça arrive’. Sauf que non, ça n’arrive pas (en tout cas, ça ne t’était jamais arrivé). C’est devant une boutique de décorations en tout genre que tu l’avais amené, traîné ou forcé dépendant du degré de résistance rencontré.

Il y en avait pour tous les goûts : traditionnel, contemporain, rustique, bohème et bref, la liste continue.

« Que penses-tu te ça ? » finis-tu par dire après avoir parcouru la première allée. « Magnifique, non ? » Et c’est qu’on s’aurait attendu à l’éternel sarcasme dont tu ne saurais vivre sans, ou bien un troll, mais il y avait cette sincérité dans ta voix annonçant (comme un mauvais présage) l’un des pires goûts de l’histoire. C’est que le bibelot est d’une laideur, (on ne s’aurait l’attribué à un mouvement quelconque) que le scepticisme ou un profond dégout sont les seules réponses acceptables. Le genre affublé d’un sourire poli, d’un merci discret et qu’à première occasion, on le fout dans une boîte bien scellée, histoire que ça ne se lève pas la nuit pour poignarder.

« Haha, très drôle ; je ne te savais pas ce côté farceur. »  C’est qu’on apprend tous les jours et aujourd’hui, au tableau : Onyx a le sens de l’humour. Bon, tu t’en doutais un peu vu comment il avait réagi quand l’autre random l’avait pris pour une waifu en deux dimensions, mais c’est que t’avais l’impression qu’il le sortait rarement. Enfin, il faut reconnaître que tu ne lui en avais pas laissé l’occasion ; étant un vrai modèle d’imprévisibilité. « Mais non, stupide-» oups, ç’avait glissé si aisément que ça traduisait une certaine aisance d’être à ses côtés. « Il y a aucun point à ce que ça soit placé dehors… je pensais plus à la table d’appoint dans l’entrée. » Oui, histoire que ce soit la première chose que ses invités (ou ses amants tiens) voient avant de rebrousser chemin.

Tu l’observes analyser la chose, te disant qu’à la contempler sous toutes ses coutures, ton compagnon se rendrait forcément compte de sa beauté (si ce n’était déjà fait). T’as le sourire qui font comme neige au soleil lorsqu’il questionne l’identité. Tu penches la tête, le regarde comme si l’eu privé de la vue.

« C’est un kraken, » tu le corriges avant de prendre la statuette dans tes mains et de l’examiner et de comprendre où bien a-t-il pu y voir un phoque. En réalité, ça ressemblait davantage à la sirène du Starbucks à qui on avait passé un tabac. Très cursed, en somme. Et probablement que ça attirait les esprits au lieu de les chasser. Et la chance, plutôt que la malchance. « J’imagine que le style avant-gardiste ne colle pas au palais de tout le monde. » Tu lui jettes un regard, puis à la ‘’sirène’’ avant de terminer sur le présentoir, ne sachant pas s’il la voulait vraiment. Le point, c’était de compenser sa déco détruite, donc autant upgrade, mais s’il finissait par se vomir dans la bouche à chaque fois qu’il jetterait un coup d’œil à son entrée, alors ça ne valait pas trop la peine.

« Tu me sembles être le genre à aimer les trucs de grand-mère, style tricots et courte-pointe. Et les coqs.  »

Main sur la hanche, t’as ce regard qui cri ‘tu vois, j’avais raison’ lorsqu’il admet (enfin) qu’il s’agit bien d’un kraken. Peu importe s’il a fallu qu’il le retourne dans tous les sens ; c’était là une petite victoire. Évidement, tu ne peux t’arrêter qu’à ça : il faut que tu le piques un peu, car s’il avait montré une petite résistance face à cette œuvre d’art, c’est que forcément, il avait ses préférences (même si de toute évidence, elles n’étaient pas aussi niche que les tiennes). Et il riposte, Onyx et ça te prend un peu de court car oui, les coqs semblaient bien être un truc de grand-mère. Tu t’en souvenais, des rares où ta mère t’avait lassé chez sa mère : partout, partout il y avait des coqs et sous toutes les formes (salière, poivrière, boîte à biscuit, vaisselles, etc.). Tu ne l’avais pas vraiment connu, ta grand-mère, mais si tu devais la décrire, tu l’aurais fait en deux mots : coqs et… lavandes. Tu le dévisages, sourcil haussé.  

« Ose me dire que ce n’est pas le cas ? » Parce que bon, jusqu’ici, il n’avait pas fait l’effort de démontrer qu’il avait un semblant de goût. S’attaquer à l’argent de ses cheveux aurait été trop facile, alors tu laisses tomber. « Que je sache, tu n’as pas nié le tricot. » Puis, tu t’apprêtes à répondre que le kraken a l’avantage sur la volaille, juste parce que. Toutefois, il ne t’en laisse pas la change, suggérant une troisième option. Ça, c’était un bougeoir, le genre de truc qu’on voit dans un salon mortuaire, oh wait-

« J’étais dans l’idée que c’est ta maison qu’on décore, pas ton bureau. » Et si les couteaux volent plus ou moins bas, n’empêche que l’ambiance n’est pas désagréable. Pas désagréable du tout. Onyx semble vouloir passer à autre chose et il mentionne l’allée des cadres. Tu t’apprêtais à lui emboîter le pas, sauf que tu t’arrêtes, te retournes et lui sers un regard accusateur. « Comment ça peur ? Je m’imagine des choses où t’es en train d’insinué que j’ai mauvais goût ? » Mauvais, c’est généreux, essayons terrible. T’hausses les épaules et lui attrapes la main (sans vraiment réfléchir) avant de l’entraîner vers ces fameux cadres. « En fait, ne réponds, sauf si t’as envie que ça finisse en bain de sang. » À ton avis, c’était plutôt lui qui avait des goûts douteux.

Fais-toi plaisir, qu’il avait dit. Autant dire que leur variété de cadre était pour le moins très impressionnante. Entre la parodie de ‘la création d’Adam’ mettant en scène des ficellos, ‘la naissance de vénus’ avec la tête de Donovan (bâclé, comme pour mettre l’emphase qu’il s’agit d’un gag) et le air dancer mimant la pose du cri, et bien, l’artiste ne manquait pas d’imagination. Bien sûr, il y avait des cardes plus conventionnel (lire boring) comme la salade de fruit, les fleurs, etc. « Le choix est dur. » Dur, indeed. « Je verrai bien celui-là. » Celui étant le plus moche des trois.

T’as le regard sceptique, même si Onyx mentionne qu’il ‘n’oserait jamais affirmer une chose pareil’, l’innocence de ses mots couvre avec peine une tout autre pensée. Et c’est un « Huh-huh, » plein de sous-entendu que tu lui réponds, choisissant toutefois de lâcher l’affaire. Sûrement qu’il s’en doute, mais il n’y aura pas de bain de sang, t’avais pas la susceptibilité si fragile qu’il faudrait que tu prennes offense à l’avis des autres. Même si quelque part, en savoir plus sur l’Astre et ses goûts sophistiqués ne t’aurait pas dérangé. Quoique tu n’aurais pu garantir une absence de remarque. Tout ça, il l’a peut-être aussi remarqué, n’était que des plaisanteries (peu plaisante, certes), mais c’est que t’étais fait de 80% de sarcasme, alors normale que l’humour en soit teinté.

« Tu vois, je savais que t’avais l’âme d’une mamie. »

Parce qu’évidement, la volaille était une affaire de mamie, et tant qu’à faire, pourquoi ne pas inclure tous les animaux en céramique ? Et bien que ce n’était pas ton intention (qu’il s’avoue vaincu si facilement, à coup de portraits cauchemardesques), ça te faisait quand même sourire et bien sûr, tu ne lui diras pas, mais ce semblant de normalité était plus qu’apprécié. Bien qu’éphémère.

« Tout ce que je veux… donc, même les clowns ? »

Et pas n’importe lesquels, mais ceux que l’ont suspend, assied sur leur balançoire et qui regardent dormir. À ta défense, même toi, tu trouvais ça horrible. Tu prends le portrait ficello laissé en plan et tu ne comprends pas quelle partie est possédée du démon avant de le redéposer et de lui prendre le cadre de Donovan. « C’est drôle car ma copine a dit la même chose. » Et il y a un léger bug sur ‘copine’. « Mais si tu veux pas ce cadre, je le prends, je connais quelqu’un qui va l’apprécié à sa juste valeur. » Après tout, tu t’étais promis de garnir la résidence de la cheffe de la sécurité.

Mais au fond, c’était aussi pour Onyx, cette excursion.
Surtout pour remplacer ses biens qui ont volé en éclat, et c’était à tes frais aussi.

« En vrai… prend un truc qui te plait. » Et voilà, si bien partie. « Même si c’est moche comme le bougeoir mortuaire de tout à l’heure. »  

C’est la surprise qui fait en sorte que la poigne sur le cadre glisse ; tu te rattrapes suffisamment de sorte que tu ne l’échappes pas ; prévenant ainsi une cacophonie et l’amertume d’une facture outrageusement salée. C’est que c’est dit sans avertissement, si normalement que ça prend de court et tu figes, trouves un nouvel intérêt, un nouveau détail (n’importe quoi) sur la toile de Donovan pour occuper la vue et éviter la sienne. Au final, tu ne dis rien. L’absence de réponse, c’est l’absence d’engagement ; l’absence de promesses que tu ne saurais tenir. Alors tu fais mine d’examiner la toile, le temps de faire genre qu’il n’a rien dit avant de te retourner, sourire faux ornant les lèvres et de te rabattre sur ce cher leader.

« Qui d’autre que sa plus grande fan ?  » Qui d’autre que Jill, hein ? Et imaginer la tête de la cheffe probablement en train de grogner lorsque ses yeux se poseront sur le tableau rend ton sourire un peu plus vrai. « Et oh, un peu de respect pour l’artiste, s’il te plaît.  » Un grand artiste à l’imagination débordante, ouais. Le reste du trip se fait rondement et t’es plutôt soulagé qu’Onyx ne se prit pas pour remplir le panier, peut-être qu’il a compris qu’obtempérer représentait la solution la plus efficace afin d’éviter une prise de tête, comme vous étiez tous deux très têtues.

«  Mon ? Tu veux dire ton, car il est à toi maintenant. » Tu soupires, secourant la tête, un peu à regret d’y laisser ce masterpiece. « Et laisse-le en dehors de ça, il est magnifique.  » Et t’es sûr qu’il va ravir ses convives, sauf si ceux-ci sont aveugles.

C’est lorsque t’es en train de régler la facture que tu réalises que oh-oh, t’aurais pu utiliser ton cristal de réparation. Tu jettes un regard à Onyx, puis vers le panier et ces articles. Ouais bon, il avait besoin de nouvelle déco- quoique certaines manquaient de punch, à ton avis. « C’est rien, » tu finis par dire avant de demander à ce qu’on expédie le portrait directement à l’adresse de la cheffe de la sécurité. Un expéditeur anonyme, que la carte dit.