Diego a des allures de sauveur, Diego est tout simplement fabuleux, tous crient son nom tous les dimanches, tous le portent aux nues. Diego est la plus belle chose qui est arrivée à ce club.

MA-GI-CA. MA-GI-CA, crient les supporters.

Il n’y a pas que leur attaque qui est magique, tout est magique, l’expérience et le simple fait de pouvoir voir en vrai un des meilleurs joueurs mondiaux évoluer dans leur club. Quelques mois après son recrutement à Naples, Maradona est déjà exceptionnel, Francesco en a les larmes aux yeux, l’argentin vient de porter son équipe à un niveau inespéré.

De cette victoire il rentre chez lui en trombe : son premier fils s’appellera Diego.

Ironiquement Diego n’aimera jamais le football, bien que trimballé toutes les saisons dans les gradins du San Paolo  par son père, tout petit il préfère s’émerveiller des exploits d’un autre américain du sud, Ayrton Senna. Diego aime la course et la vitesse, et ne cessera plus tard de voler la punto de son père, avant de s’offrir son premier scooter après de nombreuses basses besognes, à l’âge de 13 ans.

Il se passionne de mécanique, lassé du scotch qui fait tout tenir sur les scooters de ses amis, des rétroviseurs aux gardes boues, il répare, se met même à la couture pour régler le problème tant redouté du siège déchiré.

A la maison, il reste des heures fasciné à voir son père bricoler, tandis qu’il tient la lampe torche. Ses yeux ne loupent rien et petit à petit, il l’imite, répare une étagère, change un lustre.

Et un jour la rencontre, celle que tout enfant de famille catholique doit faire, ou du moins que tout parent catholique espère que son enfant fera : la rencontre avec la foi. Diego connaît son Notre Père mais comme beaucoup d’enfants, Diego ne comprend pas vraiment l’intérêt des messes, baptêmes et autres confessions.
Depuis son plus jeune âge la seule célébration qu’il affectionne est le 19 septembre, la saint Gennaro. Un moment magique, ses tantes sortent leurs beaux habits et tout le monde pleure beaucoup. Les vieilles lèvent les mains au ciel en espérant la bénédiction du saint patron, et quand l’archevêque sort la petite fiole tout le monde crie. A chaque fois on tremble en pensant à l’an 1980, on raconte l’histoire aux plus petits, le sang qui ne se liquéfie pas, le tremblement de terre… Diego n’y comprend rien mais il aime cette ferveur.
Et un jour Diego est tout jeune adolescent, Diego grille un feu rouge sur son scooter et Diego se prend une voiture dans la figure, il s’envole pendant ce qui lui parait de longues minutes et il s’accroche « Mon dieu mon dieu mon dieu ». Tout fait sens.

Diego a 14 ans, après les heures perdues sur les sièges en plastique, puis en bois, et de nouveau en plastique, la sentence tombe : pas le niveau pour le lycée. Redoublement. C’est vrai qu’il les a fuies les chaises, qu’il leur a toujours préféré les virées en scooter et les premières bières, les après midis à regarder ses amis se mettre au skate, d’autres au rock, à jouer aux jeux vidéos. Mais Diego ne se pensait pas moins bête que les autres et pourtant, visiblement.
Et cela fait longtemps que Diego a compris, le rêve de baquet est inaccessible, il faut des relations et de l’argent, et il n’a ni l’un ni l’autre, se rabattre sur le rallye est tout autant insensé. Diego n’a pas les moyens, ses parents n’en peuvent plus, plus d’élever quatre enfants sur le maigre salaire de son père. Alors Diego prend ses responsabilités de frère aîné, il va travailler. Devant le maigre éventail des possibilités Diego choisit de rejoindre une formation en mécanique et construction. La plomberie très peu pour lui. Et il n’a pas le niveau pour l’électricité.
La bande d’amis se disperse entre lycée classique et scientifique, et Diego.  

Tandis que tous ses amis continuent d’étudier, Diego entre dans le monde du travail, dans le bâtiment.
Puis lorsqu’ils entrent à l’université, Diego se redirige vers son amour d’enfant : la mécanique

Diego est jeune comme eux, alors ils gardent tous contact, sauf qu’il a un salaire et a pu se payer une belle voiture, une Fiat Barchetta, rouge feu. Le samedi il va voir son oncle qui habite sur la côte adriatique, dans les Pouilles. Cet oncle qui est le seul de sa famille à avoir quitté Naples, pour suivre son amour de jeunesse. Diego s’y réfugie chaque semaine depuis la mort de son père. Est ce pour le soutenir dans son divorce difficile ou pour avoir l’excuse de rouler ? En tous cas son oncle lui paye de bons whiskys et lui fait promettre de ne pas se marier avant 30 ans.

Mais il rentre toujours à temps pour la messe, et les vieilles lui adressent des sourires accompagnés de hochements de tête approbateurs. Diego est le fils idéal, 19 ans, un bon travail, pieux, pas de rébellion, pas de cheveux longs, de skate ou de rock’n’roll. Pas de t-shirt avec slogan américain, le week end Diego porte la chemise entrouverte, de laquelle dépasse sa croix en or.

Diego plait aux grands mères et à leurs petites filles étudiantes, qui changeront vite d’avis quand les autres auront la couronne de laurier sur la tête et commenceront des métiers plus glamour. A qui travaillera dans l’informatique, la communication, certains ouvriront des commerces.
Diego reste au garage, en jean sale. Visiblement leur faire le plein ou leur gonfler les pneus n’a plus l’air de plaire aux filles de plus de 25 ans.

Et avec la crise le petit garage qui lui avait donné sa chance il y a sept ans fermera ses portes, au profit de plus grosses firmes.

Diego a 26 ans, et il ne sait pas quoi faire de sa vie. Parfois il pense à prendre un billet d’avion et refaire sa vie à l’autre bout du monde, le prêtre de sa paroisse lui parle de séminaire, mais ses responsabilités familiales pèsent sur lui. Ses trois frères et sa mère n’ont que lui sur qui compter. Alors Diego monte sa petite entreprise, de réparations en tous genres, mécaniques, électriques, petits travaux, peintures. Il se refuse à faire travailler ses frères qui iront faire leurs études.

La routine continue, travail, amis, messe. Mais tout le monde grandit et Diego passe ses étés dans les mariages, défilé de costumes, du bleu, du gris, du vert, toujours la cravate un peu défaite pour se donner un air plus cool, puis il faut aller dans les maternités, et aux baptêmes.

La trentaine arrive, et son frère cadet va se marier. Les regards à la messe deviennent étranges, les sourires moins francs.
Les vieilles de l’église meurent petit à petit, alors entre un mariage et un baptême il se fait d’enterrement. Il fait les veillées, et chante toujours un petit quelque chose à la messe.
Et des fois le dimanche il va leur fleurir les tombes à ses vieilles de l’église.

Un jour c’est sa vieille à lui qui mourra, sa grand mère, et Diego sentira encore plus le poids de ses responsabilités sur ses épaules. Car sa grand mère n’est plus là pour organiser l’enterrement, alors il le fera lui, du choix du cercueil à ce qu’on inscrira sur sa tombe.

Et petit à petit ses frères font leur vie, le benjamin ira même s’installer à Rome; Diego lui n’a pas bougé, il est resté figé dans le même quartier, dans la même église, depuis 33 ans. Il ne s’autorise pas à flancher car il doit rester là pour maman.

Puis tout s’écroule, Rome s’écroule, et son petit frère avec, et maman ressort sa garde robe de deuil, qu’elle portera toujours.

Alors il doit continuer, inlassablement à faire son devoir d’être ce roc pour les autres. Mais très vite la situation devient apocalyptique, des monstres apparaissent et Diego croit devoir y faire quelque chose. Sa mère, persuadée qu’elle n’a plus rien a perdre décide de prendre sa voiture et d’aller à Rome se jeter dans le cratère géant, dans l’espoir fou d’y trouver son fils. Enfin c’est ce que lui rapporte son frère.

De mois en mois, Diego n’a plus grand monde a protéger, ses cadets sont partis fuir avec leurs familles respectives. Lui aussi n’a plus grand chose à perdre, et certainement pas grand chose à apporter à cette bataille contre les transcendés alors, à défaut d’espérer une victoire qui semble impossible, il se dit que si les témoins de Jehovah avaient raison depuis tout ce temps il n’avait plus qu’à suivre sa mère et sauter dans le trou qu’était Rome, se soumettre au jugement dernier. Et alors qu’il plonge il lui semble apercevoir dans l’obscurité l’Agneau, une étincelle d’espoir.

Étonnamment toujours vivant, Diego découvre au bout du gouffre, Althea, une seconde chance. Il ne comprend pas grand chose, mais accepte son destin. Il sent la curiosité l’envahir quand on lui parle de l’humanité qui vit ici, de magie, de cristaux et décide de rejoindre la Vallée, peut-être en quête de sens, en tous cas désireux d’un nouveau départ.