Y’avait cette exaltation ; ce sens de renouveau lorsque –temporairement, la routine rompt. Mais, il y avait aussi l’anxiété et cette peur de ne pas être à la hauteur. ‘Ne t’en fait pas,’ avait dit son collègue, gratifiant Pavel d’une tape sur l’épaule qui lui laisserait sûrement une ecchymose. ‘Tu ne fais que t’assurer que le projet avance, qu’ils respectent nos normes et puis basta’, avait-il poursuivit prenant sa mallette tout sourire avant de se pousser du bureau pour aller assister à la naissance de son premier né. Pour une telle occasion, comment Pavel aurait pu refuser ?  Et donc, c’est comme cela qu’il s’était retrouvé devant le centre de recherche de Polaris à remplacer son collègue pour une job dont il n’était même pas certain d’avoir les compétences.

À l’entrée, on lui donna un cocard avec la mention « visiteur ». S’en suit une brève visite des lieux. À en juger par les explications hâtives de son guide et son air suffisant, il était claire pour Pavel que l’on avait attribué une tâche ingrate à son accompagnateur. Honnêtement, malgré l’attitude laissant à désirer, il ne pouvait se résoudre à blâmer l’autre. Après tout, les tâches ingrates, il connaissait bien. Alors, faisant fit du ton las, le jeune homme s’appliquait à inscrire moult notes sur son calepin ; absorbant telle une éponge les informations lui étant lancées en rafale.

Puis, ils arrivèrent dans une salle de recherche. Pavel scanna rapidement la pièce du regard : rien ne lui semblait anormal, et pour être honnête, même s’il y avait eu quelque chose qui clochait –à moins que cela soit flagrant, ça lui passerait sous le nez. Noyé sous une pluie d’information qu’il a peine à prendre en note, on finit par lui présenter une chercheuse. Ou plutôt une ingénieure ? Il avait zappé l’information, mais trop gêné, il n’osa pas demander à ce que l’on répète.

Heureusement, bien que malgré elle, la jeune femme coopère et leur fait part de son projet, tournant ses écrans en leur direction. Son guide lui expliqua sommairement de quoi il s’agissait. Pavel acquiesça de temps à autres, focus à ne pas rater une seule information ; son crayon oscillant de gauche à droite. Lorsqu’il leva finalement les yeux, il nota que la femme –dont il présumait être à la tête du projet, avait quitté la pièce.

On aurait dit que c’était l’opportunité en or qu’attendait son guide. Il fit signe au rouquin s’avancer davantage afin d’avoir une meilleure vue sur le dossier. Étrange, pensa Pavel. Son accompagnateur agissait comme si la jeune femme était dangereuse, un peu comme une lionne défendant sa progéniture. Enfin, bref. Insouciant, Pavel s’avança tel que proposé et jeta un coup d’œil sur la paperasse. Pour la suite, il ne sut ce qui c’était passé.

L’innocence tasse de café trônant sur le coin du bureau…
Pour une raison quelconque était maintenant déversé sur la paperasse.

L’avait-il accroché en voulant examiner la paperasse ?
Soudainement, suite au son fatidique, il lui sembla que la salle au complet avait le souffle coupé. Il se tourna vers le guide et à son grand étonnement, il avait disparue. Mince.

C’était une scène e slow-motion jusqu’à ce que ses neurones connectent et réalisent qu’il avait fucked. Rapidement, il tenta d’alléger le dégât en agrippant quelques mouchoirs se trouvant non loin. Malheureusement, malgré ses efforts, l’ocre du café avait déjà teinté le papier. Jetant les mouchoirs dans la poubelle, il recula de quelques pas, admirant le désastre. Ses traits se moulèrent en une caricature du ‘Cri’ d’Edvard Munch. Qu’allait-il faire ? Honnêtement, il ne savait pas. Il espérait disparaître, n’être plus là lorsqu’elle reviendrait et-

Le voilà dans la merde.

Revenue, il l’observa nerveusement. Sa bouche s’entre-ouvrit pour se fermer aussitôt lorsqu’il assista au meurtre du sandwich innocent. Il comprit qu’il allait subir le même sort s’il ne faisait pas quelque chose rapidement. Hélas, il n’a le temps d’agir que la voix de la jeune femme s’élève et qu’il sentie un frisson lui parcourir la colonne. Il ne sut ce qui lui prit, mais il s’avança d’un pas vers la furie, main levée et étonnamment, sans hésitation dans la voix, il dit :

« Oui, c’est moi. »

Sa main redescendit aussitôt pour venir se coller sur sa bouche. Puis, avant qu’elle n’ait le temps de le poignarder du regard, il s’inclina, tête base :

«Je-je-je-je… je suis profondément désolé ! » Il espérait que le plancher l’aspire. «S’il vous plait, ne me tuez pas. J’ai encore quelques belles années à vivre. »

Et c’est là qu’il remarqua que ses jambes tremblèrent comme feuilles dans le vent et que son le confort de son bureau lui manquait.

«Est-, est-ce qu’il y a quelque chose que… que je peux faire pour… »

Il n’eut pas le courage de terminer sa phrase, attendant qu’elle déverse sa colère.  

Ah, ça le démangeait : cette envie irrésistible de se ronger les ongles, encore et toujours plus jusqu’à ce que le sang perle au bout de ses doigts. Hélas, il ne céda pas à son envie. La raison ? La tournée du bureau qu’il avait effectué auparavant lui faisait questionner la salubrité des lieux. Décidément, à en juger par le regard de braise qu’elle lui lançait, il était mort. Et puis, malgré Lexie qui avançait vers lui telle la faucheuse en quête d’âme, Pavel eu une petit pensée pour la vraie victime. Oh, petit sandwich innocent, tu n’avais rien demandé à la vie ! Simplement d’être dégusté puis digéré et non finir gaspillé, puis jeté à la poubelle. Puis, il recula d’un pas, et d’un deuxième lorsqu’il conclue que Lexie était un peu trop dans sa bulle. Il était une gazelle, et elle, une lionne.

Il déglutie alors qu’il sentie sa poigne de fer s’accrocher au col de sa chemise. Le choque lui fit lacher le calepin dans ses mains. Mais. Qu’est-ce qu’elle était forte ! Et son regard. La peur, la vraie… ça faisait longtemps qu’il ne l’avait pas ressentie. Il avait du mal à soutenir son regard et, honnêtement, il croyait fermement qu’elle allait le frapper. Peut-être que serrer les dents atténuerait la douleur ?

Et pourtant, il ne vient pas. Le coup.
Plutôt, ce sont ses mots aiguisés qui le lacèrent, s’enfonçant, s’enfonçant encore et encore jusqu’à qu’ils le touchent. Tremblotantes, ses lèvres s’entre-ouvrent, mais rien ne sort. Un débile empoté, était-ce vraiment ce qu’il était ?

Ce n’était pas sa faute, c’était son don ! Mais… en même temps, c’était sa responsabilité de le maitriser. S’il en avait le contrôle, jamais ce café ne se serait déversé sur le labeur de cette tigresse. Après tout, que savait-il de la valeur réelle de cette liasse de papier ? Une semaine, deux semaines, un an ou même trois ans de travail ?

Dessiner ? Non. Recopier des croquis ? Non plus. Retranscrire des notes ? Peut-être, mais encore, c’était difficile dépendant des dégâts causés par le café. Décidément… à quoi s’était-il attendu ? Il se sentait coincé, piégé dans une impasse qu’il avait lui-même construite.

«  … »

Mais, elle n’est pas comme, et Pavel comprend avec son don qu’elle se foutait de lui ; estimant sa valeur à 0. Ah, il n’avait qu’une envie : fuir. Retourner chez lui, s’enfermer dans sa chambre et regarder les cartoons du moment en engloutissant de la glace à la vanille. Encore fallait-il se sortir vivant de cette situation.

Les mots qu’elle souffle, il ne les comprend pas tous, mais il est capable d’en déduire le sens. Toujours aussi aiguisés, toujours aussi coupants. Seulement, il ne vise pas que lui. Puis, à sa plus grande surprise, Lexie le relâche et aussitôt qu’il porte sa main vers le col de sa chemise froissée, puis, vers son cou, le massant lentement. Visiblement, il ne sait pas comment réagir, craignant qu’au moindre geste brusque, qu’elle s’en prenne encore physiquement à lui. Avec une lenteur mesurée, la main à son cou glisse et navigue pour atteindre la poche de son veston. Il en sort une carte d’affaire et lui tend avant que ses genoux flanchent et qu’il adopte une position à plein ventre, tête base. Si basse que son front touchait à peine au plancher.

« C’est… c’est faux ! C’est erroné de nous mettre tous dans le même panier. » Si peine audible au début, sa voix progresse en un crescendo. « Je suis… je suis vraiment, vraiment, vraiment désolé, Miss… ? Madame… ? Mais mes collègues… le Ministère… n’ont pas à être insulté dû à mon incompétence. »

Il n’y avait que lui qui avait le droit de s’en plaindre. Après tout, il les connaissait. Mais être la cible d’une personne externe qui n’y connaissait probablement rien ? Non. Ses mains se transformèrent en point.

« Toutefois, vous avez raison ; je ne peux rien faire : je ne peux pas dessiner, ni recopier les croquis… recopier les notes ne serait pas efficient… » Il prit une courte pause avant de poursuivre. « Par contre… si vous avez besoin de délais supplémentaires sur des projets collaboratifs… si vous avez besoin que la paperasse administrative soit traitée en priorité… ce genre de choses-là, je peux faire. »

À ce stade-ci, avoir l’air pathétique devant tous ; il s’en foutait. La priorité, c’était de calmer l’ouragan.

Au moins, se dit-il, à être là… à deux doigts d’embrasser le plancher souillé par les employés nonchalants du centre de recherche… Il n’avait pas à affronter son regard ; ses yeux duochromes déversant une colère exagérée. Mais peine perdu. Même à plat vendre, réduit à un niveau inacceptable de pathétisme, humilié devant une foule indifférente ; il le sentait quand même. À croire qu’elle réussirait : à le perforer, et le plancher aussi, tant qu’à y être, si elle continuait à le toiser de la sorte. Ça, ou bien quelque chose de plus grave allait se produire.

Toutefois, sa voix tomba tel la foudre sur un monde endormie : sec et bref.

Puis, lors qu’elle lui dit qu’il pouvait se relever, il fit ; époussetant discrètement son complet. Bien qu’elle ait spécifiquement précisée qu’elle n’avait guère l’intention de le tuer, il se permit d’en douter. Pinçant les lèvres afin de s’empêcher d’émettre ne serait-ce qu’un bruit, il continua de l’écouter. Attentivement. À la justification du pourquoi il échappait de justesse à la mort, Pavel se permit de relâcher un soupir qu’il avait jusqu’ici retenu. Si, Lexie l’avait affublé du doux nom d’empoté, il lui apposa l’étiquette d’hystérique. C’était difficile de retenir sa surprise lorsqu’elle lui annonça que ce qu’il pensait avoir ruiné n’était tout au plus que quelques heures !

Certes, sa colère était justifiée. Aucune ne doute là-dessus, et il comprenait. Il était désolé, même. Vraiment, mais vraiment, même. Mais… cette réaction pour quelques heures ? Et malgré sa malchance, il se trouva plutôt chanceux qu’il n’ait pas ruiné une semaine de boulot.

Par stress ou nervosité (sûrement un mélange des deux), ses mains tremblèrent et il les remmena à sa cravate qu’il réajusta avec autant de soin qu’un manchot pouvait faire preuve. Il prit une grande inspiration avant de répondre à son interrogation, puis, il invoqua toute la confiance en soi dont il pouvait faire preuve :

« Oui. »

À ses yeux, son oui se voulait assuré et surtout pas ensevelie sous des couches et des couches de nervosité et de nerfs à vifs. Pour Lexie, ça devait sonner comme tout le reste : pathétique. Puis, avant que la lionne ne puisse rugir à nouveau, il s’empressa d’ajouter –de de justifier, plutôt :

« La raison de ma visite aujourd’hui… était de faire, non seulement un bilan des lieux en matière de sécurité, mais aussi dresser un tableau représentatif de l’état d’avancement des divers projets en échangeant avec le personnel concerné : chercheurs, développeurs, ingénieurs… » Il se força à regarder son interlocutrice. « Donc, euhm, si vous… si vous avez des besoins particuliers, je peux certainement faire preuve de ‘souplesse’ lors de la rédaction de mon rapport. »

Bon, il n’avait pas nécessairement envie de dire ‘outright’, que si elle le désirait, il pouvait lui accorder une faveur en tirant quelque ficelle –tout en restant dans la mesure du légal-, mais il avait confiance qu’elle comprendrait. Quitte à faire du temps supplémentaire pour faire progresser sa cause, car qu’était-ce une semaine d’overtime face à une mort imminente, hm ?

Surtout qu’il lui avait donné sa carte ; une porte d’entrée.

Ses mots; la lumière au bout du tunnel.
Si on lui avait dit qu’il s’en sortirait, il y a dix minutes de cela, il n’y aurait pas cru. Préférant une imagerie funèbre qu’à la possibilité qu’une femme aux fusibles instables puisse faire preuve de merci. De clémence. Sur un projet à peine commencé. Mais, il n’allait pas lui mettre sous le nez, pas quand il peinait à garder la tête hors de l’eau. Pavel retint également un soupir, pensant que baisser sa garde était susceptible d’attiser sa colère. Ses épaules se redressent lorsque la voix s’élève à nouveau.

«C’est ce que j’entends par ma proposition, oui. »

Venant de remarquer qu’ils n’étaient plus que d’eux, il se permit une précision dans ses propos. Le fonctionnaire nota l’emploi du pluriel et choisit de ne rien dire. Il le ferait, oui. Mais ça serait occasionnel, pas tout le temps. Juste… assez de fois pour que sa ‘dette’ soit repayée et qu’il puisse la recroiser tout bonnement dans le rue sans qu’elle n’ait envie de l’étrangler. Avec toute la discrétion qu’il était en mesure d’invoquer, il se passa une main nerveuse sur la nuque, sentant avec inconfort la sueur, puis attendit la suite. Où voulait-elle en venir au juste.

Comme un calque, sa pensée se transposa sur ses traits. Une confusion visible. Toutefois, il ne dit rien. Techniquement, c’est ce qu’il venait de dire : il lui ferait une fleur ou deux. Alors… il ne comprenant pas le sens de ses mots, de pourquoi elle sembla se rétracter.

« Huh… »

Pavel en profita pour se pencher et pour ramasser le carnet qui jonchait sur le sol. Il l’épousseta sommairement, attendant la suite des choses. Sa voix s’éleva à nouveau, captant le rouquin qui se releva aussitôt, dirigeant ses yeux azurs sur la cible de son mouvement de tête.  Il réplica son geste et se mordit la lèvre inférieur.

« É-É-Évidement » dit-il, gratifiant le tout d’une courte révérence, mettant l’emphase une fois de plus sur Ô combien il était désolé par ce malencontreux incident. « Je vais communiquer avec votre supérieur afin qu’il n’y ait aucun malentendu. »

Se pourfendre en excuses auprès de son supérieur immédiat ? Un jeu d’enfant comparé à affronter sa foudre. Puis, bon, Pavel se doutait bien que la direction connaissait bien cette employée et ses tendances explosives. Smooth. Le fonctionnaire se racla la gorge, de un, parce qu’il en avait besoin et de deux, pour attirer son attention.

« Est-ce que ça vous allait ? » Il fit un pas en arrière pour indiquer que, si elle n’avait plus d’autre retraite, et bien, il ne se gênerait pas pour prendre la poudr-, pour quitter les lieux, continuer avec son travail et peut-être, quand la journée serait terminée, retourner chez lui pour scroller des images de bébés chats sur son Holokit.

Oui, bon, aux yeux de Lexie, Pavel avait cet aura d’incompétent empoté, donc il était naturel qu’elle ait zéro confiance en ces aptitudes professionnelles, mais ! Même s’il n’en avait pas l’air, Pavel, c’était le genre de personne qui ne donnait pas sa parole souvent, mais lorsqu’il le faisait, il ne démordait pas de ses obligations.

« Aucun. »

Il se risque, mais ce n’était pas comme si Lexie allait gagner un gain de confiance subite à son égard. Mais, contre toute attente, ça sembla la satisfaire, car elle donna sa bénédiction. Aussitôt dit, aussitôt fracassé par la pique qu’elle lui lança, telle une archère voulant atteindre une cible lointaine. Pavel se contenta de la regarder sans mot dire, sauf si ce n’était que du bref rire jaune qui s’échappa de la commissure de ses lèvres.

« Haha… »

Rien à rajouter et surtout pas d’huile sur un feu apaisé. Il n’était pas masochiste et l’envie de voir ses efforts s’effondrer comme un château de cartes ne l’intéressait pas. Toutefois, le jeune homme avait le sentiment qu’ils en resteraient là, pris en stasis dans un silence des plus akward si personne ne daignait prendre la parole.

« Euhm, donc… » Il fit un pas de plus en arrière, vers la sortie avant de poursuivre : « je ne vous ferai pas perdre plus de temps que vous en avez perdu… »

Il se dirigea vers la porte lentement, trop lentement à son goût. Mais si elle avait autre chose à ajouter, ça lui donnerait l’opportunité de le faire. Toutefois, alors qu’il passa sa carte visiteur dans la serrure magnétique, il se tourna vers elle.

« J’attendrai votre appel. Ce fut un… euhm, un plaisir de vous rencontrer Lexie. »

Puis, il partit, la laissant seule.
Malheureusement, la journée était loin de toucher à sa fin.