Quelle idée. Quelle idée, de l'envoyer au Mont Celestia comme s'il s'agissait d'une balade de santé? Il connaissait le climat du mont, il savait qu'il fallait se garder d'y arriver pieds nus et la peau à l'air -bien que, même dans le désert, il porte toujours de quoi protéger sa peau. Pourtant, cela ne l'empêchait pas de grogner de mécontentement dans son énorme pull, les cheveux humides, les lèvres tremblantes sous les vêtements. Mars est affreusement frileux. Ironique, lorsque l'on sait quelles sont ses origines. Un islandais frileux? On aura tout vu. Et pourtant, malgré ses nombreuses escapades, il avait toujours porté plus de couches de vêtement que n'importe quel autre gamin des campagnes. Il tenait peut-être ça de son inconnu de père, parce que sa mère, elle, avait toujours eu le sang chaud. C'avait toujours été elle, qui réchauffait son petit garçon en le serrant dans ses bras avec tendresse. Et ces souvenirs de chaleur avaient au moins le don de décongeler son cœur, si ce n'était sa peau.

Levant le regard en voyant finalement le village qu'il cherchait, Mars sentit un long frisson remonter le long de sa colonne vertébrale. Le regard se perdant sur le paysage mort, il ne vit personne sortir des bâtiments. Pas étonnant, vraiment, étant donné les températures extérieures. Il se remit à avancer après un regard vers le panneau d'indication givré. En montant des escaliers, Mars osa glisser un regard au travers des vitres du bâtiment. Coloré. Joyeux. Un endroit où les enfants vivent heureux. Il entra par la porte principale après avoir cogné ses chaussures contre le sol pour enlever le plus de neige, soufflant de soulagement face à la chaleur qui l'accueillit. Enlevant au moins son bonnet, il laissa échapper ses cheveux retenus en une queue de cheval, et tourna la tête, son souffle se coupant face à ce qu'il voyait. Une femme, et bien sûr, des enfants. Souriants, heureux, les mains levés vers le ciel. Il ne comprit pas pourquoi, au début, avant de lever à son tour le regard vers le plafond, d'où tombaient des confettis au ralenti. S'il avait eu ça pour occuper ses journées dans le désert, peut-être qu'il aurait moins fui les cours du père Lewis. Cela donnait un petit côté féerique à la scène et il ne put s'empêcher de ressentir une pointe de nostalgie en les voyant fondre sur les petites têtes humaines. Il sursauta en voyant un marmot courir à côté de lui, semblant alerter la femme qui se tourna vers lui. Revenant à la réalité, Mars essaya d'effacer ce côté émerveillé que lui aussi avait pu afficher. A la place, il lança un bref regard à tous ces petits qui maintenant l'observaient avec un air de poisson. "Bonjour... Excusez moi de vous déranger." Il afficha un petit sourire désolé avant de se rendre compte que ses lèvres étaient encore dissimulées par les vêtements, et décida de finalement se découvrir.

Mars n'était pas là que pour faire beau et visiter le pays. En réalité, un homme lui avait demandé de l'aider à retrouver son enfant, ou qu'il soit dans Althéa. S'il était capable de payer, alors Mars n'avait aucune raison de refuser. Et puis, cela lui donnait aussi une excuse pour fouiller les terres des autres pays. "J'ai cru entendre qu'il s'agissait d'un orphelinat." Ce qui signifiait donc qu'il était possible d'adopter les enfants si l'envie y était. Il finit d'enlever le manteau dont il s'était muni, et se retrouva soudainement beaucoup moins imposant qu'à son arrivée. Avec un peu de chance, la première recherche serait la bonne. La chaleur soudaine de l'intérieur engourdissait peu à peu ses membres, la fatigue du voyage revenant à lui.

Comme toutes les semaines, les petits s'accrochent à Mathilde pour lui demander ses flocons. Mais aujourd'hui elle n'a pas vraiment envie et même ses regards noirs ne découragent pas les plus téméraires. Ils répètent en cœur son prénom alors qu'elle prend son café à la table de la grande cuisine, alors qu'elle ramasse les affaires dans la panière pour aller faire une lessive ou encore derrière la porte des toilettes en tambourinant et riant de bon cœur. Alors Mathilde soupire en se massant les tempes, fatiguée de les punir les uns après les autres dans les coins. l'orphelinat n'est pas assez grand pour contenir tous les enfants. Alors elle se résigne et leur demande d'aller confectionner les petits flocons. Heureux, les gamins crient de joie et s’attellent avec sérieux à leur nouvelle tâche. La belle de nuit aide tout de même les plus jeunes et bientôt les voilà avec assez de petits morceaux de papiers pour créer de la joie dans la maison.
En arrivant dans la dernière pièce, le manège se répètent : les enfants attendent le top de Mathilde et elle use de son don pour figer ces petits morceaux en l'air. Alors ils patientent, assis au centre de la pièce en s'amusant à se chamailler. Elle est obligée d'élever la voix une fois ou deux pour séparer deux bagarreurs ou désenclencher une autre bataille. Et puis elle sent son don défaillir, elle se lève et frotte ses genoux douloureux et claque dans ses mains. C'est l'heure de la retombée ! Les orphelins sont aux anges et ils arrivent même à lui décrocher un sourire alors qu'elle les regarde sautiller un peu partout. Elle va pour rabrouer un garnement qui court de trop mais elle ne termine pas sa phrase. Voilà un nouveau venu et lui, elle ne l'a jamais vu.
Il n'est pas bien âgé ou alors c'est elle qui l'est trop mais ce visage à moitié caché sous son écharpe respire la jeunesse. Elle patiente pour savoir à qui elle a à faire mais il ne se présente pas, ce qui lui fait froncer les sourcils. Déjà quelques uns des enfants l'ont remarqué et poursuivent leur exploration dans les autres pièces pour regarder la fin des flocons tomber. Elle pousse les autres à les suivre et montre un des canapé de l'entrée à l'inconnu, un peu sèchement.

« Oui, en effet. je suis Mathilde et je m'occupe de l'orphelinat avec Thaddeus qui n'est pas disponible pour le moment, asseyez vous. Vous êtes ...? »

Ce n'est pas elle qui s'occupe des intervenants extérieurs d'habitude mais son ami est de sortie. Il ne l'a pas prévenue qu'il recevait quelqu'un aujourd'hui, Mathilde va devoir le sermonner une fois rentré.

Mars n'était pas vraiment impressionné par la femme, malgré son timbre un peu froid, son regard qui le scrutait comme s'il était prêt à faire un kidnapping ou autre. Il avait déjà rencontré des personnes qui avaient essayé de le prendre de haut, d'autres qui avaient voulu le voir mordre la poussière. Mais Mars ne se laisse pas faire. Il est d'ailleurs généralement du type à répondre, sauf si le jeu n'en vaut pas la chandelle. Et en voyant Mahtilde réprimander les enfants, il songea qu'il n'aurait de toute évidence pas été le bienvenu ici, s'il avait pu vivre au mont. "Oh, excusez mon impolitesse. Je m'appelle Mars." Il se déplaça, le cou enfin dégagé, soufflant maintenant que son corps reprenait une température plus élevée. La neige allait le tuer, un jour. Il regarda la femme du coin de l'oeil avant de faire ce qu'elle lui demandait en s'installant sur l'un des canapés, essayant de ne pas avoir l'air d'un cachalot dans la manière dont il pose ses fesses sur les coussins.

"Je suis désolé d'arriver ainsi à l'improviste, je n'ai pas eu l'occasion de prévenir mon arrivée." Il eut un petit sourire désolé, avant de reposer ses mains sur ses cuisses. Les quelques enfants curieux qui l'observaient le mettaient presque plus mal à l'aise que Mathilde. Peut-être parce qu'il n'avait jamais été très doué avec eux, ou bien parce qu'il est affreusement maladroit lorsqu'il s'agit de trouver des divertissements pour les plus jeunes. Il ne ferait certainement pas un très bon babysitter, à dire vrai. "Je suis ici pour un ami. Il ne peut faire le déplacement, mais il est activement à la recherche de son fils." Ce n'était qu'un demi mensonge. Après tout, bien que l'homme ne soit pas un ami, il recherchait quand même son fils. Alors ce n'était pas mensonge que de l'avouer. Il fit un petit sourire à la femme, essayant peut-être par ce biais de la détendre. Elle semblait systématiquement à deux doigts de lui dire d'enlever ses chaussures sales, et il doutait qu'il le prendrait bien si elle le traitait comme ceux qu'elle gardait à longueur de journée. Cela faisait bien longtemps qu'il s'occupait tout seul de lui-même -enfin, à moitié. Il n'avait plus sa mère pour lui dire de ranger sa chambre ou autre, et ne laisserait certainement pas une inconnue remettre sur le tapis cette partie de sa vie vide de toute présence maternelle. Il se racla finalement la gorge avant de sortir une photo usagée de l'enfant, la glissant jusqu'à elle. "Il s'appelle Rudy." Ce ne fut qu'en voyant une petite s'approcher d'eux avec un air timide en observant son visage et la cicatrice sur sa joue qu'il songea que les enfants non plus, ne devaient pas tant l'aimer. Il avait tendance à faire un peu peur, quand on voyait ce qui lui traversait le visage jusqu'à l’œil, surtout pour les petites têtes trop fertiles.En réalité, cette requête l'ennuyait de plus en plus. Parce que lui, pouvait-il chercher sa mère ainsi? Elle n'était probablement pas à Althéa, et il n'existait aucun recueil pour adulte sur ces terres mystérieuses. "Il est difficile de perdre un être cher, mais on ne peut pas perdre espoir." Et il ne savait plus s'il parlait au titre de son "ami" ou au sien.

Elle hoche doucement la tête, voilà au moins une bonne chose de faite. Mars s'excuse et s'assoit suite à son invitation et il remonte un peu plus dans son estime, après tout le pauvre n'est arrivé que depuis quelques minutes et il semble légèrement fébrile. Mathilde décide de lui laisser une chance et appuie sa hanche contre le canapé qui fait face au sien, croisant les bras sur sa poitrine. Et lorsqu'il lui explique son cœur se serre, un parent qui cherche son enfant. Cela ne peut que faire écho dans son être, alors elle décroise les bras pour tenir le canapé à son côté. Parce qu'elle aurait chancelé de désespoir au souvenir de son être aimé. Mais non Mathilde repousse cette vision et se reconcentre sur le jeune. Mais encore une fois il l'atteint en son sein, elle se sent obligée de s'asseoir, tâtonnant sur le tissu abîmé par des feutres à certains endroits. Ne pas perdre espoir. Mathilde souffle, reprend sa respiration pour ne pas perdre contenance et redresse son buste, bien droite et les mains sur ses genoux. Elles sont crispées mais c'est avec douceur que ses yeux se posent sur le brun.

« Malheureusement nous ne recensons pas de Rudy ici ... Mais après tout certains enfants étaient si petits lorsqu'on les a recueillis qu'ils n'avaient pas de nom. »

Elle se détend, elle se calme en parlant des enfants.

« As-tu une description ou une photo du petit ? Je les connais tous sur le bout des doigts, j'aimerais qu'un de nos enfants puisse retrouver son parent. »

Elle respire à nouveau pour ne pas perdre pied, pour ne pas plonger dans sa propre histoire. Mathilde l'a rêvé plus d'une fois, elle l'a espéré tant et tant. Mais ce n'est pas de son fils qu'il s'agit. et fronce les sourcils.

« Mais s'il s'avère qu'une description correspond ton ami va devoir venir ici. Nous ne lâchons pas les enfants dans Althéa sans savoir vers qui ils vont et surtout sans savoir s'ils peuvent y vivre sans danger. »

Elle repousse une petite qui dévisage Mars et intime aux autres de s'occuper des flocons qui doivent avoir flotté jusqu'au sol. La cicatrice est impressionnante pour eux qui n'ont jamais vu grand chose de l'extérieur. Mais ça ne veut rien dire pour la belle de nuit, d'autres cicatrices peuvent être invisibles et pourtant chaque individu en porte. Alors ça ne change rien qu'elle soit visible aux yeux des autres.

Dire que Mars était surprit par le revirement d'émotion de la femme serait un euphémisme. En réalité, il ne s'était pas attendu à ce qu'elle devienne si soudainement douce après ses quelques paroles, alors même que ses nerfs commençaient à sincèrement le titiller rien qu'à l'idée des retrouvailles d'un père et de son fils. Mais d'un côté, cela le relaxa quelque peu, mettant de côté ses songes parasites, se concentrant sur la raison pour laquelle il était là. Il n'avait pas le temps de mettre ses propres émotions sur le tapis. Ce serait purement égoïste de sa part et Mathilde n'avait certainement pas besoin d'entendre un gars comme lui se plaindre de sa vie et de ses obligations, maintenant qu'il avait accepté de chercher le gamin. "Il est de taille moyenne, cheveux bruns, yeux bleus... Tenez." Il lui tendit la photo qu'il tenait encore dans la main, la mettant sous ses yeux, cette fois. Un enfant assez banal, en soit. Mais s'il existait une seule chance pour qu'il retrouve son père... Alors peut-être serait-il un peu soulagé. Peut-être ne désespérerait-il pas de revoir sa mère, lui aussi, un jour.

En l'écoutant, il ne put s'empêcher de grincer des dents. Bien sûr, il n'avait pas fallu à ce qu'il s'attende à une réponse positive du premier coup. Il savait bien qu'il ne repartirait pas avec un bambin sous le bras dès sa première visite, ni même qu'il pourrait signer les papiers d'adoption à la place de son client. Mais l'entendre parler d'un lieu de vie sain le fit frissonner. Le désert correspondait-il à cette description? Il n'en était pas certain. Mais il n'était pas nécessaire de mettre ce détail sur le tapis maintenant, après tout. Il suffisait qu'il soit assez convainquant. Si Rudy n'était pas là, il n'aurait pas besoin d'avouer d'où lui et cet ami venaient. Il n'aurait pas à la supplier de donner une chance à ce pauvre homme qui n'était rien sans cet enfant. "Je me doute bien. Il viendra s'il se trouve que le petit est ici." Il fit un beau sourire à la femme, avant d'observer tous les garnements s'occuper à ramasser les morceaux de papier. Certains avec un peu trop d'énergie. Et pour une fois, il se sentit assez serein. Peut-être parce qu'aucun d'entre eux n'avait la prétention de se retourner vers lui pour l'examiner. "Combien sont-ils?" Il n'avait pu s'empêcher de demander. C'était plus fort que lui. Peut-être parce qu'il avait un peu pitié, au fond de lui. Même s'ils semblaient heureux, c'était si dur de perdre sa famille lorsqu'on était jeune. Et si Mathilde et ce fameux Thaddeus s'occupaient bien d'eux, cela ne remplaçait pas vraiment de véritables parents.

Elle regarde la photo sans lui montrer si elle a reconnu ou non l'enfant sur la photo. Elle la regarde pendant une bonne minute puis redresse la tête et croise les jambes en le regardant.

« Après il faut savoir que certains ne se souviennent plus de leur parents, comme de leur prénom. Et s'il s'avère que l'enfant ne veut pas repartir avec son père ou sa mère, même s'il s'agit vraiment de leur parents biologique nous ne les laissons pas sortir d'ici. J'espère que vous comprenez. Nous ne pouvons pas décider à leur place. »

Elle passe un doigt sur la photo qui n'est pas très abîmée mais qui l'air fatiguée. On voit bien que le propriétaire en a prit grand soin, même si les ravages du temps ne sont pas contrôlables. Comme sur vos pauvres carcasses. Mais le sujet n'est pas à ça.

« Ils sont une vingtaine, certains sont partis depuis le début. »

Elle penche la tête et semble réfléchir en regardant de nouveau la photo. Puis elle hoche la tête et lève le menton vers les enfants un peu plus loin.

« Jules ? Jules ! Mais où est-il bon sang. Les filles allez le chercher et dites lui que j'ai besoin de lui s'il vous plait. »

Elle ne regarde même pas s'il elles obéissent et se penche en avant, vers Mars.

« Je veux rencontrer votre ami. Il se pourrait que son fils soit ici. »

Sa phrase à peine terminée, un jeune garçon rentre dans la pièce, bien plus timide que les autres. Elle le fait s'asseoir près d'elle et lui chuchote quelques mots à l'oreille. Son visage s'éclaire alors qu'elle tourne son regard de nouveau vers Mars pour attendre sa réponse.

Mars n'était là que pour mener à bien le travail qu'on lui avait fourni. Il ne devait que se renseigner sur la présence du petit en ces lieux ou non. Et pourtant, il se sentait plus impliqué qu'il ne le devrait. Peut-être parce que, d'un côté, il espérait vraiment qu'une famille saurait se retrouver. Peut-être parce qu'inconsciemment, il rêvait que sa propre famille puisse se revoir, qu'il puisse revoir sa mère. Mais ses songes n'allaient jusque là, et, pour l'instant, il ne pouvait se permettre de laisser son esprit divaguer. Ses mains se posèrent à plat sur ses cuisses, l'écoutant attentivement. "Bien sûr, que je comprends. Je ne laisserai pas un enfant être retiré de votre garde sans consentement ni accord des deux partis." Il souffla un peu en laissant son regard se perdre sur la photo, si propre, si lisse.

Quelque chose s'alluma en lui, dans les prochaines minutes qui suivirent. Son regard se leva aussitôt vers Mathilde, cherchant à lire sur son visage, à comprendre si l'espoir était réel. Si un des enfants sur les vingt mentionnés pouvait retrouver son père, il se féliciterait. Il regarda deux petites se tourner pour aller chercher ledit Jules et son regard se perdit dans celui de l'adulte. Étrangement, il avait l'impression qu'on lui annonçait une bonne nouvelle pour lui, et non son client. Mais cela ne l'empêcha pas de sourire, de montrer sa joie. "Ce serait parfait. Je le lui communiquerai aussi vite que possible." Il voit Jules arriver, s'installer assez proche de Mathilde pour se rassurer, et lui offrit un sourire lorsque ses grands yeux se posèrent sur lui. Son regard passa sur tous les traits du visage de l'enfant, puis de nouveau sur la photo, avant de souffler. "Le cliché est très ressemblant. Il est probable que ce soit bien lui." Il essayait de paraître détendu, avenant pour le petit. Pour ne pas l'effrayer. "Je pense qu'il sera capable de venir dans les deux prochains jours. Je lui communiquerai votre numéro de téléphone." Il planta cette fois son regard dans celui du garçon. "J'espère que tu reconnaîtras ta maison." Mais l'inquiétude ne cessait de gronder dans son ventre. L'idée de laisser un enfant partir dans le désert, même accompagné de son père... Cela serait-il possible? Il n'osait poser la question devant l'enfant. Et peut-être aussi car il avait peur de voir la réaction de Mathilde. Il soupira un peu, décidant qu'il ne pouvait pas omettre un si grand détail. Ce ne serait pas juste. "Il faut que je vous pose quelques questions." Sous-entendant que Jules devrait probablement s'éloigner. Et une fois le garnement plus loin, il laissa son regard glisser sur toutes ces têtes, sur tous ces visages. "Son père n'a pas passé la phase de recrutement." C'était dit subtilement. C'était juste compréhensible : il était un Oublié. Tout comme lui. Et son regard d'onyx se planta dans celui de Mathilde, serrant ses mains sur ses genoux. "Je sais que cela peut rajouter quelques soucis. Je ne me voyais pas vous le cacher." Mais en avouant venir pour cet ami, il avouait aussi qu'il venait de ce même désert. N'était-il pas la preuve même qu'un enfant puisse grandir là-bas?

Mathilde s'y attendait un peu, il fallait que ça arrive un jour. A peine la phrase de Mars terminée, elle hoche gravement la tête et croise les bras. Elle ferme les yeux un instant et elle soupire. En les rouvrant, elle ne sait toujours pas quoi lui répondre. Mais elle ne peut décemment pas le laisser sans réponse.

« C'est ... Je vous remercie de votre franchise. Pour tout vous dire, j'ai déjà imaginé cette situation et je l'ai déjà tournée dans tous les sens. Je n'ai pas de réponse toute faite à vous donner. »

Elle adouci son regard et se penche en avant, vers le jeune homme. Elle voit bien que ça lui tient plus à cœur qu'il n'ose le dire. Mais elle ne fera pas de commentaire, chacun à ses petits secrets.

« Il va falloir que j'en parle avec Thaddeus, l'autre gérant de l'orphelinat. Et puis ... Je n'ai jamais vraiment eu l'occasion d'aller voir comment cela se passe dans le désert et je n'accorde que très peu de crédit aux 'on dit'. »

Seulement, Mathilde n'est pas bête, elle sait bien que les conditions de vies doivent être bien différentes qu'ici. Un enfant pourrait s'adapter aux fortes chaleurs du désert ? Aux manques possibles,à l'eau qui manque ? Elle ne préfère pas penser à l'histoire des bestioles qui grouillent sous le sable.

« Si jamais Jules était d'accord pour y aller, il faut savoir qu'il pourrait revenir n'importe quand. Qu'il soit en danger ou non. »

La rose ne sait pas à quoi s'attendre et si l'homme a été rejeté par tous les royaumes, il doit bien y avoir une raison non ? Quelle situation compliquée.

Mars s'était presque préparé à un refus catégorique. Mais il était plutôt satisfait de voir que ce n'était pas le cas, que Mathilde était plus mesurée que tous ces préjugés (bien que parfois véritables) sur les Oubliés, sur le désert. Oui, la vie pouvait être rude, oui, elle était compliquée, mais, parfois, le bonheur valait bien quelque sacrifices. Si Jules était partant pour l'aventure? Pour tenter sa chance et avoir une famille? Il n'en savait rien. Il ne saurait se mettre dans la tête d'un enfant de cet âge, à présent. Mais, si lui avait réussi à survivre en se mettant dans des situations délicates, il ne voyait pas comment quelqu'un qui prenait soin de ne pas faire trop de bêtises ne saurait s'en sortir. Surtout accompagné d'un adulte, d'un parent. Il se doutait que tout n'était pas aussi simple que ce qu'il aurait pu espérer, mais elle lui avait redonné un peu d'espoir de ne pas revenir qu'avec la mauvaise nouvelle qu'ils avaient affirmé un refus catégorique. "Je me doute qu'il ne s'agit pas d'une décision à prendre à la légère." Après tout, il est difficile pour un adulte mûr de choisir pour des enfants encore trop jeunes pour comprendre les enjeux d'une telle décision. Si on lui avait dit qu'il pourrait retrouver une famille, peu aurait importé les contreparties, peu aurait importé les difficultés climatiques, les manques, car qui se figure, enfant, que la vie puisse être si difficile? Malgré le kamikakushi, malgré les blessures pansées, déjà, l'âme d'un enfant restait parfois radicalement différente de celles des adultes.

"Bien sûr. Il faut prendre le temps d'y réfléchir." Et il n'a pas envie d'avoir l'air de lui forcer la main, alors il hésite un peu, il se demande si donner son propre exemple serait judicieux, s'il aurait une quelconque voix aux yeux de Mathilde. Mais autant essayer, autant s'expliquer, même si l'on est pas sûr de soi. "Je ne sais pas si je suis le meilleur exemple, mais j'ai réussi à survivre dans le désert même après la chute, alors... Je suppose que n'étant pas un exemple d'enfant très sage et obéissant, il y a moyen que d'autres vivent convenablement, même dans nos conditions. Je suppose que ce sont les raisons qui vous poussent à douter, à remettre en cause une possible adoption. Je ne peux vous blâmer pour ça." Il lui offrit un sourire, croisant lui-même ses mains sur ses genoux, son regard voguant vers les têtes blondes, occupées à ranger leurs jouets. Il acquiesça cependant à ses conditions. "Je me doute. Malheureusement, même si j'acceptais, je ne saurais vous conter la réaction de son père. Alors je ne m'avancerai pas en disant qu'il sera d'accord, mais ce ne seront plus mes affaires, d'ici-là. Ce sera avec lui, qu'il faudra discuter de ce genre de choses." Il ne connaissait pas le tempérament de son client, n'était pas véritablement un ami de cet homme, mais il n'avait pas eu cet étrange pressentiment en le rencontrant, ne s'était pas sentit dérangé par sa présence. Alors peut-être serait-il apte à écouter, à accepter toutes ces conditions que Mathilde lui présentait. "Et si Jules est plus heureux ici, il est normal de vouloir qu'il retrouve le foyer qu'il préfère."

Elle hoche la tête, Mathilde est d'accord avec Mars et elle est plutôt contente qu'il soit réfléchi. Ce n'est pas une décision à précipiter, il sont au moins le même avis dessus. Mais son cher ami le sera-t-il aussi ? à est la question. Mais elle a le temps, elle va devoir en parler à Thaddeus puis à Jules, comme c'est une situation inédite.

« Bien évidemment, nous verrons plus en détails avec ce monsieur. Le problème voyez-vous, comme vous dites vous avez 'survécu'. Je ne souhaite cela à personne, tout le monde devrait avoir le droit de vivre et non de survivre. Vous êtes bien courageux. »

Mathilde se lève et lui fait signe de ne pas bouger, elle disparaît dans une pièce à côté. Ce n'est pas long, mais juste assez pour que les garnements se rapprochent de Mars pour l'observer un peu mieux. Une des petites lui apporte sa poupée qu'elle dépose près de lui et fuit quand elle entend les pas de Mathilde qui revient. Elle dépose une tasse de chocolat chaud devant lui et quelques biscuits, posant la sienne de l'autre côté de la petite table.

« J'ai manqué à mes devoirs de maîtresse de la maison, j'espère que vous aimez le chocolat. Cela va vous réchauffer. »

Elle se tourne vers les enfants et les chasse d'un mouvement de la main.

« Votre goûter est dans la cuisine, pas de chamaillerie ou je me fâche. Elle prend sa tasse et boit une gorgée. Je ne vais pas vous mettre à la porte après ce long voyage. Nous avons des chambres d'amis si vous voulez passer la soirée ici avant de repartir le lendemain. Les nuits au village congelées sont dangereuses quand on ne connaît pas très bien le coin. »

De nouveau assise, elle s'installe confortablement, croisant ses jambes et tenant sa tasse à deux mains pour réchauffer ses mains. Ne leur parviennent qu'un son étouffé des enfants qui sont partis grignoter.