Mars avait appréhendé, pour une raison inconnue, la rencontre entre Orion et Nemesis. Peut-être parce qu'il avait rarement présenté des gens l'un à l'autre. Mais il ne cessait de se répéter que, si ça se trouvait, ils avaient fait connaissance par holokit. Qui sait? Il ne le leur avait pas demandé. Mais cela avait été le cas, il n'aurait pas eu dans l'obligation de guider le jeune homme jusqu'à la frontière, où ils avaient retrouvé l'Astre, n'est-ce pas? Et puis, que s'était-il imaginé? Ce n'était pas comme s'ils étaient partis à la rencontre du pire individu de la planète. Non, c'était d'Orion dont on parlait, et qui dit Orion dit grands sourires heureux, dit jovialité et dit surtout accueil chaleureux. On ne peut pas dire que ses appréhensions se soient levées. Parce qu'il a peur que quelque chose dérape, parce qu'il se demande s'il 'n'aurait pas pu trouver une autre solution pour Nemesis qui aurait pu ne pas impliquer son nouvel ami. Il se demande s'il a accepté par pure politesse, si cela ne le dérange vraiment pas. Et puis ses doutes s'envolent quand ils passent l'entrée de la capitale de la Vallée. Parce que c'est trop tard maintenant, et qu'il devrait arrêter d'y penser.

Il voit le regard émerveillé de l'Oublié, et doit avouer qu'il était un peu dans la même état, la première fois qu'il était venu. A observer tout autour de lui, au point qu'on était venu l'embêter pour savoir s'il ne voulait pas acheter un souvenir. Il avait regretté d'avoir refusé la proposition de Cassandra, il s'était demandé s'il n'aurait pas du venir ici, lui aussi. Mais il s'était aussi dit qu'avec un autre cristal dans le sang, il n'aurait peut-être pas survécu. Ou bien il serait devenu fou, à voir. Et, entrant en dernier dans la maison d'Orion, son regard ne put s'empêcher de se glisser un peu partout. Sauf qu'il ne savait pas où s'accrocher, tellement, eh bien, il y en avait... Partout. Il battit plusieurs fois des cils avant de suivre les instructions du maître de la maison, ses yeux se perdant sur quelques notes griffonnées à un coin de page, puis se relevant vers le blond qui l'avait interpellé. Il put paraître un peu benêt, à l'observer avec un air un peu perdu, mais cela faisait bien longtemps qu'il n'avait pas vu l'intérieur d'une maison. Sa propre tente n'était jamais bien remplie, toujours prête à être repliée. Il n'avait pas un nombre incalculable de biens et son ancienne maison, là-haut, ne ressemblait pas du tout à ça. Sa mère avait toujours tout bien rangé partout, et il avait probablement hérité de cette manie. Même dans son sac, tout avait sa place. "Ouais, j'arrive." Il ne refuserait pas de l'aider à cuisiner, étant donné qu'il avait toujours aimé aider sa mère. Il hésita un instant à faire comme chez lui, avant de décider que, tant pis, il fallait bien prendre des initiatives dans la vie. Alors il se lava les mains et se saisit des tomates qu'il lui tendait pour les couper en dés, retrouvant un certain plaisir de faire ça dans une vraie cuisine et pas au coin d'une pauvre gazinière. Il resta cependant assez silencieux, laissant les deux autres faire la plupart de la conversation. Peut-être parce qu'il se disait qu'après tout, ce seraient eux qui passeraient une semaine entière à se côtoyer. Il parlait bien assez quand il était seul avec Orion, à son goût. "S'il le faut, je reviendrai te chercher à la sortie de la ville, quand tu voudras partir. Il suffira de me prévenir." Il le dit à Nemesis, se mettant maintenant à découper les oignons, sans vraiment les regarder.

Mars n'aimait importuner les gens. Il n'était pas sûr qu'importuner soit le bon mot, dans ce cas, car il refusait de dire que la présence de Nemesis était un poids. Cependant, maintenant qu'il y réfléchissait de plus en plus, il avait l'étrange impression qu'il aurait pu, aussi, chercher à trouver un refuge pour le jeune Oublié ailleurs. Mais il ne faisait pas de commentaire. Il écoutait les bruits environnants en perdant son regard sur le travail qu'il s'était donné. Il approuva d'un simple signe de tête à la mention du thé. Cela devait faire bien longtemps qu'il n'en avait pas bu, à vrai dire. Il lui arrivait parfois de prendre du café, quand il pouvait en avoir sous la main -ou quand il rendait visite aux autres. Il tourna un regard curieux vers Orion lorsqu'il se pencha vers lui, et son sourire lui rappela celui de sa mère, appréciateur, à deux doigts de lui ébouriffer les cheveux avec un rire accompagné de quelques compliments. Ce n'étaient que des oignons, pourtant. Il décida donc de ne pas s'attarder sur ce fait, et continua ce qu'il faisait, essayant de ne pas être là seulement pour faire plante verte. Il avait un peu l'impression de profiter de l'hospitalité d'Orion.

En écoutant d'une oreille leur conversation, il redressa cependant la tête vers Nemesis lorsqu'il l'entendit dire qu'il n'avait pas très faim. Il fronça les sourcils. S'il croyait qu'il n'avait pas vu son mal-être pendant tout le long du trajet, il se trompait lourdement. Et ce n'était pas en prenant deux bouchées de pâtes que tout irait mieux. Alors il décida qu'il ne laisserait pas ça passer aussi facilement. "Tu boîtes depuis qu'on a passé les ruines ensevelies." Il mit les oignons découpés sur une poêle avant de replanter son regard, un peu assombri par ses paroles, dans celui de Nemesis. "Tu vas manger comme tout le monde." Et il affirma cela avant de se détourner. Le souvenir du corps frêle de Nemesis contre le sien lui revint, et il se demanda si son mal-être ne venait pas de quelque chose de plus profond, si cette absence d'appétit ne venait pas du traumatisme dont il refusait de parler. Si ce n'était pas à cause de ce sujet tabou, qu'il avait réclamé son affection, ce jour-là. Il pouvait passer pour une maman pas contente, pour le coup, mais tant pis. S'il fallait qu'il le gave pour qu'il ne perde pas encore plus d'énergie, s'il fallait qu'il le gave pour que ses maux ne s'aggravent pas, il le ferait.

Il fut cependant un peu pris au dépourvu par la question d'Orion. S'il acceptait, il aurait encore plus l'impression de déranger. Il savait que Laoise n'habitait pas trop loin non plus, et il savait aussi qu'elle l'accueillerait à bras ouvert en le taquinant sur une nouvelle visite surprise. Elle allait le gaver de biscuits avant de lui offrir asile, mais au moins ne serait-il pas un boulet pour son hôte du dîner. "Ne t'embête pas pour moi, j'ai comme l'impression qu'il n'y a pas de place pour moi." Il lui fit un petit sourire, essayant de paraître nonchalant. En réalité, il avait envie de dire qu'au moindre soucis, il pouvait récupérer Nemesis. Mais quel soucis? Il savait, ou en tout cas pensait fortement, qu'il n'y en aurait aucun. Même dans leur adolescence, le garçon n'avait jamais été un gêne. Il avait d'ailleurs été l'un des rares qu'il avait pu supporter.

Voir Nemesis au plus bas de sa forme avait quelque chose d'étrange, d'affreusement anormal. Ou était-ce parce que, plus jeune, il était différent? Après tout, cela faisait une paire d'année qu'il ne l'avait pas réellement revu, qu'il ne lui avait pas vraiment reparlé. Mais il était persuadé qu'on ne changeait pas du jour au lendemain sans raison. Quelles étaient ses raisons, à lui? Il avait peur de l'apprendre. L'atmosphère s'était tendue à peine Orion avait-il prononcé quelques mots. Mars avait bien senti le changement en lui, tout comme il avait réfléchi à vive allure à ce qui avait pu se produire. Et il avait compris son erreur avant même qu'il ne s'explique clairement. Il avait presque cru que les paroles d'Orion allaient lui reprocher de vouloir le bien du garçon, mais ne s'était pas attendu à ce que ses propres paroles aient été interprétées ainsi avant de se rendre compte que, dans ses songes et ses remords inconscients, il ne s'était pas vraiment montré des plus aimable. Alors qu'Orion les accueillait, alors qu'il leur offrait son hospitalité. Lui, tout ce qu'il était parvenu à faire, c'était... Eh bien, pas vraiment se plaindre, mais s'esquiver. Chercher une issue pour ne plus être le souci de son ami. Mais il avait raison. Et malgré le malaise que ses exclamations avaient produit en lui, il comprenait bien son erreur. Il grimaça légèrement, sans vraiment s'en rendre compte, lorsqu'il mentionna leur rencontre désastreuse à l'entre-guerre, mais ne chercha pas à fuir son regard courroucé. C'était la première fois qu'il le voyait comme ça, et, même s'il se sentait comme un gamin que l'on grondait, il fallait avouer qu'il ressentait un certain soulagement, étrangement, malgré sa sensation de malaise. Parce qu'il avait mis sur le tapis absolument tout ce pourquoi il aurait voulu partir ce soir, et aussi parce qu'il se sentait soudainement coupable d'avoir pu songer ainsi. "Je ne voulais pas refuser aussi impoliment. Je parlais de... L'espace de ta maison? Je ne sais pas s'il y a assez de place pour que tout le monde dorme ici. C'était ce que je voulais dire." Il n'avait pas envie de virer Nemesis ou Orion d'un confort que tous deux méritaient. Son regard coula vers Nemesis, qui semblait à peine conscient de ce qui se déroulait sous ses yeux, comme s'il était las et que leur querelle ne l'intéressait pas. "Désolé. Je ne voulais pas paraître impoli." Il se mordilla un peu l'intérieur de la joue avant de se détourner pour finir leur préparation. "Si ce n'est pas le cas, je ne refuserai pas." Il l'avait dit un peu moins fort. Ça ne valait pas une réponse claire, mais il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il saute de joie de rester après avoir mit Orion sur les nerfs. Il n'avait pas non plus envie de reprendre ses mots, d'affirmer que non, il ne tenait pas à se barrer tant que ça.

Après l'instant colère -les flammes avaient fait sursauter Mars, qui avait détourné le regard- , Mars s'installa non loin de ses deux amis, son regard glissant sur le corps de l'Oublié qui l'avait accompagné jusqu'ici. Il fronça un peu les sourcils en l'écoutant, essayant d'oublier son malaise de quelques minutes auparavant, se souciant soudainement de son état. "Tu ne me l'avais pas dit." Ce n'était pas un reproche. Juste une constatation. Même s'il avait vu qu'il boitait, il n'avait pas pensé que cela puisse venir d'un manque de repos. Il n'aurait rien pu faire de grandiose, mais... Peut-être ralentir le pas? Le laisser prendre plus de pauses? Il se sentit un peu mal, sur le coup, et se massa l'arrête du nez. "J'espère que tu n'as pas pris sur toi tout le long du voyage. Ce n'est pas un truc à prendre à la légère." Il lui envoya un regard appuyé, pas tant pour le gronder lui non plus, mais plutôt pour lui prouver qu'il se souciait de son état. Que s'il avait eu mal, il aurait du le lui dire, plutôt que de le garder pour lui tout du long. Ils auraient bien pu trouver refuge quelque part, si jamais ils n'avaient pas pu atteindre Requiem en une seule journée. "Si j'ai refusé que t'ailles à Celestia, c'était pas pour te tuer à marcher à un rythme qui ne te convenait pas." Il n'osa pas trop s'approcher de Nemesis, peut-être parce qu'il pressentait que ce n'était pas la chose à faire. "C'est quoi? Une douleur musculaire? Ou autre chose? J'ai du amener quelques trucs pour ça..." Il ne se déplaçait jamais sans avoir de quoi soulager quelques douleurs, et avait une crème pour les celles qu'il venait de mentionner. "Ou, euhm, Orion a peut-être quelque chose..?" Il n'osa pas vraiment croiser son regard, peut-être parce qu'il se sentait encore un peu honteux de s'être fait gronder comme un enfant de quatre ans qui avait mal parlé. Mais il le regarda vaguement, pour connaître sa réponse.