« Miska…. »

Il regarde dans les yeux bigarrés d’un artifice délicat
qui lui donnent un air clownesque qui n’a rien de comique
Celui des clowns blancs qui ont des larmes d’argent peintes sur leurs joues pâles
et des habits sombre et nitescents sous les lumières du cirque, dans les chapiteaux moites qui sentent la sciure et le sang des bêtes.
ceux qui font pleurer les augustes


« Tu parles comme un enfant Miska, tu veux tout, tout de suite. »

Orazio fait glisser sa main de la joue à cette gorge qu’il tenait du bout des doigts il y a quelques instants.


« Ce n’est pas comme ça qu’on prend un coeur regardes, tu risque de t’étouffer, mon coeur ne passerait pas ta gorge. Alors l’envie de me le prendre te passera dans un haut-le-coeur. Il faut que tu le dégustes, que tu le picores, ça n’en sera que mieux. J’ai envie de mourir lentement. »

Une croix esquissée par ses doigts sur sa pomme d’Adam, charmant fruit défendu entre les veines. Il ne peut qu’apprécier l’autorité de son appart : en le voyant comme cela, dans ce complet rigide, il sent après tout qu’il sont taillé du même marbre bas.
Des êtres d’ombres qui prennent chez les autres ce qu’ils n’ont pas, qui cachent leurs affres sous une monotonie contrôlée, des rituels, des angles durs et droit.
Leur arborescence est fait du même bois.


« Je m’appelle… »

         

 
   
         
 

                      Ugo      

     
           
   

                 
 


Ce n’est jamais son prénom qui lui vient en premier en bouche, oh il en a tant eu qu’il ne sait plus le dire. Ce nom n’est plus un secret pourtant il y a une halte entre ses lèvres. Un appel d’air infime qui se bloque contre ses dents.

« Orazio »

Et il le prend par la main, ce drôle d’ange annonciateur. Ce petit bijou pâle en quête inconsciente d’un chaton d’or pour y accueillir le fruit de son âme. Il a grande hâte de lui montrer cette chapelle où il entrepose
Les bijoux et les bric à brac,
et les toiles accrochées au murs, posées au sol roulées dans des coins jusqu’au plafond, à porté de main, ou loin des yeux.
Les toiles avec leurs paysages et leurs abstractions,
les larmes des martyrs et les corps souffreteux
les extases d’église
et les joues peintes.

Et ses toiles secrètes qui n’appartiennent qu’à lui, celles sans saveur qu’il a tracé de son doigt
celles-là sans âme qui hait autant qu’il adore.
Il y a peut être une portrait inachevé de Narcisse (car jamais ce profil angélique ne veut se figer dans l’huile ou l’acrylique)
Un Samson nimbé de lumière dans une église au crépuscule. Beau comme un feu de forêt.
Ceux-là sont de superbes diables dans son bestiaire mystique.
Il en tient un nouveau par la main.

Le poids à son bras chancelle,
C’est qu’il vont, bras dessus, bras dessous, comme deux affreux personnages. C’est peut être qu’ils ont la fièvre, ou bien la rage. Mais il n’y a pas de brume à la commissure de leurs lèvres. Seulement des jeux de pouvoir aux règles de fer
Des oeillades ivres qu’ils se roulent l’un à l’autre.
Il sont autant poison que sauvetage.
A s’aimer comme on se tue dans une passion qui n’est que plus belle, celle là dans les livres, dans les grades tragédie :On s’aperçoit un peu et voila que tous nos feux ne brulent que pour une chose.
Eux étaient deux bêtes immondes brulant d’un feu comme une écobue pour une muse affreuse et vile dont ils sont seuls à chanter les louanges.

« Ne me dis pas ça, j’aurais envie de te dire non juste pour te voir furibond. »
Car il aimait les feux, oui, dévorant de passion,
Ce Miska jusqu’alors inconnu, voila qu’il était madone, ange Saint-Michel lui empalant le coeur par quelques clichés sombres
C’est d’une beauté qu’il ne faut pas cacher au monde et il a toujours été fasciné par la liesse. Lui qui ne sent pas grand chose.
Sentir les autres, leurs pleurs, leurs colères, leurs caresses voilà qui était grand.


Il glisse la clef dans la porte de ses appartements. Ah c’est qu’il est toujours affublé de cet air impeccable mais il cache chez lui des flots de tempête.
Une grande pièce où s’accumule les toiles dans un désordre fabuleux  : Il y en à là au mur et au plafond, et au sol les unes soutenants les autres
parfois dissimulées sous des grands draps rouges, comme des fantômes difformes et hurlants. Car la toile n’aime pas la lumière du jour.

« Libre à toi de les regarder, certaines sont des originaux, d’autre des copies. »

Il y a des martyrs et des pleurs, des croix scintillantes dans le levant. Ces sujets qu’il aime tellement. Ces icônes superbes. Ces visages contorsionnés de douleur et d’extase mêlées tant et si bien qu’on ne sait jamais si au supplice ils pleurent ou ils jouissent.
Mais il y'a aussi
Des abstractions pures et dures, des lignes
Des paysages vains et délicats
Des portraits anonymes de personnes disparues

Et puis là, près de la fenêtre. Quelques un de ses blasphèmes
Un chevalet recouvert d’une étoffe
cachant ses déboires
Ces portraits qu’il peint sans jamais pouvoir les voir
Ces formes qui dérivent sous son pinceau quand il essaie de reproduire la couleur du souvenir
de sa mémoire d’enfant, les genou sciées par les bancs de prière et le micelle entre les doigts.

Il reste encore sur la palette de la peinture qu’il a abandonné et des pinceaux encore souillés de carnation.
Saisissant l’arme du crime
(un pinceau à la virole froide écorchée de milles couleurs)
il rattrape cette joue qu’il aime tant maintenant, mimant leur rencontre dans un geste plus doux.
La joue de Miska entre ses doigts, son menton dans sa paume, le pouce enfoncé là ou la mâchoire vient s’imbriquer dans le crâne.

Relevant la tête pour l’observer en biais, il fait glisser le bout du pinceau contre ce derme qu’il tient
La martrette pleine d’un pigment couleur chair il vient délimiter une ombre, puis la rehausser d’un point de lumière blanc
et d’un pâle reflet de verre

C’est une larme grotesque et belle pourtant
Une larme de tableau imprimée sur une peau

« Vois, moi aussi je te fais pleurer. »

« J’y pense souvent tu sais. C’est dommage de garder tous ces trésors pour moi, c’est même égoïste. On m’a proposé un local pour y ouvrir une galerie.»


il n’exposerait pas les siennes c’est bien certain, non elles étaient trop vilaines
Un mélange nostalgique,
une chimère affreuse et sans sens,
de tous ces styles qu’il avait ingéré
jusqu’a l’overdose.

Mais les autres. Les autres sont bien plus intéressants, ont tellement plus de talents que lui, le réchauffent de l’intérieur quand il peut les cueillir entre ses doigts. Il a envie de les ponctionner ces autres, de leur lécher la moelle de tout ce qu’ils ont qui fait qu’ils sont eux.
tout comme il aurait envie de briser la nuque de Miska, doucement, tendrement, pour voir quelles horreurs se cachent à l’intérieur, pour qu’elles viennent lui griffer le visage, comme Orphée face aux bacchantes.


« J’ai n’ai jamais sauté le pas. Mais voila que tu me viens, envoyé par les cieux ou l’enfer que sais-je ? »   Il pose une main sur ses épaules comme pour s’assurer qu’après tout il est bien réel.
L’autre vient passer le dos de ses doigts contre cette pommette salie, contre la gorge, pour enlever les restes de pigments qui siègent sur son derme.
Ah il se sent déjà pactiser avec un beau diable, il pourrait lui embrasser les joues dans cette euphorie douce qui vient lui mordre les entrailles.
« Un signe où le hasard après tout je m’en fiche. C’est tes photos que j’exposerai en premier. »

Mais il délaisse Miska quand il aperçoit le sujet des ses attentions.
Cette maudite toile
abandonnée et cachée sous un drap comme un corps sous un linceul
Un vieux cadavre qu’il abhorre

« Ah… C’est celle-ci qui t’intéresse ? » Et la voix s’est tue. Elle n’a plus de feu, plus de passion comme parlant des autres peintures, comme parlant de ses photos larmoyante d’une beauté extraordinaire. Non elle s’est délavée cette voix, comme le lavis pâle qu’une aquarelle.

Alors il va se rassoir, sur le tabouret qui y fait face, comme prêt à se remettre à l’ouvrage.
Un portrait au visage effacé
C’est un autoportrait
céphalophore
au minois arraché
Un portait de soi où
on sent dans les traits tirés de peintures un geste répétitif
recommencer
effacer
recommencer
effacer
recommencer
effacer
recommencer
EFFACER
il ne reste rien si-ce n’est un amas de chair
Une figure pâle amputée de ses yeux, de son nez, de sa bouche, de cette essence de soi.

Car il s’était rendu à l’évidence : il ne voyait pas son visage.
il avait beau regarder et regarder encore
une simple impression de floue contrastée de lumière.

Alors il attrape, d’un geste mécanique, le briquet d’argent qui traine prêt des peintures (celui qui lui sert lorsqu’il est indulgent au tabac ). Le passe derrière le chevalet et
click

« Elle est d’une laideur incroyable, mais ne t’en fais pas, ça sera vite passé. » Dit-il l’oeil vague, regardant les flammes commençant a ronger la toile, là ou devrait se trouver cet affreux visage
Le tableau brunit, noircit à vue d’oeil
se nécrose et crisse comme criant sous le feu
dans un sifflement qui sent le pétrole
le parfum capiteux de la peinture brulée
celui qui fait tourner la tête.

Il sent à peine l’ombre de Miska qui lui voile le soleil un instant
lorsqu’il fait crisser la grande fenêtre à ses côtés.
La fumée brunâtre, celle qui sent l’essence et quelque chose de plus rauque s’engouffre au dehors comme poussée par une bourrasque.

Oh il connait cette odeur qui fait tourner la tête. Il s’en était rendu malade un nombre incalculable de fois, le dos courbé sur les toiles, de la peintures plein les mains
et l’esprit embrumé de térébenthine
La gorge abusée des effluves de vernis
Il avait à peine vingts ans et les doigts crispés sur les bords d’émail d’une cuvette
en vomissant une bile dans laquelle il avait l’impression de voir de la peinture
et des yeux le regardant.

« Prends en si ça te chante, mais ne me les montre pas, j’ai un visage capricieux. C’est une malédiction peut être, comme dans les contes. »

Un visage capricieux
J’ai remarqué que les lignes du mien se détendaient souvent
qu’elles
avaient cette tendance à s’éparpiller dans l’espace
que
mes yeux ne me voient pas
qu’ils
s’attachent à des détails
changeant sans arrêt.
C’est
Comme se voir à la surface d’une eau trouble
Celle
Chahutée par les vagues et le sel.


« Je t’envie tu sais ? Cela semble si simple de saisir un visage dans une photo. »

Alors que les flammes s’amenuisent, il ne reste plus grand chose de l’affreux tableau.
Plus de visages, plus de mains
peut être le reste d’une épaule
Et la courbure d'un cou pâle.
Elles ne flambent presque plus et viennent lécher les bords de bois du cadre.
D’un coup de chiffon pressé contre elles, il vient les étouffer
leur arrachant un dernier soupire dans une volute de fumée.

« Ah, quel idiot. » Claquant la langue sur son palais il retourne sa main :
Rien qu’une petite brûle comme le dernier coup vengeur de son oeuvre brulée pour que, même après son meurtre elle continue de le hanter
sous la forme d’une tache rouge contre le plat de sa main droite.
Quelques marques de crocs d’une vilaine amante qui lui resteront sur la peau pour quelques jours.

C’est qu'elle court sans penser à eux, l’ombre de l’après midi. Voila quelle dévore tout comme une ogresse à l’appétit sans fin.
Il est beau Miska dans la lumière.
Dans cette incandescence à l’orée du soir qui le nimbe et le couvre d’une mantille vermillon
Dans le contre-jour qui embrasse tout ses contours.
Il est dévisagé par un oeil-faux et laiteux
un oeil vrai et sombre
peut être est ce un trou dans lequel on tombe, toujours effrayé de la chute
sans fond pour achever cette peur.

« Que veux-tu je suis un lâche » C’est qu’il aimait la course, c’est qu’il aimait filer entre les doigts, comme une ombre. Après tout il avait passé plus de dix années à jouer aux fantômes. Il se sentait plus phantasme qu'homme à disparaitre entre les mains de tous, glisser sous le nez de la police, mentir sur son prénom, briser le coeurs d'ami•es d’amant•es par des jolis mots à la graphie cinglante.
Adieu, au revoir, à jamais, porte toi bien, c’est impossible, je ne peux pas, désolé, ça ne marche pas, surtout ne pleure pas, j’ai à faire, je dois partir, ne m'en veux pas, c'est idiot, sans rancune, à la revoyure, adieu ,adieu, adieu
des adieux en pagailles et tout autant d’embrassades mornes.
A prendre toutes les chaleurs pour ne laisser que de l’encre tièdes.
« J’ai plus de plaisir à te fuir. A ce que tu cherches à m’attraper. Pas toi ? »

Oisillon aimes-tu cet oeil délavé et pâle ?
Peut être te vois-tu dans le reflet de ce globe ?
Sens tu pulser dans ce cou un battement égal ?

Il attrape la main qui le parcourt, la ramène contre sa joue. C’est qu’il aime tant que d’autres devinent ce visage qu’il ne voit jamais, en tracent les contours flous pour lui rappeler qu’après tout il existe
qu’il n’est pas un mirage, un reflet,
une chose d’illusion balayée par les vents.
Il embrasse cette paume froide comme le marbre des statues. Cette main en a le ciselage délicat qu’il devine quand il la recouvre de la sienne. C’est un baiser chaste déposé comme un soupir au creux des lignes de vies, de morts et d’amours. Il a l'impression de s'embrasser lui même.
Il la tiens là, cette main, contre sa joue.
Et sa pommette serait elle coupante pour venir entailler le marbre aquilin de cette main ? Viendrait elle repeindre sa peau d’un carmin profond, souligner ses yeux comme la plus belle caresse ?
Il ne sait pas, ses pupilles ne bougent pas du lacis de celles de Miska.


« Il se fait tard, la lumière est superbe. » Sans quitter l’oeil du regard, celui voilé par une lentille ne reflète rien, comme celui d’une poupée. L’autre pourtant brille dans un rayon, dévoilant toute sa transparence, tous ses accrocs et taches mouchetées, les veines sombres l’irriguant aux coins où la chair rose rencontre le blanc, lovés au creux des cils. «  As-tu un endroit où rester pour ce soir ? »