Il est entré dans le bâtiment avec le même air qu’à l’habitude, avec ce visage neutre, avec le visage d’un homme qui vient travailler. Il fait toute sorte d’heure comme homme à tout faire en ces lieux. Il travaille de jour, il travaille de soir et il travaille de nuit. C’est facile à expliquer, il veut faire des heures supplémentaires, accumulant l’argent sous son oreiller, pour se faire un petit coussin, parce que ne pas s’inquiéter de l’argent est un soucis de moins à se faire dans ce nouveau monde. Parce que bien vivre lui permettait d’oublier que d’autres n’ont pas ce luxe. Ainsi, Aleksei fait glisser sa carte magnétique dans la porte et il entre, de petites souris suivant ses pas, agissant comme s’il ne remarquait pas, comme si rien n’était anormale dans cette situation.

Il aimerait sourire à la douce louve qu’est Mariette, il aimerait lui dire que c’est d’accord et puis, elle est comme une sœur, sœur orpheline, sœur de l’orphelinat, sans être une vraie enfant de l’orphelinat. Or, il n’en fait rien, outre qu’un regard doux, sans paroles, préférant le silence aux mots inutiles. Elle est rendue assez grande pour comprendre, mais est-elle assez grande pour prendre ce risque? Cette mission n’est-elle pas trop pour une petite fille comme elle? Il n’osera pas lui dire, ne lui dira pas de retourner dans son lit, là où est sa place à cette heure-ci, parce qu’il sait quelle petite lionne elle peut être et il ne veut pas qu’elle menace à nouveau de le tuer ou qu’elle lui donne un coup de pied dans le tibia. Ça fait mal un pied d’enfant qui frappe ce long os.

Il est serein, le cher Aleksei, dans son élément de mentir dans ses lieux, de se faufiler comme si ne rien était. Le jeune polarien a enlevé son manteau et l’a déposé sur la chaise du bureau de l’entrée principale. Il la met toujours là, jusqu’à ce que la secrétaire arrive, mais en cette heure tardive, elle peut rester là. Il ne porte qu’un chandail à manche courte noir et un jean à peine usé. Il est simple, ordinaire, ne mérite presque pas un coup d’oeil. Il entend de son oreille Ludde qui fait son numéro et il a envie de sourire devant l’idée qu’il a eu, mais son visage reste de marbre. Il n’est pas bête le chasseur. C’est une bonne diversion.

Aleksei n’a pas de place dans ce scénario et il n’en a pas besoin. Il leur fausse compagnie et s’avance vers un placard. On l’entend fouiller, on l’entend faire couler de l’eau dans sa vadrouille à roulette qui se remplit de mousse. Armée de sa serpillière, il avance vers le détecteur de métaux, s’appuyant sur le manche de son outil de travail avant de s’arrêter prêt du groupe, carte d’employé bien visible accroché à son cou.

— Ah ouais, pour fêter, ça fête là-bas. Y m’ont demandé d’aller laver les toilettes, j’ose pas imaginer l’état dans lequel ils les ont mis cette fois..

Il soupire, l’air las. C’est bien connu, les toilettes du poste de police sont toujours propre quand Aleksei vient de passer, mais ça ne prend pas longtemps pour que les cochons qui y travaillent viennent les salir.

— À la vitesse qu’ils lèvent le coude, faudra te dépêcher pour en profiter. Y a même un gros gâteau au couleur de notre équipe.

Puis, il pousse son chariot vers l’avant, traversant le détecteur de métaux sans problème, n’imaginant pas une seconde que l’agent pourrait l’empêcher d’aller faire son travail. Combien de fois avait-il passé le portique, passer la sécurité, nettoyer les planchers et frotter ce lieu de travail. Il avance sans crainte pour aller vers l’ascenseur pour monter à l’étage. Il faut seulement croiser les doigts qu’il sera aussi glouton que les autres, qu’il acceptera de quitter son poste pour que les autres petites souris se glissent dans l’ascenseur avec lui.

Le son d’une clochette se fait entendre alors que les portes de l’ascenseur s’ouvrent.  Il pousse sa vadrouille à l’extérieur, appuyant sur le bouton pour empêcher les portes de se fermer, suivant du coin de l’œil l’homme de sécurité qui est tombé dans le piège et qui s’éloigne d’un pas rapide, sûrement excité à l’idée de se goinfrer plutôt que de surveiller une entrée où les visiteurs se font rares dès que le soleil s’éclipse à l’horizon.

Il laisse de la place pour que les autres puissent pénétrer la petite habitacle et tous montent au premier étage. Aleksei se questionne, tente d’imaginer la réaction de l’homme lorsqu’il trouvera la salle de pause vide de la promesse d’alcool et de nourritures. Peut-être y aurait-il un autre employé pour lui parler de la victoire de leur fabuleuse équipe. Avec de la chance, quelque chose ou quelqu’un allait le retarder ou peut-être que non. Il pouvait aussi revenir et trouver le rez-de-chaussé vide, Ludde ayant quitté sans respecter sa parole, bien qu’il l’ait prévenu. Il est facile de s’en sortir, peut-être ne les cherchera-t-il pas, mais peut-être les verra-t-il monter à l’étage en suivant les caméras de surveillance. Cela ne l’inquiète pas, un autre mensonge sera facilement apte à expliquer le pourquoi du comment.

Le jeune blondinet observe l’équipe qu’ils sont. Il est heureux de voir le chasseur, il est inquiet de voir la petite souris. Cependant, il n’avait pas reconnu la blonde qui se faisait passer pour la femme de Ludde. Il lui manquait des artifices, des paillettes, du prada et de l’alcool comme une bonne vodka. Aleksei avale sa salive, un peu nerveux, mais sans le démontrer. C’est elle, son visage de pratique, mais elle l’ignore. Elle ne sait pas encore, ou peut-être que oui. Il fera attention de ne pas prendre son apparence durant cette mission pour se sauver le visage si jamais il doit le faire. Heureusement qu’il a pris le temps de l’observer, le visage de la dame fait partie de son carnet, il fait partie de ses préférés. Le désastre sera ainsi évitée.

Les portes s’ouvrent et chacun leur tour, ils quittent l’ascenseur pour aller vers les toilettes, vers ce lieu de rendez-vous tout de même curieux. Est-ce que DaMarcus avait vraiment dans le centre de police? N’est-ce pas comme si le mouton tant chassé venait de se jeter dans la gueule du loup? Aleksei est inquiet, mais suspicieux. Aleksei déplie un petit panneau de sécurité d’un jaune presque fluorescent sur lequel figure un avertissement pour le plancher glissant. Il entre dans les toilettes en dernier et dépose sa serpillière au sol, commençant à nettoyer le plancher juste au cas où si quelqu’un vient vérifier, que sa version soit vraie, que ses collègues ne le suspectent pas.