— miss da sun

Il pleut, il pleut berger, rentre donc tes baveux moutons. Ah car ça oui, c'est un temps à ne pas laisser un chien dehors, même si le chien - enfin les chiens, en question sont en train de hurler en courant comme de beaux diables dans le petit salon. Gégé ne veut que profiter de cette averse pour se poser près de sa fenêtre, le regard perdu, rêveur, comme un personnage de drama asiatiques avec une musique douce et niaise en fond. Seulement, les toutous en ont décidé autrement. C'est que les toutous ne sont pas de grands adeptes des séries télévisées : ils courent en rond dans la maison, font la course et se rentrent dedans comme toutes les petites gouttes sur le carreau des vitres et même le chat s'y met, déterminé lui aussi à l'empêcher de jouer l'héroïne d'un soap opéra en pleine tourmente émotionnelle.

▬ Bon ça suffit ce barouf oui ? On est pas au zoo ici ! Qu'il s'agace en se relevant, les mains sur les hanches avec un air pas content qui ne convainc personne. La famille de boules de poils le regarde une seconde, l'air bête, puis reprend son boucan à se rouler, aboyer et grogner et baver et couiner de plus bel.

Costa est le seul qui s'est posé tranquillement au coin de la cheminée, ignorant les jeux de ses camarades quand bien même Hard Rock vient lui donner des petits coups de pattes et qu'Andromeda tente plusieurs fois de lui attraper la queue. Soudainement, le vieux beagle se relève et vient se trainer sur le paillasson avant de lâcher un long hurlement qui est aussitôt repris par tout ses pairs. Tout le monde est venu s'amasser près de la porte d'entrée et en jetant un coup d'oeil à la fenêtre qui donne sur son porche, Gégé comprend vite la raison de ce tintamarre : la meute lui signale la présence d'un inconnu. De deux même. Mac a collé sa tête sur la vitre, se demandant sans doute quel est cet étrange molosse gris et grand avec ses longues oreilles et sa tête allongée.

Le caerien prend pitié de ce voyageur et de son animal qui semblent tout deux avoir été surpris par la pluie. Il ouvre aussitôt la porte, laissant s'échapper tout ses chiens qui déboulent comme un ras de marée autour de l'inconnu et de son compagnon, les encerclant par vagues de petits sauts, de battements de queues et d'aboiements.

▬ Bonjour. Je peux vous aider ? Demande-t-il, tout aussi intrigué que ses cabots par cet homme aux cheveux longs et à la peau pâle qui semble pour le coup être vraiment tiré d'un drama d'Asie de l'Est. Vous savez, ceux sur des légendes d'antan, sur la guerre des Trois Royaumes ou de la pérégrination vers l'Ouest. Sauf que lui a la décence de ne pas coller sa truffe sur le tissu de son manteau ou le bout de sa chaussure comme sont en train de le faire les terreurs à quatre pattes. Ne faites pas attention à eux, ils sont déchainés aujourd'hui. Je crois qu'ils sentent l'orage arriver. Son regard s'arrête sur l'âne trempé jusqu'à la moelle. Pauvre bête. Vous voulez peut-être de quoi vous essuyer ?

Ce n'est pas un temps à laisser un homme et son âne dehors non plus.

— miss da sun

Le regard de Gégé s'arrête sur la flopée de toutous en train de patauger autour de l'inconnu, de son compagnon équidé et surtout dans les flaques. Il s'apprête à réprimander les chiens qui importunent l'âne et le font reculer en soufflant des naseaux quand ces derniers comprennent d'eux-mêmes que ce gros canidé gris n'est pas d'humeur à jouer avec eux et reportent toute leur attention sur son propriétaire. D'autant plus que celui-ci les inonde de caresses avec un sourire absolument radiant malgré l'averse qui tombe sur leurs têtes protégées par le petit porche.

▬ Oh pauvre Chapomosh. C'est qu'il doit s'empêtrer dans la boue vu le déluge. Il regarde les sabots crasseux de l'animal en se disant que nonobstant tout son amour pour les bêtes, il est hors de question de le faire rentrer à l'intérieur. Cela ruinerait probablement son parquet. Vous avez bien fait de vous arrêter là. Vous pouvez attacher Chapomosh ici, je vais lui amener des serviettes pour le sécher. Entrez, je vous prie.

Et il s'écarte de l'entrée pour l'inviter à se réfugier à l'intérieur. Mac est le premier à tenter de bondir sur le palier mais Gégé, rapide comme l'éclair, s'est accroupi pour l'attraper et le maintient fermement contre son torse :

▬ Hop hop hop. On s'essuie les patounettes avant de rentrer monsieur ! Qu'il s'exclame avant d'attraper le grand chiffon qu'il laisse toujours près de la porte pour lui-même nettoyer les pattes du labrador avant de le lâcher. Il lève la tête vers son invité surprise avec un sourire : Oh ne vous inquiétez pas pour l'eau, je nettoierai après vous. Enfin sauf si vous comptez vous rouler par terre et vous vautrer dans mes draps. Plaisante-t-il en répétant le même manège sur Hard Rock qui jappe bruyamment, mécontent qu'on lui dise quoi faire. Laissez juste vos chaussures sur le paillasson je vous prie. Gégé ne va pas lui essuyer les pieds, ce serait sacrément chelou quand même !

▬ Vous êtes nouveau dans le pays ?

Avec l'afflux de réfugiés venant de la surface, on fait de plus en plus de rencontres étonnantes même dans les Sylvestres !

— miss da sun

Les papattes de la marmaille de canidés étant nettoyées, tout le monde se réfugie à l'intérieur sauf le pauvre Chapomosh que son propriétaire a tout de même déchargé. Bousculé par les chiens qui font la course pour avoir la meilleure place près de la cheminée, Gégé demande à l'inconnu de patienter à l'entrée.

▬ Vous pouvez poser vos sacs ici. Attendez, je reviens avec de quoi vous sécher. Et effectivement, dans la salle de bains, il attrape la plus grosse pile de serviettes, une pile si grosse qu'elle lui cache le bas du visage quand il retourne auprès du dénommé Icare, même après qu'il en ait jeté une sur le sol pour éponger l'eau qui dégouline de sa longue chevelure et de ses habits.
Ainsi il vient de Polaris. Quel genre de métier peut-il bien faire pour voyager autant ? Serait-il messager comme Poppy ? Ça ne doit pas être un super service postal s'il livre tout à dos d'âne même si ça a au moins le mérite d'être écologique. Peut-être un marchand ambulant alors ? Mais l'homme n'a pas l'air préoccupé par ses affaires détrempées. Icare et Chapomosh donc. Drôle de duo qu'il se dit en s'étonnant à voix haute :

▬ Oh wow, les Sylvestres ça fait une sacrée trotte depuis Polaris non ? Vous avez tout fait à pied ?

Jetant un coup d'oeil par-dessus son épaule pour vérifier que les toutous sont bien tous retournés au salon, Gégé dépose sa pile sur le meuble de l'entrée, rouvre la porte pour retrouver Chapomosh et lui passer une serviette sur le garrot et une autre sur la tête. Bon ça ne va pas le sécher mais au moins ça peut lui tenir chaud non ? Le fermier frotte précautionneusement la crinière de l'âne, puis sourit au compliment qu'on lui fait.

▬ Oh c'est gentil, mais je pense que Chapomosh avait surtout envie d'avoir les sabots au sec, pas vrai ? Il passe une autre serviette sur la croupe de l'animal et tend la main à son interlocuteur : Moi c'est Gégé, enchanté.

Dans le couloir, Mac le labrador est revenu à l'assaut, curieux. Gégé le pointe du doigt derrière Icare et hausse la voix :

▬ Mac non. Tu ressors pas, je viens de te nettoyer les pattes ! Le caerien jette un regard au polarien : Empêchez-le de sortir s'il vous plait.

Non parce que s'il faut refaire un tour d'essuyage de pattounettes, Gégé va vite se retrouver à court de serviettes propres !

— miss da sun

Imaginer que ce gentil âne puisse avoir des tendances kleptomanes à la façon des pies amuse beaucoup Gégé qui prend quand même le temps de vérifier que sa montre est encore bien attachée à son poignet puis observe Icare désarmer sans mal le vaillant Mac pourtant déterminé à remettre le museau dehors. C'est à son tour de s'accroupir sur le chien allongé sur le dos pour lui caresser énergiquement le ventre et même le canidé semble sourire tant il est heureux d'avoir gagné l'attention de pas un, mais de deux camarades à deux pattes.

▬ Gentil garçon, gentil. Babille gâteusement Gégé avant de s'éclaircir la gorge pour répondre avec un peu plus de sérieux et définitivement moins de mielleux : Oui j'habite ici. Je travaille à l'exploitation fermière à côté.

Il dit exploitation pour ne pas dire abattoir et pour ne pas dire ferme non plus. Vivre du sang des bêtes, ce n'est pas une facette de lui-même qu'il préfère dévoiler d'office. Il n'y a certes rien de honteux à être boucher par procuration, mais il s'abstient bien cependant de le crier sur les toits. D'autant plus que son attention est portée sur une toute autre information. En effet, les yeux de Gégé se sont illuminés de quelque chose d'enfantin qui perce à l'arrière de ses phrases quand il s'enthousiasme à voix haute :

▬ Joueur de flûte ambulant ? Oh vous plaisantez ! C'est génial comme métier !

Pour sûr que dans sa jeunesse s'il n'était pas tombé la tête dans les étoiles, Gégé aurait voulu être musicien ! Parce qu'il est lui-même incapable de se lancer dans une carrière aussi peu stable, il est sincèrement fasciné par ceux qui abandonnent tout pour leur art et en regardant bien Icare, il se dit que c'est une profession qui lui sied bien. Le jeune homme avec ses longs cheveux et ses traits délicats a des airs éthérés, irréels presque. Probablement parce qu'il ne soucie guère du matérialisme de ses congénères humains et s'en va flotter aux quatre coins du monde, son instrument et sa mule en guise de compagnons. Oh que c'est poétique ! Gégé est admiratif.

▬ Vous êtes attendu quelque part dans Caer pour une représentation ? J'aimerais beaucoup y assister.

Son regard parcourt les sacs du polarien, cherchant la forme, la trace d'une flûte. De pan, à bec ou bien traversière ? Quel genre de show on peut bien monter avec une simple flûte et un âne ? Le fermier ne saurait bien expliquer pourquoi mais il est sûr que le talent de ce Icare est à la hauteur de ses attentes.
Peut-être parce qu'au fond, Gégé ne s'attend jamais à rien de précis. Il est après tout d'une tiédeur simplette elle aussi à demi-détachée du reste du monde, bien au chaud avec ses chiens, son chat et sa petite chaumière.

— miss da sun

L'île aux délices ? Oh ce n'est pas vraiment le genre d'endroits que fréquente Gégé ou qu'il a même envie de fréquenter. Même s'il ne manque de rien, il se doute qu'avec son modeste salaire d'ouvrier, il n'est pas vraiment le bienvenue dans ce complexe ultra sélect. Quel dommage.
Il n'a cependant pas le temps de tirer une moue un peu dépitée que ses yeux brillent comme ceux d'un enfant devant la flute qu'Icare lui présente fièrement comme lui présente fièrement toute sa meute de chiens. C'est un magnifique instrument comme il n'en a jamais vu. Est-elle enchantée ? Il n'ose pas demander. Ce serait comme demander à un magicien le secret de ses tours.

▬ Wow. Elle vous va étrangement très bien ! Qu'il pense à haute voix. C'est bizarre à dire. Une flute n'est pas un accessoire commun comme une ceinture ou une paire de chaussures mais oui pourtant, elle semble être assortie à son propriétaire : aussi sombre que ses cheveux, fine et minutieusement bien taillée tels les traits de son visage. Gégé se fait la réflexion que ce Icare a définitivement avoir quelque chose de mystique comme son prénom le laisse sous-entendre.

Après avoir écarté Mac d'un revers de la main pour l'empêcher d'essayer à nouveau de jouer avec les décorations de la flute, Gégé regarde le chien se désintéresser des deux hommes pour rejoindre ses compères dans le salon près de la cheminée. Sans doute que toute cette excitation a fini par épuiser les toutous car ils se sont tous entassés sur le tapis en moumoute près de l'âtre et baillent paresseusement devant les flammes.

▬ Oh mais ne restons pas dans l'entrée. Suivez Mac jusqu'à la pièce principale et installez-vous près du feu. Je vais vous faire un thé. Il file sans attendre de réponse dans la cuisine pour y remplir et allumer la bouilloire, laissant son invité prendre ses aises, puis revient quelques minutes plus tard avec deux tasses de thé Earl Grey à la main. Jetant à nouveau un coup d'oeil à la tenue détrempée du polarien, Gégé a un sourire un gêné. Ce n'est certainement pas un thé et quelques serviettes qui vont l'empêcher d'attraper la mort : Euh vous voulez des vêtements secs peut-être ?

Secrètement, il espère qu'on va lui répondre négativement parce que sa garde robe est majoritairement composées de chemises à carreaux et t-shirts plus ou moins de bon goûts et il s'imagine déjà la honte que ça va être de donner un t-shirt mille fois trop grand avec des chihuahuas dessus à ce jeune homme si élégant même après s'être pris une averse sur la tête. Probablement que même Chapomosh n'en voudrait pas.