Ce sont les paillettes habituelles, les verres qui défilent, les visages (mé)connus. Toujours les mêmes commentaires sur ses robes, sur ses bijoux. Elle a coiffé ses cheveux si superbement, le blond aux mèches rosées, tout en une queue de cheval si longue (hypnotise). Oh, ce sont les sourires effilés sur les lèvres colorées du maquillage qui attirent tous les regards. Que fait donc la perle de la Vallée à Celestia? Le voyage n'a pas été trop long? Est-elle fatiguée? A-t-elle besoin d'un peu de compagnie? Que de langues trop déliées des soirées bien avancées, et Raphaëlle qui s'esquive, qui s'enfuit. Ce ne sont que des loups bien trop affamés, elle ne sera brebis. Mais elle a dans le regard cette même faim d'approcher la blonde plus loin, celle qu'elle ne cesse de croiser, celle dont les diamants brillent au cou, aux yeux. Il y a cette volonté d'approcher, par curiosité, oui. Par volonté d'en apprendre plus sur une si jolie femme qui s'oublie dans les verres à n'en plus finir. C'est l'aimant qui rejoint, finalement, qui fait glisser prison de doigts de son poignet, qui s'approche, se penche, et rit un peu.

« Vous semblez bien seule pour une femme ayant tant bu. »

Remarque accompagnée de cette douce candeur, la voilà qui s'appuie à une table, penche la tête, dévoile la gorge. Si le jeu n'était pas lancé, on pourrait croire qu'elle cherchait à séduire, mais. Elle ne pense qu'à nourrir sa curiosité mal placée des regards volés tant de fois sans adresser la moindre parole à Sasha. Mais aujourd'hui, elle en a le temps, aujourd'hui, elle s'est délivrée des lèvres asséchées de ceux qui se nourrissent de ses paroles.

« Peut-être que ma compagnie ne vous sera pas de trop. »

Cela sonnait plutôt comme une affirmation, comme un fait. Elle ne comptait pas trop s'en aller, maintenant. N'arriverait de toute évidence plus à s'éloigner maintenant la conversation engagée. Elle se penche, dit, presque dans la confidence :

« J'espère ne trop vous déranger, vous aviez l'air si bien entourée de ces gens fades. J'aurais trop peur que vous vous ennuyiez toute la soirée. »

C'était bien trop présomptueux de sa part. Eh bien, tant pis.

Il n’y a rien de plus beau que ces messieurs bien vêtus ; ces grandes dames sans vertu. Les petits sourires trop cordiales ; un pour toi un pour moi. Les robes qui traînent, lassent d’avoir tant paradé, n’arrivent à parer leur maîtresse des lueurs tant convoitées. Il est tard, il est si tard. Et ils continuent tous, de charmer, s’accaparer. Un petit pas de danse, dieu que cette nuit est longue. Longue longue comme les cheveux de la belle, amassés sur une épaule comme un vulgaire verre vide. Maquillée comme tous les autres (espère être un peu plus que ça), habillée comme tous les autres (briller un peu plus que ça). Ces fêtes sans fin – y a t-t-il un début ? - qu’elle raffole autant que sa jolie parure d’or. Une verre à la main, les trois derniers sont partis trop vite. Sasha s’amuse, Sasha s’ennuie. Cette soirée manque de paillette, de folies endiablées ; ces messieurs sont un peu trop simplets, non merci elle ne veut pas danser.

Il y a pourtant quelques éclats dorés, sous cette masse de cafards grouillants. La Vallée leur prête là un beau bijou ; ne vont-ils pas l’abîmer ? Elle la reconnaît, cette blonde qui s’avance sous les regards insistants. Dansera-t-elle pour eux ce soir, Raphaëlle ? Un petit éclat sous la froideur du pôle. Venue se perdre sous la neige et le blizzard que l’on n’entend même plus souffler.
Sasha sourit un peu, de voir cet ange se lasser de leur jeu muet.
C’est une bonne distraction. C’est un moment qu’elle aurait presque attendu.
« Les verres sont une bien meilleure compagnie que tous ces messieurs réunis. »

La russe observe, intriguée par cette figure connue de presque tous. Par ce visage qu’on dit changeant ; à jamais fuyant. Reste pourtant sur ses gardes, presque soupçonneuse d’être ainsi accostée.
Mais la curiosité est trop grande, trop tordante. Oh elle veut savoir. Quoi ? Elle ne sait pas encore.
Peut-être tout. Peut-être rien.
Se penche aussi, dans cette comédie à peine complice. Aimantée, un peu subjuguée il faut bien l’avouer.
« Je crois que vous me sauvez d’un certain embarras. Une seconde de plus et je m’écroulais d’ennui. »
C’est une invitation à rester ; personne n’en a pourtant demandé.
« J’ose espérer ne pas faire parti de ces gens fades. » En serait offusquée, bien qu’elle soit certaine du contraire. « La Vallée est donc si peu distrayante pour que vous veniez ainsi chercher un peu de divertissement chez nous ? Je suis navrée de vous l’apprendre mais vous vous êtes trompées de soirée et moi aussi. »
Il n’y avait bien ici que l’alcool pour rehausser le niveau de cette fête. Et encore, il n’y avait même pas de vodka.

Raphaëlle ne saurait dire le contraire. Le souvenir des soirées mondaines au bras de ce mari de pacotille ne lui procure aucun bonheur. L'homme en lui-même n'avait rien à se reprocher, mais il était tellement fade, tellement lointain (tellement inutile). C'est comme de se rappeler des cafards de la cuisine d'antan (elle espère qu'il n'y en a jamais eu). Oh, vraiment, ce mariage ne lui a jamais procuré aucun bonheur, aucune satisfaction, comme de cet enfant dont elle n'a jamais voulu (a toujours espéré cru mort). Les hommes n'étaient une compagnie dont Raphaëlle raffolait. Sauf un, peut-être, dont elle ne pouvait s'empêcher de prononcer le nom, parfois, à la manière de ces adolescentes un peu amourachées, un peu trop fan de leurs idoles à la télé.

« Je ne suis faite d'alcool, mais j'ose espérer que les ceux-ci seront moins intéressants que ma présence à vos côtés. »

Il y a un petit rire, quand Sasha se penche, quand elle-même suit le mouvement pour se rapprocher, sent le souffle presque contre sa joue. Secoue légèrement la tête, observe ces traits d'un peu plus près (bien plus qu'elle ne l'ait jamais vue). Et puis, finalement, elle ose un peu se rapprocher, peut-être bien coller leurs bras, peut-être bien l'écouter d'une oreille en observant ces fades faciès là.

« Vous étiez joyau bien trop brillant parmi ces simples pierres. »

Peut-être en fait-elle trop. Mais cela l'amuse bien, elle a le sourire sur le bout des lèvres, cette envie de continuer à la parer de compliments, peut-être pour la voir s'enorgueillir, peut-être pour la voir dérangée par ces paroles (venant d'une femme, n'est-ce pas là bien étrange). Mais il faut bien rire, se moquer un peu car, en effet, cette fête était un bien piètre spectacle (elle avait envie de se faire rembourser le billet d'entrée, si seulement elle l'avait payé).

« Vous avez bien trop raison, je crois que nous nous sommes trompés d'endroit. Peut-être aurais-je dû refuser cette invitation, finalement. Je crois que la Vallée prodigue de bien meilleures soirées que celle-ci, au contraire. Peut-être devriez-vous nous rejoindre, la prochaine fois. Il y a toujours comme... De la magie dans l'air. »

Petit clin d’œil, il faut finir la boisson entre les doigts avant de reprendre (un verre, et la parole).

« Je ne connais pourtant pas assez bien Polaris pour trouver un endroit plus intéressant que celui-ci. Je suppose que je n'ai pas d'autre choix que de rester en ce lieu jusqu'à la fin, avant de pouvoir rentrer à mon hôtel. Même mon accompagnateur est d'un ennui total. J'en dormirais debout. »

Cet homme était censé être son cavalier, mais n'osait le nommer ainsi. Il n'avait de cavalier que titre, car, après tout, elle était si bien seule, lui tout au fond de la pièce, à se faire accoster de toutes part pour un rien (ce n'était pas lui, la star, on réclamait simplement des contacts pour Raphaëlle).

« Mais après tout, ce serait folie d'ainsi s'enfuir. »

Sasha a l’alcool dans le sang, l’ivresse au bout du corps (mais pas encore). Elle tient trop bien, les soirées russes aux rires gorgés de vodka lui ont servi d’entraînement ; une adolescence dévergondée pour espérer ne pas sombrer.
Il y a la mélancolie, à fixer le fond du verre presque vide. Quelques gouttes au reflet d’argent ; c’est beau et c’est triste. Plus beau qu’un homme, plus triste qu’une femme, l’alcool.
Elle sait pourtant pertinemment que son verre sera délaissé au profit d’une bien meilleure compagnie. Encore plus belle, peut-être aussi plus triste, ça elle ne sait pas.
« Je pense leur avoir assez donné de ma compagnie, l’ivresse attendra. Vous, peut-être pas. »
Ce léger sourire au coin des lèvres écarlates, espère ne pas avoir à briser sa carapace de glace. La princesse polaire réchauffée sous un soleil de braise. Il y a pour l’instant la Sasha des jours mondains, celle qui ne rira pas plus fort, n’éclatera ni ne chantera. Peut-être une jolie statue de glace, elle s’en fiche. Elle est ainsi parce qu’elle ne connaît pas l’autre, pas encore ; le voudrait pourtant. Alors son rire est trop léger, son regard trop marqué.
Un peu de réserve tout de même. Réserve qui ne semble pas remarquer leur peau presque collée et les âmes un peu trop serrées ; peut-être vaut-il mieux ignorer.
Elle s’approche trop près Raphaëlle, mais pour l’instant, il n’y a pas la force de reculer. Peut-être la russe se fera-t-elle dévorer.

« Je ne connais pas les fêtes de la Vallée, peut-être devrais-je y faire un tour oui. J’imagine que je pourrais être… surprise. » par la magie et beaucoup d’autre chose. Elle qui ne quitte que rarement son petit cocon bien au chaud sous ce grand dôme. À parfois se risquer dans les plaines enneigées et les ruelles glacées ; on n’oublie jamais son passé. À parfois mener l’exploration jusqu’aux grandioses fêtes de Caer. Mais le reste, la russe ne s’y aventure pas. Trop loin, trop peureuse. Les plaines enneigées sont sa vie, son cœur et son enfance.
Trempe à son tour les lèvres dans sa corsée boisson. Un regard pour le-dit cavalier qui ne semble se préoccuper. Ne peut s’empêcher de lancer un petit sourire complice à l’Astre.
« Ce n’est pas de chance, il n’est même pas ravissant. » Petite pause. Oui elle s’ennuie, oui elle veut partir. Mais ainsi ? N’est pas certaine que filer au bras de la jolie perle de la Vallée soit bien avisé. Cette lueur de doute dans les yeux. Oui, non. Folie qu’on lui dit.
Sasha n’est pas folle, Sasha est soucieuse et pragmatique. Sasha s’ennuie horriblement. Alors elle se rapproche (encore ?), les lèvres si proche de l’oreille ou s’égare quelques mèches rosées. C’est un secret murmuré, pour elles seules et personne d’autre.
« Je peux vous emmener ailleurs si vous le désirez. Il n’y a rien de plus fou que de subir volontairement cette soirée. »
C’est ainsi, prêtes à s’échapper.
« Venez. »
Un léger rire tandis qu’elle se décolle, pose son verre bien trop vide. Si elle ne sait encore où aller elle n’a qu’une idée en tête : sortir d’ici.
Alors elle s’engage dans dans cette foule hypocrite, prête à se faufiler comme une lionne parmi les souris.

Il y a en Sasha la retenue des fêtes mondaines, des gens trop pressés les uns contre les autres, des oreilles indiscrètes. Quand Raphaëlle ne se gêne pas pour éclater de rire dans les situations les plus amusantes, la polarienne, elle, en semblerait presque gênée. Mais cela la fait sourire un peu, cela marque bien des différences, car, si on nomme l'Astre de glaciale, certains n'oseraient approuver, après avoir vu sa franchise, dans sa façon d'être, d'exister. Il n'y a que ceux d'un ennui mortels qui ne sauraient se vanter d'avoir fait fondre le cœur de la blonde.

« Vous savez, je suis quelqu'un d'assez patient. Généralement. »

Elle mentait peut-être un peu. Mais pas pour Sasha, pas alors qu'elle réussissait à l'approcher avec plusieurs regards volés au coin des paupières. Et elle ne montre pas encore à quel point elle est affamée d'en apprendre plus sur elle : pourquoi donc cet aspect d'iceberg, quelle en est sa face cachée, oui? Elle se les pose, ces questions (aimerait réponses).

« Je suis certaine que vous vous y plairiez. Les alcools sont parfois bien plus loufoques que ceux-ci, un peu ternes, sans grandes couleurs ni féérie. »

Et puis, comme s'il s'agissait d'une confidence faite, Raphaëlle rit à nouveau, acquiesce. Oh, elle ne peut qu'approuver. S'il y avait bien une chose qu'elle n'aurait pu reprocher à son ancien mari, c'était bien ça : sa beauté. À côté, son cavalier n'avait de beau que la femme qu'il accompagnait. Certains s'en accommodaient, comme d'un nouvel accessoire. Mais la danseuse brillait de trop pour n'être qu'accessoire.

« Vous avez raison. Il n'a même pas de quoi satisfaire par sa personnalité. »

Et ça fait presque frissonner, de voir les questions défiler dans le fond des prunelles de Sasha. De sentir son souffle tout près de son oreille quand elle vient lui murmurer en son creux. Et le sourire qui se berce sur le visage poupon ne ment pas : c'était bien ce qu'elle attendait. Cette intrépide envie de s'enfuir dans les rues de la ville technologique, quand le devoir la suppliait de rester aux bras ennuyants de ces quelques dizaines de messieurs. Mais elle s'était bien montrée assez souple, assez aimable jusque là. Ils ne lui en voudraient pas de s'enfuir au bras de sa nouvelle amie. Suffisait de quelques battements de cils, et ce serait tout oublié. Et elle n'a pas le temps de véritablement signer son accord, celui-ci écrit dans le fond de ses yeux, pourtant.

Elle s'accroche presque au bras de Sasha, quand elles se faufilent à deux entre les pas dansants des invités, entre les verres proposés, entre les chevelures repoussées (avec tant de grâce, d'avidité). Les talons claquent, Raphaëlle voit son cavalier paniquer quand elles quittent finalement la pièce. Folie, douce folie, elle éclate de rire et puis prend la main de Sasha, pour marcher plus vite dans les couloirs vides du bâtiment, jusqu'à l'ascenseur. Elles s'y engouffrent, les portes commencent à se fermer. Et le voilà : visage de poisson qui court, rappelle Raphaëlle. Et puis, il est trop tard, elles descendent déjà les étages et l'Astre s'appuie contre les miroirs en souriant bien trop grandement.

« Vous venez de transformer cette soirée monotone en la meilleure que j'ai pu passer depuis bien trop longtemps. »

Il y a ces folies adolescentes qui lui reviennent, quand elle sent son petit cœur battre contre sa poitrine, quand elle regarde Sasha et pense aux folies qu'elle seraient bien capables de commettre ce soir (un peu d'alcool dans le sang).

« Je crois que je lui rappellerai cette tête qu'il vient de faire pour longtemps, encore. »

Le cygne rose se dit patient, mais Sasha, elle ne l’est pas. Elle a ses excès parfois, demander trop, tout de suite ; parce qu’elle le peut et qu’elle le veut. Quand les parents ne disent jamais non, on oublie parfois que le temps, ça ne s’accroupit pas ; même devant les pas d’une reine. Alors la russe aimerait bien voir ça, l’Astre qui patiente, patiente. Mais ce soir, elle ne peut pas. Il faut choisir, un peu de liquide ambré au fond d’un verre ou l’éclat d’un astre pour compagnie ce soir. Le choix et trop vite fait.
Un petit sourire pour lui montrer qu’elle la croit. Il n’y a eu que patience quand plus tôt (un jour, une heure) les regards se croisaient et se défilaient. Un petit sourire pour lui montrer qu’elle aimerait beaucoup la voir sortir de ses manières trop douces, trop recherchées.
« Ça tombe bien parce que moi, je ne le suis pas. »
Jamais.
Un regard aux bouteilles présentent dans les bras des serveurs. Aucune féerie oui. Mais est-ce que tout cela l’a déjà dérangé ? Absolument pas. Sasha n’aurait jamais qualifié Polaris de terne. Mais après tout, elle n’avait jamais vu Requiem de ses propres yeux.
Alors elle se laisse un peu tenter, ne serait-ce que pour une seconde, dans l’imaginaire qui lui ne risquera jamais rien.
« Vous savez parler aux amatrices d’alcool. »
Raphaëlle aurait pu lui vanter la beauté des lieux de son pays, l’harmonie des musiques et le souffle des danses. Mais non, c’est une référence aux alcools somptueux qui fait briller l’œil de la russe. Déjà trop vite démasquée, elle pourrait presque s’en renfrogner. Mais ça l’amuse, que l’autre l’ai percé ainsi à jour bien qu’il n’y ai rien de secret à tout ses penchants.

Bien d’accord, le pauvre petit cavalier de la belle ne semble pas briller par son intelligence ou son originalité. Un simple hochement de tête, cette homme ne mérite pas quelques paroles de plus. Se sent-il important à se voir accosté de toute part pour quelconque sollicitation ? Oublie-t-il parfois que la vedette ici, ce n’est pas vraiment lui ? Sasha n’oublie pas, cette homme ne brille même pas. Contrairement à la blonde en sa compagnie qui sans le vouloir, attirera toujours les regards. Elle pourrait en être jalouse Sasha, peut-être oui.

Impossible de la louper, cette lueur naissante dans les yeux du cygne. Il n’y a pas de question à se poser (les mots sont parfois de trop), elles seront toutes deux ravis de déguerpir d’ici. Ce n’est pas une surprise, Sasha ne se serait attendue à un non de sa part. Si Raphaëlle à sa place ici, parmi les regards admirateurs et les robes de satins, nul doute qu’elle se noie également dans un parfait ennui. Il est temps d’y remédier.
La foule ne les bloque même pas. Il faut savoir ou poser les pieds ; comment danser, esquiver. Une main chaudement enlacée dans l’autre tandis que les regards surpris défilent et que bientôt, il n’y a plus que les vides couloirs pour juger leur fuite.
Pauvre petit cavalier, se fera-t-il taper sur les doigts ?
Qu’il est beau, le sourire sur les lèvres de l’Astre. Qu’il est beau, celui qu’elle-même aborde sans pouvoir s’en empêcher.
Elle rit un peu, rassurée par l’intimité que leur procure l’ascenseur qui déjà, descend les étages.
« La meilleure ? Voyons nous n’avons encore rien fait ! »
Rien terminé, rien commencé.
« Le pauvre, j’ai bien cru qu’il allait faire un infarctus… »
C’est mesquin, mais elle éclate de rire. La voilà soulagée, loin de ces hypocrites en costard et petites dames d’arrogance vêtues.
Les portes s’ouvrent ; comme un nouveau monde. Une main toujours calée dans cette présence réconfortante, Sasha l’entraîne hors du bâtiment. Il fait doux, presque chaud. Et pourtant sur leur tête, s’étend le dôme à perde de vue. Des rafales de vent viennent y cingler la neige sous une lune étrangement brillante. Un cocon de douceur entouré de cet hiver éternel. Seuls au monde dans ces montagnes glaciales, ils n’ont jamais rien demandé de plus.
Et son regard revient inévitablement se planter dans celui de Raphaëlle. Joli petit aimant.
« Nous voila délivrées de notre prison d’argent, alors qu’est-ce qu’une si jolie Astre pourrait bien vouloir faire dans les rues de Polaris ? »
C’est une question sérieuse, Sasha veut savoir. Elle n’a qu’un mot à dire, et les voilà parti. Où ? Peut importe.

Il y a le sourire en coin, peut-être car elle ne s'était véritablement douté de ses penchants pour l'alcool plus que les paysages, à Sasha. Mais elle ne peut lui en vouloir, elle aurait volontiers apprécié tous les goûter dans sa tendre jeunesse, ne se rattrapait qu'avec les années perdues. Mais à Requiem, bien qu'elle n'ait pas parcouru le monde à la recherche des nouveautés d'Althea, elle avait goûté à ces boissons enchantées, un peu étranges, un peu spéciales. Peut-être un soupçon d'illusions, aussi.

« Je prends le compliment, il vous influencera peut-être à me rendre quelques visites dans le futur, qui sait? »

Est-ce une invitation, peu délicate, à la rejoindre de nouveau? Peut-être bien. Elle espérait cependant ne pas se tromper en faisant découvrir quelques amusements à Requiem, elle espérait qu'elle s'y plairait, qu'elle ne serait pas déçue du voyage, si jamais elle venait à suivre ses paroles si doucement susurrées. Mais la fuite ne fait que rendre la soirée plus folle, déjà, avec ce soupçon d'inconnu qui fait flamber le cœur, palpiter les sens. Raphaëlle n'a qu'une hâte : s'éloigner de ce bâtiment trop terne, trouver les lueurs de folie au bras de Sasha. Et le rire cristallin de la blonde dans la cage d'ascenseur la rend déjà euphorique, c'est comme le début du conte de fée, vraiment. Si Sasha est ensorcelée par le sourire qui étire les lèvres rosées de la danseuse, celle-ci n'en est que plus hypnotisée par les sursauts des épaules de la reine des glaces.

« Le début ne fait qu'en annoncer la couleur, et pourtant, cela fait bien longtemps que je ne m'étais tant amusée. Rien qu'avec une course poursuite aussi ridicule, imaginez! Il faudrait peut-être que je m'enfuie plus souvent. »

Petit sourire, elle s'échapperait bien aux bras de la douce Sasha tous les soirs, déjà. Mais les moqueries qui fusent la font bien rire encore, et elle approuve vivement. Oh, quelle plaisir prendrait-elle à rappeler cette soirée à ce bon à rien. Elle s'en léchait les babines d'avance, avait bien hâte de le voir s'énerver sans qu'elle ne lève le moindre regard intéressé vers lui. Elle n'avait que faire des remontrances, avait bien le droit à quelques folies, parfois. Et s'engouffrer dans l'air réconfortant de l'extérieur, les doigts bien enlacés à ceux de sa nouvelle amie, la voilà qui inspire un peu, qui laisse la lune miroiter sur ses prunelles et puis laisse les flocons l'émerveiller. Cela lui rappelle étrangement les soirées à observer l'hiver s'étaler, tout a coin du feu du salon, le chien étalé sur les cuisses. C'est là l'un des seuls souvenirs d'enfance qui lui laisse un goût de bonheur, encore. Mais le regard de Sasha cherche le sien, et qui serait-elle pour le lui refuser. Ils se croisent, elle sourit.

« Je croyais que j'aurai le droit à une visite, vous savez. Mais je crois qu'il faudra que l'on se balade bien serrées pour simplement apprécier. Peut-être qu'un éclair de génie viendra nous illuminer. »

Et ça ne tarde pas trop, quand sur les talons aiguilles, quand de leurs robes si longues, si belles, elles s'arrêtent dans toutes les rues, bras liés. Quand Raphaëlle sent ses yeux briller, tourne la tête vers Sasha, sourire en coin, bien amusée.

« Vous savez jouer au bowling? »

Elle rechigne à s’éloigner de sa jolie capsule dorée.
Elle ne veut pas explorer ; les ruines ou les vallées.
Ne veut pas aller dehors, loin de son petit cocon confortable, de ses fêtes en champagnes.
Qu’est-ce qu’il y là-bas, de plus qu’ici ? Voit pourtant ses lèvres former un oui ; fières traîtresses qui n’écoute pas la tête.
« Qui sait, je commence à être très intéressée. »
C’est presque un « oui » clamé par le cœur ; un peu arraché. Oui elle ira à la Vallée, car là-bas ce qu’il y a de plus, c’est un joli bijou rosé.

Sasha s’amuse de l’amusement de l’autre. Fuir une soirée trop mondaine elle l’a déjà fait un millier de fois en compagnie d’un millier de personne différente. Mais peut-être jamais aux bras d’une aussi belle icône. Raphaëlle devrait sourire plus souvent, rire plus souvent. C’est comme un carillon. Envoûtant.
« Je suis bien heureuse que tout cela vous amuse ! »
Si elle avait su, la blonde aurait peut-être porté d’un peu moins hauts talons. C’est que ce n’est pas pratique, de se presser ainsi au dessus du sol. Et leur robe qui traînent, gênent et brillent peut-être un peu moins sous la pleine lune (il n’y a bien que les grands lustres dorés pour tous les parer de luxe). Il y a le regard des passants, intrigué, admiratif ou gêné. Elles sont comme des reines descendues du trône, dans leur parure rubis et leur regard saphir.

L’air est frais et c’est comme une délivrance.
Une visite. Mais Sasha n’est pas bon guide. Ne s’aventure pas dans les moindres ruelles de Polaris. Elle a ses endroits, ses habitudes et rechigne à en changer. Mais ce soir, aucun de ces lieux ne lui paraient adaptés à leur folie passagère. Accepte d’un hochement de tête que l’illumination se fasse dans leur longue marche ; il manquerait presque le tapis rouge.
Et quelle illumination. La russe n’était certainement pas prête à voir sa nouvelle amie s’arrêter devant une grande devanture de bowling.
« Et bien je n’ai pas joué depuis des années… » Un peu sceptique, elle ne peut le cacher. Car il faut bien l’avouer, ses sorties en famille n’ont jamais contenue quelconque bar, patinoire, jeux d’arcade ou encore moins de salle de bowling. Une enfance passée dans les grandes soirées mondaines russe, à être joliment présentée telle la petite poupée blonde qu’elle était. Un père en costard qui clame trop fort ses idées politique et une mère qui poliment, se tait parce que c’est ainsi. Et si l’adolescence de Sasha a était très mouvementée et tout en rébellion, il y a des choses qui ne se perdent pas. N’avait dû franchir la porte de ce genre d’endroit que très rarement. Et encore, le lieu avait probablement dû être privatisé (il y avait des choses (des gens) à ne pas mélanger), elle ne se souvient pas très bien.
C’est un passé révolu, là-haut à une autre époque. Pourtant, l’idée même de rentrer dans un bowling ne lui traverserai même pas l’esprit.
Sceptique, mais elle ne saurait dire non. Et ça l’intrigue, contre toute attente.
« Mais allons-y, j’imagine que l’intérieur ne pourra pas être aussi horrible que la devanture ! »
Tout de même, les quilles n’étaient pas très bien dessinées, à peine droites.
Voilà Sasha un peu soucieuse. Mais veut tenter l’expérience. N’est-ce pas la la nuit des folies ?
Entraîne donc sa camarade à l’intérieur non sans un petit froncement de sourcils. L’odeur de transpiration l’énerve déjà.
Quelques paroles échangés au comptoir et leur voilà attribué une piste.
Pas forcément certaine de ce qu’elle fait. Comment elle se tenait déjà cette fichu boule ?
« Je pense que je vais totalement me ridiculiser alors s’il vous plaît ne riez pas trop fort. »
Elle est fière tout de même, à garder la tête haute et regarder comment ça marche d’un air presque trop sérieux.
« Vous avez vraiment l’habitude de jouer à ce jeu ? » Toujours aussi sceptique, mais la question est sincère. Après tout, peut-être que Requiem regorgeait de fanatique de bowling.  

Il y a déjà la promesse de la revoir qui tinte si doux aux oreilles de Raphaëlle. La soirée ne fait que débuter, mais elle se sent déjà enivrée. Sasha devrait bien tenir parole, car, même si cela sonnait plus comme un "peut-être" plutôt qu'un "oui", l'Astre n'avait rien entendu du premier, préférait bien le second. Peut-être que sous la lune ronde, elles sauraient se retrouver le mois prochain. Ce serait un bien romantique rendez-vous, un peu surprenant, peut-être. Mais il n'y a que le goût de la fête et de l'ivresse du moment, sur le palais de la danseuse. Et son sourire étire ses lippes en une douce mimique qui décide de ne plus quitter son visage angélique. Oh, les parures du bâtiment ne peuvent correspondre au monde des reines, mais qu'importe. Parées de leurs diamants, elles sauraient s'installer comme somptueux décor du bâtiment. Il fallait bien qu'elles trouvent l'amusement au détour des ruelles de Polaris. Ce serait donc là, qu'elles jetteraient leur dévolu. L'air sceptique de Sasha ne la ferait pas changer d'avis, non.

« Oh, voyons, vous savez pourtant que l'habit fait le moine. Ce sera probablement aussi bancal que d'extérieur, mais quoi de mieux pour véritablement s'amuser. »

Il faut bien briser la cage dorée de la jeune femme, s'aventurer dans ces sentiers inconnus. Et si Sasha tremblera sur la piste, Raphaëlle la rattrapera, rien de plus simple. Il leur suffira de bien prouver qu'elles ne savent pas jouer, pour espérer, peut-être, s'améliorer. Ainsi se glissent en l'intérieur. L'homme qui leur glisse leurs chaussures les regarde drôlement, peut-être car l'accoutrement ne correspond guère à dégommer des quilles. Mais ce n'en sera que plus amusant, et Raphaëlle sent déjà l'adrénaline monter, quand elle perd bien cinq centimètres en abandonnant ses talons sur le côté, tournée vers Sasha. la voilà qui relève ses cheveux en une coiffure hasardeuse pour dégager son regard et puis, elle est toute prête, bien droite. On aurait de quoi se moquer : elle ressemblait presque à une enfant dans une robe de princesse. Mais elle reste Raphaëlle, et son assurance empiète sur le ridicule.

« Absolument pas! Cela doit bien faire plus de dix ans que je n'ai pas joué! »

Oh, car Adam lui bouffait tout son temps, car elle n'avait pas envie, non plus, de s'éclipser pour aller s'amuser. Et avec qui? Son idiot de mari? Plutôt compter les moutons au travers des vitres salies de campagne, grande maison, grand jardin. Alors elle prend sa quille (assez lourde, à vrai dire, elle fait tant de sport, Raphaëlle), se met en place. On dirait qu'elle serait capable de faire un strike du premier coup, s'élance, rejette le bras en arrière, toute prête et puis... La boule coule dans la rigole. Elle éclate de rire, décidément, c'est ridicule. Elle a la robe qui la gêne, la relève un peu, on voit le bas de ses tibias et puis sourit à Sasha.

« Il me reste un essai! »

Peut-être allaient-elles simplement tout perdre et se retrouver avec un zéro pointé, car la boule subit une seconde fois le même sort.

Elle n’est certes pas dans son élément naturel Sasha. Doute que sa nouvelle amie le soit aussi. Mais elle fait l’effort, et le sourire vient naturellement.
C’est comme une exploration ; un goût d’aventure. Tirée en avant par la magnifique blonde, c’est une escapade qu’elle accepte finalement volontiers. Oh personne n’enlèvera ses manies aristocrates et sa petite moue septique, mais si l’amusement est au rendez-vous, la russe accepte volontiers de se salir les mains sur le terrain. Quoique… ces boules étaient-elle bien désinfectées ? Elle réfléchit un peu trop, peut-être devrait-elle tout simplement se laisser aller. Suivre les rires et les petits regards de trop. Pour rire aussi et s’émerveiller.
Raphaëlle a bien raison, l’intérieur est aussi immonde que l’extérieur. Les employés si mal habillés et les quelques clients, presque gênants.
« Quoi, vous n’auriez pas préférés un grand tapis rouge pour nous souhaiter la bienvenue ? » Elle rigole Sasha, mais n’aurait peut-être pas dit non si on le lui avait proposé.
Le dépaysement est total, c’est peut-être mieux ainsi. Ici, ce sont elles les intruses, de leur somptueuses robes de princesse à leurs yeux pétillants de malice. Que voient-ils tous, deux grandes femmes sorties d’un rêve ?
Grandes, peut-être pas. Du moins pas Raphaëlle. La russe ne peut retenir un petit haussement de sourcil malicieux mais ne dit rien. Il n’est pas encore l’heure des piques ; bientôt ?

Là voilà tout de même un peu rassurée, elles seront toutes deux aussi nulles l’une que l’autre.
« Alors que la meilleure gagne ! »
Espère sincèrement l’être, la meilleure. Petit esprit de compétition qui renaît, là comme flamme dans ses yeux bleus. Observe l’Astre se mettre en place ; observe observe observe. Presque tout. La façon de se placer, de se tenir puisqu’elle n’y connaît rien. Le long mouvement pour frapper la piste. Peut-être aussi le cou gracile, la mèche blonde qui s’échappe et la fluidité du corps. Ces choses que l’on ose regarder uniquement quand l’autre à détourner les yeux.
Et c’est la rigole. Alors Sasha en rit aussi, d’harmonie.
Deuxième essaie, encore raté. Le russe pouffe, la main devant sa bouche. Ce n’est pas très gentil de se moquer, elle n’est pas certaine de pouvoir faire mieux.
« Voilà ce que j’appelle un très beau lancé ! »

Se lève, c’est son tour.
La boule est lourde sans sa petite main, trop lourde. C’est comme une chose étrange, à tenir et à lâcher soudainement.
Relâche son souffle, et c’est finalement dans la rigole que fini son premier essai. Étonnant. Elle se retourne vers Raphaëlle en haussant les épaules. « Je ne suis pas bien échauffée. » Ça l’amuse, de se trouver des excuses, sait très bien que l’autre n’est pas dupe (oh non personne ne l’est).
Deuxième essai. Tend le bras, relâche la boule. Qui part on ne sait où. Sasha elle, n’a pu s’empêcher  de marcher sur le bord de sa robe à la suite du mouvement, perd l’équilibre et se retrouve sur les fesses en moins d’une seconde.
Pour l’équipe gagnante, on repassera.
« Aïe. Vous auriez dû me prévenir que ce jeu était hautement dangereux. » Pour se débarrasser d'elle, il y avait moyen plus sûr. Petite grimace, ça fait un peu mal tout de même, avant de rire un peu. Ce soir, il n’y a pas de grande duchesse pour la juger, pas de seigneur pour s’en outrer. Juste les clients qui s’en fichent royalement et la jolie Astre pour qui elle imagine, le ridicule n’est pas grand-chose.