« Quand mettrons-ils un soleil dans cet endroit ? »

Les cristaux étaient beaux, illuminant la Vallée de toute leur splendeur, rassurant les âmes et faisant vivre l’endroit. Ils étaient le cœur du pays, ses joyeux les plus précieux.
Et en même temps, l’obscurité ambiante surprenait Lucrèce à chacun de ses passages. Elle avait pourtant l’habitude de venir, de par ses nombreux contrats en cours, savamment négociés par Esmée. Mais, jamais elle ne pensait à s’habiller en conséquence, quittant à chaque fois son pays bordé de soleil pour s’enfoncer dans la nuit en quelques heures à peine.

Une grande capeline lui barre la moitié de la tête alors que Lucrèce frappe à la porte de sa destination, une mallette de cuir au bras et la candeur de l’artiste sous ses talons.
Cette nouvelle œuvre qu’elle doit commencer allait être l’un de ces chef d’œuvres qui traversent le temps, fait parler la foule et illuminer les yeux. Un décors d’Opera, digne des plus grands actes de sa génération, filant au rythme de la musique. Au rythme des funambules et des ballerines, des musiciens et des pas de danse.

La scène se présente sous ses yeux scrutateurs tandis que les mondanités habituelles sont échangées. Oui, elle était en parfaite forme. Non, le voyage ne l’avait absolument pas dérangé. Absolument, elle se languissait de commencer ce nouveau travail. Entre mondains, les paroles sont toujours les mêmes, qu’importe l’heure de la journée. Et si ces mondanités ont réussi à l’emmener jusqu’ici, devant cette scène qu’elle doit maintenant décorer de son imagination fertile, elles ont ce défaut de rapidement l’ennuyer quand l’interlocuteur est aussi fade qu’un bout de bois.
Son silencieux appel à l’aide est écouté ; le directeur finit par s’en aller l'holokit à l'oreille, mettant fin à ce supplice.
Les planches sont maintenant toutes à elles.

De cette malade de cuir qu’elle tenait à bout de bras, Lucrèce sort des feuilles et des crayons. Si elle préférait des armes comme l’argile et la pierre, l’esquisse est de ces étapes obligatoires qu’elle ne peut pas enlever.
Rapidement, le décors prend forme sous la mine, fleurissant les colonnes ternes et bâtissant des colisées. Le crayon trace et retrace, esquisse et redessine des formes sorties du néant.

La concentration est à son comble, quand elle vient se briser contre un bruit de porte, un bruit de pas monotone qui rentre dans la pièce. Lucrèce s’était oubliée dans son œuvre au point d’en perdre la notion de son environnement, elle en sursaute. Un peu. Peut-être que son bon ami le directeur lui a envoyé un employé pour servir ses besoins ? Cette petite intention est la bienvenue ; sa bouche est pâteuse, demandant collation.

« Vous seriez aimable de m’apporter un verre d’eau Darling. »

Si son coup de crayon s’est arrêté, c’est pour mieux être tendu en l’air, comme lorsqu’il faut arrêter un serveur un peu trop pressé dans un restaurant. Lucrèce ne s’est pas retournée, continue de fixer cette scène, ce dessin, tour à tour, les jambes croisées sur le siège qu’elle occupe. La capeline toujours sur la tête, elle semble occuper la rangée comme si ce cabaret lui appartenait, bien loin de se soucier de cette nouvelle apparition.

À cette infortunée demande, ne lui répond d’abord qu’une bouteille vide. Sale. Un service burlesque bien loin des standards auxquelles la demoiselle pensait se confronter. Ne lui avait-on pas dis qu’il s’agissait du meilleur des cabarets ? Lui aurait-on donc menti en l’amenant à se produire dans ces lieux ; les sculptures qu’elle imagine devenant cette partie d’elle-même que Lucrèce expose fièrement. Le crayon d’abord levé dans cette requête exigeante finit par être posé sur la table, à côté de ce dessin qui prend forme. La bouteille est attrapée à bout de doigts, tel un mouchoir sale, examinée avec dédain. C’est la première fois que Lucrèce lève les yeux de son œuvre, et la dernière ; pour l’instant.
La bouteille vide finit sa course par terre, dans un geste de mépris, produisant un boucan digne des plus épique scènes de beuverie théâtrale.
L’orgueil est de ces défauts qui pousse aux gestes irréfléchis ; prétentieux. Lucrèce mérite mieux que cette déférence ratée, ou au contraire, de cette comédie malvenue.  
Un soupire, une lassitude naissante.

« Peut-être aurais-je dû demander un verre de champagne, il est après tout presque l’heure du thé. »

Il n’y a dans ses propos ni la patience des courtoisies, ni la décence de l’inconnue. Seule l’impertinence, usuelle amie de ses rencontres, l’accompagne.
C’est la douce chevelure de Raphaëlle, glissant maladroitement sur ses épaules, qui attire enfin l’attention de la sculptrice. Elle les regarde, se poser sur le papier, s’entortiller dans des formes de fleurs, de plantes. Un instant, Lucrèce glisse ses doigts sur les mèches rebelles, les coince entre deux pour mieux les examiner. Elle aime toucher, elle aime tester.
Lorsque la belle s’en va, Lucrèce la suit du regard, laissant s’échapper de ses mains cette douce chevelure.
Un dos s’offre d’abord à elle, puis une silhouette, altière. Enfin, le minois se dévoile alors que la douce voix chante presque à ses oreilles.
Ce n’est pas un visage inconnue. Pas un visage connue, non plus.
Un visage ensorceleur oui.
Un visage à graver dans le marbre, aussi.

« Mon nom est-il allé jusque-là ? » le chemin vers cette célébrité à laquelle elle aspire tant est encore long à parcourir, mais la voilà déjà flattée. Elle en rejette même sa grande chevelure rosée en arrière. « Vous devriez donc savoir qu’il n’est jamais bon de laisser une artiste désaltérée trop longtemps. » Un ordre déguisé en suggestion. Oh, Lucrèce est bien incapable de politesse, elle qui a l’habitude d’avoir le monde dans la main en ne sacrifiant que quelques mots. Elle ne se doute pas encore du rang de Raphaëlle, de ce qu’est Raphaëlle. Il suffirait d’un peu de mémoire, un peu de souvenir pour remettre cette silhouette sur scène, sous des centaines d’applaudissements.
Le jeu s’installe entre les deux femmes, à celle qui fera la meilleure performance, la plus désagréable peut-être.
Et si Lucrèce, elle, est captivée par la beauté de cette femme, elle ne lui laisse pourtant pas toute la couverture du jeu. Il est bien mal la connaître que de la croire passive.
C’est qu’elle aime provoquer, elle aime faire danser les autres ; dans cet immense terrain de jeu où elle se pense Reine. Il est pourtant si facile d’en perdre le contrôle.

Quittant cette table devenue atelier et bureau à la fois, la sculptrice se poste en face de cette silhouette blanche à la robe pivoine. Observe ses longues jambes qui se dévoilent, ce sourire qui se veut innocent (alors qu’il cache peut-être le pire des démons).

« J’évoquerai bien le nom de mon cher ami, le directeur, pour vous faire obtempérer mais je doute qu’il vous fasse réagir, n’est-ce pas ? »
Il n’y a que peu de joyaux tels que Raphaëlle dans ce nouveau monde. Si son nom n’émerge toujours pas, Lucrèce en est persuadée : cette femme est bien qu’une simple employée. Il est parfois bien ennuyeux de préférer voir son nom scandé que scander celui des autres ; la vanité fait perdre la mémoire.  

Dos contre la scène, face à la danseuse, Lucrèce lève une main vers le visage gracile. Son index glisse lentement le long de la joue diaphane, avant de venir se coincer en bas du menton, le relevant. L’examen est attentif, presque trop ; Lucrèce aurait-elle confondu Raphaëlle avec l’une de ses statues ?

« D’où vous connais-je donc ? »
C’est un souffle, qui vient jusqu’au visage de Raphaëlle, le chatouiller, le titiller peut-être

Ces croquis objet de curiosité, peut-être de fascination, elle les avait laissé derrière elle au moment de suivre (ce qu’elle pensait être) la souris jusqu’à son repère. Il est pourtant dangereux d’attribuer une étiquette avant même le jeu commencé. Combien de fois les brebis cachaient-elles des dents de loup ?
N’était-ce d'ailleurs pas des crocs qui dépassaient de ce sourire narquois, lui refusant le droit momentanée de s’abreuver ?
Il allait donc falloir attendre. Attendre et ordonner à nouveau, quand son missionnaire daignerait revenir sur les lieux.
Car Lucrèce en est de toute façon persuadée ; le directeur ne pourra qu’aimer ses productions. Qui ne le pourrait pas ? C’est ainsi que vont les choses ; elle avec ses fabuleuses œuvre et le reste du monde à leurs pieds.
Il ne pourrait que lui donner ce verre de champagne qu’elle espère tant.
Même mille si elle battait des cils.

« C’est donc mon destin de mourir la soif aux lèvres. »
Et elle dit ça avec ce regard malicieux, cette main posée tout contre son cœur, mimant l’une de ces morts tragique. Que le lieu est ironique ; ainsi plongée en plein cœur de la comédie, Lucrèce n’aurait pas pu trouver meilleure auberge. Elle est à sa place dans ce cabaret, cette diva. Elle qui aime la lumière, elle qui aime les regards.
Même s’il n’y en a qu’un, c’est déjà bien assez; à attraper.
Et quel charmant regard. Vraiment exquis.

Les indices sur cette identité masquée se font plus nombreux : la belle est farouche, la belle tient tête à ce directeur à poigne de fer lorsque vient le moment de négocier.
Intéressant.
Décidément, elle n’était pas n’importe qui.

« La perfection, c’est donc ainsi que vous vous définissez ? »
Lucrèce est joueuse, Lucrèce est taquine. Elle n’accepte pas de se voir perdre (de quoi, elle ne le sait pas vraiment) et préfère utiliser ce chemin où les mots deviennent des tranchants aiguisés. Ce n’est pas son premier duel, mais elle devine bien que son adversaire sera redoutable. Cette simple raison lui donnait envie de croiser le fer.

Sa contemplation rêveuse, matérialisée par cet index un peu trop envahissant, est interrompu par une main, presque aussi glaciale que ce regard. Petite souris se transforme donc en loup féroce. Elle qui voulait l’enfermer dans une de ces salles remplies de statues, elle devrait prendre garde à ne pas se faire mordre.
L’Astre n’a pas fini, elle vient chahuter doucement la sculptrice alors qu’elle sort de son emprise. Les rôles s’inversent lorsque Raphaëlle dandine doucement de la tête sous les yeux captivés de Lucrèce. Lorsque son souffle glisse contre sa peau d’italienne.

« Vous me torturez donc de la sorte, moi qui vient apporter mon humble contribution à cette entreprise ? » Si son ton est plaintif, si ses mots sont ceux d’un abandon, de quelqu’un qui voudrait arrêter de jouer, c’est pour mieux placer ses prochains pions. Oh elle se souvient (enfin) de ses pas dansants, de cette admiration d’une salle comble face à une performance féérique. « Raphaëlle, je vous pensais plus gentille avec vos admirateurs. »
Raphaëlle, quel beau nom pour le cygne de la Vallée ; de celui que l’on évoque aux soirées mondaines, entre deux opéras ou coupes de champagne.

Les pas de Lucrèce sont à nouveau attirés par la danseuse, la suivant jusqu’aux schémas laissés sans surveillance. Ils sont rapidement entassés en un tas unique, disparaissant d’une curiosité mal placée.
« J’ai bien peur qu’en ne mettant plus de fleurs, mon décors vous vole toute la lumière une fois sur scène ». C’est une provocation, à peine voilée. Lucrèce n’en pensait pourtant pas un mot, même les plus belles des fleurs n’ont pas le même éclat qu’une rose.  

C’est un duel de piques, d’orgueil même, alors que les mots se croisent, se lancent et s’entrechoquent. Alors que la bataille qui se joue entre elles deux ne couronnera comme vainqueur que celle qui aura le dernier mot. Elles ne sont pas de celles qui abandonnent facilement ; préférant prononcer des phrases toujours plus acérées que de rendre le micro. Et pourtant, ces phrases sont douces, d’une certaine façon, alors qu’elles pourraient être bien pires sans cette intimité inespérée. Il est d’habitude si rare pour de tels personnages de se rencontrer en dehors des scènes de mondanités.

Voilà que le chaton devenu tigre montre les crocs ; raffermissant ce pouvoir qui devrait lui revenir, ainsi lovée dans son cabaret. Lucrèce pourrait grincer des dents, de se voir attaquer de la sorte. Elle pourrait, oui, si elle n’avait pas cette désinvolture lui collant à la peau. Oh, son égo était bien grand, bien beau, mais cette tiédeur jamais ne s’en allait vraiment.

« Mon travail est bien plus compliqué que le votre. Voyez-vous, lorsqu’il n’y aura plus que des rumeurs sur vos danses envoutantes ; mes œuvres à moi vivront éternellement en portant mon nom. Il serait donc dommage qu’elles ne me ressemblent pas, n’est-ce pas ?

Il était présomptueux de se définir de la sorte, même Lucrèce en avait conscience. Et pourtant, elle aimait à s’imaginer dans cette perfection, elle et ses nombreux caprices. Il y a quelqu’un chose de beau dans l’imperfection. Quelque chose d’encore plus beau qu’une fade perfection sans contours ni défauts.
C’est peut-être ce qui rendait Raphaëlle si belle ? Un diamant écorché de tout part dont la brillance s’accentue au fil des danses éphémères.

« Me moquer ? Vous me prêtez là des intentions que je n’ai pas. » Quelle est habile, Raphaëlle, à ainsi retourner la faute contre elle. Jouant avec cet anonymat l’instant d’auparavant, elle le lui lançait maintenant en pleine tête. A n’en pas douter, un auditoire peu attentif aurait hué cette grande dame étrangère s’en prenant à cette douce étoile de la vallée. Si seulement douce était le seule adjectif qui la définissait.
« Pardonnez-moi si je vous ai offensé darling, j’ai cette vilaine manie de vouloir voir le visage des autres. » et pas celui que l’on montre, celui caché sous un masque, ne se dévoilant qu’à de rares occasions. C’est un demi-mensonge. Une demi-vérité dans laquelle Lucrèce trouve refuge.
Il n’est pas vraiment bon d’avouer à sa proie ses intentions, au risque de la voir s’échapper.
« Je préfère encore devenir votre détracteur plutôt que de me faire croquer à trop vous approcher (admirer). »
L’attention de Lucrèce est de ces choses qu’elle n’accorde que difficilement.
Son respect, encore plus difficilement.
S’il y avait un certain intérêt pour ce cygne ; une admiration certaine, ils s’en iraient probablement au même instant que son parfum s’estomperait. C’est que l’ego de Lucrèce prend déjà beaucoup de place.  

« Votre costumière est sûrement très bonne, sinon elle ne travaillerait pas ici. » Mais ailleurs, dans un endroit où le talent est moins regardé.
Qu’il est dur d’avoir un adversaire à sa taille, qui peut déformer les phrases d’un simple mouvement de langue claquante. Qu’il est amusant également ; voilà bien longtemps que Lucrèce n’avait pas eu affaires à pareille adversaire.
Un divertissement qu’elle appréciait particulièrement.
C’était encore plus amusant que de créer de nouveaux décors.

« J’ai effectivement eu l’occasion de venir. Vos spectacles sont… distrayants. » Et elle appuie sur ce mot avec cet accent de bourgeoise, avec ce dédain qui coule des mots. Distrayants, comme les livres de bord de plage ou l’embrouille autours des petits fours.
Quelle vilaine Lucrèce, prête à faire pleurer pour se distraire. Pour se défendre, même.

« Vous n’osez donc mais pouvez ; ils ne seront là que pour vous accompagner à travers vos pas de fées. Ce sont des œuvres à admirer avec leur interprète, sans cela ils perdent tous leurs charmes. »
Elle est peut-être joueuse, mais pas cruelle ; elle le sait bien que Raphaëlle est cette étoile que tout le monde admire et que ses décors ne sont que des accessoires. Et si ce compliment lui fait presque mal, elle le pense sincèrement.

Elle soupire, Lucrèce, devant cette étoile qui brille à lui en crever les yeux. Un soupire lent, impertinent, montrant ce désagrément par lequel elle vient de passer. Ce n’est peut-être qu’un jeu de plus, jamais rien n’est sûr avec cette sculptrice à l’ennui insolvable.

« Votre lumière est bien trop vive pour se voir ternir. »

Ses yeux sont toujours plongés dans ceux de l'Astre. Serait-ce devenu une bataille de regard?
Si proche, et pourtant si loin, Lucrèce observe son visage, s’imprègne de ses traits, si fin. De cette posture, souveraine. Si elle ne sentait pas Reine, elle lui aurait déjà donné la couronne.

Lucrèce à un vilain défaut.
C’est une envie irrépressible de voir fléchir les gens, une envie de les faire plier, de tordre leur visage si parfait.
Lucrèce est une provocatrice.
Elle aime voir ces personnes si irréprochables toutes décontenancées. C’est une fragilité qu’elle chérit presque ; avec ces airs de princesse, perchée sur ses talons dont elle ne descendrait pour rien au monde. Oh mêmes les plus beaux visages ont cette imperfection si majestueuses alors qu’ils se fragmentent sous ces paroles de trop. Ce mot qui les fait vriller.

Elle le cherche du regard, cette fissure qui devrait apparaître sur le visage du cygne à chaque moment. Mais elle n’apparait pas. Petit cygne sait donc jouer, petit cygne fait parti des grands félins et montre les crocs.
Qu’aurait-il était amusant de la croiser dans ces soirées Caerienne, entre deux mondanités. C’est que, Lucrèce aurait bien aimé s’échauffer voyez-vous. Peut-être aurait-elle réussit en affûtant un peu plus son épée à casser cette carapace.

Au lieu de ça, il y a ce contact auquel elle ne s’attend pas. Cette main qui prend la sienne, qui glisse sur son épaule dans un mouvement qui capte son attention pourtant si volatile. Il y a de la surprise devant cette démonstration, de l’admiration aussi. Rarement on lui tient tête, et encore moins de cette façon. Elle a cette habitude de tout écraser sur son passage, de marcher sans se soucier des autres.
Et là, devant elle, un cygne vole cet intérêt qu’elle ne garde d’habitude que pour elle.
Car c’est un réel intérêt qui commence à naître pour cet être qui déploie ses plumes autours d’elle. Lucrèce ne bouge plus, arrête de respirer alors que son corps se retrouve maltraité (choyé). Elle aussi en oublie de respirer, elle aussi ressent ses frissons sur son corps alors que les hanches ondulent devant elle.
Et pourtant, jamais elle ne l’avouerait, il y a cet orgueil qui la retient de parler. Qui la retient tout court, alors que le contact se rompt. La convenance fait partie de ces choses qu’une bourgeoise n’oublie pas.

« Remarquable » son commentaire ne tient qu’à un mot, lancé à bout de lèvres. Elle est encore chamboulée, Lucrèce. Curieuse aussi, curieuse d’en voir plus, d’en savoir plus. C’est une flamme qui s’allume dans le fond de ses yeux. Une douce flamme rougeâtre de désir, de défi aussi. Raphaëlle ferait une pièce de choix parmi toutes ses sculptures.
C’est une œuvre du monde, qu’elle aimerait à capturer.

« Loin de moi l’idée de vous offenser, si tel est le cas, acceptez mes plus plates excuses. » Elle a ce doux sourire alors que ses yeux sournois fixent Raphaëlle. Doux Astre, veux-tu bien lui pardonner toutes ses maladresses ? Elle qui manie aussi bien les excuses que l’hypocrisie à peine voilée. Voyantes et fausses.

Et il y a ces remarques sur ses œuvres, ses précieuses qu’elle chérit. Peut-être qu’elle devrait s’énerver, laisser cet orgueil s’emporter. « Hélas, je n’ai eu la chance de tomber que récemment. » Serait-ce une excuse qui sort de sa bouche ? Ou peut-être une complainte ? Il y a pourtant bien plus dans ses quelques mot. Son ambition. Sa passion. Sa (folie des) grandeurs.
Fait attention à toi Raphaëlle, il est si facile de se faire remplacer sur un podium quand on ne regarde plus en bas.

« Je vous envie presque » Cette fois, c’est en tout franchise que Lucrèce prononce ces mots. Elle qui doit commencer de tout en bas à nouveau, alors que les autres ont eut cette avance pour franchir les marches.
« Sauf quand vous me faites tourner la tête, je ne peux alors pas me consacrer convenablement sur mon travail, Darling » Oh-oh, serait-ce un trait d’humour qui se dégage de ces paroles ? Serait-elle déjà fatiguée par cette bataille de crocs, de
regards ? Blasée peut-être ?
Il y a ces maquettes qui lui pique le bout des doigts, cette imagination fertile qui lui brûle la tête. Ah; cette rencontre se retranscrirait sûrement sur ces décors prêts à naître.

« Décorations qui attendent patiemment leur tour si elles ne veulent pas arriver en retard à la prochaine représentation. »