Ce n'est la première fois que l'on loue ses apparitions, ses danses, ses éclats. Oh, Raphaëlle, reine du palais créé d'artifices, c'est elle qui fait vibrer les scènes de Requiem, en envoie plein (trop) la vue, il y a les paillettes qui poursuivent son parcours c'est entraînant. Et l'on réclame sa présence aux quatre coins du monde, on cherche ses talents dans chaque petite scène d'Althea, mais il y a plus important. Sa place actuelle, c'est le sauveur de son âme qui le lui a offerte. Qui serait-elle pour arracher à cette gloire là sa douce présence? Il ne serait de bonne augure de le décevoir (c'est l'obsession qui parle, celle de lui plaire, de ne jamais le décevoir). Alors n'avait-il pas été logique de refuser cette offre, de cet homme pourtant haut placé? Elle avait déjà des représentations de prévu, elle n'avait de place pendant un long moment, peut-être qu'avec les événements récents, il fallait que les gens trouvent le repos dans l'amusement, dans la passion des rires, des applaudissements.

Mais voilà qu'Hélianthe arrive, voilà que le cygne est coincé. Ce n'est pas comme de devoir remettre Lucrèce à sa place, elle n'est pas seule détentrice de la couronne, en combat singulier contre cet homme. Et s'il est ici, ce n'est probablement pas pour parler petits gâteaux, n'est-ce pas? La voilà qui change de chaussures, peut-être se sentirait-elle plus forte; dix centimètres de gagné, ce n'était pas rien. Elle avance, elle fait claquer les pieds, entre dans la pièce où elle est attendue, et s'orne de son si beau sourire. C'est qu'elle a des allures d'impératrice, aujourd'hui encore, mais Hélianthe a cette stature d'aristocrate qui ferait trembler la cime des arbres. Mais si nerveuse elle était, elle décida qu'il n'y avait de raison à ce comportement. Elle avait bien le droit de refuser, et qui serait-il pour le lui réprimander? Personne. Absolument personne.

« Quel honneur de vous voir ici, l'on m'a prévenue que vous souhaitiez une entrevue. »

Elle s'approche, se sert une coupe de champagne que l'on a probablement déposé en apprenant l'importance de leur invité, et laisse sa tête se pencher sur le côté, en observant de ses yeux de glace cette stature froide et élégante.

« Vous en voulez? »

Elle tend la bouteille, la pose face à lui. Espérait-il qu'elle le serve? Il fallait bien prouver qu'elle n'était à ses pieds.

C’est qu’Hélianthe a ces allures princières qui ne collent au personnage. Oh, se croit-il roi quand il n’a de couronne que les louanges des oies en pagaille de sa bassecour ? Raphaëlle est trop beau cygne pour se pavaner à son nez comme le font ces dames, elle a abandonné depuis longtemps l’idée de se laisser bercer au nez des hommes. Oh, non, elle ne laisserait plus ceux-là se languir de ses formes épousées par les robes et les strass, seules les dames auraient l’honneur de la voir se dandiner pour quelques caresses au creux des reins. Alors la voilà qui sourit vaguement à la grandeur d’Hélianthe, agite le bras avec un air moqueur, buvant sa coupe de champagne sans trinquer. Oh, il cherche la bataille, elle lui trancherait la gorge la première, elle était bien habituée à le faire.

« Oh, vraiment ? Quel drame saurait m’arriver, à présent que j’ai goûté au poison avant son altesse royale, qui n’a comme antidote que son propre venin dégoulinant des babines monstrueuses ? »

Et s’il cherchait l’attaque, le premier coup victorieux, il serait bien trop déçu. Elle se débattait jusqu’au dernier souffle, Raphaëlle. Et elle affiche le sourire des vainqueurs du round, quand elle s’installe face à son invité d’honneur. Elle est moqueuse, elle est amusée. Quelle rancœur a donc cet homme sans grande volonté sinon celle de s’élever pour faire briller une couronne toute faite de carton ? Oh, il se trompe lourdement sur le compte du cygne, car, si elle était venue en paix discuter avec un tel homme, lui ne venait définitivement que la mordre tout au cou. Eh bien, elle répondrait.

« Vous vous pavanez dans une bassecour munie de poules aux plumages noirs et blancs, dont vous êtes coq au cou de toutes. Quel est donc votre talent à vous, pour ainsi essayer de rouler dans la boue la beauté des cygnes ? J’avais en estime un homme qui saurait essuyer un simple refus d’un revers de manche, non un gamin capricieux qui piétine les jouets des autres une fois son mécontentement prouvé. »

Oh, elle y va peut-être un peu fort, mais n’est-ce le combat de celui qui tiendra ce regard le plus longtemps ? Elle sourit, elle a bien le droit, oh, quelle comédie. Cela la divertit tout autant que ses danses envoûtantes qu’elle n’offre qu’à ses meilleurs clients. Et elle se penche un peu, elle a la crinière de lion qui glisse en or sur les épaules.

« Mon talent, apparemment, est de vous faire vous languir de moi. Je le vois dans vos yeux, vous avez cette hantise de me voir danser sur vos toiles, sous vos lèvres toutes puissantes qui ont le goût du champagne trop ancien. »

L'on ne demande aux hauts gradés quel lion ils ont pu tuer, pour se retrouver à la tête d'une armée. Car si Hélianthe lui reproche quelques coups bas, Raphaëlle, seule, n'a rien à se reprocher. Sinon de s'être tue, toutes ces années. De ne jamais avoir ouvert les lèvres sur ses secrets. Elle sourit un peu en coin, fait jouer ses doigts sur le bord des tables, et se penche, les lèvres aguicheuses, quand elle dit du même ton venimeux :

« Et vous? Quelle poulet avez-vous fourré pour vous retrouver aux têtes de ces villas? »

Oh, était-ce trop violent, pour un homme tout de glace? Elle est le soleil, a l'habitude de les faire fondre, de les réduire à goutte d'eau. Mais Hélianthe a de ces puissances insoupçonnées, elle le sait, est bien heureuse de ne faire partie de Caer, n'est obligée de courber l'échine face à cet homme grâce à cette différence. Elle rit, elle s'esclaffe, devant ces quelques paroles échangées, devant cette frustration montante, qu'il cache si mal. Oh, elle ne pensait tant s'amuser d'un simple refus, devenu permanent par ces caprices de diva.

« Je ne quitterai mon lit douillet pour venir me rouler dans vos draps, sachez le avant de vous enfuir. »

Oh, elle ne ferait faux-bond à l'homme qui l'avait placée là, sur ces scènes de la Vallée. Aucun autre homme ne saurait en faire tant, aucun autre homme lui ferait changer ses postures aujourd'hui.

Princesse, princesse, Raphaëlle n'a plus de couronne. Elle l'a perdue dans le kamikakushi pour mieux se parer de plumes, qui ornent fièrement sa tête gracile, oui. Elle a tout perdu mais tout gagné, belle poupée de cire, c'est certain. Et son langage croit avec le temps, de ceux qu'elle n'utilisait jamais pour mieux se parer de bijoux, de diamants. Alors elle sourit un peu, amusée. Elle se fiche pas mal de savoir si ses mots choquent, est bien tyran de ce cabaret, a déjà insulté, déjà grogné, déjà piétiné tous ceux qui le méritaient. Et aujourd'hui, ce pathétique maître des villas ne faisait guère le fier (coq des basses cours) dans son palais. Il se tenait droit, mais n'avait aucune autorité, contrairement à elle, en ces contrées.

Raphaëlle écoute ses chœurs avec attention, pourtant. Si elle fait mine de ne se soucier de tout ce qu'il laisse glisser entre ses lèvres, l'information qui la surprend pourtant le plus est l'intérêt de ce roi pour un autre. Quelles rumeurs cela pourrait bien causer. Mais elle suppose, beau petit cygne, que c'est le genre de secret que l'on ne partage qu'avec ses plus proches ennemis, car l'on sait que les secrets de l'autre sont bien similaires.

« Si vous n'étiez prince mécontent d'un simple refus, j'aurai pu me parer de mes plus belles plumes pour défiler sur vos scènes, qui sait, un autre soir. Mais vous avez visiblement raté votre chance, je souhaitais simplement vous rappeler que l'on n'achète aisément les oiseaux de valeurs. Mais vous devez en savoir quelque chose, après tout. »

Elle a pourtant sourire en coin. C'est qu'il ne se doute pas, Hélianthe, que personne n'a plus en sa possession la vie de la belle. Elle est telle qu'elle le souhaite (vent violent des vallées aux astres illuminés).

« Les plus puissants arrachent les pieds lorsqu'ils menacent de trop. »

Elle tend un verre, porte un toast, un air satisfait collé à son joli minois. C'est que, peut-être, les rancœurs ne lui tiennent à cœur. Le prince des glaces l'a bien fait rire, il serait grand temps pour lui d'aller forger quelques beaux discours dans ses propres contrées.

« Faites bonne route. Saluez votre prince de ma part. »

Elle fait la maligne (et si elle savait que sa princesse était des amis de ce roi, peut-être ne sourirait-elle pas ainsi).